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Steinberg Maxime, Les yeux du témoin et le regard du borgne, |
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Table de matières |
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Avant-propos Ils
"savent ce que c'est de voir..." Chapitre I Entre les lignes 1.1. Le témoignage de l'erreur 1.2. Les musulmanes à auschwitz 1.3. Les gens de l'extérieur 1.4. La chronique des convois 1.5. Les transports du journal 1.6. La rumeur d'Oschevitz Chapitre II Les yeux de l'horreur 2.1. Une impression d'horreur souhaitée? 2.2. L'anus mundi 2.3. L'anatomie nazi 2.4. Une froide impassibilité 2.5. Trois femmes qui suppliaient 2.6. Le camp de concentration moins sévère Chapitre III De singuliers Bunkers 3.1. Un singulier singulier 3.2. Les travaux d'Auschwitz 3.3. Du gazage et de son usage 3.4. Les travaux urgents du printemps 3.5. La façon (...) inquiétante d'Auschwitz Chapitre IV A mille kilomètres de l'horreur 4.1. L'esprit d'humanité de l'officier SS 4.2. Un camouflage cousu de fil blanc 4.3. Le plausible de l'officier SS Chapitre V Un plus loin à l'est par trop explicite 5.1. Une mesure de réchange 5.2. L'image d'horreur à l'est 5.3. L'objection de conscience? 5.4. Je l'ai connu trop tard Chapitre VI Appeler les choses par leur nom 6.1. "L'extermination totale" 6.2. Les 100% de l'officier SS 6.3. En raison du secret 6.4. L'anéantissement revue et corrigé 6.5. L'action spéciale du témoin oculaire 6.6. Le fait capital Chapitre VII Le chiffre du secret 7.1. Le traitement special d'Auschwitz 7.2. Les chiffres du camouflage 7.3. La confusion des morts 7.4. Les morts de l'extermination Conclusion Une "page" d'histoire "jamais écrite"? Photos Notes Annexes: Sources documentaires du massacre des juifs de l'Ouest à l'arrivée à Auschwitz
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Avant-propos
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1.5. Les transports du journal
De ses 14 "actions spéciales" sur des "gens de
l'extérieur", les seules que le médecin SS d'Auschwitz ait comptabilisées,
neuf sont ainsi identifiables grâce aux archives de la déportation d'Europe
occidentale. Comme en Belgique, les
"transportlist" des camps de rassemblement de France et des Pays-Bas
n'ont pas été détruites lors de la débâcle allemande. Dans ces pays de l'Ouest,
le matériel documentaire disponible a permis de fixer avec la plus grande
exactitude possible les statistiques relatives à la déportation et au sort des
déportés. Les Pays-Bas, publiant les chiffres et les noms, le firent
officiellement très tôt après la guerre[56].
Ce fut fait un peu plus tard en Belgique[57].
En France, cela n'a jamais éte la préoccupation des autorités nationales. Il a
fallu y attendre plus de 34 ans pour qu'"au terme d'un travail
éprouvant", un chercheur acharné,
Le
Mémorial de
Les archives fournissent ainsi formellement, pour 9 convois
"occidentaux" du journal de Kremer le nombre de déportés au départ
des convois et le nombre d'entre eux qui ont été immatriculés à Auschwitz. Les 9 convois - 5
de France, 3 des Pays-Bas et 1 de Belgique - comptaient 10.356 déportés au
départ de l'Ouest[60].
A l'arrivée, Auschwitz en immatricula à peine 1.346. Le décompte ne fixe pas avec
la même rigueur dans chaque cas le nombre des personnes qui ont disparu à jamais dès leur descente de
train. A l'arrivée du convoi XXIX de
France - objet de la 4ème "action spéciale" du journal de
Kremer -, les 111 matriculés attribués ne signifient pas que tous les autres
déportés ont été massacrés. Deux d'entre eux, Ignacy Honig et Chaïm Salomon
livrent en 1943 leur témoignage (...) vivant
(...) sur les abattoirs de Pologne[61].
Notre Voix le publie, en France le
1er août. Ces deux déportés du XXIXème convoi venaient de s'évader le 22 avril
du camp disciplinaire de Schopenitz[62].
Juifs d'Anvers, ils ont d'abord rejoint la Belgique: ils s'y cachent à Namur, à
l'hôtel Léopold, après leur retour le 2 mai. Puis, séparément, ils ont gagné le
Sud de la France comme ils l'avaient fait au printemps 1942 avant leur
arrestation à Monte-Carlo, à la fin d'août. C'est à Nice L'organe de la section
juive de la Main d'Oeuvre Immigrée du parti communiste français présente le témoignage publié en août comme celui d'"un Juif de
Nice qui, déporté, vécut pendant 8 mois dans un des plus atroces camps de
Pologne".
D'après le récit de Notre Voix, les deux évadés n'avaient pas été acheminés jusqu'à Auschwitz. Leur convoi s'était arrêté à 120 km, à Kozel. "Pendant trois jours", relate ce témoignage du temps de guerre, "nous avons voyagé sans manger, sans même un peu d'eau". Le XXIXème convoi avait quitté Drancy, le 7 septembre très exactement à 8 heures 55[63]. Le 9 , après l'arrêt de Kozel, il est arrivé à Auschwitz où le médecin SS Kremer prend part "le soir" à la cinquième "action spéciale" de son journal[64]. Aux dires des évadés, c'est "plus morts que vifs" qu'ils sont, quant à eux, "arrivés à Koziel (sic)". A l'ouverture des "portes", précise le récit, "68 d'entre nous étaient morts". Le témoignage décrit la sélection pratiquée à Kozel parmi les déportés du XXIXème convoi.
"Tous les Juifs de 16 à 50 ans ont été pris pour de durs de travaux dans les mines des environs", rapporte Notre Voix. "Les autres, enfants, vieillards, femmes faibles et malades, ont été conduits à Oschevitz (sic), le camp pour Juifs "inutiles", ou, comme (les) bourreaux l'appelaient cyniquement le "camp à faire crever". Au moment du transfert à Oschevitz", continue le récit des évadés, "des scènes indescriptibles se produisirent: de jeunes enfants de 10 à 12 ans se donnaient comme âges de 16 ans; des vieillards de 70 ans déclaraient en avoir 50, et des malades qui ne pouvaient pas se tenir sur leurs jambes, se déclaraient aptes au travail, car chacun savait qu'Oschevitz signifie une mort immédiate et terrible".
1.6. La rumeur d'Oschevitz
Cette description porte l'empreinte des huit mois d'expérience concentrationnaire des deux évadés dans les commandos de travail de Haute Silésie. En 1943, eux, ils savent ce que signifie "Oschevitz". Décrivant les sentiments des déportés qui poursuivirent le voyage jusqu'à Auschwitz en 1942, ils se réfèrent d'ailleurs à ce que ces derniers ne pouvaient pas connaître.
"Il arrivait souvent", indique le récit, "(...) que des malades graves travaillaient de peur d'être envoyés à Oschevitz. Pendant plusieurs jours, ils se traînaient au travail jusqu'à ce qu'ils tombent épuisés. Les bourreaux se jetaient alors sur eux et les achevaient à coups de botte. De telles scènes se déroulaient presque journellement".
Le témoignage révèle ici sa pleine signification. Il renseigne sur les "conditions" qui "à Koziel étaient si terribles que tôt ou tard, ça se terminait pour la plupart des internés, sinon par la maladie et Oschevitz, alors par la mort à Koziel même".
La proximité d'Auschwitz et de ses installations d'extermination rendait plus vulnérable le sort des forçats juifs dans les camps de travail de Haute Silésie. Honig et Salomon identifiant correctement le camp d'extermination, ne disent rien de la façon dont "Oschevitz" appliquait aux Juifs "inutiles" cette "mort immédiate et terrible". Deux autres "Kozéliens" évadés ont rapporté, quant à eux, une version de l'extermination plus horrible - si l'on peut dire - que la mort par les gaz. Léopold Goldwurm et William Herskovic, également Juifs anversois avaient été déportés de Drancy, avec le convoi XXXII, le 14 septembre 1942. Il n'appartient pas à la série du journal de Kremer. Sélectionnés pour le travail à l'arrêt de Kozel, ils se sont évadés du camp de Peiskretcham, près de Gleiwitz en février 1943. Leur retour en Belgique date du 3 mars 1943[65]. Cachés dans le Namurois, ils ont livré leur témoignage au journal en langue yiddish de Charleroi. Ce sont aussi, comme en France, des militants communistes qui publient cet organe. Ils l'ont intitulé Unzer Kampf, (Notre combat) sans s'apercevoir combien un tel titre pouvait avoir, dans cette période hitlérienne de l'histoire, une résonance historique sinistre. Le numéro publié en juin 1943 de cet autre Combat dénonce
"toute la perfidie et la délectation sadiques des cannibales hitlériens lancés sur les masses juives sans défense et toute la bestialité de ces vampires sanguinaires. Il sera même difficile aux futurs historiens de notre époque", ajoute Unzer Kampf, "de trouver les expressions adéquates pour dépeindre la tragédie de cette génération".
Le témoignage que diffuse l'organe clandestin accentue la difficulté. Selon les évadés du camp de Peiskretcham, les enfants juifs déportés
"qui n'ont pas atteint (l') âge" de la sélection pour le travail à Kosel "sont expédiés à Oswiecim (une localité située près de la ville de Sosnowice), avec les malades et les vieillards: ils y seront brûlés vifs, dès leur arrivée, dans des fours crématoires construits à cette fin".
Comme les témoins de Notre Voix, ceux d'Unzer Kampf ont appuyé leur témoignage sur l'horreur qu'Auschwitz inspirait aux "musulumans" des autres camps silésiens. Le terme ne figure pas dans ce témoigage d'époque, mais c'est bien d'eux qu'il s'agit dans le récit des évadés.
"Lorsqu'un des détenus en arrive à présenter les symptômes de l'oedème - résultat de la sous-alimentation accompagnée d'épuisement", rapporte l'organe clandestin belge, "les autres le soutiennent et le conduisent au travail: malheur à celui qui se plaindrait d'être malade: c'est le chemin d'Oswiecim sans rémission".
A la "visite médicale", le diagnostic que "le patient ne serait plus apte au travail au bout d'une quinzaine, par exemple" signifie que
"dans quinze jours, le malade sera brûlé à Oswiecim, brûlé vif. Les forçats ont ainsi peur de se plaindre; ils peinent jusqu'à ce qu'ils tombent d'épuisement et d'inanition. Les morts, on les jette sur un tas d'ordures, les uns sur les autres; quand il s'est amassé une quantité suffisante de cadavres, un camion vient les charger". Dans ces "camps" qui, dépourvus d'installations d'extermination, sont néanmoins des camps de la mort, "les familles sont séparées: les hommes travaillent ensemble, et les femmes ensemble"; "ils n'ont pas le moindre contact entre eux" et "les uns ignorent tout du sort des autres".
Cette ignorance dont les déportés descendus à Kozel font état dans leur angoisse livre la clef de la sélection opérée avant Auschwitz dans les convois ouest-européens du journal de Kremer. Tous ceux qui ont survécu à la captivité - ils sont rares - sont des hommes. Ils étaient nés entre 1892 et 1927. Honig est de 1904 et après la guerre, il expliquera qu'à Kozel, "seuls les hommes de 15 à 50 ans ont dû descendre"[66]. Né en 1913, le médecin Joseph Jacubowicz, un déporté du convoi VIII de Belgique qui s'est arrêté "dans la nuit du 9 au 10 septembre, à Kozel", se souviendra, lui aussi, que "tous les hommes de moins de 50 ans ont reçu l'ordre de descendre".
"Au moment", écrit-il, "où nous nous sommes rangés en colonnes sur le quai de la gare, un garde armé qui s'y trouvait devant moi, nous a textuellement dit, pendant que le convoi s'ébranlait pour poursuivre sa route, que "Sie wurden es besser haben als die andere dort" (Vous serez mieux lotis que les autres là-bas). Il connaissait donc le sort réservé "aux autres" à leur arrivée à Auschwitz".
Selon ce témoignage, les "autres", ce sont "les femmes et les enfants et les hommes de plus de 50 ans (qui) ont donc continué le voyage"[67]. Le témoin oculaire Jakubowicz sait ce qui s'est passé dans son wagon. Il avait le numéro 932 dans le convoi VIII. Mais il ignorait comment les déportés des autres wagons avaient réagi à l'ordre de descendre du train. Akiwa Frühauf avait le numéro 30 dans le convoi: né en 1893, ce déporté immatriculé à Auschwitz n'avait pas encore atteint la limite d'âge; cinq ou six wagons plus loin, le numéro 323 Henri Koplewicz, né en l913, aurait lui aussi dû descendre à Kosel. Sa fiche à Auschwitz signale qu'il a reçu le matricule 63.234: il était le septième après Akiwa Frühauf à être accepté au camp[68]. A Kosel, de toute évidence, tous les hommes âgés de 15 à 50 ans n'avaient pas obtempéré à l'ordre de descendre. Les familles dans les wagons se comportaient plutôt à l'inverse du témoignage publié dans Notre Voix en août 1943. Le père, l'époux risquait la désobéissance pour demeurer avec les siens. Dans le convoi VIII, le décompte des 283 hommes âgés de 15 à 50 ans ne donne pas le nombre exact des personnes restées dans le train. A l'arrivée à Auschwitz, ce furent donc plus de 717 déportés qui descendirent. La sélection retint Frühauf, Koplewicz et 19 autres hommes. Les femmes furent plus nombreuses: on leur a accordé 64 matricules de la série 19.295 à 19.358. Le décompte des 85 matricules porte au minimum (le chiffre réel est déja supérieur d'au moins deux unités!) à 632 le nombre des déportés qui ne sont pas descendus à Kosel et qui, descendus à Auschwitz, n'ont pas été enregistrés dans le camp. Les enquêtes de l'administration belge des victimes de la guerre et du service international de recherche de la croix-rouge n'ont retrouvé la trace d'aucun des disparus, ni dans les archives des autres camps nazis, ni ailleurs. Ces archives concentrationnaires sont lacunaires: dans ce cas "belge", 934 déportés du 8 septembre 1942 ne laissent plus d'autre mention que leur nom sur la liste "transport VIII" du camp de rassemblement. La répartition des 66 déportés identifiés donne 59 hommes, 4 femmes et 3 garçons ou filles de moins de 16 ans[69]. L'écart est significatif. Les hommes identifiés sont près de trois fois plus nombreux que les 21 matricules attribués à cette catégorie à Auschwitz: c'est la sélection à Kosel qui en rend compte. Les personnes identifiées relevant de l'autre catégorie sont nettement moins nombreuses: sélectionnées seulement à Auschwitz, elles n'ont pas été, comme les hommes de Kosel, réparties dans d'autres camps avant la dernière année de la guerre.
Comme ce convoi "belge", six autres convois de la série de "Kremer" se sont arrêtés à Kosel. La série comporte aussi deux autres convois qui ne s'y sont pas arrêtés. Ils sont pourtant les plus typiques dans la chronique "spéciale" du médecin SS d'Auschwitz. L'arrêt à Kosel est l'exception dans la déportation occidentale[70]. Sur les 77 convois partis de France, 15 à peine, tous de 1942, s'y sont arrêtés[71]. Dans le cas belge, ils furent au nombre de 6 - également en 1942 - sur les 27 transports juifs partis de Malines vers Auschwitz. Des 33 convois des Pays-Bas arrivés à Auschwitz jusqu'au départ de Kremer, les deux tiers - 21 - ne laissèrent pas descendre les hommes aptes au travail à la halte de Kosel. Le journal du médecin SS d'Auschwitz n'aperçoit toujours qu'un aspect limité de "l'extermination". En chiffre, il s'élève à 6.732 déportés des convois ouest-européens disparus aux dates où l'officier SS mentionne sa participation à une "action spéciale". Cette estimation est miminale. Sur les 10.356 déportés des 9 convois du document Kremer, 2.278 hommes de 15 à 50 ans au maximum ont pu descendre à l'arrêt de Kozel. Au moins 8.078 déportés sont restés dans les trains. A l'arrivée d'Auschwitz, 1.346 matricules leur ont été distribués. Le nombre de 6.372 disparus est donc une approximation calculée au plus bas. Il comprend tous les déportés des 9 convois qui ne relevaient de la catégorie autorisée à descendre à Kosel et qui, de surcroît, n'ont pas été retenus pour Auschwitz et ses commandos[72].
Dans cette estimation, le chiffre des disparus est toutefois absolument
sûr pour les deux convois de "Kremer" qui n'avaient pas fait la halte
de Kosel, soit un transport
"hollandais", le convoi XXVI et un transport "français", le
convoi XLII, en tout 2.703 déportés. Décompte fait des 679 matricules attribués
à ces convois, il y a bel et bien 2.024 personnes qui ne laissent plus d'autre
trace dans l'histoire que leur nom sur la "transportlist" établie au
départ. Notant le 12 octobre sa
"10. Sonderaktion" sur des gens "aus Holland (1.600
personen)"- précisément le convoi XXVI des Pays-Bas, le journal du médecin
SS d'Auschwitz saisit, à son insu, la déportation occidentale dans ce qu'elle a
de plus caractéristique dans l'histoire[73].
De surcroît, l'officier SS révèle, dans cette note du 12 octobre, le lieu où se
pratique l'"action spéciale". La note conserve l'impression des
"scènes épouvantables devant le dernier bunker"[74].
C'est, à cet endroit, que le témoin SS a les yeux de l'horreur.
2.1. Une impression d'horreur souhaitée?
2.2. L'anus mundi
2.3. L'anatomie nazi
2.4. Une froide impassibilité
2.5. Trois femmes qui suppliaient
2.6. Le camp de concentration moins sévère
Les traces écrites de cette horreur dans le document Kremer invitent à une lecture plus approfondie du document d'histoire. Son propos n'est de se complaire dans le genre macabre. La coïncidence de la disparition de quelque 7.000 personnes, hommes, femmes et enfants avec 9 des 15 "actions spéciales" effectivement mentionnées dans cette pièce d'archives pose une réelle question d'histoire qu'il faut résoudre. Cette lecture événementielle de la chronique personnelle du médecin SS d'Auschwitz ne procède nullement d'un "art de susciter dans l'esprit du lecteur non averti l'impression d'horreur souhaitée"[75]. La critique historique ne procède pas "par des commentaires orientés et des suppositions malveillantes se rapportant aux notes anodines du journal intime d'un homme représenté comme le type par excellence de l'exécutant dépourvu de tout scrupule moral". D'après l'Allemand Wilhelm Stäglich en 1979[76], Herman Langbein aurait quinze ans plus tôt manipulé en ce sens le document Kremer. Ancien d'Auschwitz et alors secrétaire de son comité international, Langbein avait, en 1964, publié en allemand et commenté des extraits du journal de Kremer en vue du "grand" procès des gardiens SS de ce camp devant la i.procès de Francfort; cour d'assises de Francfort. Entre temps, les sociologues historiennes du Musée d'Etat à Oswiecim, Jadwiga Bezwinska et Danuta Czeh ont mis au point, en 1971, l'édition scientifique du document[77]. Le "révisionniste" Stäglich n'ignore pas cette publication. Le regard borgne de son Mythe d'Auschwitz ne tient aucun compte de l'apparat critique remarquable de l'édition "polonaise"[78]. En 1979, Stäglich n'aperçoit toujours "aucun élément susceptible (dans le journal de Kremer) de nous éclairer ni sur les "gazages massifs", ni sur "les mauvais traitements" infligés aux détenus"[79]. L'ouvrage "révisionniste" ;- il est vrai - n'est pas, de son propre aveu, "une oeuvre historique"[80]. Cette humilité de bon aloi n'interdit pas à son auteur de vérifier d'après des critères objectifs les preuves présentées en faveur de la prétendue usine de mort d'Auschwitz". Ce juriste s'intéressant à l'histoire contemporaine s'autorise d'une singulière conception de ses principes scientifiques. A le suivre, le censeur des preuves disposerait de critères objectifs pour apprécier un document d'histoire sans qu'il lui soit indispensable d'établir ce qui s'est réellement passé à Auschwitz[80a]. Le mythe de Stäglich évacue ainsi l'objet historique de sa lecture des sources qui l'appréhendent. Tout aussi imaginaire est sa défense d'un peuple allemand présenté comme l'incarnation du mal absolu[80b]. L'artifice disculpe l'accusé réel le IIIème Reich. Des dossiers du procès de l'histoire contre le nazisme, l'avocat complaisant écarte d'un effet de manche la pièce à conviction Kremer. Péremptoire, le révisionniste Stäglich n'y lit rien qui soit susceptible de confirmer la thèse de l'extermination;[80c].
Le témoignage oculaire de l'officier SS apporté in tempore non suspecto - si l'on ose dire - n'a pas cette innocence aveugle. Les notes du médecin SS commis aux "actions spéciales" d'Auschwitz témoignent, dans leurs propres termes, d'une histoire horrible. Les "scènes épouvantables devant le dernier bunker" lors de sa "10. Sonderaktion" se répètent six jours après, à l'arrivée du convoi XXVIII des Pays-Bas : la note du 18 octobre est relative à la "11. Sonderaktion (Hollander)" et signale des "scènes horribles avec trois femmes qui suppliaient de leur laisser la vie sauve"[81]. Avec elles disparurent au moins 1024 personnes du convoi "hollandais". Les disparus de l'autre convoi "hollandais", le 12 octobre, sont exactement au nombre de 1251. Les déportés n'étaient aussi nombreux à disparaître - 741 au minimum - lorsque le 2 septembre, à l'arrivée du convoi XXVI de France, le médecin SS, découvrant avec sa première "action spéciale", la fonction du camp, a bien compris que "ce n'est pas pour rien qu'Auschwitz est appelé le camp de l'extermination"[82] . Cette prise de conscience conduisit-elle pour autant le docteur Kremer à témoigner dans le secret de son journal intime de toute l'horreur du camp d'extermination?
2.2 L'anus Mundi
A sa première confrontation avec le massacre des déportés à leur arrivée à Auschwitz, Kremer a laissé échapper le commentaire qu'"en comparaison, l'Enfer de Dante (lui) apparaît presque comme une comédie"[83]. La référence est littéraire. Elle a inspiré le dramaturge allemand Peter Weiss dans sa reconstitution de L'Instruction du procès d'Auschwitz à Francfort. Dans sa lecture de la pièce de Weiss, Michel Gheude s'interroge sur cette référence à La Divine Comédie dans le journal de Kremer. "Pourquoi Dante?", questionne-t-il." Pourquoi, ici, dans ce lieu désolé, le souvenir de la plus intense poésie, la recherche d'un sens dans l'invocation de la Comédie(...)? Pourquoi cet appel aussi au religieux, au voyage théologique? Simple référence à une représentation modèle de l'enfer? Simple cliché ou intuition décisive?"[84]. La référence à l'"enfer" n'était ni l'un, ni l'autre chez le témoin SS de l'horreur. Sous la plume de ce professeur d'université, docteur en philosophie de surcroît, c'était un artifice. Le détour intellectuel permettait à l'homme, dans l'intimité de son journal, de prendre le recul psychologique face à cette "extermination" dont il venait d'avoir l'expérience infernale. Trois jours après, le SS de l'"enfer" d'Auschwitz atteignait "le comble de l'horreur" pendant l'"action spéciale" sur les "musulmanes". Aussitôt, son commentaire personnel l'édulcore : "le lieutenant SS Thilo (médecin militaire) avait raison", note-t-il, "de me dire aujourd'hui que nous nous trouvions à l'anus mundi"[85]. Ce trou du cul du monde, le distingué professeur d'université l'avait pudiquement voilé. Le terme latin était sous sa plume un autre artifice: il appelait au niveau mental le relais d'une traduction où l'affectivité récupérait ses distances devant l'insupportable atrocité[86]. A son procès à Cracovie en 1947, Kremer accablé par les confidences de son journal expliquera qu'il avait "employé cette expression, car (il) ne pouvai(t) imaginer rien de plus horrible et de plus abominable"[87].
L'expression d'"anus mundi" traduit bien "la répulsion et l'épouvante que ce camp de concentration suscitait chez tous les observateurs", estime Antoni Kepinski[88]. Ce "fondement du monde" aurait toutefois une signification idéologique dans le propos de ces médecins SS d'Auschwitz: il "justifiait l'existence du camp par la nécessité d'un nettoyage de l'univers". "Pour une bonne compréhension des camps d'extermination hitlériens - et en dehors de l'objectif politico-économique immédiat, à savoir annihiler l'ennemi de la façon la plus efficace et la moins coûteuse -", estime Kepinski, "cette désignation acquiert une signification plus profonde: purifier la race aryenne de tout ce qui ne correspondait pas à l'idéal du surhomme germanique". L'"anus mundi" du journal de Kremer s'est ainsi enrichi rétrospectivement "jusqu'à devenir l'"axis mundi" d'une Europe, entièrement soumise à l'emprise d'une fiction diabolique"[89]. Dans cette réflexion où la philosophie le dispute à l'histoire, "le projet national-socialiste accouche d'une vaste et macabre fantasmagorie, tirée aux forceps du système concentrationnaire". Le journal du philosophe Kremer est quant à lui plus prosaïque. Il place l'"anus mundi" à l'"extérieur". Les déportés juifs acheminés d'Europe pour être assassinés dans "le camp d'extermination" n'entraient précisément pas dans le système concentrationnaire. La singularité du génocide juif réside dans cette extériorité.
L'"anus mundi" de Kremer, témoignage oculaire de l'horreur de l'extermination, n'exprime pas pour autant l'essence du racisme nazi. Ses notes personnelles sont fort peu idéologiques. Tout au plus, le journal apprécie-t-il les "aperçus remarquables sur la situation future politique, économique et idéologique" du général de Brigade SS Ernst Robert von Grawitz[90]. La note date du séjour de Kremer à l'école sanitaire des Waffens SS en septembre 1941[91]. Le chef de l'Office Central Sanitaire de la SS avait passé la soirée en compagnie de ses collègues médecins. A la fin de l'été, l'avancée des troupes du IIIème Reich en URSS - quoi que moins décisive qu'on l'avait programmée - ouvrait toujours des perspectives exaltantes à l'Est. Elles le seraient moins en 1942 et le médecin en chef des SS allait lui-même devoir s'inquiéter des troubles psycho-somatiques qu'il diagnostiquerait chez l'un ou l'autre officier de haut rang du fait tant des "exécutions de Juifs" que "d'autres expériences à l'Est"[92]. Les compétences médicales du lieutenant d'Himmler laissent cependant fort sceptique le professeur Kremer. Il revoit Grawitz à Auschwitz, le 25 septembre 1942 : le médecin en chef de la SS lui a recommandé de prescrire, "dans les cas d'apparition de maladies infectieuses (...) Ecoutez-bien: un purgatif", raille-t-il[93].
Les notes du professeur d'université ne sont pas moins médiocres. Le point de vue où se place Kremer est toujours étriqué. Grawitz accompagnait le Général SS Oswald ., autre lieutenant d'Himmler. De la visite à Auschwitz du chef de l'Office Central de l'Administration et de l'Economie de la SS dont relève tout le système concentrationnaire du IIIème Reich, le professeur d'Université retient, le 24 septembre, qu'à cette occasion, ... "pour la première fois", une sentinelle lui a personnellement présenté les armes. "En compagnie du Général Pohl", Kremer dîne le soir au Foyer des officiers SS: "un véritable festin", selon le témoin d'Auschwitz. Lui, il s'est intéressé ... au menu servi. "Du vrai café", a-t-il noté. Kremer apprécie la bonne chère. Chaque dimanche, il ne manque pas de noter l'"excellent déjeuner". Ainsi le 6 septembre: un "consommé de tomates, 1/2 poulet avec pommes de terre et choux rouge(20 gr. de matière grasse) dessert et magnifique glace de famille". Avec tout autant d'application, le professeur Kremer a noté sa présence "le soir, vers 8 heures de nouveau à une action spéciale à l'extérieur"[94]. L'homme, si imbu de sa personne et si peu témoin de son temps, n'est pas pour autant un nazi de circonstance.
2.3 L'anatomiste nazi
Son adhésion au parti ne date d'après l'avènement de Hitler: dès juillet 1932, il fut, à Munster, le premier chargé de cours de l'Université à rallier le mouvement. Mais il est resté un scientifique, passionné par les recherches sur l'hérédité. Elles s'inscrivaient bien dans la "conception du monde" du IIIème Reich raciste. Toutefois, le professeur Kremer n'avait pas choisi le bon créneau. Kremer publie, en 1942, ce qu'il intitule lui-même en toute modestie une contribution remarquable à l'analyse de l'hérédité des mutilations traumatiques : Hérité ou acquis? L'article a été envoyé à la Revue de l'Hérédité et de la Constitution humaines, en mai 1941, à la veille de l'agression contre l' U.R.S.S. Le moment était mal choisi. Dès l'hiver, le front de l'Est commence à renvoyer au pays les combattants mutilés dans cette guerre des races. De surcroît, l'acquisition de caractères héréditaires - obsession scientifique de Kremer - ne correspondait guère à l'attente de la raciologie nazie. Kremer aurait "dû prendre position" et "ouvertement conclure à une non-transmission héréditaire de caractère acquis"[95]. Trois mois après l'effondrement du IIIème Reich, l'ancien médecin de la Waffen SS découvrira qu'il avait "porté un coup très dur au parti, du point de vue idéologique, en publiant (son) étude sur la transmission héréditaire de propriétés acquises"[96]. A l'époque, il n'avait compromis que sa carrière académique. Sa candidature à la chaire de biologie héréditaire à l'Institut d'anatomie à Munster n'entra "pas en ligne de compte du fait de (cette) étude". Il n'y avait "pas d'autres objections (le) concernant". Il venait d'ailleurs d'être nommé, le 22 décembre 1942, président du tribunal disciplinaire régional. Quelques jours à peine après sa "disqualification" académique, il était même promu au rang de lieutenant SS de réserve[97]. Au demeurant le nazi Kremer ne pouvait tolérer d'être "évinc(é)" à l'Université "alors qu'(il était) le plus ancien membre du parti parmi le corps enseignant de Munster". Dominant toujours ses sentiments, il conservait toute sa lucidité pour comprendre qu'il "agaçai(t) ces messieurs de l'Université à cause des résultats scientifiques qu'(il) avai(t) obtenus et de (son) activité au sein du parti longue de plusieurs années"[98].
L'amertume du professeur incompris s'inscrit dans son journal en marge d'une note du 13 janvier l943[99]. "Il n'existe pas de science aryenne, négroïde, mongoloïde ou juive, mais seulement une science vraie et une science fausse", a-t-il écrit à une date non précisée. La note du 13 livrait le ressentiment personnel du savant méconnu. Elle énonçait que "la science aux yeux bandés est une farce et le restera". Kremer découvrait maintenant que "la situation de l'Allemagne n'est donc pas meilleure qu'au temps" de Galilée. Le journal ne prend nullement ici l'allure d'une dissidence. Dix ans après l'avènement de Hitler, le professeur nazi et fier de l'être ne s'aperçevait des entraves à "la liberté de la science tant vantée" qu'à la suite de son éviction personnelle. Et dans sa déconvenue, le professeur de médecine incompris se désespérait de finir "donc (ses) jours comme une victime de la science et un fanatique de la vérité".
Ce docteur en médecine était assurément un fanatique de la science. Rien ne l'arrêtait dans ses recherches sur l'anatomie humaine. A Auschwitz, bon champ d'observation, le professeur Kremer s'était laissé aller, tout médecin qu'il eût été, à des pratiques que la conscience morale réprouve et que la déontologie professionnelle condamne chez les disciples d'Hippocrate. Son "travail" à Auschwitz ne consistait pas à "se livrer à des recherches de laboratoire sur toutes sortes de maladie, et notamment le typhus"[100]. Le Professeur n'y avait pas été envoyé dans ce but. Ce réserviste de 59 ans, mobilisé dans la Waffen SS - et non dans la Wehrmacht - vint y remplaçer un collègue en permission de détente et ses activités médicales ne sortirent guère de la pratique ordinaire d'un médecin SS d'Auschwitz[101]. Dans ses notes quotidiennes, la trace de ses investigations scientifiques est bien moins fréquente que la mention des "actions spéciales"[102]. Elle est aussi plus tardive. L'homme de science acte le premier vivant provenant de foie et de rate d'homme ainsi que de pancréas" plus d'un mois après son arrivée. C'est sur place qu'il avait saisi l'occasion d'étudier les modifications de l'organisme humain sous l'effet de la faim. Les bonnes dispositions du nouveau médecin-chef de la garnison, le major SS Eduard Wirths firent le reste. Le champ d'observation de Kremer étaient les fameux "musulmans" de son journal. L'homme n'était pas une âme sensible et les misères humaines ne l'impressionnaient nullement. Le professeur d'anatomie choisissait ses cobayes humains parmi les détenus cachectiques. Selon sa propre version, il "observai(t) d'une façon très détaillée les prisonniers appartenant à ce groupe et quand l'un d'eux, (l)'intéressait tout particulièrement, étant donné son état, (il) donnai(t) l'ordre aux infirmiers de (le lui) réserver". On le prévenait "au moment où (le détenu en question) serait condamné à être tué par une injection de phénol". Kremer y assistait personnellement selon son témoignage judiciaire. Dans ses notes quotidiennes, ces assassinats n'étaient pas mentionnés - la remarque s'impose - au titre d'"action spéciale". Selon sa déposition à Cracovie, "le jour fixé par un infirmier SS, (l)es malades qu('il) avai(t) choisis (... étaient allongés) encore vivant(s) sur la table où avait lieu l'autopsie". Kremer s'"approchai(t) de la table et (il) interrogeai(t la victime ...) sur différents détails, essentiels pour (ses) recherches. Quand (il) avai(t) pris les renseignements dont (il) avai(t) besoin, l'infirmier SS s'approchait du malade et tuait celui-ci par une injection administrée dans la région du coeur". Devant ses juges, l'accusé s'est défendu d'avoir jamais "administré de piqures mortelles de phénol"[103]. A l'époque, le journal du médecin SS n'apercevait rien de répréhensible dans ces meurtres répétés. Tel un protocole clinique, il actait sans sourciller les prélèvements du jour[104]. L'officier SS n'était pas homme à se laisser de quelque manière impressionner, fût-ce par l'"action spéciale".
2.4 Une froide impassibilité
Si ses premières expériences "spéciales" à Auschwitz l'avaient pris au dépourvu, il recupéra sans peine son aplomb[105]. Très vite, il ressentit dans cette garnison SS d'Auschwitz une "impression vivifiante"[106]. Une semaine après son arrivée, son journal le signale et le soir, il enregistre sans la moindre trace d'émotion la troisième "action spéciale" du médecin. Le professeur Kremer, enfin accommodé à son nouveau rôle, avait retrouvé, du moins dans son journal, sa froide impassibilité. Il ne confia pas à ses notes quotidiennes s'il appréçait, lui aussi, la rasade d'alcool servie aux SS de l'"action spéciale". Le journal acte le fait, le 5 septembre, après "le comble de l'horreur": "à cause de la ration supplémentaire distribuée à de telles occasions - consistant en 1.5 litre d'alcool, 5 cigarettes, 100 gr. de saucisse et pain - les hommes se bousculent pour participer à de telles actions", écrit Kremer[107]. Cette frénésie des SS ne lui inspire aucune réflexion[108]. Les notes de ce docteur en philosophie ne sont pas le lieu où l'"Allemagne de Kant et de Goethe" devait recouvrer ses droits: il lui arrivait, même dans le discours d'un dignitaire nazi, d'élever sa protestation contre la "façon de procéder" des hommes de Himmler appliquant le traitement spécial aux Juifs, rien moins qu'un comportement de "sauvages" et de "sadiques qui jouissaient lubriquement de ces exécutions". Dans ce discours nazi, "si l'Allemagne était perdue de réputation dans le monde entier, c'était (leur) faute"[109]. Kremer, lui aussi, il "avai(t) presque honte d'être allemand", mais du seul fait que ses mérites scientifiques n'avaient pas été reconnus. Sa candidature malheureuse à la chaire de biologie héréditaire lui fit penser aux temps "où l'on musela(it) la science par la torture et le bûcher"[110]. Cette référence - toute personnelle - aux atrocités du passé ne vient pas sous sa plume pendant son séjour à Auschwitz. Dans son journal du camp, les "Sonderaktion" se succèdent au contraire dans une froide impassibilité. Des 15 mentionnées dans ses notes personnelles, 4 à peine sont parvenues à y franchir le seuil de son affectivité. A la 11ème, le 12 octobre - la "10.Sonderkation" de son journal - Kremer retrouvait les premiers accents de l'"horreur" dans "l'enfer" d'Auschwitz: la journée s'était mal passée. Sa "deuxième vaccination préventive contre le typhus" avait "provoqué une forte réaction" de "fièvre". "Malgré cela", rapporte le journal, l'officier SS prend part "dans la nuit à une action spéciale" au cours de laquelle se produisent les "scénes épouvantables devant le dernier bunker"[111]. Le lendemain, "l'exécution de 7 civils polonais" à laquelle assiste aussi le médecin ne suscite pourtant aucune réaction affective de son journal intime[112]. Avec la même sérénité sont enregistrées, six jours après, "11 exécutions". La note du lendemain, - 18 octobre - fait état, par contre de "scènes horribles": le flegme de l'anatomiste a craqué "avec [ces] trois femmes qui suppliaient de leur laisser la vie sauve"[113].
2.5. Trois femmes qui suppliaient
Ces "scènes atroces" du 18 octobre seraient aussi des "exécutions de condamnés à mort, exécutions auxquelles le médecin était obligé d'assister". Dans sa lecture du journal de Kremer, Robert Faurisson avance cette interprétation. "Parmi les condamnés se trouvent", affirme-t-il, "trois femmes arrivées dans un convoi de Hollande: elles sont fusillées"[114]. Le document n'autorise pas cette révision des "scènes atroces". Il ne s'agit pas, dans cette note du 18 octobre, d'une "exécution", mais bien d'une "action spéciale" à laquelle prend part le médecin SS d'Auschwitz, sa "11. Sonderaktion", a-t-il écrit. Il n'y a pas, en l'occurrence, de confusion possible avec les "exécutions" mentionnées les jours précédents, les 13 et 17. Elles ne sont pas reprises dans ses comptes "spéciaux". Sa précédente "action spéciale" - la "1O. Sonderaktion" - est datée du 12 ! Dans aucun cas, son journal ne les confond avec sa présence à une "exécution". Au demeurant, cette activité du médecin SS d'Auschwitz n'a pas dans ses notes quotidiennes la fréquence des "actions spéciales". Il l'indique pour la première fois au lendemain de sa "1O. Sonderaktion". Les "7 civils polonais" exécutés ce 13 octobre provenaient probablement de la prison de Myslowice et avaient été, dans l'attente de leur jugement, internés au bloc 11 du camp principal, la prison du camp du concentration. Un tribunal sommaire y prononçait les sentences, mais il siégeait selon les disponibilités du chef de la police d'Etat de Katowice, le colonel SS Rudolf Milner qui le présidait en personne[115]. On ignore quand il a ordonné les 7 exécutions du 13. Elles datent d'un mardi. Le 17, un samedi, Kremer, quant à lui, assiste de nouveau à "11 exécutions". Et, si l'on suit Faurisson, ce serait le lendemain, un "dimanche matin" - écrit Kremer - que surviendraient de nouvelles exécutions. Les "trois femmes arrivées d'un convoi de Hollande" et exécutées, en même temps que les condamnés à mort de Faurisson n'ont, en tout état de cause, pas pu être condamnées à Auschwitz. Elles y sont arrivées le jour même où Kremer les entend supplier "de leur laisser la vie sauve". C'est le 18 octobre, en effet, que 116 femmes du convoi XXVIII des Pays-Bas ont été immatriculées dans la série de 22.669 à 22.784.
Les convois de l'Ouest n'amenaient pas à Auschwitz des détenus juifs dits "de sécurité", voire "de protection" pour y purger leurs peines[116]. Ces derniers relevaient des instances judiciaires du territoire occupé et lorsqu'elles prononçaient des condamnations à mort, celles-ci étaient exécutées sur place et à grand renfort de publicité[117]. Les autorités d'occupation ne se privaient pas non plus, en élaborant les listes d'otages terroristes à fusiller en guise de réprésailles, d'y faire figurer, dans chaque série, au moins un Juif signalé comme tel. Il pouvait survenir que la victime choisie se trouvât déjà en camp de concentration en Allemagne. A Buchenwald, un jeune Juif a été pendu tandis que le pouvoir d'occupation annonçait qu'il était fusillé avec les autres "otages terroristes" exécutés dans le territoire[118]. Il était moins rare que des concentrationnaires juifs soient exécutés sur ordre des autorités du Reich dans les camps où ils étaient internés en dehors du territoire occupé, à Dachau par exemple. Il s'agissait de détenus - c'était le cas de non-Juifs également - dont le transfert avait été ordonné dans le Reich du fait que, dans le territoire occupé, les conditions n'étaient pas réunies pour une condamnation exemplaire. Généralement, ils étaient jugés à Berlin, devant le Tribunal du Peuple et le plus souvent, ils étaient exécutés dans la prison où ils avaient été incarcérés avant leur procès. Dans quelque cas que ce soit, ces victimes juives de la répression politique ne sont jamais passées par les camps de rassemblement juifs.
2.6 Le Camp de concentration moins sévère
Les "Juifs politiques" ne relevaient pas de la solution finale. Ils ne ressortissaient pas de la compétence des "sections juives" de la police de sécurité, mais de ses autres départements. Ce statut policier les exceptait de la condition juive ordinaire. En l'occurrence, l'exception s'est avérée vitale. C'est le paradoxe racial de la répression nazie à l'Ouest de l'Europe. Le "Führerprinzip" qui déterminait le champ des compétences policières laissait au "Juif politique" une chance de survie sans commune mesure avec le sort du déporté racial. Le cas des partisans juifs arrêtés en Belgique occupée est à cet égard exemplaire. Ces "politiques" engagés dans la lutte armée étaient assurément les Juifs les plus dangereux. Ils abattaient dans les rues des officiers et sous-officiers allemands, ainsi que leurs collaborateurs recrutés sur place, parfois aussi des "gestapistes" juifs. L'autorité d'occupation considérait à juste titre - mais non pas à bon droit - que "le seul fait qu'il s'agit d'un juif qui a été trouvé porteur d'un revolver chargé permet de supposer qu'il appartient à des milieux terroristes" et ces militaires allemands approuvaient, sur cette base, la proposition de la section IV de la police de sécurité d'inscrire le partisan arrêté sur la liste des otages terroristes à fusiller[119]. Cible privilégiée de la répression nazie, ces partisans furent plus souvent déportés vers les prisons et les camps de concentration du IIIème Reich. Si la captivité fit encore des ravages dans leurs rangs, à la Libération, la moitié d'entre eux n'aura pas moins survécu à la répression politique. La répression raciale a eu, quant à elle, une toute autre efficacité. Moins d'un déporté du camp de rassemblement juif sur dix est revenu[120].
C'est que "la déportation vers l'Est est une mesure d'un autre caractère et plus sévère que le transfert habituel dans un camp de concentration"[121]. Une circulaire interne à l'administration militaire en Belgique occupée l'explique en automne 1942. Il régnait dans les bureaux militaires une grande confusion quant à "la procédure du transfert dans le Reich et de la déportation dans la région de l'Est". Sous le sceau du secret, ce document expose que "la manière d'exécuter la déportation est confiée (au) service (de la police de sécurité), mais doit être tenue secrète". Les Juifs relevant de la solution finale étaient soumis au pouvoir discrétionnaire du détachement de la Sécurité du Reich à l'Ouest et de l'officier SS chargé des affaires juives. Dans la légalité allemande de l'occupation, ils n'étaient même pas l'objet d'une "mesure de police". Officiellement, ils étaient des "prestataires de travail", y compris les enfants en bas ou les vieillards impotents. La cartothèque juive de la police de sécurité à Bruxelles - qui a été conservée - est, à cet égard, un document remarquable. Sur les fiches des déportés, les fonctionnaires du service n'ont pas cessé jusqu'au départ du dernier convoi d'apposer le cachet "Arbeitseinsatz" avec la date du départ et le numéro dans le transport. Dans les premières semaines de cette mise au travail, ils étaient même requis de se présenter au camp de rassemblement sous la menace de ... leur arrestation et transfert dans un camp de concentration en Allemagne[121b]. En dépit de cette menace, les réfractaires à cette mise au travail tombés aux mains des services policiers ne relevaient toujours pas de la procédure de transfert dans le Reich. Même les Juifs détenus pour raison de sécurité et dont les autorités militaires d'occupation se dessaisissaient relevaient désormais de la mise au travail. Les services d'occupation étaient tenus de les livrer à la police de sécurité en dépit des procédures régulières, ce qui provoqua ces malentendus dont parlait la circulaire d'octobre 1942. Livré au camp de rassemblement, le détenu de sécurité restait néanmoins un Sonderfahle, un cas spécial dont le départ était retardé. Arrivé enfin à destination, il n'était pas soumis à l'action spéciale des SS d'Auschwitz."Celui qui en 1942 arrivait à Auschwitz à titre de prisonnier de sécurité était écarté de la sélection sur le perron d'arrivée"[122]. L'historien néerlandais Louis De Jong le signale. Son histoire des Gedeporteerde Joden est publiée en 1978 avant que Faurisson ne décrète la présence dans un convoi des Pays-Bas de femmes à exécuter avec des condamnés à mort. Les archives d'Auschwitz dispensaient d'avancer cette allégation gratuite. Elles conservent le message téléphoné du chef de la section de main d'oeuvre à la centrale des camps de concentration à Oranienburg relatif à un "convoi provenant de Berlin arrivé le 7.3.43"[123]. Le lieutenant SS Heinrich Schwartz bien remis de l'attaque de typhus exanthématique que le docteur Kremer avait notée dans son journal[124] y communique la répartition des 690 déportés de ce convoi, "y compris 25 détenus pour la détention préventive". Tous les "25 détenus en préventive" sont "allés au service du travail", indique ce document d'époque.
L'interprétation que Faurisson avance des "scènes horribles" notées dans le journal de Kremer, le 18 octobre se réfère pourtant à un témoin on ne peut plus compétent, à savoir Kremer en personne[125]. C'est dans le témoignage judiciaire de l'ancien médecin SS d'Auschwitz que l'auteur "révisionniste" a appris que les "trois femmes" du journal "qui suppliaient de leur laisser la vie sauve" étaient "des femmes jeunes, en bonne santé, malgré cela leur prière n'a pas été exaucée et les SS qui participaient à l'action les ont fusillées sur place". Mais, portant ce témoignage, Kremer n'avait absoluement pas dit qu'il s'agissait d'une "exécution de condamnés à mort". Ces "trois Hollandaises", expliqua le prévenu de Cracovie, "ne voulaient pas entrer dans la chambre à gaz et suppliaient de leur laisser la vie sauve".
Kremer parla aussi d'une "action de gazage" à propos des "scènes épouvantables" notées le 12 octobre, à l'arrivée d'un autre convoi "en provenance de Hollande". Dans la marge de son cahier, le médecin avait écrit un nom: "Hossler", Franz Hössler, l'officier SS qui commandait le "Sonderkomando", le "commando spécial" des prisonniers chargés à cette époque d'ensevelir les cadavres gazés. L'inculpé de Cracovie se souvint "qu'il avait essayé de faire entrer tout un groupe dans un bunker. Il a réussi, sans prendre en considération un seul [homme] qu'il était absolument impossible de caser dans le bunker en question. Hössler a tué cet homme d'une balle de pistolet. A la suite de cela, j'ai décrit dans mon journal les horribles scènes devant le dernier bunker", déclara Kremer. L'explication paraît douteuse à l'historien néerlandais des Gedepoorteerde Joden. "L'exécution d'un seul homme", s'étonne Louis De Jong, "l'aurait-elle atteint comme une "scène horrible"? Il doit s'être passé davantage, ce 12 octobre et l'on peut penser que les victimes, comprimées les unes contre les autres et prises d'une folle panique, sentaient instinctivement ce qui les attendait (en outre, dans ces cas, les SS tiraient souvent dans la foule au petit bonheur)"[126]. L'historien néerlandais insiste à juste titre sur l'ampleur de cette "11. Sonderaktion". Le témoignage judiciaire de Kremer le confirme non pas parce que le prévenu "ajoute qu'on a gazé 1.600 Hollandais": ce "chiffre approximatif" qu'il avait inscrit dans son journal, il l'avait "entendu de (ses) camarades". Plus significative que cette approximation en l'occurrence abusive est cette difficulté de caser "tout un groupe" dont il a gardé le souvenir. Jamais, Kremer n'avait assisté à une "action spéciale" d'une telle ampleur. Des 9 convois d'Europe occidentale identifiant les "actions spéciales" de Kremer, les inaptes au travail du 12 octobre étaient les plus nombreux. Le convoi XXVI des Pays-Bas était un gros transport de 1.703 personnes - et non 1.600 - qui, toutes, aboutirent à Auschwitz. La sélection des aptes au travail qui n'avait pas été faite à Kosel écarta de l'immatriculation 1.251 personnes. Même à l'"action spéciale" suivante, les victimes n'avaient été aussi nombreuses. Le jour où Kremer rédigea sa note sur les "trois femmes qui suppliaient de leur laisser la vie", 1.024 déportés du convoi XXVIII des Pays-Bas n'avaient pas été immatriculés.
Cette note du 18 octobre indique, en tout état de cause, que l'officier SS ne parvenait pas à conserver son impassibilité face au refus de la mort et au sursaut vital des personnes soumises à l'"action spéciale". Le "comble de l'horreur" dans le journal de Kremer, c'est effectivement, selon sa propre lecture de ses notes, un tel comportement, surtout dans le cas de femmes. Il l'a implicitement reconnu à propos des musulmanes du 5 septembre. Leur "mise à mort par les gaz (...) était particulièrement désagréable", expliqua-t-il à Cracovie. Mais ce qui avait laissé cette pénible impression au professeur d'anatomie, ce ne fut pas leur aspect physique. Il avait "constaté, d'après le comportement de ces femmes, qu'elles se rendaient compte du sort qui leur était réservé, car elles suppliaient les SS de leur faire grâce de la vie. Elles pleuraient, mais on les a toutes poussées dans la chambre à gaz et gazées"[127].
Ce "on" n'a pas valeur d'une première personne du pluriel.
Bien que cette déposition fasse dire à l'accusé Kremer: "j'ai participé à
la mise à mort de groupes de ces femmes", cette mise en forme judiciaire
ne signifie pas - le système de défense de Kremer l'exclut - qu'il
reconnaisse ici une quelconque participation personnelle à l'exécution du crime.
"On", ce sont les autres, les SS. Lui, le médecin, il était présent à "l'action spéciale" contre
les "musulmanes" comme l'aurait été un observateur fortuit.
"Quand je suis arrivé près du bunker, elles étaient assises,
habillées par terre", a-t-il eu
soin de préciser[128].
"Comme elles portaient des vêtements usés de camp, on ne les a pas
laissées entrer dans les baraques servant de vestiaires, mais on les a laissées
se déshabiller en plein-air". C'est alors qu'il a "constaté" qu'en dépit de leurs supplications, les SS
les ont "poussées dans la chambre à gaz". Ce "comble de
l'horreur" de sa note du 5 septembre, il l'a donc constaté d'après sa
déposition, "près du bunker". Dans ce témoignage judicaire, Kremer a
parlé du "bunker" au singulier. L'accusé a aussi parlé des
"bunkers", de singuliers
"bunkers", faut-il dire!
Chapitre
III
De singuliers bunkers
3.1. Un singulier singulier
3.2. Les travaux d'Auschwitz
3.3. Du gazage et de son usage
3.4. Les travaux urgents du printemps
3.5. La façon (...) inquiétante d'Auschwitz
Dans son témoignage judiciaire, l'ancien médecin SS d'Auschwitz s'est expliqué sur les "Sonderaktion" dans "le camp de l'extermination" de son journal de guerre. Il a alors parlé des "bunkers" au pluriel. "Dès le 2 septembre 1942, à 3 heures du matin", a-t-il dit, "on m'a désigné et", ajoute-t-il, "j'ai participé à une action où l'on gazait les gens". Et d'expliquer ici qu'"on accomplissait ce meurtre massif dans de petites maisons situées dans une forêt derrière le camp de Birkenau. Les SS appelaient ces maisons en leur argot, "les bunkers""[129]. Son journal s'était servi du terme à propos des "scènes épouvantables" du 12 octobre "devant le dernier bunker". Ce singulier serait, selon Faurisson, la preuve irrévocable chez le témoin Kremer d'"une leçon apprise dans les prisons polonaises", une leçon que des "geôliers polono-staliniens" auraient enseignée à l'accusé en aveu! C'est que, prétend Faurisson, "les interrogateurs de la police polonaise se sont trahis par le fait notamment qu'ils ont transformé "le dernier bunker" situé à Auschwitz 1 (Stalag) en l'un de ces bunkers situés au-delà même du camp de Birkenau ... Pour les policiers, il fallait faire coïncider le singulier employé par le Dr. Kremer dans son journal avec le pluriel très embarrassant de ces deux fermettes". Faurisson, savour[ant...] le résultat", en oublie, pour les besoins de sa négation des exterminations d'Auschwitz, la lettre du texte dont il prône le respect scrupuleux[130]. Dans une autre déposition, c'est bien au singulier que le juge d'instruction polonais fait parler l'accusé Kremer, dans la mise en forme de sa déclaration, de ce "bunker" où il avait atteint le "comble de l'horreur" avec la "mise à mort par le gaz" des "Musulmanes" d'Auschwitz. Les "scènes épouvantables devant le dernier bunker" notées le 12 octobre ne se sont pas, quant à elles, produites au camp principal. Le journal de Kremer ne le dit nulle part. Le texte n'implique pas non plus qu'elles se déroulent à Birkenau, le deuxième camp d'Auschwitz. Il signale tout simplement un "dernier bunker", ce qui suppose qu'aux yeux du témoin rédigeant la note, il y en a au moins un autre qui n'est pas le "dernier". Sa déposition devant la justice polonaise sur ces "deux petites maisons" sera par ailleurs, réitérée, dix-sept ans après, devant le tribunal allemand de Francfort. Dans ce procès nullement "polono-stalinien", Kremer déposant à titre de témoin et non d'accusé précisera qu'il s'agissait de "vieilles maisons paysannes (...) montées en bunker et munies d'une solide porte à coulisse"[131].
Sur ces singuliers "bunkers" où disparurent à jamais, du temps de Kremer, des déportés d'Europe occidentale arrivés aux dates des "actions spéciales" de son journal, d'autres SS ont aussi laissé un témoignage judiciaire[132]. Le plus qualifié est l'ancien commandant d'Auschwitz. Dans ses mémoires rédigées dans la prison polonaise avant sa condamnation à mort, Rudolf Hösz relate qu'il avait porté son choix pour le "bunker I" sur une "ferme" située au nord-ouest du camp de Birkenau : "elle se trouvait à l'écart, était entourée de boqueteaux et de broussailles qui la protégeaient contre les regards indiscrets et n'était pas trop éloignée de la voie ferrée", écrit-il[133]. La ferme appartenait à des paysans exilés, les nommés Jozef Wichaj et Rydzon[134]. Ce "bunker" au singulier n'a plus suffi à la tâche après le printemps 1942. "Nous fûmes obligés de créer une nouvelle installation d'extermination", explique Hösz. "On choisit et adapta à ce but une ferme", située plus à l'Ouest. Le Musée d'Oswiecim a établi que son propriétaire était aussi un paysan exilé, le nommé Harmata[135]. Ces "deux chaumières paysannes jolies et proprettes (qui) s'élevaient dans un site agréable" sont décrites dans la déclaration d'un ancien membre de la "section politique" du camp, le sergent SS Pery Broad[136]. L'homme d'autant plus complaisant qu'il est discret sur son rôle personnel indique que ces "deux maisonnettes d'aspect inoffensif" comportaient "sur les murs (...) des panneaux indicateurs en plusieurs langues : "pour la désinfection". "Les Juifs recevaient l'ordre de se déshabiller près du "bunker" et on leur disait", explique Rudolf Hösz dans ses révélations, "qu'ils devaient aller au dépouillage dans des pièces qui portaient ce nom": c'étaient des chambres où "on versait le contenu des boîtes de gaz, par des lucarnes spéciales"[137]. Un rescapé du "commando spécial" juif affecté à l'intendance des exterminations précise que "ces lucarnes étaient obturées par de petites portes en bois". Szlama Dragon n'a connu les "bunkers" I et II qu'après le départ de Kremer: il a été immatriculé, le 10 décembre 1942. Sa déposition devant le juge d'instruction polonais le 10 mai 1945 ne situe pas à l'extérieur des chambres à gaz les panneaux dont parle Pery Broad dans le mémoire remis aux Anglais, le 13 juillet de la même année. Selon Dragon, "les personnes introduites dans la pièce pour être gazées voyaient sur la porte de sortie une plaque avec l'inscription "Desinfektion". Sur la portée d'entrée, "on en voyait une autre: "Zum Baden" (Vers les bains)", inscription visible de l'extérieur. Un autre rescapé d'Auschwitz, déporté de France arrivé peu avant les convois du journal de Kremer, a signalé, quant à lui, "qu'au-dessus de la portée d'entrée se trouvaient les mots "Brausebad" (bains-douches)"[138]. Le témoin, André Lettich, docteur en médecine, parle lui aussi d'expérience: il fonctionna auprès du "commando spécial" d'un des "bunkers" de 1942. Sa thèse à la faculté de médecin de Paris précise qu'"au plafond, on pouvait même voir des pommes de douche qui étaient cimentées mais qui n'ont jamais distribué d'eau"[139].
La seule pièce d'époque d'origine nazie et relative à ces premières chambres à gaz d'Auschwitz se rapporte à ces "bains pour buts spéciaux"[140]. Le document n'est pas disponible dans le texte original[141]. Au procès de Nuremberg, la partie soviétique dont l'armée avait libéré le camp d'Auschwitz a fait état d'une note, datée du 21 août 1942 et portant sur la "construction de deux fours crématoires triples pour chacun des "bains pour buts spéciaux"(sic pour les guillemets)". A tout le moins, avec ou sans ces guillemets de la commission soviétique des crimes de guerre, ce singulier camp d'Auschwitz comportait bien deux installations de "bains", et ce une dizaine de jours avant la première "action spéciale" du docteur Kremer.
Ce témoin oculaire du massacre des Juifs de l'Ouest, resté à peine trois mois dans le "camp de l'extermination", n'a pas connu ce qu'il est advenu de la "construction" pour laquelle Auschwitz attendait, le 21 août, des "instructions ultérieures" de Berlin. Un document remarquable, postérieur à la période de Kremer, révèle comme par inadvertance que la "répartition" des déportés arrivés précisément de l'Ouest, mais "inquiet(s) sur le lieu et la façon dont il prévu de les utiliser" était fonction de l'achèvement de ces "travaux" d'Auschwitz. Il s'agit d'un télex adressé le 29 avril 1943 à Paris, Bruxelles et La Haye. Cette communication de la Sécurité du Reich n'a pas pour objet d'informer les officiers SS de l'Ouest sur l'état d'avancement des "travaux" entrepris par la direction centrale de la construction de la Waffen SS et de la Police d'Auschwitz. Le major SS Gunther leur rappelle, à la "demande" du camp, des instructions impératives qu'il leur enjoint de respecter pendant l'"évacuation des Juifs" et, pour étayer ce rappel à l'ordre, l'adjoint d'Eichmann explique aux services policiers SS à l'Ouest qu'"en raison de travaux urgents à exécuter, Auschwitz doit attacher de l'importance à ce que la réception des transports et leur répartition ultérieure se déroulent autant que possible sans accroc (reibungslos en allemand)"[142]. Les archives d'Auschwitz identifient ces "travaux urgents" qui motivent, au printemps 1943, l'agacement de la direction du camp à l'arrivée de déportés rétifs.
3.2 Les traveaux d'Auschwitz
Lorsqu'ils sont entièrement achevés au tout début de l'été, le tableau qu'en dresse la direction centrale de la construction SS d'Auschwitz donne, à son tour, la mesure de cette relation sinistre avec les convois arrivant au camp. Le rapport de son chef, daté du 28 juin, a d'emblée une signification macabre. Le major SS Karl Bischoff y fait état de la capacité d'incinération dont dispose désormais le camp. Si le crématoire du camp principal pouvait brûler 34O cadavres en 24 heures, les quatre nouvelles installations, édifiées à Birkenau et numérotés de II à V, portent le rendement à ...4.756 cadavres quotidiens[143]. L'énormité du chiffre mesure, à Auschwitz, la singularité du camp d'extermination ... dans le système concentrationnaire nazi.
La mortalité de sa population concentrationnaire n'a pas appelé la mise
en place, dans ce camp, d'une gigantesque batterie de 17 nouveaux fours
crématoires pourvus de 46 creusets au total[144].
L'ancien crématoire du camp principal suffisait - et largement - aux besoins du
camp de concentration. Sa capacité permettait d'incinérer deux fois plus de
cadavres qu'il n'y a eu de détenus dotés d'un matricule, enregistrés au
"KL Auschwitz" et décédés au camp et dans ses dépendances pendant les
cinq années de son existence[145].
Le nombre exact des prisonniers immatriculés à Auschwitz et y décédés - il ne
s'agit pas là du nombre total des morts d'Auschwitz ! - n'est pas connu, mais
il peut être approché. En 1983, Georges Wellers s'est essayé à le fixer, en
calculant le nombre de ce qu'il nomme "les survivants" d'Auschwitz[146].
Les archives permettent de connaître le
nombre des détenus immatriculés et évacués en raison de l'avance de l'armée
rouge, entre le 18 mai 1944 et le 18 janvier 1945[147].
Les prisonniers évacués - des Polonais, des "détenus" dits "en
rééducation", des Juifs, des Tziganes et des Russes - ont été au plus
141.765. Ayant quitté le complexe d'Auschwitz en vie, ces
"survivants" se décomptent du total des détenus immatriculés. Cette
donnée est aussi disponible: les séries de matricules distribués aux entrants
totalisent 381.455 matricules[148].
Compte tenu des doubles emplois, la population concentrationnaire est moindre:
elle s'est élevée en 56 mois à 358.279 détenus immatriculés[149].
Les quelque 140.000 évacués des derniers mois fixent à un maximum absolu de
66,9 % le taux moyen de mortalité possible des concentrationnaires d'Auschwitz[150].
En regard d'une telle mortalité, les installations de crémation projetées dès
l'été 1942 et achevées un an plus tard ont doté Auschwitz d'une surcapacité
d'incinération[151].
Pour autant que les 216.514 détenus immatriculés qui n'ont pas été évacués,
soient tous morts au camp et dans ses dépendances, Auschwitz pouvait, avec ses
cinq crématoires fonctionnant à plein rendement, brûler leurs cadavres dès
l'été 1943 en ... moins de deux mois. Cette surcapacité de crémation situe à Auschwitz toute la différence
entre un camp de la mort et un camp d'extermination.
La présence de crématoires dans les grands camps de concentration avertit qu'ils sont des lieux où les détenus meurent en grand nombre, que ces camps nazis, avec ou sans installations "spéciales" d'extermination, sont mortifères. Les crématoires dont Auschwitz est pourvu au printemps 1943 ne sont, de toute évidence, pas destinés à la fonction habituelle du système concentrationnaire nazi. Une lettre de service du major SS Karl Bischoff destine les nouvelles installations de crémation à l'"exécution du traitement spécial"[152]. Le document est daté du 30 janvier 1943. Le jour précédent, Bischoff levait par inadvertance, un coin du voile sur ce mystérieux "traitement spécial". Le chef de la direction de la construction à Auschwitz était pressé d'annoncer à Berlin que "le crématoire II a été achevé grâce à l'emploi de toutes les forces disponibles, malgré des difficultés immenses et un temps de gel, par des équipes de jour et de nuit, à l'exception de quelques détails de construction"[153]. Les "détails" font toujours l'histoire. Ce 29 janvier 1943, ils identifient la seconde morgue souterraine du crématoire II comme une "cave de gazage". Le plan, conservé dans les archives et destiné, à l'époque, aux entreprises civiles chargées de la construction, indiquait, quant à lui, deux "leichenkeller" (caves aux cadavres) de 210 m2 chacune[154]. Le major SS Bischoff explique à Berlin que le crématoire a été mis en marche bien que "le plafond en béton de la cave aux cadavres n'a(it) pas pu encore être décrépi en raison de l'action du gel". Sachant ce que les entreprises civiles travaillant pour le compte de la SS n'avaient pas à connaître, l'officier rassure Berlin: "Cela est toutefois sans importance étant donné que la cave de gazage peut être utilisée à cette fin", ajoute-t-il.
3.3 Du gazage et de son usage
En allemand, le document porte "vergasungskeller". La traduction correcte de "vergasung" ne serait pas "gazage" selon la "révision" du professeur Faurisson! "Dans cette lettre", écrit-il, ""Vergasungskeller" désigne la pièce en sous-sol où se fait le mélange "gazeux" qui alimente le four crématoire"[155]. Le philologue "révisionniste" avait objecté cette traduction à Georges Wellers. Le document Bischoff du 29 janvier 1943 lui avait été opposé. Faurisson avait prétendu que "le local que les Allemands auraient fait sauter avant leur départ n'était qu'une morgue typique (Leichenkeller), enterrée (pour la protéger du froid)"[156]. Les variations "révisionnistes" sur la "vergasungskeller" d'Auschwitz ont laissé fort perplexe Wellers. "Bref conclut-il en 1987, "le même local est tantôt une "morgue", tantôt une "chambre froide aux dimensions caractéristiques" et tantôt la "pièce où se fait le" (mystérieux) "mélange gazeux" pour alimenter le four crématoire ... qui marche au coke!"[157]. Dès 1981, Wellers s'interrogeait, dans Les chambres à gaz ont existé, sur l'"ingénieur" qui "a eu l'idée de construire une "pièce" de 210 m2 de surface (d'après le plan) pour y faire le mystérieux mélange "gazeux""[158]. Préférant gloser sur le sens des mots, Faurisson a bien voulu concéder que celui de "vergasung" pouvait être meurtrier: "appliqué à un récit de bataille de la guerre des gaz en 1918", a-t-il répliqué à Vidal-Naquet, "il peut se traduire par "gazage""[159].
La référence est excellente! Elle figure, dès 1924, dans Mein Kampf et tout historien de l'Allemagne nazie la connaît car une référence au gaz si précoce pose problème dans la genèse du génocide juif. Faurisson, lui, il n'y a pensé. De son propre aveu, il "connaî(t) mal Hitler"[160]. Il le connaît si mal qu'il s'aventure à affirmer que Hitler n'avait jamais "admis que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion". Six ans après l'expérience des gaz de la première guerre mondiale, le caporal autrichien était d'un autre avis. Son Combat regrettait, dans un passage fameux, qu'on n'eût pas "au début ou au cours de la guerre, (...) tenu une seule fois 12 à 15.000 de ces Hébreux corrupteurs du peuple sous les gaz empoisonnés que des centaines de milliers de(s...) meilleurs travailleurs allemands de toute origine et de toute profession ont dû endurer sur le front"[161]. Ce discours meurtrier de Mein Kampf annonçait-il les chambres à gaz d'Auschwitz? L'historien allemand Eberhard Jäckel, lecteur des plus avertis des moindres papiers de Hitler, fait remarquer que "l'intention de liquider 12.000 à 15.000 d'entre eux ne signifiait pas (l')élimination totale" des quelque 600.000 Juifs que comptait alors la république de Weimar. "Quoi qu'il en soit", note-t-il, "il est certain que l'antisémitisme de Hitler, tel qu'il l'a exposé dans Mein Kampf a des traits guerriers, que l'on suppose ou non une association entre l'emploi des gaz asphyxiants dans la Première Guerre mondiale et les chambres à gaz de la Seconde. Son antisémitisme provenait de la guerre, il réclamait des méthodes guerrières, il n'est donc pas surprenant qu'il ait atteint son apogée sanglant dans la Seconde Guerre qui, dès le départ, appartenait au programme de Hitler"[162]. L'historien américain Christopher Browning, appliquant une autre grille de lecture à la problématique historique du génocide, considère que ce "passage fréquemment cité" de Mein Kampf "a plus de sens dans le contexte de la légende du "coup de poignard dans le dos" que comme prophétie ou allusion cachée à la solution finale"[163]. Il marquait, chez le führer de la petite formation national-socialiste, la résolution radicale "d'écraser une fois pour toutes la tête de serpent marxiste": ces "12 à 15.000 Hébreux" qu'il aurait fallu gazer étaient, dans le texte hitlérien, les "chefs marxistes". Dans l'esprit du caporal Hitler et de ses contemporains, les gaz étaient l'arme absolue. Lui, il les avait subis, les 13 et 14 octobre 1918, sur le front de Flandre, près Wervik: il en resta aveugle jusqu'à la fin de la guerre, ce qui, si l'on en croit son autobiographie, le décida à entrer en politique quand il apprit et la révolution de novembre et l'armistice de 1918[164].
Les textes d'histoire sont toujours à lire dans leur contexte, à la fois littéral et historique. "Tout est", en effet, "affaire de contexte"[165]. Faurisson l'écrit à bon droit, mais s'agissant de la "vergasung" dans les nouvelles installations en construction à Auschwitz, le contexte de la lettre du 29 janvier 1943 a disparu dans la "pièce en sous-sol où se fait le mélange "gazeux" qui alimente le four crématoire". Selon le major SS Bischoff, "les fours" du crématoire II "ont" bien "été allumés" et peuvent donc incinérer les cadavres à entreposer provisoirement dans la "cave de gazage" en attendant que celle "aux cadavres" soit utilisable. Les deux caves ont la même contenance. La chose est d'autant plus praticable que la "vergasungskeller" n'est pas encore équipée pour sa fonction. Le major SS Bischoff ne l'écrit pas textuellement, mais terminant son rapport sur le "crématoire II" et l'"état du bâtiment", il annonce - et cela, bien que "les fours" aient "été allumés" - que "l'entreprise Topf et fils n'a pas pu livrer à temps le dispositif d'aération et de désaération". "Après (son) arrivée", assure le chef de la construction à Auschwitz, "l'incorporation de celui-ci sera aussitôt commencée, de sorte qu'on peut prévoir que le 20-2.43, il sera complètement en service". Achevé à cette date, le crématoire II sera donc en mesure non seulement d'incinérer les cadavres, mais encore, avec sa "vergasungskeller" équipée d'un "dispositif d'aération et de désaération" de gazer les personnes à incinérer. Cette lecture du "gazage" est bel et bien d'époque.
Dans ce document Bischoff, la "vergasung" ne se lit pas autrement que dans le rapport du sous-lieutenant SS Becker. Ce scientifique - un docteur en chimie - était en tournée d'inspection dans les zones d'opérations des Groupe d'action C et D de la police et de la SS en Union soviétique. Le 16 mai 1942, il est à Kiev. "Die vergasung", le gazage, expose-t-il, "ne se fait généralement pas d'une façon correcte". Et ce technicien averti d'expliquer que "pour en finir le plus vite possible, le conducteur presse l'accélérateur à fond. En agissant ainsi, on fait mourir les gens par étouffement, et non par assoupissement progressif comme prévu". Ses "directives", annonce sa lettre à Berlin, "ont prouvé que grâce à un ajustement correct des leviers, la mort est plus rapide et les prisonniers s'endorment paisiblement. On ne voit plus de visages convulsés, plus d'excrétions, comme on en remarquait auparavant[166]". Le destinataire de cette expertise en gazage humain, le chef de la sous-section II D chargée des questions techniques à la Sécurité du Reich était, quant à lui, très satisfait du procédé. Le 5 juin 1942, le lieutenant-colonel SS Walter Rauf se félicitait de la "façon exemplaire" dont elle était utilisée à Chelmno, dans le Wartheland. A cause d'une "explosion" survenue avec un des camions, il s'empressait d'objecter que "depuis décembre 1941 ont été traités de façon exemplaire 97.000 avec trois camions dont le fonctionnement n'a révélé aucun défaut"[167]. Le gauleiter du district était tout aussi satisfait du "commando spécial" en action dans le Wartheland, encore qu'il n'appréciât pas à sa pleine mesure son efficacité. Le 1er mai 1942, - un mois avant le document Rauf où le bilan macabre se chiffrait déjà à 97.000 Juifs gazés - lui, il prévoyait encore "deux ou trois mois". Sa lettre annonçait à Himmler que "l'opération de traitement spécial des cent mille juifs se trouvant sur le territoire de mon district, autorisée par vous en accord avec le chef de la direction de la sécurité du Reich, le général de corps SS Heydrich, pourra être achevée d'ici deux à trois mois"[168]. Dans l'attente, Arthur Greiser priait le chef des SS de l'"autoriser (...) à utiliser (...) le commando spécial disponible déjà engagé à l'occasion de l'opération juive". Le gauleiter "cro(yait) pouvoir prendre la responsabilité de (...) proposer de faire exterminer dans le Warthegau les cas de tuberculose ouverte existant dans la population polonaise, soit 35.000 cas selon son estimation.
A la différence de ces pièces remarquables relatives au camp d'extermination de Chelmno, les archives se rapportant à la construction des nouveaux crématoires d'Auschwitz ne traitent pas des massacres qui y seront perpétrés. Le problème du major SS Bischoff était d'achever au plus vite les travaux en cours. Le 29 janvier 1943, il était trop optimiste. Le crématoire II n'a pas été "complètement en service", le 20 février, comme il l'avait annoncé. Il a fallu attendre encore jusqu'au printemps 1943 pour que les "travaux urgents" aboutissent.
3.4 Les travaux urgents du printemps
Le crématoire II a été réceptionné le 31 mars, avec quarante jours de retard sur la promesse de Bischoff. Le crématoire IV construit plus simplement et en surface fut livré, le premier, le 22 mars. Mais, l'aménagement intérieur de la chambre à gaz n'était pas entièrement terminé. La firme Riedel et fils avait bien posé des "fenêtres étanches au gaz", le 22 février[169]. Et, une semaine après - le 2 mars -, son conducteur des travaux réalisant la destination de cette pièce rendue ainsi étanche, avait indiqué à ses ouvriers la tâche de "bétonner le parterre dans (la) chambre à gaz (im gazkammer)"[170]. A sa livraison vingt jours plus tard, le crématoire IV n'était toujours pas pourvu des 3 portes étanches au gaz commandées le 18 janvier à l'Entreprise Usines d'équipement allemands. Le 31 mars, dans sa lettre à cette firme installée à Auschwitz, le major SS Bischoff rappelle, à cette occasion, une "autre commande d'une porte à gaz (gaztür) 100/192 pour la cave aux cadavres I du crématoire III" à "exécute(r) de même nature et mesure que la porte de la cave du crématoire II (...) avec un judas à double verre de 8 mm avec un caoutchouc assurant l'étanchéité et une ferrure"[171]. Ce crématoire III, jumeau du crématoire II, sera livré, en dernier lieu, le 25 juin. Le crématoire V, lui, a été réceptionné officiellement le 4 avril. Mais le 17, l'équipe de Riedel et fils y travaillait toujours[172]. Son jumeau, le crématoire IV déjà en activité donnait aussi du souci à la direction centrale de la construction. Moins de douze jours après sa livraison officielle, des fissures étaient déjà apparues dans la maçonnerie et le 3 avril, Auschwitz dut faire appel au constructeur civil. Le 10 avril, la firme Topf et fils acceptait évidemment de réparer, mais elle offrait seulement une garantie d'une durée limitée à deux mois à la condition d'un usage raisonnable du four[173]. En avril, ces "travaux urgents" qu'évoquait le télex envoyé à l'Ouest à la demande d'Auschwitz comportaient encore l'achèvement de l'isolation des chambres à gaz. Le 9, l'atelier de serrurerie du camp doit encore livrer "24 boulons d'ancrage pour les portes étanches au gaz" des crématoires IV et V. Le 16, la commande concerne les ferrures de cinq portes étanches au gaz pour les crématoires III et IV, travail achevé le 2O avril[174].
C'est précisément à cette date que roulait déjà en Allemagne le convoi dont l'arrivée à Auschwitz mit dans l'embarras la direction du camp débordée par ses "travaux urgents". Dans le télex qu'elle fit envoyer aux officiers SS de Paris, Bruxelles et La Haye, ils sont un point de détail. La valeur documentaire de cette pièce remarquable est ailleurs, dans la nature des instructions que la "façon" d'Auschwitz commande de respecter impérativement à l'Ouest de l'Europe et, à cet égard, cette pièce d'archives, un document tout à fait officiel quoique que confidentiel, lève tout autant que les notes personnelles du médecin SS d'Auschwitz un coin du voile sur le secret du massacre des déportés d'Europe occidentale. Le télex du 29 avril 1943 témoigne, comme le journal de Kremer, de la notoriété "inquiétante" d'Auschwitz parmi les Allemands employés à l'"évacuation des Juifs". Ce qu'écrivait le docteur Kremer en septembre 1942 y trouve une autre confirmation. Le médecin d'Auschwitz n'avait pas inventé la formule de "camp de l'extermination". Selon son journal, c'était bien ainsi "qu'Auschwitz est appelé". Le médecin transcrivait la réputation sinistre que propageaient, en dépit du secret de rigueur, les SS impliqués dans le massacre des déportés. Cette perméabilité du secret est l'objet du télex de la Sécurité du Reich sur la "façon (...) inquiétante" d'Auschwitz.
3.5 La façon (...) inquiétante d'Auschwitz
A 1000 km de l'extermination, le télex du 29 avril 1943 apprend aux officiers SS de Paris, Bruxelles et La Haye que "le camp d'Auschwitz a prié de nouveau, pour des raisons évidentes, de ne pas faire avant le transport, aux Juifs à évacuer, de communications inquiétantes au sujet de l'endroit ou du sort qui les attend"[175]. Le ton du document de la Sécurité du Reich était on ne peut plus impératif: "je vous prie d'en prendre acte et d'en tenir compte", télégraphie le major SS Rolf Gunther. L'adjoint d'Eichmann "insiste en particulier sur les instructions permanentes à l'escorte de ne faire pendant le voyage aucune allusion susceptible de provoquer une quelconque résistance de la part des Juifs et de n'éveiller aucun soupçon quant à la façon dont ils seront logés". Le document n'est guère plus explicite sur les raisons précises qui ont motivé la direction à inviter Berlin à rappeler à l'ordre les officiers SS chargés de l'"évacuation des Juifs" à l'Ouest. La date du télex est toutefois une indication. Le plus récent convoi d'Europe occidentale est un transport "belge" parti du camp de rassemblement de Malines, le 19 avril et parvenu à Auschwitz, le 22, une semaine avant le télégramme de Berlin.
Ce convoi, le XXème de la déportation "belge" n'est certes pas passé inaperçu. Sur son trajet en Belgique, il avait déjà donné du fil à retorde à l'escorte. Peu après le départ de Malines dans la soirée du 19 avril, un fanal posé sur la voie l'a contraint à s'arrêter entre Boortmeerbeeck et Wespelaer: les hommes de l'escorte, revenus de leur surprise, s'aperçurent qu'un homme armé d'un revolver tenait en respect le machiniste et que deux autres s'affairaient aux portes coulissantes des wagons à bestiaux pour libérer les prisonniers. La police de sécurité retiendra "l'attaque du train transportant des Juifs le 19 avril 1943" dans les raisons d'inscrire le "chef de la bande de terroristes" sur la liste des otages à fusiller en février 1944[176]. La "bande" - ce n'était que trois jeunes gens - s'attendait à trouver l'escorte à l'arrière du train et non derrière le tender. Surpris par ses tirs, le groupe réussit seulement à ouvrir un wagon. Revenus à leur tour de leur surprise, 17 déportés saisirent l'occasion de s'échapper. Cette libération de voyageurs d'Auschwitz est unique en son genre dans toute l'histoire de la déportation raciale en Europe. Cependant, le plus remarquable dans cette nuit "belge" du 19 au 2O avril 1943 n'est pas leur fuite éperdue dans la campagne flamande. De l'intérieur des wagons - du moins dans la plupart -, les déportés n'ont cessé de forcer le chemin de la liberté par leurs propres moyens, tout au long du trajet belge. Au départ de Malines, le convoi comptait 1631 personnes. Avant la frontière, il avait perdu un déporté sur sept. Les fugitifs avaient sauté du train en marche, malgré les tirs de l'escorte. Ses coups furent meurtriers. La police de protection, chargée d'escorter ce convoi, a abattu sur place 16 des 231 évadés. 7 autres, blessés à mort, avaient pu s'éloigner du chemin de fer. Pendant cette nuit tragique, le XXème convoi laissa, avec les cadavres échelonnés sur son parcours, un "nouvel itinéraire d'ignominie tracé à travers la Belgique, le long de la voie ferrée de Malines à Tongres". Un journal de Londres où la nouvelle était parvenue diffusa l'information[177]. Dans la clandestinité, la résistance juive, appréciant cette rébellion massive des déportés, souligna qu'"ils savent si bien ce qui les attend la-bas qu'avant d'avoir franchi la frontière, ils sautent en pleine marche au risque de se rompre les os"[178]. Le comité de défense des Juifs était convaincu, sinon persuadé que "la déportation signifie la mort"[179]. Cette équation fatale, la plupart des déportés étaient loin de l'accepter: dans les wagons des évadés, ils étaient les plus nombreux à n'avoir pas saisi l'occasion d'y échapper.
La plupart aussi n'y échappèrent pas à l'arrivée à Auschwitz: le 22 avril, 879 personnes dont un grand nombre d'enfants en bas âge et de vieillards ne furent pas sélectionnés pour entrer dans le camp. Le XXème convoi se vit attribuer seulement 276 matricules de la série 117.455 à 117.730 pour les hommes et 245 de la série 42.451 à 42.695 pour les femmes, soit 521 matricules au total. Comme à l'ordinaire - quoique dans une moindre proportion qu'explique peut-être l'urgence des "travaux" d'Auschwitz[180] - les déportés dont l'histoire perd la trace dès l'arrivée à destination du XXème sont les plus nombreux. Le comportement - au moment de disparaître - de ceux qui, pendant le trajet belge, avaient le plus hésité à suivre l'exemple des rebelles ne laisse d'autre écho que cet "accroc" énigmatique auquel fait allusion le télex du 29 avril préoccupé de la "répartition ultérieure" des déportés. Le document n'apporte pas d'autre lumière sur cette "résistance" des déportés avertis des rumeurs "inquiétantes" sur la "façon" d'Auschwitz. Aucun témoin de l'"action spéciale" du jour n'a conservé dans quelque journal que ce soit la trace écrite de scènes épouvantables où les victimes s'insurgeaient de n'avoir pas la vie sauve.
Le télex d'avril 1943 n'en est pas moins une pièce d'archives intéressante. Comme les autres sources administratives nazies relatives à la "solution finale", ce document sibyllin n'a de sens que s'il est caché. A l'époque, il fallait que les destinataires - le major SS Zoepf à La Haye, le colonel SS Knochen à Paris et le lieutenant-colonel SS Ehlers à Bruxelles - eussent été initiés à son code. Ils n'avaient pas eu besoin, quant à eux, d'explication à propos de "la façon dont (les Juifs) seront logés" et de "l'endroit" où ils le seront. Il n'avait pas non plus été indispensable de leur indiquer quelles étaient donc ces "communications inquiétantes" qui provoquaient la "résistance" des déportés" et qu'il s'imposait de censurer. Les "raisons" des SS qui opéraient à "la réception" des convois et à "la réception ultérieure" des déportés leur étaient - pour le dire comme le télex du 29 avril - "évidentes".
Cette évidence a fondé, trente ans après, la conviction du tribunal supérieur du Schleswig-Holstein appelé à se prononcer sur la recevabilité des poursuites intentées contre Ernst Ehlers, nommément cité dans le télex du 29 avril 1943. "Ehlers", constate la décision de le juger, "fut spécialement chargé par des instructions continuelles, de faire en sorte que les commandos qui devaient accompagner les convois (auxquels étaient joints des membres de la compagnie de garde [du siège central de la police de sécurité et du service de sécurité à Bruxelles]) ne fassent pas au cours du transport de confidences aux Juifs en ce qui concerne leur sort"[181]. Dans la délibération des magistrats allemands, le document du printemps 1943 introduisait - c'est capital dans une lecture judiciaire des archives - la relation directe et personnelle avec le prévenu sur le point crucial de la cause. La pièce d'époque infirmait l'affirmation d'Ehlers qu'il n'avait "pas (été) au courant des pratiques cruelles à Auschwitz". L'homme prétendait même qu'il avait "exercé (son) service dans un esprit d'humanité et qu('il s'était) tenu à l'écart de toutes les mesures contre les Juifs" pour avoir dirigé la police nazie à 1.000 kilomètres de l'horreur[182].
Chapitre IV
A Mille kilomètres de l'horreur
4.1. L'esprit d'humanité de l'officier SS
4.2. Un camouflage cousu de fil blanc
4.3.
Le plausible de l'officier SS
4.1 L'esprit d'humanité de l'officier SS
Pour preuve de l'"esprit d'humanité" avec lequel il avait exercé sa fonction de chef de la police de sécurité, Ernst Ehlers, honorable juge en retraite du tribunal des affaires sociales de Kiel, faisait valoir en 1975 - et publiquement - que "la Justice belge ne (l'avait) pas recherché" après la guerre[183]. Le fait signalé est tout à fait exact. L'auditorat de la Cour militaire belge ne s'était pas intéressé à son cas après 1945. Son collègue Constantin Canaris, de surcroît interné, convenait tout aussi bien. La répression judiciaire des crimes de guerre s'attacha à instruire des procès exemplaires. Dans cet après-guerre belge, la représentativité des accusés allemands importa davantage que leur nombre. Cela étant, le bilan répressif certes moins fourni dans ce pays ne fut pas moins sévère qu'en France et qu'aux Pays-Bas. Toutes proportions gardées, les condamnations à mort y furent même plus nombreuses[184]. La Belgique avait tout autant dénoncé, sans complaisance pour qui que ce fût, "la responsabilité (...d)es commandants locaux de la police de sécurité et du service de sécurité". La commission des crimes de guerre estima que leur responsabilité pénale était "engagée plus particulièrement en ce qui concerne la persécution antisémitique en Belgique"[185]. "Sous leur autorité (...)", insistait-elle, "s'organisèrent et fonctionnèrent les multiples rouages de l'appareil policier qui des caves de la Gestapo à l'enfer de Breendonck[186] ou aux charniers d'Auschwitz, broya tant de vies humaines". Dans cet "appareil policier" à qui "incomba l'exécution matérielle des mesures", il est "évident", selon le rapport officiel sur La persécution antisémitique en Belgique, que "chacun, dans sa sphère d'activité, et quel que fût son rang dans la hiérarchie, collaborait à une entreprise dont il connaissait les objectifs". Cela dit, la commission des crimes de guerre s'est posée la question "de doser les responsabilités" individuelles; non pas qu'elle ait envisagé un instant qu'on aurait - selon le plaidoyer d'Ehlers - "exercé" son "service" en Belgique occupée "dans un esprit d'humanité"! En 1947, il s'agissait tout au plus, en ce qui concerne les responsabilités criminelles de "la Gestapo et de ses séides", d'"apprécier les unes plus sévérement que les autres". D'ailleurs, la commission "n'hésite pas à répondre par la négative" à la question du dosage. Dans cet appareil policier, elle n'entend faire aucune différence. "Il n(e lui) apparaît pas, bien au contraire" que quiconque, "à quelque degré de la hiérarchie qu'il ait appartenu", ait eu "le dessein d'adoucir les souffrances des victimes". L'absence de poursuite contre l'officier SS qui l'avait dirigé de la fin 1941 au début de l944 ne signifie pas ce que Ehlers voulut y découvrir trente ans après. De surcroît, l'argument de l'impunité était spécieux. Son ancien collègue, Canaris, tout condamné qu'il eût été par la justice belge, était son co-inculpé dans cette affaire "allemande". Le tribunal supérieur du Schelswig-Holstein écartait l'objection de la chose jugée. Dans l'affaire qui porte le nom de Ehlers, Canaris était certes poursuivi pour "le même fait que celui faisant l'objet du procès de Bruxelles", mais, remarque le tribunal allemand révisant l'épilogue judiciaire belge, la chose avait été "jugée là uniquement du point de vue légal de la privation de liberté"[187]!
De fait, les déportations juives opérées en 1944 sous le commandement du colonel SS Constantin Canaris, chef de la police de sécurité en Belgique et au Nord de la France, n'avaient guère pesé dans les vingt ans de travaux forcés auxquels les Belges l'avaient condamné en 1951. Dans la répression des crimes de guerre, les cours militaires ont systématiquement fait l'impasse sur la solution finale à l'Ouest. La justice de l'après 1945 s'est attaquée aux auteurs, ainsi qu'à leurs complices, des crimes de sang commis dans les pays occidentaux. Les responsabilités dans la déportation de Juifs vers l'Est n'ont pas été envisagées, du point de vue judiciaire, comme autant de complicités dans les assassinats perpétrés à l'arrivée des déportés. La pusillanimité, sinon le laxisme des cours militaires sont d'autant plus remarquables que les "responsabilités" criminelles des autorités d'occupation à l'Ouest - tant policières que militaires - étaient officiellement dénoncées. "Leur tâche (...) de mener à bien, sur un territoire donné, le plan général criminel des chefs suprêmes de leur pays" était décrite sans la moindre ambiguïté comme aussi sans la moindre nuance. Dans l'après 1945, la persécution antisémitique à l'Ouest était parfaitement perçue comme "un des multiples aspects" de la "tragédie des Juifs d'Europe". Rien qu'à Auschwitz, la commission belge des crimes de guerre chiffrait, en 1947, "le nombre des victimes à près de 2.000.000 parmi lesquelles", ajoutait son rapport, "de nombreux milliers de déportés de Belgique". Cet organisme institué près du ministère belge de la justice exposait que "des milliers de personnes furent (...) dès leur arrivée, conduites à la mort dans des conditions atroces"; qu'après "le triage" des déportés, "les femmes et les enfants, les vieillards, les faibles et les malades étaient isolés et immédiatement envoyés à Birkenau où se trouvaient les chambres à gaz"[188].
La conclusion judiciaire ne s'inscrit toutefois pas dans la logique de l'exposé. Cette commission de juristes dont faisait partie, de surcroît, un substitut à l'auditeur général près de la cour militaire n'a pas requis des poursuites du chef de complicité dans le massacre des déportés à leur descente des trains. Les responsables allemands ont été dénoncés pour les seuls "crimes suivants: déportation de civils, internement de civils dans des conditions inhumaines, confiscation de biens, arrestation en masse sans discrimination"[189]. La lecture judiciaire de l'après 1945 a été singulièrement étriquée. En Belgique - comme dans les pays voisins - le procès de la solution finale n'a pas eu lieu. Dans les procès "belges" de 1950/1951, l'évènement juif a été amputé de sa dimension historique essentielle. Il a aussi été banalisé. Les charges "juives" pour le moins mitigées ont figuré parmi d'autres chefs d'inculpation - telles les fusillades d'"otages terroristes" - en l'occurrence bien plus graves.
Dans l'épilogue judiciaire allemand, l'acte d'accusation est autrement grave que les charges retenues en Belgique. En 1975, la justice de leur pays accusait Ehlers et Canaris, ainsi que leur chargé des affaires juives, l'ancien lieutenant SS Kurt Asche, de "complicité dans la mise à mort cruelle et perfide d'un grand nombre d'êtres humains pour avoir, dans la période d'août 1942 à juillet 1944, à divers moments et à des degrés divers, collaboré à la déportation de quelque 26.000 juifs (...) vers le camp d'extermination d'Auschwitz"[190]. Dans cette affaire de "criminels nazis"[191], le Landgericht du Schleswig-Holstein - la cour d'assises - n'a toutefois pas d'emblée suivi le parquet de Kiel. On y estima que "dans l'état actuel des moyens de preuve, il ne serait pas possible d'apporter la preuve que les prévenus aient été au courant des projets de mise à mort des déportés". Appelé à se prononcer en 1977, le Tribunal Supérieur considéra au contraire que "leur condamnation est à prévoir avec quelque probabilité"[192].
"Le soupçon suffisant pour la réouverture du procès principal" contre l'inculpé le plus important ne prenait pas seulement appui sur le document d'histoire qui, au printemps 1943, laissait deviner le sort horrible des déportés à leur arrivée à Auschwitz. Les magistrats allemands opposèrent à ses dénégations toute une batterie d'arguments puisés dans d'autres sources d'époque. La justice démontrait ainsi qu'"une telle ignorance du prévenu Ehlers est, en effet, difficilement admissible - malgré le secret gardé officiellement en ce qui concerne les mesures d'extermination à Auschwitz". La lecture judiciaire y découvrait, quant à elle, un "camouflage cousu de fil blanc".
4.2 Un camouflage cousu de fil blanc
Contre toute vraisemblance, le prévenu Ehlers avait construit sa défense sur l'argument de la "mise au travail" des Juifs. Selon cette défense impossible, il aurait "demandé à Eichmann lors d'une visite à Bruxelles" - aux environs du 1er juillet 1942 probablement - "et parce qu'au début, il avait des inquiétudes à ce sujet - si les Juifs étaient mis à mort à l'Est". "Eichmann", acte la décision judiciaire, "aurait catégoriquement nié cela et déclaré: les Juifs de l'Ouest sont traités différemment des Juifs de l'Est"[193]. Le responsable de l'"évacuation des Juifs" à l'Office Central de la Sécurité du Reich aurait, dans cette version, expliqué que "suite à la situation de la guerre qui s'était empirée, il est nécessaire que toutes les forces disponibles, donc également les Juifs, soient intégrées au travail". Le tribunal estime cette réponse plausible. A l'époque des faits, les Juifs étaient, en effet, - du moins officiellement - déportés à l'Est en vue de l'"Arbeiteinsatz". La décision de juger Ehlers examine les indications dont disposait l'officier SS pour s'apercevoir que "le but des déportations juives n'était pas "la mise au travail à l'Est". Leur but était bien plus", constate le tribunal allemand, "de vider l'Europe des Juifs et d'anéantir les Juifs, comme Hitler l'a déclaré à nouveau publiquement, après la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942"[194].
Cette lecture judiciaire ne s'attarde pas aux prophéties hitlériennes. La question mérite pourtant d'être envisagée en relation avec cette prétendue "mise au travail". Car enfin, la situation ne manque pas d'être paradoxale. Pendant que les fidèles SS acheminaient les très officiels "prestataires de travail" vers le lieu secret de leur massacre, leur Führer ne cessait de proclamer sa détermination meurtrière en public. Hitler se justifiait par l'argument de la belligérance juive. Ce leitmotiv de la propagande nazie datait du discours prononcé le 30 janvier 1939 au sixième anniversaire de son avènement. Il y avait dénoncé la responsabilité de la "finance juive internationale (...) dans la guerre mondiale" à venir et il avait prophétisé, sept mois avant l'invasion de la Pologne, que si la guerre s'étendait au monde, l'issue en serait bel et bien "l'extermination de la race juive en Europe"[195]. Le génocide annoncé à cette date n'était pas plus inscrit dans les plans hitlériens que cette "guerre mondiale" redoutée[196]. Il relevait du discours alternatif de Hitler sur "la bolchevisation de l'Europe et une victoire du judaïsme". En 1941, les préparatifs de la guerre idéologique d'extermination contre l'U.R.S.S. mirent à l'ordre du jour, non pas encore "l'extermination de la race juive en Europe", mais celle du "judéo-bolchévisme". Ce pas franchi, Hitler, contraint à une guerre décidément mondiale, répéta, dès 1942 à chaque solennité du IIIème Reich, sa prophétie désormais fameuse de 1939. Pour les besoins de son propos, le Führer la postdatait du début de cette guerre mondiale qu'il avait espéré circonscrire à la campagne de Pologne. Les variations du thème apocalyptique sont plus significatives. Le 8 novembre 1942 - à l'anniversaire du coup d'état avorté de 1923 - Hitler rappelait qu'"on s'est toujours moqué de (lui) en tant que prophète" et, prophète moqué, il se donnait la satisfaction d'évoquer à mots couverts l'ampleur du massacre en cours. "De tous ceux qui riaient alors" - il s'agissait des Juifs allemands dans son discours de janvier 1939 -, "innombrables sont ceux qui ne rient plus aujourd'hui et ceux qui rient encore ne le feront peut-être plus dans quelque temps", annonçait-il nullement prophétique désormais[197]. Ces proclamations publiques de l'extermination en cours procèdent toutefois autant que la prophétie de 1939 des nécessités de la pédagogie nazie. Comme le recommandait le chef du service de presse du Reich et du parti après la défaite de Stalingrad, "on peut se référer à la parole du Führer"[198]. C'est qu'"en relevant la ferme intention du judaïsme d'exterminer tous les Allemands, on fortifiera la volonté d'affirmation de soi-même", enseignait Otto Dietrich. Dans ce discours nazi sur la guerre, la déportation juive n'intervenait pas comme une leçon de choses. La belligérance juive légitimait "le procédé assez barbare" utilisé dans les camps d'extermination du Gouvernement général en Pologne, seulement dans le secret du journal du maître de la propagande du IIIème Reich. "On exécute à l'endroit des Juifs un jugement qui est certes barbare, mais qu'ils ont largement mérité", lui confiait Goebbels, le 27 mars 1942. Il y constatait que "la prophétie du Führer sur leur responsabilité dans le déclenchement d'une nouvelle guerre mondiale se concrétise de la manière la plus brutale". Et ce dirigeant de l'Allemagne nazie d'estimer que "dans ce genre d'affaires, il ne faut pas se laisser dominer par la sensiblerie. C'est un combat de vie ou de mort entre la race aryenne et le virus juif". L'homme d'Etat - l'un des proches de Hitler - découvrait dans cette guerre dont la responsabilité était imputée aux Juifs le moyen d'en finir avec eux. "Heureusement", poursuivait Goebbels, "nous disposons, en ces temps de guerre, de toute une gamme de possibilités qui nous seraient inacessibles en temps de paix. Nous devons en profiter"[199]. Cela noté dans le journal personnel du ministre de la propagande du IIIème Reich, la presse nazie ne présentait jamais le refoulement des Juifs "vers l'Est" comme une mesure préventive à l'encontre de "représentants d'une minorité belligerante ennemie"[200].
Tout au plus - dans des conditions politiques bien spécifiques -, les "menées antiallemandes" imputées aux Juifs servaient-elles à amortir l'impact psychologique prévisible de l'action antijuive projetée. L'argument, destiné à abuser une population par trop rétive, se retournait contre ses propres auteurs. Dans un quiproquo qui serait comique s'il ne s'agissait pas d'une tragédie sanglante, c'est les services allemands qu'il abusait. Au Danemark, le plénipotentiaire du Reich Werner von Best - il avait auparavant dirigé l'administration militaire en France - s'empressa dans un télégramme secret de lever le malentendu. "S'il est vrai", expliqua-t-il, "qu'il a été publié le 2-10-1943 à Copenhague la nouvelle que les Juifs auraient soutenu matériellement et moralement le sabotage, aucun élément concret ne le prouve, et", concluait son télégramme, "ce n'est là qu'un prétexte pour justifier les déportations de Juifs"[201]. Il s'était agi de laisser croire aux Danois nullement dupes que la grande rafle des Juifs du pays dans la nuit suivante procédait de la sécurité militaire, et non d'une action antijuive. L'autorité allemande recourant à l'argument du "sabotage" n'avait pas en l'occurrence manqué d'imagination. La "thèse non négligeable", à en croire l'historien allemand Ernest Nolte, "selon laquelle Hitler aurait eu le droit de traiter les Juifs comme des prisonniers de guerre, c'est-à-dire les interner" n'est pas d'époque[202].
Les ressortissants juifs des "pays ennemis" de l'Allemagne donnaient déjà assez de soucis au ministère des affaires étrangères du Reich. Par opportunité diplomatique, il lui importait - à l'encontre des "révisions" anachroniques de l'histoire - d'excepter cette catégorie de Juifs des mesures de déportation. Pour prévenir précisément toute "objection" de sa part, Eichmann lui annonçant que 90.000 Juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas allaient être "transférés au camp d'Auschwitz pour la mise au travail", avait, le 22 juin 1942, assuré la diplomatie allemande que la mesure ne s'appliquerait pas aux "ressortissants de l'Empire britannique[203], des U.S.A., du Mexique, des Etats ennemis de l'Amérique centrale et du Sud comme des Etats neutres et alliés"[204]. L'"évacuation des Juifs" ne s'inscrivait officiellement pas dans des considérations de politique ou d'idéologie. Elle était présentée sous le couvert du "travail obligatoire" imposé aux populations des territoires occupés. La "convention de langage" à usage extérieur exigeait qu'on parlât de leur "mise au travail". Au président français Laval qui, pour sa part, souhaitait, dans ses réponses aux diplomates étrangers, "éviter une divergence sur les renseignements donnés par" les services allemands en France, il était recommandé de "communique(r) (...) que les Juifs (...) sont transportés pour être employés au travail dans le Gouvernement Général" en Pologne[205]. Les instructions d'Eichmann aux chargés des affaires juives de Paris, Bruxelles et La Haye réunis en conférence le 11 juin spécifiaient même que "la condition essentielle est que les Juifs (des deux sexes) soient âgés de 16 à 4O ans". Mais, dévoilant déjà le camouflage, l'officier supérieur SS avait introduit une dérogation, à savoir, notait son agent à Paris, que "10 % des Juifs inaptes au travail pourront être compris dans ces convois"[206]. Très vite, la mise en route des trains de la "solution finale" renversa les proportions.
La présence massive d'enfants et de vieillards dans les convois démentait le camouflage par trop grossier de la "mise au travail". Ces enfants "ne portent certainement", écrivait le secrétaire général du ministère de la justice à l'administration d'occupation en Belgique, "aucune responsabilité dans les événements actuels"[207]. La haute administration belge s'apercevait, encore que tardivement, que "l'humanité la plus élémentaire prescrit de veiller" sur eux. La formation du XXème convoi motivait cette démarche officielle. Le transport du 19 avril 1943 - il a décidément retenu de toutes parts l'attention des autorités de l'époque - projetait une caricature grotesque de la "mise au travail". Les 1.631 déportés présents dans le train, au départ du camp de Malines, ne comportaient pas moins de 242 enfants. Parmi eux, le plus jeune "prestataire de travail" juif de toute la déportation raciale, Suzanne Kaminsky, née ... 39 jours plus tôt. La présence des vieillards dans le convoi démontait tout autant le motif officiel de leur déportation[208]. Les plus âgés, constatait le porte-parole des secrétaires généraux belges, "ne peuvent de toute évidence être utilisés en vue du travail"[209]. Il y avait, dans le nombre, un Jacob Blom qui aurait fêté ses 91 ans en 1943 s'il n'avait pas été amené à Auschwitz. 5 autres déportés étaient nés dans les années 1850. Au total, les déportés âgés de 60 ans et plus étaient au nombre de 241. Ils représentaient plus de 16 % du contingent déporté en avril l943. Les enfants faisaient également 16 %[210]. Dans ce transport du 19 avril l943, le tiers des déportés ne relevaient pas de cette "mise au travail" qui prétendait motiver leur départ.
Le pouvoir d'occupation inquiet de l'initiative belge s'employa à prévenir toute nouvelle intervention des autorités du pays. Dès le 30 avril, sur "demande émanant de l'administration militaire", l'officier SS chargé des affaires juives prenait les premières dispositions pour installer sous son contrôle des centres d'hébergement pour enfants "abandonnés" et vieillards[211]. Les archives disponibles ne révèlent pas, dans ce cas précis, comment les instances allemandes ont négocié cet espace - précaire - de moindre mal dans la solution finale[212]. En tout état de cause, dans ce territoire administré par l'armée, la police politique ne pouvait agir, même dans la question juive, sans son assentiment. Le chef de l'administration militaire, jaloux de ses prérogatives, ne manquait pas au besoin d'attirer l'attention d'Ehlers en personne - et il le lui confirmait par écrit - sur les "conséquences fâcheuses au point de vue politique" des "abus" de ses agents "contraires aux conventions antérieures", "lors de l'évacuation des Juifs"[213]. A l'époque, cette responsabilité incombait pleinement au chef de la police de sécurité. Ehlers l'assumait face aux autres autorités allemandes et, répondant à leur attente, il donnait à ses "services (...) des instructions d'avoir à mener cette action de telle manière qu'elle éveille le moins possible l'attention du public et qu'elle ne suscite pas de sympathie pour les Juifs au sein de la population"[214]. L'installation d'hômes et d'asiles, sous le contrôle de l'officier SS chargé des affaires juives relevait, après le départ du XXème convoi, de ce sens de l'opportunité dont l'administration militaire jouait avec un art consommé dans le maniement de la question juive.
Le tribunal supérieur du Schelswig-Holstein retient, quant à lui, de la correspondance du secrétaire général du ministère belge de la justice avec l'autorité d'occupation que "tout cela ne pouvait pas passer inaperçu à Ehlers qui, de son côté, avait des contacts avec l'administration militaire, justement à propos des affaires juives"[215]. Ses allégations sur la "mise au travail" dont Eichmann l'aurait persuadées n'ont pas, quant à elles, convaincu ses juges. "Les dires d'Eichmann", constatent-ils, "étaient - malgré le secret officiel du plan concret d'anéantissement élaboré au sein de l'O(ffice) C(entral de la) S(écurité du) R(eich) - déjà notoirement faux en des points essentiels. Ils n'étaient plus qu'un camouflage cousu de fil blanc". La décision judiciaire considère qu'"il doit avoir été difficile pour Ehlers également de ne pas reconnaître ces faits". A tout le moins, il était bien plus "plausible", pour un officier SS de son rang en poste à l'Ouest, de considérer à l'époque des faits "que toutes les personnes à déporter n'étaient pas réellement employées au travail".
4.3
Le plausible de l'officier SS
Wilhelm Harster, ancien chef de la police de sécurité aux Pays-Bas a apporté ce témoignage. Cet officier de haut rang - il avait été général d'armée SS - a relaté, comme Ehlers, un entretien avec Eichmann. Dans son souvenir, il eut lieu fin 1942/début 1943 chez le Commissaire du Reich à La Haye. La version officielle de la "mise au travail" y a aussi été avancée, mais Harster, quant à lui, n'a pas prétendu - à la différence de Ehlers - qu'il avait accordé foi aux explications officielles. Le tribunal supérieur du Schleswig-Holstein est d'autant plus enclin à retenir ce témoignage qu'Harster n'avait "plus de motif de faire des déclarations fausses pour sauvegarder ses propres intérêts".
Pour tardif qu'il ait été, le procès de la déportation des Juifs des Pays-Bas devant la Cour d'Assises de Munich, en 1966/l967 a été le premier épilogue judiciaire de la solution finale en Europe occidentale[216]. Et, il a, malgré les procès ultérieurs, conservé ce caractère exceptionnel[217]. Dans l'affaire K. Lischka, H. Hagen et E. Heinrichsohn devant la cour d'Assises de Cologne en 1979/l980[218] - procès de la déportation des Juifs de France - comme dans l'affaire E. Ehlers, C. Canaris et K. Asche, les inculpés, jugés ou non, ont systématiquement nié avoir à l'époque des faits connu le but réel de la déportation juive. Quel que ait été leur rang dans la pyramide des chefs SS, ils ont persisté dans cette défense invraisemblable en dépit des indices accumulés contre leurs dénégations. C'est à cet égard que le procès "hollandais" est tout à fait remarquable. Dans l'affaire W. Harster, W. Zoepf et G. Slotke, les principaux inculpés ont admis, encore pendant l'instruction du procès de Munich, ce qu'ils avaient, eux aussi, commencé par nier. Les aveux de Wilhelm Harster - ici, il faut le noter, il y a bel et bien aveu - sont les plus intéressants du point de vue historique. Ils recouvrent toute la problématique de la prise de conscience historique de l'événement en train de s'accomplir. A suivre Harster, ce général SS n'aurait pas été un témoin plus averti que tout un chacun en Europe occidentale. Berlin ne l'aurait pas informé de la façon dont les déportés des Pays-Bas seraient traités à l'arrivée. Mais, reconnut-il, "avec le temps (...), la composition des convois rendait plausible la supposition que toutes les personnes à déporter n'étaient pas réellement employées au travail". Selon l'ancien général SS, "il était bien plus vraisemblable que ces personnes inaptes au travail étaient transportées à l'Est pour périr plus ou moins rapidement". Dans sa déposition judiciaire, l'inculpé de Munich se fonde aussi - ce qui ne manque pas d'intérêt historique - sur "les émissions radiophoniques adverses". Selon ce témoin dont avait relevé tout l'appareil policier aux Pays-Bas, elles "ne cessaient d'affirmer que, à l'Est, les Juifs étaient tués en grand nombre et qu'il s'agissait non seulement des personnes provenant des territoires occupés à l'Est de l'Allemagne, mais aussi de celles de l'Ouest(sic)". Harster "essaya(...) d'abord de (s)e défendre contre l'évidence qui commençait à poindre: je considérais", explique-t-il, "comme plausibles les raisons d'un emploi des Juifs à l'Est pour le travail (nécessité d'entreprise de remplacement dans l'industrie menacée ou détruite en Allemagne de l'Ouest, irresponsabilité de gaspiller des trains pour des buts exclusifs d'extermination). Après un certain temps, j'ai dû cependant me rendre compte que les Juifs envoyés à l'Est allaient, dans leur ensemble, à la mort". Pour lui, "dès le commencement des premiers transports à l'Est, le sort des Juifs était devenu (...) une certitude"[219].
Le 15 juillet l942 - date du premier départ "hollandais" - et dans les semaines qui suivirent, une telle "certitude" ne pouvait reposer, comme le prétend l'ancien général SS en aveu, sur des informations "ennemies" relatives au sort des déportés de l'Ouest. Dans son témoignage judiciaire, Harster confond en une seule séquence les temps successifs de la prise de conscience. Ce qu'apprenait, en 1942, l'écoute des radios "adverses" - en particulier, l'émission de la BBC du 2 juin -, c'était "le lâche assassinat de 700.000 Juifs en Pologne"[220]. En Belgique, les servives d'Ehlers chargés de la répression des résistances pouvaient même en trouver la trace dans la presse clandestine. On y lisait à propos du sort des Juifs à l'Est que "par groupes entiers, ils sont supprimés par le gaz, d'autres sont abattus à la mitraillette". Les atrocités nazies à l'Est de l'Europe étaient connues depuis l'été 1941: Radio Moscou avait alerté le monde sur les massacres perpétrés dans les zones d'opérations des Groupes d'action de la police et de la SS et l'écho de ce génocide était parvenu dans les pays occupés de l'Ouest[221]. Peu après l'arrivée d'Ehlers dans la capitale belge, Le Drapeau Rouge clandestin y diffusait la note du commissariat du peuple aux affaires étrangères sur "les atrocités nazies dans les régions soviétiques occupées". "A Kiev", révelait l'organe communiste belge parmi d'autres nouvelles non moins macabres, "un pogrome organisé par les nazis a fait 52.000 victimes. Des Juifs amenés devant une tranchée ouverte furent massacrés à la mitraillette"[222]. Le Groupe d'action C qui opérait en Ukraine n'avait pas revendiqué autant de victimes: "à Kiev", annonçait le compte-rendu secret de la Sécurité du Reich en octobre 1941, "la totalité des Juifs furent arrêtés et les 29 et 30 septembre, 33.771 de ces Juifs furent exécutés"[223]. L'estimation soviétique gonflait le "pogrome" nazi de Kiev, mais pour excessive qu'elle ait été, elle n'ignorait pas l'ampleur du massacre ukrainien et, pour l'époque, cette connaissance était tout à fait remarquable.
En revanche, le sort des déportés de l'Ouest resta, quant à lui, un mystère. Encore en novembre 1943, ceux qui étaient le plus concernés par l'énigme n'osaient, dans leur for intérieur, trancher définitivement "la question angoissante". Les déportés étaient souvent des parents ou des amis. "Que sont devenus ces malheureux?", s'interrogeait un comité clandestin de défense des Juifs, à l'Ouest. Pour son organe Le Flambeau, il n'était "pas difficile de le deviner". "Le plus souvent", constatait-il, "on apprend des nouvelles tragiques: des fusillades en masse, des empoisonnement par les gaz, des attaques armées des ghettos en Pologne". Portant l'écho du génocide qui lui parvenait, l'organe de résistance juive ne s'aventurait néanmoins pas à "répondre à cette question angoissante" du sort des proches. "Personne", écrivait-il en cette fin de 1943, "ne saura (y) répondre". Fraternité, l'"organe de liaison des forces françaises contre la barbarie raciste" n'avait pas, à l'été 1943, cette réticence "belge" sur "le voyage vers l'Est où 50.000 Juifs de France ont été expédiés et où la majeure partie a déjà été exterminée"[224]. Dans la même mouvance, J'accuse dénonçait en juin "le plus abominable des crimes que l'humanité n'ait jamais connu" et avertissait que "par le feu et le fer, les bourreaux nazis achèvent l'extermination d'une population de 3 millions, en ajoutant de milliers de Juifs amenés de France, Belgique, Norvège et Hollande"[225]. L'information restait néanmoins tout aussi instrumentale en France qu'ailleurs. "Tout ce qui paraissait incroyable" devenait, selon les nécessités de la résistance, "terriblement vrai"[226] ou laissait aux "déportés dans les camps-bagnes allemands" un espace de vie pour "continue(r) la lutte (et) accélére(r) la fin de l'hitlérisme par le sabotage"[227].
Selon les nécessités de la guerre, l'information était chez les Alliés, sinon "étouffée", du moins minimisée. La déclaration interalliée - cosignée par les gouvernements de Belgique et des Pays-Bas ainsi que le comité français de libération nationale - parle toujours, à la fin de 1942, de "plusieurs centaines de milliers d'hommes innocents, de femmes et d'enfants", chiffre de victimes déjà divulgué en juin par le gouvernement polonais[228]. Le document dénonce tout autant le "gigantesque abattoir" qu'est devenu la Pologne occupée et "l'épuisement" des "plus robustes" aux "travaux forcés dans les camps, tandis que les plus faibles meurent de faim ou sont simplement massacrés". Mais les gouvernements constatent que "jamais, on n'a pu obtenir de renseignements sur les déportés". Leur condamnation publique de la "politique d'extermination" hitlérienne se fonde sur le seul "dessein plusieurs fois exprimé par Hitler d'exterminer le peuple juif d'Europe". Pourtant, cette déclaration du 17 décembre 1942 se référait à "de multiples informations parvenues de différentes sources européennes". Les Soviétiques, signataires du document, abandonnèrent la réserve diplomatique dans leur émission en direction de l'Europe occidentale. Radio Moscou reprenant la note du commissariat des affaires étrangères sur le traitement odieux des populations juives d'Europe fit état dans le détail, une semaine plus tard, des "données du congrès juif d'Amérique et (des) renseignements fournis par le gouvernement polonais". Le texte de l'émission du 24 décembre, retranscrit dans l'organe clandestin Radio Moscou, circula dans le ressort territorial de Ernst Ehlers, alors major SS. Ce qui y était divulgué, c'était rien moins que le "plan d'extermination totale" qui, signalait le journal clandestin, "prévoit la concentration de 4 millions de Juifs d'Europe, surtout en Pologne". Les informations diffusées précisaient qu'"on fusille les Juifs en masse. On les soumet à l'électrocution(sic)[229]. On les extermine par les gaz et, dans les camps de concentration, par l'acide prussique"[230]. Pour qui était disposé à l'apprendre, rien n'était ignoré à l'Ouest de l'Europe pendant le génocide en cours à l'Est, pas même le nom du gaz employé dans les chambres de mort d'Auschwitz.
Quoique l'information sur les crimes du IIIème Reich ne constituât pas un thème majeur de la propagande hostile à l'Allemagne nazie, la rumeur du génocide préoccupait ses services compétents. "En rapport avec le développement des travaux sur la solution finale de la question juive", avertissait la chancellerie du parti, le 9 octobre 1942, "la population de diverses regions du territoire du Reich se livre ces derniers temps à des discussions sur "les mesures très sévères" contre les Juifs, en particulier dans les régions de l'Est"[231]. Des antifascistes cherchaient à provoquer ces débats. Le journal du médecin SS d'Auschwitz en témoigne pour sa part. Moins de quatre mois après son retour à Munster, le professeur Kremer prend connaissance chez son cordonnier d'"un tract du parti socialiste d'Allemagne" qui avait été adressé à ce dernier. De cette lecture, "il ressortait", écrit l'ancien SS du "camp de l'extermination", "que nous avions déjà liquidé 2 millions de juifs par balle ou par gaz"[232]. Kremer l'a noté sans faire la moindre référence à son expérience d'Auschwitz. D'autres membres "de diverses formations engagées à l'Est" n'avaient pas, quant à eux, la discrétion du professeur de l'Université de Munster. "Il fut constaté", selon la chancellerie du parti, "que de tels exposés - déformés et exagérés dans la plupart des cas - provenaient de permissionnaires de diverses formations engagées à l'Est et qui avaient eu eux-mêmes l'occasion d'observer de telles mesures"[233].
Loin de dénoncer ces rumeurs comme un ignoble et scandaleux mensonge
proféré par des adversaires fanatiques, les autorités nazies ne les démentaient
pas. "Il ne s'agit pas d'une supercherie juive", annonçait bien
volontiers l'organe par excellence de l'antisémitisme hitlérien. Le Stürmer se référait aux révélations
suisses de L'Hebdomadaire Israëlite et
confirmait qu'"il est effectivement vrai que les Juifs ont "pour
ainsi dire" disparu d'Europe et que "le
réservoir juif de l'Est" d'où l'épidémie juive se répandait
depuis des centaines d'années sur les peuples européens a cessé d'exister"[234].
"L'extermination de la race juive en Europe" n'était pas
l'"affaire secrète du Reich" des archives nazies. C'était un
leitmotiv des grands discours commémoratifs du Führer et l'on pouvait s'y
référer pour comprendre la nécessité des "mesures très sévères" contre
les Juifs. Ce qui n'était pas à dévoiler, c'était les moyens d'y parvenir. Face
aux "rumeurs qui souvent prennent un caractère tendancieux", le parti
autorisait, dans ses instructions d'octobre 1942, à exposer qu'"il est
dans la nature des choses que ces problèmes, qui sont en partie très
difficiles, ne peuvent être résolus dans l'intérêt de la sécurité définitive de
notre peuple qu'avec une dureté sans ménagement". On pouvait savoir que
"les Juifs (...) transportés de façon courante à l'Est (...) sont soit
affectés au travail, soit emmenés plus loin à l'Est"[235].
Eichmann ne disait rien d'autre à ses interlocuteurs SS à propos de la
déportation des Juifs de l'Ouest, mais ses explications avaient, pour un
officier SS aussi averti qu'Ehlers, une résonnance particulière. La référence à
cet "Est" lointain était, dans son
cas, par trop explicite.
Chapitre V
Un "peu plus loin à l'Est" pas trop explecite
5.1. Une mesure de réchange
5.2. L'image d'horreur à l'est
5.3. L'objection de conscience?
5.4. Je l'ai connu trop tard
5.1 Une mesure de rechange
Le tribunal supérieur du Schleswig-Holstein connaissait, dans le texte pour l'essentiel, les explications d'Eichmann à l'intention des responsables des détachements de la Sécurité du Reich à l'Ouest. Le chargé des affaires juives de Paris, le capitaine SS Théodore Dannecker avait rédigé un compte rendu de la conférence du ll juin 1942 où lui avait été communiquée, ainsi qu'à ses collègues de Bruxelles et de La Haye, la décision fatidique d'entamer la déportation des Juifs de l'Ouest. Le document Dannecker était destiné à ses supérieurs hiérarchiques en France. Nommément, il mentionnait le lieutenant-colonel Kurt Lischka. Communication administrative à l'époque, la pièce d'archives a accusé, au procès de Cologne, l'ancien officier SS, principal inculpé de cette affaire "française". Le second destinataire du rapport Dannecker était le colonel SS Helmut Knochen, l'homologue d'Ehlers en France. Le nom de ce dernier n'y était évidemment pas cité, mais la pièce est tout aussi déterminante dans la décision judiciaire qui le concerne. Son système de défense lui interdisait d'en refuter le contenu. Le prévenu avait, pour exploiter l'argument de la "mise au travail", reconnu qu'à l'époque, son propre chargé des affaires juives lui avait - comme Dannecker à Knochen et à Lischka - rendu compte des résultats de la réunion chez Eichmann, le ll juin. Rapportées dans le texte de Dannecker, les explications d'Eichmann permettent aux magistrats du Schleswig-Holstein d'apprécier ce que Ehlers a pu, s'il en avait ignoré le sens réel, soupçonner de cette déportation imminente des Juifs de son territoire. A Berlin, Dannecker avait appris que "des raisons militaires s'opposent, cet été, au départ des Juifs d'Allemagne vers la zone d'opération de l'Est. Ainsi le Reichsführer SS a-t-il ordonné de transférer au KZ Auschwitz une plus grande quantité de Juifs en provenance de l'Europe du Sud-Est (Roumanie) ou des régions occupées de l'Ouest"[236]. Dans son raccourci, l'exposé d'Eichmman était lourd de sens, pour un homme de l'expérience d'Ehlers. "Il est impossible", estime la décision de le juger, "qu'il puisse attendre des indications plus claires de la part de (l'Office Central de la Sécurité du Reich) en ce qui concerne les déportations à l'Ouest". C'est qu'"il avait été dit", constatent les magistrats du Scheslwig-Holstein, "que la déportation vers Auschwitz était en même temps une mesure de rechange pour la déportation des Juifs dans les secteurs sous contrôle des Groupes d'action à l'Est". "Ehlers", acte le tribunal, "savait par sa propre expérience exactement ce que les commandos des Groupes d'Action "au théâtre des opérations de l'Est" faisaient avec les Juifs"[237]. Lorsqu'il vint prendre ses fonctions dans la capitale belge le 1er novembre 1941, le policier SS arrivait précisément du territoire soviétique occupé. Là, l'"image d'horreur" qu'affichait l'extermination n'était pas voilée comme elle l'était dans la "façon" d'Auschwitz.
5.2 L'image d'horreur à l'Est
Les archives nazies sont on ne peut plus explicites sur le sort des Juifs soviétiques. Dans les territoires occupés de l'U.R.S.S., "la police de sécurité avait", selon ses propres termes, "pour tâche fondamentale d'opérer une élimination aussi complète que possible des Juifs conformément aux ordres reçus. C'est pourquoi", ajoute-t-elle, "des commandos spéciaux (...) procédaient à des exécutions en masse tant dans les villes qu'à la campagne"[238]. Sa détermination "à résoudre la question juive par tous les moyens" est chiffrée, en 1941 encore, dans le rapport sur le nombre d'exécutions du Groupe d'action A[239]. Quatre mois à peine après le début des opérations, ce seul Groupe - trois autres opèraient également - totalisait déjà 135.567 victimes à la date du 15 octobre. 123.932 y sont désignées sous la rubrique "Juifs", les autres étant des communistes, parfois encore confondus avec d'autres Juifs. Le ressort territorial du Groupe A comprenait les Pays Baltes, mais il s'étendait aussi, au Sud, en Ruthénie blanche. Cette région "mise à part, 229.052 juifs ont été exécutés", annonçait le Groupe A à la fin de janvier 1942[240]. Le territoire excepté n'avait nullement été épargné. Le bilan y était tout aussi macabre: "41.000 Juifs ont déjà été fusillés. Ce travail", a soin de préciser le Groupe, "ne comprend pas ceux qui ont été fusillés à la suite des commandos d'action qui nous ont précédés". Ces derniers relevaient d'un autre Groupe, celui précisément où avait officié Ernst Ehlers, le Groupe B. Eux aussi, ils avaient communiqué leurs chiffres. Le 14 novembre 1941 - Ehlers était muté depuis un mois exactement - un document berlinois mentionne un bilan partiel du Groupe: 45.467 morts[241].
Si les archives nazies relatives au sort des Juifs de l'Est dévoilent en chiffres ce que la solution finale signifiait pour un ancien officier du Groupe B en poste à l'Ouest, elles révèlent aussi le sens très précis de l'"action spéciale" des SS. Le très officiel compte rendu des événements [survenus en] URSS n° 148 daté du 19 décembre 1941 donne le détail de celles du Groupe B. Ce document émanant du chef de la police de sécurité à Berlin n'a pas, quant à lui, la discrétion à laquelle est tenu un sous-lieutenant SS. Dans les notes quotidiennes du médecin d'Auschwitz, l'"action spéciale" demeure mystérieuse. Le journal de Kremer évoque bien, à cette occasion, des "scènes épouvantables" où l'on supplie "d'avoir la vie sauve", mais le texte reste, dans sa lettre, impénétrable quant à la façon de cette "extermination". Le document Kremer ne dit jamais comment sont disparus les 6.732 déportés d'Europe occidentale dont la trace s'est perdue aux dates de ses "actions spéciales". Le document berlinois, lui, parle, en clair. Dans le détail, il s'agit ici de rien moins que de "fusiller 5.281 Juifs des deux sexes, au cours d'une action spéciale" à Bobrouisk; non loin de là, à Paritschi, s'est déroulée une autre "action spéciale au cours de laquelle 1.013 Juifs des deux sexes furent fusillés". Toujours à la rubrique des "actions spéciales", le compte rendu signale encore que "le ghetto de Vitebsk fut évacué" et que "4.090 Juifs des deux sexes au total (y) furent passés par les armes"[242]. Selon un document antérieur relatif aux évènements d'octobre 1941, "la liquidation totale (restlosen liquidierung) des Juifs restants du ghetto de Vitebsk" avait débuté le 8 et, ajoutait le document utilisant un autre code que l'"action spéciale", "le nombre de Juifs soumis au traitement spécial s'élève à environ 3.000"[243].
Qu'il s'agisse des "actions spéciales" ou du "traitement spécial" appliqués aux Juifs soviétiques, les rapports de la police et de la SS chiffrent l'horreur; documents administratifs, ils ne la disent pas. Parfois, - ainsi, le rapport d'activité du Groupe A -, il leur faut reconnnaître "la rigueur exceptionnelle de ces mesures qui heurtaient même les sentiments allemands"[244]. C'est que trop souvent, "ces fusillades étaient publiques"[245]. Le "compte rendu que (il a) sous les yeux" l'apprend, en octobre 1941, à l'expert pour les affaires juives du Ministère du Reich pour les territoires occupés de l'Est: il s'agit ici d'"incidents" survenus à Vilna dans la zone d'opération du Groupe B. Dans celle du Groupe C, c'est l'Inspection de l'armement en Ukraine qui en témoigne: il lui faut dire en décembre 1941 que "l'action qui s'étendait aux hommes et aux vieillards, aux femmes et aux enfants étaient menée d'une façon affreuse". Consterné, cet organisme de l'armée s'imagine qu'"il n'y en a pas eu à ce jour de plus gigantesque dans l'Union soviétique par la quantité inouïe des arrestations, le nombre des exécutions atteignant facilement 150.000 à 200.000 juifs pour la partie de l'Ukraine contrôlée par le Commissariat du Reich, et ceci sans tenir compte des nécessités économiques"[246]. Les témoins allemands scandalisés qui ont laissé des traces écrites de l'horreur n'étaient nullement des opposants au régime nazi. Si, parfois, l'humanité proteste dans leurs écrits, ils ont tout au plus de la compassion pour la souffrance humaine. Ils étaient témoins - l'ancien commandant d'Auschwitz, Rudolf Hösz l'exprime fort bien dans ses mémoires - de "scènes qui serreraient le coeur de tout être susceptible d'éprouver encore un sentiment humain". Lui, il "devai(t) paraître froid et sans coeur devant (c)es scènes", il lui arrivait de ne pouvoir "même pas (se) détourner, lorsqu'une émotion qui n'était que trop humaine, s'emparaît de" lui. "Je devais", confie-t-il, "regarder avec indifférence les mères qui entraient dans les chambres à gaz avec leurs enfants qui riaient ou qui pleuraient". "Saisi de pitié, (il) aurai(t)", selon son témoignage d'après coup, "souhaité disparaître, mais il ne (lui) était pas permis de trahir la moindre émotion"[247]. Les lignes horrifiées écrites à l'époque de l'extermination n'expriment également aucune sympathie pour les victimes juives. Les témoins oculaires nazis ne protestent pas contre le principe de leur mise à mort. Ce qui les choque en dépit de leur nazisme, c'est la manière de la pratiquer.
Le témoin allemand de l'"opération contre les Juifs" de Sluszk en Ruthénie blanche, le 27 octobre 1941 "doi(t) dire, à (s)on profond regret qu'elle frisait de près le sadisme". Ce commissaire du territoire décontenancé en oublie la retenue de convenance devant l'"image d'horreur" que "la ville elle-même offrait (...) durant l'opération". Dans le crescendo de son témoignage, le fonctionnaire nazi rapporte maintenant sans détour qu'"avec une brutalité indescriptible, de la part tant des officiers allemands que tout particulièrement des partisans lithuaniens, les Juifs, mais aussi certains Blancs-Ruthènes étaient tirés de leurs demeures et rassemblés. Partout dans la ville, on entendait des coups de feu et dans différentes rues, les corps des Juifs fusillés s'entassaient"[248]. Cette image horrible que saisit le regard du témoin nazi au contact quasi-physique avec les cadavres explique la qualité historique de son témoignage. Sa personnalité est ici secondaire. En ce sens, la médiocrité du journal du médecin SS d'Auschwitz n'est pas seulement imputable à l'impassibilité clinique du professeur d'anatomie. Le docteur Kremer n'a toujours aperçu "le comble de l'horreur" qu'au spectacle des "scènes atroces devant le bunker". Ses notes d'"actions spéciales" ne saisissent pas l'atrocité de "l'extermination" à l'intérieur du local. Les déportés inaptes au travail y entraient, mais ils ne mouraient pas sous son regard. A la différence du commandant d'Auschwit, lui, il n'avait pas à se préoccuper de faire disparaître les cadavres retirés des chambres à gaz. Son témoignage ne couvre pas tout le processus du massacre d'Auschwitz.
Le témoin oculaire du massacre de Sluszk lui, non plus, n'a pas tout vu. Il n'a "pas assisté à la fusillade aux abords de la ville", là où la masse des Juifs étaient conduits, mais - à la différence de Kremer - il a été si impressionné par ce qu'il a vu à Sluszk même, qu'il lui a fallu aussi porter témoignage sur ce qu'il n'avait pas vu et qu'il savait le plus horrible. Dans ce compte rendu officiel à l'autorité supérieure, le fonctionnaire nazi ne s'autorise toutefois à ne "faire aucune déclaration à ce sujet. Mais il (lui) suffira de dire que parmi les personnes fusillées, certaines réussirent à se frayer un chemin et à sortir de leurs tombes peu de temps après qu'elles eurent été recouvertes de terre". L'image a épouvanté au plus haut point le commissaire général de la Ruthénie blanche recevant ce rapport. A son tour, Wilhelm Kube tint à faire connaître - mais à titre "personnel" - son sentiment au commissaire du Reich pour les territoires de l'Est. "Enterrer vivants des gens gravement blessés qui réussissent à sortir de leurs tombes est un acte tellement bas et malpropre que cet incident devrait être rapporté tel quel au Führer et au Maréchal du Reich", à Goering, estimait le dignitaire nazi[249].
Hilter n'était absolument pas disposé à accepter de telles récriminations qu'il préférait imputer à "la bourgeoisie". Décidé selon ses propres termes à "agir radicalement", il ne voyait pas, lui, "d'autre solution que l'extermination"[250]. Grâce au concours de sa chancellerie personnelle, les spécialistes de la "la question juive" venaient précisément de découvrir le moyen d'éviter de tels "incidents (...) au cours des fusillades de Juifs"[251]. Désormais, ils "ne seront plus tolérés et ne seront plus possibles", expliquait l'expert des affaires juives dans les territoires de l'Est, à la fin d'octobre 1941. Alfred Wetzel s'était entretenu avec le major SS Eichmann et il avait appris que "des camps sont prévus pour les Juifs à Riga et à Minsk où pourront être transférés même les Juifs de l'ancien Reich". Il savait aussi que "M. Brack, chef supérieur du service de la chancellerie du Führer, s'est déclaré prêt à collaborer à l'installation des baraquements nécessaires et des appareils à gaz". Le Général SS Victor Brack, attaché à la chancellerie personnelle de Hitler, était le chef de la commission de travail du Reich pour les établissement thérapeutiques et hospitaliers qui siègeait à la Tiergartenstrasse, 4 à Berlin. L'adresse a donné le code de l'opération T 4, à savoir l'assassinat systématique sous couvert d'euthanasie de dizaines de milliers de malades mentaux et de personnes impotentes de nationalité allemande[252]. Wetzel communiquait l'adresse du service Brack. Pour "la solution de la question juive", il fallait désormais faire appel - par la voie hiérarchique - à ses chimistes car "Brack estime qu'il sera plus facile de fabriquer ces appareils sur place plutôt que dans le Reich". "Le Major Eichmann, chargé des questions juives à l'Office Central de la Sécurité du Reich, (était) d'accord". En ce mois d'octobre 1941 - crucial pour le destin des Juifs de toute l'Europe -, l'expert des affaires juives à l'Est considérait, "à en juger par la situation actuelle", qu'"il n'y (avait) aucun scrupule à avoir pour liquider, selon la méthode Brack, les juifs inaptes au travail". Les autres seraient internés "dans les camps de travail", tandis qu'eux partiraient "vers l'Est"[253].
C'est le sens macabre de cette fameuse "déportation vers l'Est" considérée à l'Ouest dès 1942 comme "une mesure d'un autre caractère et plus sévère que le transfert habituel dans un camp de concentration"[254]. Le service d'Ehlers en avait été informé sous le sceau de secret. Certes, arrivé en Belgique en novembre 1941, l'ancien officier du Groupe B n'avait pas connu à l'Est les modalités de la "méthode Brack". En revanche, et de son propre aveu, il était pleinement conscient du caractère criminel de l'activité des SS à l'Est. A le suivre dans ses explications, cet officier SS aurait même été, pour tout dire, une sorte d'objecteur de conscience.
5.3 L'objection de conscience?
Selon son témoignage, c'est sa "conscience", en effet, qui lui aurait "interdi(t)" de "participer à l'extermination de personnes innocentes" dans la zone soviétique. En mai l941, peu avant l'attaque contre l'URSS, Ehlers avait bien été convoqué à l'Ecole de police de Pretzsch comme les autres officiers SS des 4 Groupes d'action en formation. Il venait de la Gestapo de Leignitz dont il était le chef depuis mai 1940. Universitaire comme Kremer, l'homme avait un tout autre profil que le professeur de l'université de Münster. Lui, il avait adhéré au parti dès 1928 à l'âge de 19 ans. Juriste de formation, il était entré en 1937 à la section juridique de la Gestapo du Reich et, deux ans plus tard, l'homme siègeait rien moins qu'au quartier-général du Service de Sécurité de la SS à la tête d'une des sections du département III. Les officiers SS convoqués à Pretzsch n'étaient pas les premiers venus. Les "tâches spéciales"[255] confiées au Reichsführer SS dans les territoires soviétiques à occuper appelaient des cadres de confiance. Selon Ehlers, les instructions données à l'école de police précisaient "que les Juifs russes étaient tous sans exception des fonctionnaires bolchéviks et donc "à liquider""[256]. Ces ordres, a-t-il néanmoins admis, visaient en réalité à la liquidation totale des Juifs. Et c'est précisément pour cette raison que lui, Ehlers, il aurait décliné le poste offert à la tête du commando d'action 8 du groupe B[257]. "J'ai été le seul(sic[258])", a-t-il même prétendu, "à refuser le commandement d'un commando car ma conscience m'interdisait de participer à l'extermination de personnes innocentes", à la "Vernichtung unschuldiger Menschen" selon les termes allemands de cette déclaration publiée dans un journal de Flensburg en 1975. L'année précédente, un non-lieu avait mis le terme final à la très longue instruction entamée ... douze ans auparavant à charge de l'ancien officier SS du Groupe B!
Son prétendu refus "de participer à l'extermination de personnes innocentes" mérite toutefois d'être évalué selon des critères historiques. S'ils font parfois le travail des historiens, les tribunaux n'appliquent pas leur méthode. Le témoignage de Ehlers sur son rôle dans les territoires soviétiques occupés n'échappe pas à la critique historique. S'il manque des sources d'époque relatives à son activité personnelle dans le Groupe B, ce qu'en dit après coup cet officier SS de haut rang est à évaluer selon les normes en vigueur à l'époque. Le critère obligé est ici le fameux discours de Himmler devant ses généraux réunis à Posen, le 4 octobre 1943. C'est dans cette circonstance qu'il leur avait rappelé que "la plupart d'entre" eux "sav(ai)ent ce que c'(était) que de voir un monceau de 100 cadavres, ou de 500, ou de 1.000". Il leur avait parlé "très franchement d(u) sujet extrêmement difficile" de "l'évacuation des Juifs, de l'extermination du peuple juif". Si "en public", ils ne devaient "jamais en parler", lui, il leur proclamait que "c'est une page de gloire de (leur) histoire qui n'a jamais été écrite et ne le sera jamais"[259]. C'est qu'elle était, dans le discours himmlérien, le banc d'épreuve de leurs "qualités". Les "mots" du Reichsführer SS étaient "très clairs" et "ne laiss(aient) aucun doute". Dans ce corps d'élite, l'"obéissance" des SS venait immédiatement après cette "fidélité" qui était leur "honneur". Il fallait, selon Himmler, que les chefs SS fussent "un exemple d'obéissance". Le lieutenant du Führer leur concédait "le droit et la responsabilité d(e) discuter" un ordre jugé erroné. "Dans la majorité des cas, l'ordre sera confirmé; il faut alors l'exécuter malgré tout". Ce principe d'obéissance ne souffrait aucune exception: l'ordre "doit être exécuté non seulement dans sa lettre, mais dans son esprit". Himmler accordait néanmoins au SS qui "ne peut prendre la responsabilité d'exécuter l'ordre donné" le droit "d'en être libéré". "On pensera", concluait-il sarcastique, "que les nerfs du subordonné ne sont plus en ordre, qu'il est devenu trop faible et on dira alors: "très bien, qu'il prenne sa retraite"". Une telle "faiblesse humaine" n'avait pas sa place dans la SS. La dureté était une composante de l'"honneur", vertu cardinale de l'Ordre noir. Dans cette "page de gloire" écrite avec le sang des Juifs massacrés, les SS s'étaient élevés en dignité. "Avoir passé par là, et en même temps, sous réserve des exceptions dues à la faiblesse humaine, être resté un honnête homme, voilà qui nous a endurcis", leur déclarait leur chef.
Himmler ne tenait pas exactement le même discours devant les dignitaires du parti. Trois jours plus tard, le 6 octobre toujours à Posen, il se livrait à de nouvelles confidences devant le "cercle restreint extrêmement réduit" des Reichsleiter et des Gauleiter. Le Reichsführer SS venait de leur exposer qu'"il a(vait) fallu prendre la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre". Et d'enchaîner que "ce fut pour l'organisation qui dut accomplir cette tâche la chose la plus dure qu'elle ait connue". L'aveu était, de sa part, une autre manière de présenter cette "page de gloire" qui ne devait "jamais" être écrite mais dont les initiés devaient être avertis au bénéfice de sa SS. L'extermination des Juifs, se plut à dire Himmler aux chefs nazis impliqués par ses confidences, comportait le risque de "devenir trop dur, (de) devenir sans coeur et (de) ne plus respecter la vie humaine". Dans le mythe himmlérien, c'était Charybde. Avec Sylla, le SS risquait de "devenir trop mou et (de) perdre la tête jusqu'à en avoir des crises de nerfs". "La voie entre Charybde et Scylla est désespérement étroite", voulut bien dire le chef des SS aux dignitaires du Reich. Mais, en dépit de ce double "danger pourtant réel", Himmler croyait "pouvoir dire que cela a été accompli sans que nos hommes, ni nos officiers en aient souffert dans leur coeur ou dans leur âme". Lui, le Reichsführer SS sur le point d'accèder au poste de Ministre de l'Intérieur du Reich, il appréciait cette "résistance nerveuse". S'il s'était ainsi ouvert "en petit comité" sur la grave décision de massacrer également les femmes et les enfants juifs, c'était précisément pour attester sa détermination d'"éteindre avec le pied le moindre petit feu et encore plus tous les feux de quelque importance". "Je ne me sentais pas en effet", confie-t-il aux chefs nazis, "le droit d'exterminer les hommes - dites si vous voulez de les tuer ou de les faire tuer - et de laisser grandir les enfants qui se vengeraient sur nos enfants et nos descendants"[260]. Cette détermination implacable dans l'"extermination des Juifs" était opposée à l'irrésolution du parti, dans le discours aux généraux SS. Himmler, soucieux de leur "gloire", inscrivait le point: "élimination des Juifs, extermination" dans l'inaltérable programme de 1920. Cette révision himmlérienne à rebours de l'histoire faisait dire à "chaque membre du parti" que "le peuple juif sera exterminé". Et dans cette relecture, chacun se plaisait à proclamer: "nous ferons cela. A la suite de quoi", continuait Himmler tout aussi sarcastique qu'à l'égard des "faiblesses" de ses hommes, "on voit arriver 80 millions de braves allemands, chacun avec son bon juif. Tous les autres sont des porcs, naturellement, mais leur juif est épatant. Pas un de ceux qui parlent ainsi n'a vu les cadavres, pas un n'était sur place"[261].
Dans cette glorification, le chef des tueurs apaisait aussi leur
ressentiment. Sur place, les choses ne s'étaient pas passées aussi bien que
Himmler le laissait entendre. Il leur était arrivé d'être en butte aux sévères
critiques de dignitaires locaux quand ils s'attaquèrent justement à leurs
"bons juifs". L'état-major personnel de Himmler ne l'ignorait pas. Il
avait été dûment informé sur l'incident qui avait opposé le commissaire général
de la Ruthénie blanche au lieutenant-colonel SS Strauch. Le 20 juillet, ce
dernier, récemment promu officier Ic de l'état-major de "lutte contre les
bandes armées", avait arrêté 70 Juifs "employés chez" Wilhelm
Kube et leur avait "fait appliquer le traitement spécial". Le
commissaire général n'était pas un obscur fonctionnaire civil du rang. Son
autorité s'exerçait sur un territoire trois fois plus étendu que la Belgique et
les Pays-Bas réunis. Kube considéra cette affaire "comme une attaque
dirigée contre sa personne" et, d'autorité, il somma le chef SS de
s'expliquer. Strauch éberlué "n'arrivai(t) pas à comprendre pourquoi des
Allemands se brouillent à cause de quelques Juifs". Il était outré des critiques du chef nazi à
l'égard de sa manière de procéder.
"Il était regrettable", écrivit-il textuellement, "qu'en
plus d'avoir à faire ce travail désagréable, nous dussions encore être
couverts
de boue". Kube lui aurait déclaré que "si l'Allemagne était perdue
de réputation dans le monde , c'était notre faute". Le rapport que
Strauch s'empressa de rédiger sur cet incident a bien soin de signaler que
Kube "n'admettait pas que le Reichsführer SS et le général de corps
d'armée von dem Bach fassent la loi jusque dans son commissariat général"[262].
Afin d'obtenir sa révocation, Strauch intervint aussi auprès de
Son jugement sur celui qui avait été son adjoint au temps des atrocités à l'Est était aussi fort sévère: à son point de vue, Strauch était "l'homme le plus abject qu'(il) avai(t) rencontré de (sa) vie"[265]. Lui, von Bach, il n'était pas resté impassible devant "les exécutions de Juifs qu'il avait lui-même dirigées et d'autres expériences à l'Est". En 1942, elles avaient ébranlé sa santé physique et morale. Il avait "souff(ert) en particulier de les revivre en imagination". Le chef des médecins de la SS l'avait expliqué à Himmler. Le Reichsführer SS inquiet avait dépêché Grawitz au chevet de von dem Bach hospitalisé[266]. La "résistance nerveuse" de Strauch n'a pas, quant à elle, subi une telle défaillance. L'adjoint de von Bach craqua seulement à Nuremberg. Dès le début du procès des Groupes d'Action de la SS et de la Police, il fallut l'hospitaliser à cause de ses crises convulsives épileptiformes[267]. Après sa condamnation à mort, la Belgique le réclama: Strauch y avait été muté en 1944. Selon Canaris dont il avait été l'adjoint pour la Wallonie, il laissait trôner sur son bureau à Liège bien en vue un "souvenir" ramené de l'Est dont il se servait en guise de cendrier: la moitié d'un crâne humain[268]!. Le détail achevait le portrait odieux de l'officier SS. Strauch se défendit. Ce chef SS ne s'était pas laissé séduire par Charybde ! "Ses ordres", protesta-t-il, "ne (lui) étaient pas dictés par une ivresse sanguinaire ou par un caractère pervers, mais ils (lui) étaient dictés par (s)es adversaires et ils étaient conformes aux ordres reçus". Il en prenait "encore maintenant", écrivait-il en 1947, "la responsabilité vis à vis de (s)a conscience et devant (s)es juges" belges[269].
Si le SS Strauch se défendit d'avoir, dans l'exercice de ses fonctions, succombé à la tentation de Charbyde, Ehlers, autre officier des Groupes d'action de la police et de la SS n'a pas plus cédé à Scylla. Les services d'Himmler ne l'ont précisément pas contraint à prendre sa retraite pour avoir décliné la responsabilité à laquelle il était appelé dans les territoires soviétiques à occuper[270]. Sa carrière a été sans faille. Capitaine au début de la guerre, il n'a pris sa retraite d'officier SS qu'à l'effondrement du IIIème Reich avec le grade de colonel. A son départ de Bruxelles, il rejoignit le Reich avec le titre d'inspecteur de la police de sécurité et du service de sécurité à Cassel. C'était une promotion. Sa mutation du Groupe B à la mi-octobre 1941 avait tout autant été une promotion. Il fut envoyé à l'Ouest, avec le grade de major SS et en qualité de délégué du chef de la police de sécurité du Reich auprès du pouvoir militaire d'occupation en Belgique et dans le Nord de la France, rien moins que le représentant personnel de Heydrich, le lieutenant d'Himmler pour les affaires de police[271]. La désignation atteste à tout la moins que l'officier SS n'avait démérité à l'Est. En mai 1941, son refus de prendre part à la tête d'un commando à l'exécution d'ordres contraires à sa conscience morale n'avait nullement été sanctionné. Au contraire! Ehlers fit partie de l'état-major du Groupe B: chef de sa section IV, la fameuse Gestapo. "Himmler était très indulgent à l'égard d'une telle "faiblesse". Il mutait à un autre poste celui qui ne pouvait pas supporter le contact direct avec l'extermination", souligne avec ironie J. Billig à l'attention du tribunal allemand cherchant à déterminer la responsabilité criminelle du prévenu Ehlers dans la déportation de Juifs de l'Ouest[272]. Dans cette affaire "belge", ce qui importait du point de vue judiciaire, ce n'était pas la part personnelle d'Ehlers dans cette "extermination de personnes innocentes" à l'Est. Les dénégations de l'ancien officier du Groupe B ne le servaient pas dans cette cause. "En sa qualité de chef de la section IV", constate la décision de le juger, "Ehlers avait à trier les rapports d'activités des commandos d'action et spéciaux du Groupe d'action B, il devait en faire lui-même des rapports qui devaient être retransmis à (l'Office Central de la Sécurité du Reich)"[273]. "Ces expériences en Russie" - Ehlers prétendait qu'elles n'étaient pas les siennes - ne l'autorisaient pas à se retrancher derrière l'argument de l'innocence dans l'affaire "belge". "Comme il l'admet en tout cas (...)", acte le tribunal supérieur du Schleswig-Holstein, "il savait du temps où il avait été en Russie que les Juifs y étaient tués en grand nombre".
Dans ce procès intermédiaire, les unes après les autres, ses assertions s'étaient écroulées. L'épreuve ne laissa à Ehlers aucun espoir de convaincre les jurés de la Cour d'assises dans un procès public. Les lenteurs de la procédure dont il avait exploité toutes les ressources jouaient maintenant contre sa cause. Si son propre procès tardait à s'ouvrir, l'affaire Lischka devant la cour d'assises de Cologne aboutissait, en février 1980, à la condamnation des anciens officiers SS responsables de la déportation des Juifs de France. Les chances d'Ehlers devant la cour d'assises de Kiel étaient désormais nulles. Le prévenu ne se fit plus la moindre illusion. Le juge en retraite avait alors 71 ans: il choisit de ne pas comparaître, en novembre 1980, devant ses paires du SchleswigHolstein, tous juges de la nouvelle génération. Son suicide privait de son principal inculpé le procès de la déportation des Juifs de Belgique. A l'ouverture des débats, le deuxième inculpé, Canaris fit aussi défaut. Il était malade et, pour ne pas encore retarder cet épilogue judiciaire fort tardif, son cas fut disjoint. Finalement, le seul accusé à comparaître fut l'ancien chargé des affaires juives à Bruxelles, Kurt Asche. Sa défense fut rien moins qu'une caricature. Le prévenu poussa le paradoxe jusqu'à nier avoir participé à cette déportation dont il prétendait évidemment n'avoir pas connu le but véritable.
5.4 Je l'ai connu trop tard
Dans cette affaire "belge" où le parquet allemand avait buté sur l'extrême rareté des archives provenant du détachement de la Sécurité du Reich dans la capitale belge, l'accusé fondait sa défense sur cette défaillance des sources historiques. "La reconstruction du passé est impossible de sorte que, aussi par défaut de documents, je n'ai pu répondre aux questions posées", expliqua Kurt Asche en guise d'excuse avant que la Cour ne se retire pour délibérer[274]. Sa déclaration finale rompait avec le mutisme dans lequel il s'était retranché pendant tout le procès. A ce stade, Asche, tirant un dernier avantage des lacunes du dossier, ne redoutait plus qu'on produise la moindre trace écrite lui attribuant nommément une connaissance personnelle du sens réel de la déportation juive. Bien conseillé, il commença par dire qu'il avait "ignor(é) le sort des Juifs". "Je l'ai connu trop tard, après la guerre", ajoutait-il et, surprenant son auditoire, il laissa tomber pour persuader le jury de sa bonne foi: "je porte depuis une faute morale et je la porterai jusqu'à la fin de mes jours"[275]. L'acte de contrition, tout calculé qu'il ait été, n'a pas eu l'effet souhaité. La cour d'assises de Kiel a condamné l'ancien officier SS des affaires juives dans la capitale belge pour "avoir contribué au meurtre d'au moins 10.000 Juifs"[276].
Dans cette estimation du génocide "belge", le verdict de Kiel est un épilogue judiciaire pour le moins étriqué. Pendant sa mission à Bruxelles - Kurt Asche y resta jusqu'en octobre 1943 -, les déportés avaient été nettement plus nombreux que le compte macabre du verdict allemand. Même la défense de l'accusé reconnaissait volontiers qu'"on a déporté à Auschwitz plus de 10.000 Juifs de Belgique" et qu'"ils y furent assassinés"[277]. De fait, le service dont Kurt Asche avait été l'agent le plus qualifié y avait acheminé, de son temps, 22.554 Juifs. Les deux tiers - au moins 15.099 - disparurent dès leur descente du train. L'autre tiers - interné, quant à lui - paya aussi un lourd tribut. A la libération des camps, à peine 632 déportés du temps de Kurt Asche étaient encore en vie. Dans ses comptes, la justice allemande défalquait de moitié la culpabilité criminelle du prévenu. L'accusation a seulement retenu, adossée au seul document d'époque impliquant personnellement l'inculpé, le chiffre de 10.000 déportés assigné à Asche pendant la conférence chez Eichmann, le 11 juin 1942. Le rapport de Dannecker chargeait l'accusé. Le document signalait, en effet, la présence du "chargé (...) des affaires juives de Bruxelles" à cette réunion où, précisait-il, "il a été convenu d'expulser (...) 10.000 Juifs de Belgique". Confronté à cette pièce pendant l'instruction, Asche a contesté qu'il ait eu une quelconque responsabilité dans l'exécution de la décision. Dans l'affaire Ehlers, il n'était pas le principal inculpé et il ignorait, tout comme le parquet, l'existence de pièces d'époque attestant son activité personnelle et effective dans cette déportation. Ces archives belges, produites pendant le procès, révèlent un chargé des affaires juives dans le plein exercice de ses compétences[278]. L'officier SS s'y montrait dans toute son arrogance. Le 23 octobre 1942 - selon le compte rendu daté de l'entretien -, il annonce au délégué du conseil juif le départ imminent des convois XIV et XV et, avec une arrière-pensée qui en disait long sur sa connaissance des choses, le cynique se plaisait d'annoncer que "l'évacuation concernera tous les Juifs se trouvant en Belgique et (qu') aucun de ceux-ci ne reviendra dans le pays"[279].
Devant ses juges, l'homme n'aura plus cette insolence. Tout penaud, il expliquera que son rôle avait été des plus subalternes, dès juillet 1942. Dans sa mémoire défaillante, le prévenu se souvenait parfaitement du moment. C'était, en effet, avant le départ du premier convoi pour Auschwitz, le 4 août. Dans cette "tentative de se disculper" - comme la qualifie le verdict de Kiel -, sa tâche purement administrative aurait consisté à mettre à jour des dossiers négligés. Le simplisme de l'argument donne la mesure du personnage. L'homme était un médiocre. Si sa carrière dans le service de sécurité de la SS avait débuté en 1935, il n'y gravit pas les échelons. Membre du parti depuis 1927, l'ancien petit employé de droguerie végéta dans le rang. A son arrivée en Belgique à la fin de 1940, il n'est toujours que sous-lieutenant SS. Chargé des affaires juives au siège central du détachement de la Sécurité dans ce territoire, il n'a pas dépassé le grade suivant. Ses collègues de Paris et de La Haye avaient une tout autre envergure. Théodore Dannecker est déjà capitaine à son départ de France au milieu de l'été 1942. Willy Zoepf, resté aux Pays-Bas, accéda au rang de major SS. Kurt Asche, lui, il ne conserva même pas son titre de lieutenant SS. Après sa mutation le 9 octobre 1943, le tribunal XXXII de la SS et de la police le condamna, en mai 1944, à un an et demi de prison, entre autres pour "pillage chez les Juifs". Ce fut la seule condamnation qui lui fut infligée du fait de la guerre jusqu'à son procès à Kiel, trente-cinq ans après.
La peine SS était légère en regard des colères bravaches de Himmler. "Quiconque prélève à son profit, ne serait-ce qu'un mark, est un homme mort", avait proclamé le chef des SS du Reich pas moins de cinq jours avant que ses services de Bruxelles ne limogent l'officier SS prévaricateur. Devant ses généraux, le Reichsführer SS justifiait cette impitoyable rigueur verbale en invoquant la "gloire" de ... l'"extermination" des Juifs. "Nous avions vis-à-vis de notre peuple le droit moral et le devoir de faire périr ce peuple qui voulait notre mort", explique Himmler ce 4 octobre 1943. "Mais nous n'avons pas le droit de nous enrichir, ne serait-ce que d'une fourrure, d'une montre, d'un mark, d'une cigarette ou de toute autre chose"[280]. Dans la capitale belge, ses agents les plus directement impliqués dans l'action antijuive n'avaient pas résisté à la tentation. La section "juive" de la police de sécurité abrita une véritable pègre de la solution finale jusqu'à ce que l'abcès fût crevé après la fin de l'été 1943[281]. L'ex-chargé des affaires juives de Bruxelles n'avait nullement été cet innocent fonctionnaire dont il s'appliqua à jouer le personnage devant la cour d'assises du Schleswig-Holstein. Ses dénégations ne la persuadèrent pas plus de lui accorder tout au moins le bénéfice du doute sur le point crucial de la cause.
Malgré l'absence de pièces d'archives, la cour s'"est convaincue que l'accusé apprit au plus tard au moment des premières déportations des Juifs de Belgique qu'ils étaient tués pour la plupart". Son refus de l'admettre est, selon son appréciation, une autre "tentative de se disculper". Aux yeux du tribunal, il "s'avère invraisemblable" qu'il ait ignoré les "rumeurs". "Comment l'accusé pouvait-il n'avoir eu aucun écho de tout cela?", s'étonne le verdict de Kiel. C'est qu'en effet, selon l'analyse allemande même de l'événement en cours, les bruits qui provenaient du génocide à l'Est de l'Europe interféraient dans son déroulement en Belgique. Le témoignage d'époque du représentant du Ministère des Affaires Etrangères du Reich auprès des autorités d'occupation à Bruxelles fixe ce point. Le baron Werner von Bargen découvrait le 11 novembre 1942 dans "les rumeurs d'exécutions (abschlachten)" la raison de l'insuccès de la tentative de rassembler les déportés sans contrainte policière[282]. L'explication de l'insubordination juive, pour sommaire qu'elle ait été chez le diplomate allemand, indique à tout le moins que les services concernés mieux informés prêtaient à ces "rumeurs" plus de crédibilité que les intéressés eux-mêmes. En tout cas, von Bargen rapportait dans ce télex des informations de source policière: "la police locale espère", télégraphiaitil encore à Berlin, "transporter 20.000 personnes d'ici la fin du mois d'octobre"[283]. A la fin de septembre - et selon les termes du télex, "15.000 hommes, femmes et enfants ont été déportés vers l'Est". Ce bilan de l'année 1942 n'a pas non plus été pris en compte dans le verdict contre Kurt Asche. Ce qui lui importait, c'était ce que l'accusé pouvait concevoir du destin des 10.000 Juifs qu'Eichman lui avait, le 11 juin, imparti de déporter. Les "rumeurs" du télex de von Bargen démentaient ses allégations sur ce point crucial du procès. "D'autant plus", estime le jugement, "que le responsable des affaires juives en Hollande, Zoepf, était lui aussi tout à fait au courant des choses".
L 'aveu de l'ancien collègue "hollandais" de Asche est moins
explicite que celui de Wilhelm Harster. Sa position judiciaire a aussi été
plus délicate. Les ordres de Berlin passaient par le supérieur hiérarchique,
mais ils étaient exécutés au niveau du chargé des affaires juives. Dans
leur fonction, un Wilhelm Zoepf à La
Haye, un Kurt Asche à Bruxelles ou un Théodore Dannecker à Paris officiaient
dans leur ressort territorial respectif comme autant de sergents-majors de la
solution finale. Ils étaient le chaînon indispensable du passage à l'acte
dans la mécanique du génocide. C'est leur intervention personnelle qui
précipita les Juifs vers le massacre. Zoepf a, comme Kurt Asche, d'abord nié
l'avoir su, mais lui, il a fini par admettre qu'il "avai(t) des
appréhensions
quant à l'assassinat final des Juifs comme aboutissement des mesures prises,
contre eux, surtout celle de la déportation et (...) par conséquent",
a-t-il concédé, "je le considérais comme possible"[284].
La lecture de sa déposition n'a pas rompu le mutisme de l'accusé de Kiel. Le
tribunal n'en a pas moins conclu qu'"il serait naïf d'admettre que
(Zoepf) n'ait pas informé l'accusé (qui de plus était un ami) de l'objectif de
cet entretien chez Eichmann auquel ils se sont rendus ensemble, ainsi que du
sens et du but de la solution finale comme l'affirme Dannecker". Le
chargé des affaires juives de Paris ne s'est jamais expliqué devant la justice[285],
mais ses rapports d'époque - et ils sont on ne peut plus explicites - ont
témoigné
à charge des accusés dans maints procès de criminels nazis. C'est que, dans
ces sources documentaires nazies de la solution finale, "Dannecker appelle
les choses par leur nom, ce qui dans les autres documents se laisse seulement
deviner entre les lignes". Ce commentaire est de la Cour d'assises de
Cologne. Les documents Dannecker l'intéressaient au plus haut point. C'est elle
qui condamna l'un des officiers SS à qui ces pièces étaient nommément
destinées[286].
Dans l'affaire du chargé des affaires de Bruxelles, il est aussi apparu
"clairement de l'observation faite par Dannecker, le 13 mai 1942 que les
Juifs étaient exterminés". Le tribunal de Kiel a pu "déduire des
formulations employées qu'il s'était engagé pleinement et de toute sa
personne dans les
actions et qu'il parlait du but véritable de la déportation (malgré le secret
universellement de rigueur) avec les membres d'autres bureaux qui n'y
participaient pas directement. Dannecker exerçait la même fonction que Asche.
Il venait aussi du service de sûreté et disposait des mêmes sources
d'information,
ce qui laisse entendre qu'il avait les mêmes informations que lui
(...)". Dans le verdict le condamnant pour avoir agi en connaissance de
cause dans la déportation des Juifs de Belgique, il est "évident que
Asche fut informé au plus tard durant l'entretien chez Eichmann", le 11
juin 1942 à Berlin, date fatale dans la solution finale à l'Ouest de l'Europe.
Cette évidence judiciaire est une autre manière d'appeler les
choses par leur nom dans le massacre des Juifs d'Europe occidentale
à leur arrivée à Auschwitz.
Chapitre
VI
Appeler les choses par leur nom
6.1. "L'extermination totale"
6.2. Les 100% de l'officier SS
6.3. En raison du secret
6.4. L'anéantissement revue et corrigé
6.5. L'action spéciale du témoin oculaire
6.6. Le fait capital
6.1 "L'extermination totale"
Les documents Dannecker occupent la toute première place dans la série macabre des sources documentaires nazies les plus explicites sur le massacre des Juifs ouest-européens. Le journal du médecin SS d'Auschwitz est daté du lieu de "l'extermination" et le télex d'avril l943 accompagne sa réputation "inquiétante" jusqu'à l'Ouest. C'est ce circuit sinistre dont Dannecker à Paris annonçait l'ouverture fatale au printemps 1942. L'officier SS en charge de la déportation juive y dévoile son sens réel: sans les précautions de langage habituelles, la lettre du texte parle en clair de "l'extermination totale", en allemand "restelose Vernichtung". Cette pièce d'archives datée du 15 mai 1942 fait état de l'entretien du chargé de Dannecker, le 13, avec le lieutenant-général Kohl. Pendant une heure et quart, le SS a exposé à cet officier supérieur de la Werhmacht "une vue d'ensemble sur la question juive et la politique concernant les Juifs en France". Très satisfait, le policier nazi de Paris a "pu constater qu'il est un adversaire sans compromis des Juifs et qu'il approuve à 100 % une solution finale de la question juive ayant pour but l'extermination totale de l'adversaire"[287]. Le propos est tout-à-fait remarquable. Joseph Billig, l'analysant dans La solution finale, essai sur ses principes dans le IIIème Reich et en France sous l'occupation souligne combien "la conclusion que le général [Kohl] a tirée des longues explications de Dannecker (...) est sans équivoque. Le principe de l'anéantissement sans reste (restlose Vernichtung) de la population juive est posé et les déportations à l'Est sont organisées précisément pour cette extermination totale, "sans reste"". Si, ajoute l'historien français, "les moyens d'extermination ne sont pas précisés (...), l'expression en question ne laisse place à aucune équivoque. Celui qui dit qu'une armée ennemie a été anéantie, détruite, n'affirme pas forcément, du même coup, que tous les hommes qui la composaient ont été tués. Sans conclure à une telle éventualité, il entend exprimer seulement que la troupe ennemie a été liquidée en tant qu'organisation de combat. Mais l'expression "la destruction de l'ennemi sans reste" n'offre pas cette liberté d'interprétation. Elle précise bien qu'il n'y a pas survivants dans l'armée détruite en tant que telle"[288].
L'analyse de Billig est pertinente, mais datant de 1977, elle sera, onze ans après, démentie sur un seul point. C'est qu'on peut fort bien, dans un discours sur l'histoire, s'accorder la liberté d'interpréter tout autrement la déclaration du militaire allemand. "Ce général est pour l'anéantissement de l'ennemi", il n'y là pour Faurisson en 1988 "rien que de banal"[289]. Dans sa négation des exterminations, il lui a aussi fallu répondre à l'objection Dannecker. Le "révisionnisme" n'y lit rien qui l'obligerait à réviser ses négations. Dans cette relecture, Faurisson a découvert "une très grave troncation" dans la citation du document de l'officier SS de Paris. D'innocents points de suspension y laisseraient "croire que le Général Kohl était un partisan d'un anéantissement physique des Juifs alors qu'il s'agissait d'un anéantissement de leur influence "comme de celui des églises politiques""[290]. Les guillemets "révisionnistes" sont, en l'occurrence moins innocents que les points de suspension. Ils n'authentifient aucunement la propre citation de Faurisson. Dans le texte de Dannecker, le lieutenant-général Kohl n'a jamais comparé l'"extermination" (Vernichtung) "de l'adversaire" juif avec l'anéantissement de l'influence politique des Eglises. Tout heureux de l'excellente compréhension du militaire allemand, l'officier SS avait seulement noté qu'"il se montre aussi un adversaire des églises politiques". C'est que, dans ses confidences, le chargé des affaires juifs avait informé son interlocuteur étranger aux affaires de police politique des autres activités de la section dont il relevait. Dans la police nazie, il n'y avait pas à proprement parler une section "juive". La côte "IV J" qui identifie les rapports de Dannecker signifie qu'il était, dans la section "IV" du service parisien de la Sécurité du Reich, le réferendaire compétent pour les questions juives. Le "IV J" d'usage à Paris correspondait, à Berlin, au "IV B 4" de Eichmann. Cette côte figure sur le compte rendu, contresigné par Dannecker, de son entretien avec Eichmann à Paris le ler juillet 1942 sur l'"imminente évacuation de France"[291]. A l'Office central de la sécurité du Reich comme dans ses détachements opérant à l'Ouest, le "B" designait les "adversaires idéologiques". Chacun avait son référendaire qualifié, à l'exception des communistes relevant de la section IV A. Dans la IV B, le chargé des affaires juives formait équipe avec les officier SS compétents, l'un pour "les Eglises et sectes", l'autre pour la "Franc-Maçonnerie"[292]. Cette cohabitation n'impliquait pas qu'ils poursuivaient, chacun dans son secteur d'activités, un objectif identique. Des explications de Dannecker sur le combat contre les Eglises politiques, le lieutenant-général Kohl n'avait absolument pas pu conclure le 13 mai que celui contre le judaïsme aboutirait au même résultat. Dannecker ne lui avait demandé aucun train pour déporter les adeptes des Eglises politiques!
Le propos que l'officier SS prête au lieutenant-général Kohl est à situer dans le contexte de la déportation. Le document qui rapporte l'entretien a pour "objet": l"'affectation de matériel roulant pour les transports juifs". L'officier supérieur de l'armée n'est pas un général qui livrerait des combats sur les champs de bataille. Son état-major s'occupe des chemins de fer, et ce, en dehors de toute opération dans la zone de guerre. L'attribution de trains pour déporter hors programme un contingent de 5.000 Juifs dépendait du chef de l'unité des transports ferroviaires du Reich installée à Paris. Le 13 mai, Eichmann n'avait pas encore réuni les chargés des affaires juives de l'Ouest pour leur communiquer la décision d'entamer la déportation dans leur ressort territorial respectif. Berlin avait autorisé Paris à anticiper le mouvement avec un premier contingent, pour autant que Dannecker réglât sur place la question des trains. Cette nécessité où il s'est trouvé de négocier avec le lieutenant-général Kohl rend compte de l'originalité du compte rendu rédigé après l'entretien: pour lever les obstacles bureaucratiques, Dannecker a sondé ses dispositions et le sentant réceptif, lui a délibérément dévoilé le but réel des déportations. Ce militaire de haut rang était si compréhensif qu'il devançait la modeste requête du SS. Selon Dannecker, il lui "a déclaré littéralement (...): "si vous me dites, je veux transporter 10.000 ou 20.000 Juifs à l'Est, vous pouvez comptez dans tous les cas que je mettrai à la disposition le matériel roulant nécessaire et les locomotives". Le concours que cet officier supérieur de l'armée était prêt à apporter à la "solution finale" atteste bien jusqu'à quel point l'homme était cet "adversaire sans compromis des Juifs". Il l'était tout autant que l'officier SS. A travers ce compte rendu, Dannecker lui prête ses propres dispositions. Vieux routier de l'action antijuive, le SS en poste à Paris était dans son zêle bureaucratique, un fanatique "à 100%".
6.2 Les 100% de l'officier SS
L'antisémitisme frénétique de Dannecker invite à lire ses textes avec prudence. Ses compte rendu ne sont pas les plus fidèles. Son fanatisme ne l'incline pas seulement à rompre les consignes de secret dans ses écarts de langage. Cet officier SS manipule aussi les décisions pour s'attribuer le rôle principal dans l'action antijuive. Selon son texte, la réunion du 11 juin chez Eichmann aurait fixé la première vague de déportation vers le "KL Auschwitz" à 100.000 Juifs de l'Ouest. Dans le détail, le gros du travail revenait ... à la France. Dannecker laissait une part incongrue à son collègue de La Haye. Dans ses comptes, Zoepf n'avait à déporter que 10.000 Juifs, soit le contingent attribué au chargé des affaires juives de Bruxelles. Les chiffres d'Eichmann établissaient pourtant une tout autre répartition des tâches. Le nombre de Juifs des trois pays à acheminer à Auschwitz était fixé à 90.000 et les 2 référendaires "juifs" en compétition avaient obtenu une part égale: 40.000 pour Zoepf et tout autant pour l'impatient officier SS "français"[293]. Dannecker s'était, dès 1941, préparé avec empressement à ce "temps utile" de la déportation où il allait enfin pouvoir, selon ses propres termes, "agir avec une efficacité à 100 %"[294]. Membre depuis 1937 du service de sécurité de la SS où il avait été le collègue d'Eichmann dans les affaires juives, l'homme anticipait toujours les décisions. Dans son acharnement antijuif, le nombre exact à déporter n'avait pas d'importance[295]. Ce qui comptait, à ses yeux - comme à ceux d'Eichmann non moins empressé -, c'était que les trains roulent et livrent leur contingent aux camps d'extermination. Dans sa conception raciste, l'"adversaire" juif à détruire n'était pas une idéologie. Le racisme nazi ne fait pas la différence entre les Juifs et le judaïsme. Pour cet officier SS, c'était des êtres physiques, biologiques, des personnes qui étaient les sujets de l'"extermination totale". Dannecker a exprimé cette radicale volonté de génocide dans un autre document. L'officier SS y parle à nouveau de la "restelose Vernichtung" sans plus faire la moindre référence à la lutte contre le catholicisme "politique". Les termes utilisés sont ici on ne peut plus univoques. Dannecker était si imprégné de sa résolution meurtrière qu'il s'imaginait que tout un chacun devait immédiatement la décrypter dans les mesures pratiques prises en France. Trois jours après le début - le 17 juillet 1942 - de la grande vague de déportation de ce pays, Dannecker exposait au colonel Knochen que "le judaïsme mondial se rend clairement compte que les Juifs qui se trouvent dans les zones de domination allemande s'acheminent vers leur extermination totale", en allemand "ihrer restlosen Vernichtung"[296].
Le commentaire de Billig sur "l'extermination sans reste de
l'adversaire" cite également cet autre document du 20 juillet. La
référence s'imposait à un historien scrupuleux. L'acharnement de Dannecker rend
compte de la conclusion sinistre que le lieutenant-général Kohl avait tirée de
son exposé, le 13 mai. A l'inverse, la référence à l'hostilité de ce dernier
aux "Eglises politiques" n'ajoute rien à son adhésion totale à
l'extermination des Juifs. A bon droit, Billig avait jugé tout a fait incongru
de l'introduire dans une expertise sur la connaissance du sens réel de la
"solution finale" par l'un des inculpés du procès de Cologne. Comme
il se doit, il signalait l'omission des "Eglises politiques" par le
signe typographique conventionnel. Dans son obsession démystificatrice, la
lecture "révisionniste" s'est emparé des points de suspension. Ils se
prêtaient, en faisant abstraction du contexte historique, à insinuer le soupçon
d'une "très grave troncation"[297].
Sur sa lancée, Faurisson a voulu laisser croire à son lecteur que du côté des
historiens de la solution finale, "chacun a pu ainsi dire: "voilà
enfin une preuve de la volonté d'extermination. La seule preuve à vrai dire"".
L'érudition plus que sélective de l'universitaire "révisionniste"
fait l'impasse - et sciemment - sur le
deuxième document de Dannecker. Faurisson ne l'ignorait pas. Billig s'y
référait exactement 25 lignes après ces "points de suspension" si
suspects au regard borgne du "révisionnisme". Le Mémorial
de la Déportation des Juifs de France de
Ces procès de la solution finale à l'Ouest de l'Europe ne conviennent pas au discours du "révisionnisme". Ils n'entrent pas dans le schéma qu'il applique aux procès d'après 1945. Faurisson s'est ému du "drame de ce type d'accusés allemands"[298]. Il l'a volontiers comparé "à celui des sorciers et des sorcières du Moyen Age". On accusait les sorcières d'avoir eu commerce avec un diable qui n'existait pas. "La plupart du temps", explique Faurisson, elles "ne pouvaient pas croire aux faits qui leur étaient reprochés, mais elles partageaient ou affectaient de partager avec les juges-accusateurs la croyance au diable". Des procès médiévaux aux procès des SS, le "révisionnisme" saute allégrement le pas. Avec ses guillemets d'inexistence, la "chambre à gaz" vient y relayer le mythe diabolique. Et comme dans les procès de sorcellerie, "l'accusé allemand, lui, s'efforce de démontrer qu'il n'avait rien à voir avec les "chambres à gaz"". L'argument "révisionniste" ne fonctionne pas avec les anciens officiers SS en poste à l'Ouest. Poursuivis pour complicité d'assassinat, ils sont tout penauds. Ils n'ont pas à ruser, comme les sorcières pathétiques de Faurisson avec la "façon" diabolique d'Auschwitz. Dans les procès "occidentaux", l'assassinat des déportés par le gaz définit seulement le caractère "abject", "perfide" et "cruel" du crime dont les complicités sont jugées. Le verdict de Kiel déclarant l'ancien lieutenant SS de Bruxelles "coupable d'avoir contribué au meurtre d'au moins 10.000 Juifs" a estimé que "le massacre des Juifs dans les chambres à gaz d'Auschwitz, planifié et exécuté par les dirigeants nazis pour des raisons de haine raciale fanatique, au mépris de tout principe d'humanité, a été effectué pour des motifs abjects". Et d'ajouter que "la mise à mort des Juifs dans les chambres à gaz était horriblement sournoise et cruelle. Dans la mesure où ils n'étaient pas sélectionnés pour le travail, les juifs arrivant dans des trains de marchandises, étaient conduits dans les chambres à gaz; les nazis abusant de leur confiance et du fait qu'ils étaient sans défense, les faisaient mourir à la suite d'horribles souffrances provoquées par l'absorption de gaz toxiques. Cette manière de tuer dictée par un système inhumain, brutal et impitoyable n'en était que plus cruelle"[299]. Cela dit, la Cour d'assises allemande n'a pas condamné Kurt Asche comme auteur du crime abject, cruel et perfide. Dans l'épiloque judiciaire de la solution finale à l'Ouest, l'ancien officier SS qui acheminait les convois vers Auschwitz passe en jugement pour autant qu'"il y (ait) suffisamment d'éléments pour considérer qu'(il) a compté avec la possibilité qu'une grande partie des déportés serait mise à mort"[300]. Il n'est même pas requis de démontrer que l'inculpé était "informé en détail sur l'exécution technique". Dans la décision contre Ehlers, le tribunal supérieur du Schleswig-Holstein a constaté qu'"il manque des données concrètes pour affirmer qu'il savait que les déportés étaient pour la plupart tués au gaz toxique à Auschwitz. Cependant, cela n'exclut pas que les mises à mort étaient perfides et cruelles. La perfide", explique la décision judiciaire, "ressort sans aucun doute du télex déja cité à plusieurs reprises de (l'Office Central de la Sécurité du Reich) du 29 avril l943 par lequel il était à nouveau insisté auprès du service d'(Ehlers) qu'il y avait lieu de faire en sorte que les victimes arrivant à Auschwitz ne se doutent de rien et soient sans défense. La cruauté de la mise à mort ressortait déjà de la façon dont les Juifs furent déportés vers l'Ouest"[301]. Cette lecture judiciaire du télex d'avril l943 s'attachait à ce que la pièce d'archives révélait de la notoriété sinistre d'Auschwitz parmi les policiers SS impliqués à l'Ouest dans le processus d'extermination. La référence aux "travaux urgents" du camp et leur relation avec la "répartition ultérieure" des déportés n'apportait rien de décisif à la cause. La "façon" d'opérer à Auschwitz n'y était pas dévoilée. Une lecture historique des sources documentaires relatives au massacre des déportés de l'Ouest ne saurait, quant à elle, ignorer leur discrétion à ce sujet. Le silence est aussi un témoignage en histoire. Et ce, d'autant plus que les archives nazies les plus autorisées dévoilent, quant à elles, la "raison du secret"
6.3 En raison du secret
Les SS affectés aux camps d'extermination étaient dûment informés que "les faits et circonstances relatifs au transfert de la population juive constituent un secret d'Etat"[302]. Ils s'engageaient - et par écrit - à ne "faire, en aucune circonstance, de communication (...) sur le cours, la réalisation et les circonstances du transfert de la population juive, que ce soit par écrit ou oralement". Peu avant l'arrivée du docteur Kremer à Auschwitz, c'était le cas aux camps de Treblinka, Sobibor et Belzec. Ils n'étaient pas situés comme Auschwitz dans la partie de la Pologne incorporée au Reich. Ils relevaient du Chef supérieur de la SS et de la Police du district de Lublin, Odilo Globocnik. Ces camps sont comme Auschwitz des camps d'extermination. "On y emploie un procédé assez barbare", actait le 27 mars 1942 Goebbels dans son journal intime et ce dirigeant du IIIème Reich n'osait en confier le "détail" même à ce confident[303]. Le procédé, lit-on dans cette note, n'était "pas (à) décrire en détail". Le Reichsleiter de la propagande nazie actait pour mémoire que "les Juifs du Gouvernement général sont refoulés vers l'Est, à partir de Lublin" et qu'avec le "procédé assez barbare" utilisé, "il ne reste pas grand chose des Juifs. En gros 6O % doivent être liquidés et 4O % peuvent être utilisés à des travaux". Le ministre de la propagande et de l'information du IIIème Reich notait encore que Globocnik, "l'ancien Gauleiter de Vienne qui dirige cette action le fait avec assez de circonspection et en employant des procédés qui n'attirent pas trop l'attention".
Goebbels n'en disait pas plus sur la "méthode Brack" utilisée dans les camps du Gouvernement Général en Pologne. Le Général SS Brack attaché au personnel de Hitler avait "depuis déjà longtemps" et "sur instructions du Reichsleiter Bouhler", le chef de la chancellerie du Führer, "mis une partie de (ses) hommes à la disposition du Général de Brigade Globocnik pour l'exécution d(e cette) mission spéciale". Victor Brack le rappelle à Himmler, le 23 juin 1942, en lui signalant qu'il venait encore de "détacher d'autres effectifs en réponse à une nouvelle demande de sa part. A cette occasion", insiste Brack, "le général de brigade Globocnik a souligné qu'il fallait exécuter le plus vite possible toute l'opération juive afin qu'on ne reste pas embourbé au milieu de l'opération si quelque difficulté venait à en rendre l'arrêt nécessaire". Brack insistant sur ce risque, se souvenait de ses propres déboires dans l'action T4. Il avait fallu interrompre le massacre euthanasique des malades mentaux suite aux remous provoqués par la plainte de l'évêque de Munster auprès du procureur de la république du Tribunal régional. Dans son sermon en l'Elise Saint Lamberti à Munster, Clemens von Galen avait, le 3 août 1941, rappelé aux "Allemands et Allemandes le paragraphe 211 du code pénal (...) toujours en vigueur" dans le IIIème Reich nazi. Il stipulait que "celui qui tue un homme avec préméditation sera puni de la peine de mort". Selon l'évêque, "c'est probablement pour protéger de l'application de cette loi ceux qui tuent avec préméditation que l'on déporte au loin ces pauvres gens (...) destinés à la mort" et que "les cadavres sont immédiatement incinérés"[304]. Les services SS appliquant désormais la "méthode Brack" aux Juifs n'avaient pas manqué de tirer les leçons de l'expérience. Dans sa lettre à Himmler, Bracke signale précisément que le Reichsführer SS en personne avait "déjà exprimé en son temps", écrit-il, "la nécessité de travailler aussi vite que possible en raison du secret"[305].
Tous les SS impliqués dans la "mission spéciale" dont parlait le père de la "méthode Brack" étaient soumis à cette double contrainte. A Auschwitz aussi, ils recevaient, dès leur affectation, "des instructions à caractère très secret". Le journal du sous-lieutenant SS Kremer le signale le jour de son arrivée. Sa note du 3O août n'en dit pas plus[306]. Les autres notes ne dérogent pas à cette discipline du secret. Sa chronique des "actions spéciales" et les rares commentaires sinistres qui la ponctuent ne dévoilent jamais la "façon" d'Auschwitz. Les confidences du médecin SS ne vont pas au-delà du "camp de l'extermination". Cette note du 2 septembre - on le sait - confirme que le secret n'était pas toujours respecté. A Auschwitz, la direction du camp n'ignorait pas de tels manquements. Le télex d'avril l943 en porte témoignage. Cette pièce émanant de la Sécurité du Reich indique bien que c'est "le camp d'Auschwitz" qui "réitére sa demande de ne pas faire (...) la moindre révélation inquiétante". Les "instructions à caractère très secret" que le capitaine SS Kurt Ulhenbrock communique à Kremer, dès son arrivée, témoignent tout autant de cette préoccupation. Le contenu exact n'en est pas connu. Les lacunes des archives n'autorisent toutefois pas à conclure à la manière de Faurisson qu'"il n'y a lieu de spéculer (sic) sur des instructions "très secrètes" dans quelque armée que ce soit et surtout à Auschwitz dont toutes les activités devaient être en principe tenues secrètes à cause notamment de son importance pour l'industrie de guerre et pour la recherche scientifique"[307]. Au demeurant, ces "instructions à caractère très secret" du journal ne seraient pas si secrètes dans la "révision" des notes de Kremer. Dans sa lecture de la première "action spéciale" du médecin SS, Faurisson les réduit à quelque conseil d'ordre professionnel de son collègue le capitaine-médecin SS Uhlenbrock. Ce 2 septembre 1942, écrit-il, "le Dr. Kremer se rappelle ce qu'on lui avait dit de ce camp. On lui avait dit, soit quand il a reçu son affectation (...), soit quand il est arrivé, soit quand le médecin de la garnison (Dr. Uhlenbrock) lui avaient remis ses instructions, qu'Auschwitz était appelé "le camp de l'anéantissement"(sic)". Et Faurisson pour qui "il n'y a lieu de spéculer" n'avance pas moins que "si on lui avait dit cela, c'était probablement à la fois pour le prévenir de la tâche qui l'attendait et pour le mettre personnellement en garde contre les dangers qu'y courrait sa propre santé". En passant, cette relecture du témoignage nazi sur Auschwitz en a évacué tout à la fois l'extermination et son caractère très secret. "Le camp de l'anéantissement" du journal de Kremer n'a pas dans la traduction du professeur de lettres de l'Université de Lyon II le sens que lui donnent les historiens.
6.4 L'anéantissement revu et corrige
Tout comme Faurisson dont l'interprétation est, à son estime et pour s'en tenir au seul aspect philologique, un "contresens", Pierre Vidal-Naquet lit également "le camp de l'anéantissement" dans la note du 2 septembre[308]. Le texte de l'édition en langue française du Musée d'Oswiecim traduit "Vernichtung" par "extermination". La traduction est tout a fait appropriée. Le terme est d'époque. Il n'y a pas lieu dans la lecture du fait historique d'avoir le moindre scrupule moral à utiliser le terme en usage chez les SS[309]. Historiquement, les camps de la solution finale sont des camps d'extermination. Le traducteur du musée d'Oswiecim, Georges Tchegloff a toutefois commis l'erreur d'introduire le concept historique dans le texte du médecin SS d'Auschwitz. Le das Lager der Vernichtung du 2 septembre est devenu sous sa plume le camp d'extermination. L'absence du der laissait un bel espace typographique sur lequel Faurisson s'est précipité. Dans l'espace vierge, il a aperçu un sombre complot. Comme si le Musée d'Oswiecim n'avait pas également publié une version allemande conforme au manuscrit, le philologue a protesté avec véhémence jamais Kremer n'avait écrit qu'Auschwitz était un Vernichtungslager, c'est-à-dire, selon la terminologie inventée par les Alliés après la guerre, un camp d'extermination, un camp d'extermination, (entendez par là\: un camp doté d'une chambre à gaz)[310]!"
Sommé de s'expliquer sur "l'anéantissement" auquel il réduit le témoignage de Kremer, le philologue a convenu que ce sens de "Vernichtung" n'est pas strictement étymologique[311]. Le "mot peut signifier, selon le contexte, soit "extermination" (ou, plutôt d'ailleurs: "destruction"), soit "anéantissement"". Dans le premier cas, explique Faurisson, le terme "désigne une action ou le résultat d'une action", mais ce sens-là qui fait l'histoire, le "révisionnisme" se garde de l'explorer jusqu'au départ des convois vers Auschwitz et s'il lui est opposé, un autre détail typographique lui suffit à évacuer tout le contexte occidental de l'"extermination totale" des Juifs. Le seul sens qui convienne à la "révision" du journal de Kremer est celui d'un "état"[312]. "Au sens étymologique du terme", avait écrit Faurisson dès son premier commentaire sur le "Lager der Vernichtung", "le typhus anéantit ceux qu'il frappe". Donc, si Kremer "parle des horreurs d'Auschwitz, c'est par allusion aux horreurs de l'épidémie de typhus de septembre-octobre 1942. Le 3 octobre, (le médecin) écrira: "A Auschwitz, des rues entières sont anéanties[313] par le typhus(...)"". De ce point de vue tronqué, "une lecture tant soit peu attentive du texte et du contexte (de la note du 2 septembre 1942) impose le sens d'"anéantissement""[314]. Cela posé, avance que "le tri des malades et des bien-portants, c'était la "sélection" ou l'une des formes de l'"action spéciale" du médecin. Ce tri se faisait soit à l'intérieur des bâtiments, soit à l'extérieur"[315].
Cette interprétation de l'"action spéciale" est tout sauf historique. Elle ignore délibérément le fait des convois arrivant à Auschwitz les jours où Kremer renseigne sa participation. La coïncidence répétée quatorze fois et documentée neuf fois est évacuée de la lecture "révisioniste". Tout au plus, Faurisson concède-t-il, à propos de la première, qu'"on dit parfois que cette action spéciale concernait l'arrivée d'un convoi de Drancy à Auschwitz, le 2 septembre. Ce n'est pas impossible. Il faudrait vérifier l'heure d'arrivée". Dans sa deuxième relecture, cette vérification n'est plus nécessaire. Cette fois, Faurisson "n'a pas de peine à imaginer cette arrivée de gens non atteints d'épidémie dans un camp en proie au typhus. La tâche du médecin n'est pas seulement de trier les aptes et les inaptes au travail. Elle est aussi de réceptionner les "sanitaires" des wagons dits "sanitaires""[316]. Enfin, il y a, chez Faurisson, une troisième version à l'"action spéciale". La "Sonderaktion aus Holland" du 5 septembre revue et corrigée suggère qu "il s'agissait du nettoyage des wagons, soit de 3ème classe, soit surtout de marchandises dans lesquels les déportés venaient d'arriver"[317]. Le sort des 677 déportés de Westerbork disparus ce 5 septembre à l'arrivée du convoi n° XVI n'est pas pris en compte dans cette manipulation du journal de Kremer. Le fait que le médecin SS inscrive toutes ses "actions spéciales" dans une seule et même série débutant avec la révélation de "l'extermination" n'est pas plus pris en considération. Faurisson tient tout aussi peu compte, dans ses lectures successives de la note du 2 septembre, du nombre des déportés immatriculés qui entrent effectivement dans le camp. Au départ de Drancy, le 31 août, le convoi n°XXVI comptait 1.000 personnes. A l'arrêt de Kosel, au plus 220 déportés masculins âgés de 15 à 50 ans y descendirent. Quel que fût le nombre des déportés restés dans le train, la sélection à Auschwitz leur attribua seulement 39 matricules. Il n'y eut donc pas plus de 12 hommes et de 27 femmes qui entrèrent dans le camp. Faurisson, professeur de littérature qui s'est hasardé par "révisionnisme" sur le terrain de l'histoire, lui, il va "loger tous ces arrivants dans les différents blocs du camp. Or, partout ou presque partout, il y a sur place des malades ou des mourants (victimes du typhus-MS). Il faut imaginer la promiscuité. Assister à cela pendant des heures, soit en pleine nuit, soit à l'aube, soit en plein jour, cela doit être dantesque. On imagine l'angoisse affreuse des déportés arrivant dans cet enfer"[318].
Ce que le journal de Kremer autorise à imaginer, ce n'est pas l'angoisse de ces 39 déportés du convoi XXVI à répartir "pendant des heures", ce 2 septembre, dans l'enfer typhique. Le témoin qui parle de "l'enfer" dantesque, c'est le SS Kremer, dans sa note de ce jour. Et le médecin d'Auschwitz ne vient pas, à cette date, de faire l'expérience des ravages du typhus. Il est sur place depuis quatre fois vingt-quatre heures. Dès le 30 août, son journal a signalé la "quarantaine au camp à cause de nombreuses maladies infectieuses (typhus exanthématique, malaria, dysentrie)". Le lendemain a été notée sa "première vaccination contre le typhus exanthématique". Le 1er septembre, à la veille de découvrir la fonction d'Auschwitz dans "l'extermination", le médecin a, dans l'exercice de ses fonctions, assisté "à la désinfection d'un bloc pour le débarrasser des poux au moyen d'un gaz, le cyclone B"[319]. Très significativement, le journal de Kremer ne qualifie pas cette activité d'"action spéciale". La note n'est pas codée. Son sens littéral dit sa signification réelle. Et, tout autant, dans les archives du camp, l'autorisation du 22 juillet pour "le voyage d'Auschwitz, à Dessau (où une filiale de la D.E.G.E.S.C.H fournissait le gaz en cristaux), aller et retour d'un camion de cinq tonnes afin d'aller prendre livraison du nécessaire au gazage du camp pour combattre l'épidémie qui s'est déclarée"[320]. C'était plus d'un mois avant l'affectation de Kremer. Quatre jours avant son arrivée, une autre "autorisation de transport pour un camion allant chercher à Dessau des produits pour traitement spéc." parvenait à Auschwitz. Ce que signifiait le "traitement spécial" pratiqué au moyen du cyclone B n'était pas précisé. Un autre document daté cette fois du temps de Kremer autorise, le 12 septembre, le "transport immédiat des camions alloués vers le camp de concentration d'Auschwitz: ces véhicules devant être immédiatement utilisés pour des actions spéciales"[321]. Le 2 octobre - toujours pendant la mission de Kremer - une autre autorisation de voyage indique encore qu'Auschwitz obtenait de Dessau les "produits nécessaires à la transplantation des Juifs"[322]. A tout le moins, le Cyclone B servait aussi à d'autres fins qu'à combattre l'épidémie. Kremer, notant cet usage le 1er septembre, ne mentionne jamais dans son journal les autres emplois. Le silence de ses notes à ce sujet est significatif.
Kremer n'a rompu avec les consignes "à caractère très secret" qu'après coup pour sa propre défense devant la justice polonaise. Non pas qu'il ait pu, du fait de ses révélations, espérer de ses juges un traitement de faveur - si l'on ose encore utiliser un terme si connoté de son sens nazi. C'est son système de défense qui le faisait apparaître en témoin oculaire des exterminations d'Auschwitz. Il lui fallait, pour masquer sa propre responsabilité criminelle, se présenter comme l'observateur pour ainsi dire fortuit du processus de mise à mort des déportés à leur arrivée.
6.5 L'action spéciale du témoin oculaire
Confronté à son journal, l'ancien médecin SS d'Auschwitz veut bien dire que "tous les médecins SS exerçant leur service au camp participaient à tour de rôle dans cette mise à mort par le gaz". Mais cela dit, son propre rôle s'est réduit à la seule fonction ... d'assistance médicale. "Ma participation, en tant que médecin, dans ces mises à mort par le gaz, appelées les "actions spéciales" consistait à me tenir prêt sur place, près du bunker", a-t-il expliqué. "On m'y amenait en voiture. J'étais assis près du chauffeur en arrière, il y avait un infirmier SS muni d'un appareil avec de l'oxygène destiné à ranimer les SS employés au gazage, au cas où l'un d'eux aurait été empoisonné"[323]. Au procès de Francfort, un des chauffeurs a donné une tout autre version de la présence d'infirmiers dans le véhicule. Sur question du procureur, Karl Höblinger, confirmant qu'il conduisait aussi la nuit "quand arrivaient les transports de Juifs sur la rampe à Birkenau"[324], a ajouté: "alors, je devais conduire les infirmiers et les médecins à la rampe. Ensuite, nous roulions jusqu'aux chambres à gaz. Là, les infirmiers sont montés sur les échelles, munis de leur masque à gaz et ont vidé les boîtes (de Cyclone B)"[325].
Cette déposition portant plutôt sur la période postérieure au temps de Kremer n'infirme pas ses explications sur la présence d'un médecin mandaté pour secourir au besoin les SS chargés du gazage des Juifs. L'assassinat de masse au moyen du gaz, le "procédé employé n'(était) pas sans présenter quelque danger" pour ceux qui l'utilisaient. L'inventeur de la méthode, "Brack (l'avait) fait remarquer", en octobre 1941, quand on envisagea dans les services chargés des affaires juives, de "liquider, selon la méthode Brack, les juifs inaptes au travail"[326]. L'avertissement de ce "chef supérieur de la chancellerie du Führer" confère toute sa vraisemblance au témoignage du médecin SS d'Auschwitz, d'autant que dans ce camp, on utilisait un gaz plus toxique que le monoxyde de carbone[327]. Le cyclone B - acide cyanhydrique dit aussi acide prussique - est trente-quatre fois plus efficace. "Dans le cas d'intoxication par acide cyanhydrique, la mort survient beaucoup plus vite qu'après l'empoisonnement par le monoxyde de carbone", explique Georges Wellers, également maître de recherche honoraire au CNRS en physiologie et biochimie[328]. Cette foudroyante efficacité du Cyclone B rend plausible l'affectation spéciale d'un médecin SS auprès des tueurs SS, à "l'instant fatidique"[329] où ils ouvraient les boîtes fatales pour les déverser dans les "bunkers": en effet, un médecin "aurait eu éventuellement à intervenir" en cas de fausses manoeuvres. Le journal de Kremer signale sa présence lorsqu'on utilisait l'acide cyanhydrique aux fins auxquelles le fabricant de Francfort l'avait commercialisé comme agent de désinfection. Son témoignage judiciaire sur son rôle pendant la mise à mort des déportés est, à cet égard, tout à fait plausible. Il l'est moins pour ce qui des faits survenant à la rampe de débarquement des déportés.
Médecin devant les "bunkers", l'accusé Kremer cessait de l'être à cet endroit du processus d'extermination. Du moins d'après ses dépositions! Par la force des choses, son rôle s'y serait réduit à n'être que celui d'un témoin passif. C'est qu'il y arrivait en retard! L'ancien professeur de l'Université de Munster insista sur ce point devant la cour d'assises de sa ville: il n'avait pas trouvé à se loger à proximité du camp et il lui avait fallu prendre une chambre à l'hôtel de la gare, la chambre 26, d'après son journal[330]. Ce point de la déposition judiciaire de Kremer n'invalide pas - en regard de l'histoire - son témoignage sur les faits eux-mêmes. Son journal l'habilite pleinement à en témoigner pour la recherche historique: la note du 5 septembre 1942 le montre "de service aujourd'hui et demain"[331]. On n'est donc pas allé chercher l'hôte de la chambre 26 pour l"'action spéciale" du "midi" et surtout celle du "soir, à huit heures". En tout état de cause, ce jour-là, Kremer était présent à l'arrivée "des gens en provenance de Hollande", à savoir le convoi XVI des Pays-Bas. Le témoin Kremer parle d'expérience. La mise en forme judiciaire de sa déposition relate qu'"au moment de l'arrivée à l'embranchement de la voie ferrée du camp d'un convoi avec les gens destinés à être gazés, les officiers SS (sic) choisissaient parmi les nouveaux venus les personnes aptes au travail, aussi bien hommes que femmes et tout le reste - parmi eux les vieillards, tous les enfants, les femmes portant les petits enfants dans leurs bras, ainsi que d'autres personnes incapables de travailler - était chargé sur des camions et transporté dans les chambres à gaz". L'accusé Kremer reste fort discret sur les compétences médicales de ces "officiers" capables de jauger à l'allure du déporté s'il s'adapterait à la condition de forçat concentrationnaire. Quelle que soit la part personnelle de l'"officier" Kremer dans le choix des personnes destinées à l'"action spéciale", lui aussi, il "suivai[t] un tel convoi jusqu'au bunker. Là, on faisait d'abord entrer les prisonniers dans les baraques. Les victimes s'y déshabillaient et ensuite allaient nues, dans la chambre à gaz. Le plus souvent, tout se passait dans le calme, car les SS tranquillisaient les gens en leur disant qu'ils allaient, aux bains et à l'épouillage. Quand ils étaient déjà tous dans la chambre à gaz, on en fermait la porte, et ensuite, un SS protégé par un masque, lançait le contenu d'une boîte de cyclone par une ouverture dans le mur. Par cet orifice, on entendait, de la chambre à gaz, les cris des victimes, on entendait que ces gens luttaient pour vivre. On n'entendait ces cris que pendant un court laps de temps. Je dirais quelques minutes, mais il m'est impossible de le définir d'une façon plus précise". L'accusé de Cracovie retrouve, dans cette déposition, l'impassibilité clinique dont ses notes de guerre portent témoignage.
Au procès de Francfort, le chauffeur Höblinger dont les phares éclairaient les "bunkers" la nuit, a témoigné, pour sa part, du "cri de terreur" qu'"on entendait", "quand le gaz entrait" dans le bunker. A son estime, c'est "après sept minutes (que) tout était calme". Un collègue de Höblinger, Bock, l'a "une fois" accompagné, "le soir". "Un transport de Hollande était arrivé", précise-t-il. Selon lui, "les gens ont crié pendant dix minutes"[332]. A ce grand procès d'Auschwitz, le témoin Kremer - il était alors âgé de 80 ans - se souviendra seulement de la passivité des victimes: "seuls quelque-uns ont résisté, ceux-là ont été pris à part et abattus", ajouta-t-il. Dans sa mémoire de vieillard, l'homme garde le souvenir pénible de ce qui à l'époque l'avait tant affecté. Le président de la cour, lui, en veut davantage. Il lui pose la question des "cris"; Kremer en avait parlé dix-sept ans auparavant, à Cracovie. "Oui", répond le témoin, "c'était la peur de mourir. Ils donnaient des coups de pied contre la porte". Et d'ajouter: "je suis assis dans la voiture"[333]. Ce détail serait capital!
6.6 Le fait capital
De l'"aveu" du médecin, il ressort un fait
"capital", selon Faurisson. C'est que "le Dr. Kremer était assis
dans sa voiture près du chauffeur!"[334].
A son procès à Munster, l'ancien médecin d'Auschwitz l'avait affirmé et le
parquet n'avait pu établir le contraire. Le doute profitant à l'accusé, le
verdict lui en accorde le bénéfice: "qu'il soit sorti de sa voiture et
qu'il ait pris une part active à l'action meurtrière n'a pas pu être
prouvé", y lit-on[335].
A Francfort, comparaissant comme témoin à charge, Kremer "n'allait"
toutefois "pas (...) renoncer" à ce système de défense. S'il n'a plus
le même souci de ses intérêts, il se garde bien d'avouer quoi que ce soit qui
contredise ses dépositions antérieures[336].
Paradoxalement, la lecture "révisionniste" du témoignage judicaire
interprête ce point capital de sa défense comme "aveu". Le glissement
conduit à la conclusion que Kremer "n'était pas sur place",
qu'"il ne peut décrire la "chambre à gaz"",
qu'"il ne décrit rien du processus proprement dit"[337].
Ce qu'en a dit le témoin oculaire n'est jamais assez[338].
En revanche, les pièces d'archives sur la "Vergasungskeller" et la
"gaskammer" d'Auschwitz en disent toujours trop[339].
Ces tours de passe-passe escamotent le fait capital du témoignage judiciaire de
Kremer sur la mise à mort par les gaz des déportés à leur arrivée. Lisant son
journal de guerre devant les tribunaux, l'ancien médecin SS d'Auschwitz y
déchiffre ces "actions spéciales" où la critique historique repère la
dernière trace d'au moins 6.732 déportés d'Europe occidentale. Cette lecture de
Kremer par Kremer dévoile le chiffre du secret.
Une telle lecture s'authentifie dans d'autres sources nazies.
Chapitre VII
Le chiffre du secret
7.1. Le traitement special d'Auschwitz
7.2. Les chiffres du camouflage
7.3. La confusion des morts
7.4. Les morts de l'extermination
7.1 Le traitement special d'Auschwitz
Le dévoilement des "actions spéciales" mentionnées dans le journal du médecin SS d'Auschwitz n'est pas immédiatement praticable. Les archives d'Auschwitz relatives à sa période au camp ne renseignent pas le nombre des Juifs qui "sont allés au service du travail" et celui des "hommes" et des "femmes et enfants" qui "ont été traités spécialement" à l'arrivée des transports d'Europe occidentale[340]. On ne dispose pas de "message téléphoné" du lieutenant SS Heinrich Schwarz: c'est lui qui, en sa fonction de chef de la section "mise au travail" III-a, communiquait ces données statistiques à la centrale des camps de concentration à Orianenburg. La centrale qui autorisait "le transport (...) des produits nécessaires pour le traitement spéc(ial)" saisissait le sens exact de la comptabilité "spéciale" du lieutenant d'Auschwitz. L'administration du camp, pour sa part, se perdait en acrobatie statistique quand le traitement spécial s'appliquait, non plus aux déportés jugés inaptes au travail et non immatriculés, mais à des détenus dûment enregistrés. Le "traitement spécial" s'appliquait, non plus aux déportés jugés inaptes au travail et non immatriculés, mais à des détenus dûment enregistrés. L'état des effectifs de Birkenau relevé journellement les avait comptabilisés dans les "entrées". Il fallait donc désormais les décompter comme autant de "sorties", mais sans dévoiler le secret. Dans ce tour de passe-passe, le "t(raitement) s(pécial)" qui n'était ni une "mort naturelle", ni "un transfert", ni une "libération" diminuait au même titre que ces "sorties"-là l'effectif des internés[341].
Le "traitement spécial" imposa le même exercice d'escamotage au très savant inspecteur de la statistique de la SS, Richard Korherr. Son rapport statistique portait sur la solution finale de la question juive en Europe au 31 décembre 1942. Himmler l'avait commandé à l'intention du Führer. A la réflexion, le Reichsführer SS n'y apprécia pas la référence par trop explicite au "traitement spécial". Son chef d'état-major, R. Brandt avertit le statisticien du désir d'Himmler "que dans aucun passage, il ne soit question de traitement spécial des Juifs", en allemand "Sonderbehandlung". Il avait "interdit d'employer une autre formulation" que "transportation des Juifs des provinces de l'Est dans l'Est russe"[342]. Ses spécialistes de la solution finale utilisaient les deux formules indifféremment. Dans ses autorisations de voyage d'Auschwitz à Dessau pour prendre livraison du gaz Cyclone B, Orianenburg parlait du matériel indispensable tantôt à l'une, tantôt à l'autre. Code de camouflage, le "Sonderbehandlung" est la clef de lecture du document Korherr comme la "Sonderaktion" l'est du document Kremer. Tout autant, un Faurisson "comprend fort bien que Himmler, au reçu du travail de son statisticien Korherr, ait fait dire à ce dernier que (...) il devait remplacer le mot de "Sonderbehandlung" par celui de "transportierung"". C'est que, selon cette lecture "révisionniste", "Sonderbehandlung pouvait éventuellement signifier "à exécuter"[343]. A l'estime de Faurisson, cette définition ne serait pas appropriée[344]: dans sa lecture des sources documentaires de la solution finale, "l'expression la plus adéquate serait "à isoler""[345].
Dans la correspondance d'Himmler relative à la solution finale, la lecture du "traitement spécial" dans le sens d'"exécuter" n'a nullement un caractère exceptionnel et incertain. Dans une seule lettre - celle où le gauleiter du Wartheland lui demandait le 1er mai 1942 l'autorisation d'utiliser le "commando spécial" de Chelmno pour assassiner 35.000 tuberculeux polonais - l'éventualité du sens macabre du "Sonderbehandlung" appliqué aux Juifs ne se répéte pas moins de 100.000 fois dans son seul district[346]. A force d'être utilisé, le cryptogramme était usé. A la réflexion, Himmler jugea que le "traitement spécial" était un mauvais camouflage. Avant d'imposer sa censure au document Korherr sur ce point précis, le Reichsführer SS avait, d'emblée, considéré tout le travail de son statisticien "comme très bon, en tant que documentation éventuellement pour les temps futurs, à savoir dans le but de camouflage". Il ne devait toutefois, "ni être publié, ni communiqué". "Pour moi", ajoutait-il, "l'essentiel reste toujours que les Juifs soient emmenés à l'Est dans toute la mesure de l'humainement possible"[347]. Son état-major comprenait que cet "humainement possible" mesurait le zêle de ses services.
7.2 Les chiffres du camouflage
Le rapport statistique avait présenté au Reichsführer SS un aperçu partiel de "l'évacuation des territoires russes, y compris les anciens Pays Baltes depuis le début de la campagne de l'Est": 633.300 Juifs selon les "indications" de la Sécurité du Reich communiquées à Korherr. Ce chiffre était en deça de la réalité. Korherr ne l'ignorait pas. Ses conclusion sur "la décroissance du judaïsme en Europe" avertissent que son calcul "n'englobe que partiellement les décès des Juifs dans les régions occupées de l'Est, tandis que les décès dans le restant de la Russie et dans la zone du front n'y sont pas compris du tout". Korherr ne disposait évidemment pas des données statistiques relatives aux "émigrations des Juifs soit en Russie vers sa partie asiatique, soit dans les pays d'Europe non soumis à l'influence allemande vers l'outre-mer". Néanmoins, en l'absence de ces chiffres, le statisticien du Reichsführer SS était capable de calculer l'état d'avancement de la solution finale. La prouesse tenait moins à ses aptitudes mathématiques qu'à son "bon" talent de "camouflage". Dans une formule contournée, Korherr concluait que "le judaïsme a perdu à peu près la moitié de ses effectifs. A peu près la moitié de cette perte, c'est-à-dire un quart de la population juive totale de 1937 a probablement afflué dans les autres continents". Le conclusion restait silencieuse sur ce qui était advenu de l'autre moitié. Au lecteur averti des impératifs du "camouflage" de calculer la "perte" d'après les chiffres du rapport. A cette date, elle s'élevait à plus de 2 millions comptabilisés - et, ce sans avoir émigré en dehors de l'Europe nazie - comme diminuant d'autant les effectifs du judaïsme européen. Dans cette prestidigitation statistique, le "total de l'évacuation (y compris [...[348]] le traitement spécial)" était compté pour 1.786.356. Les 633.300 "évacués" des territoires soviétiques occupés s'ajoutant, le total de la "perte" passe à plus de deux millions quatre cents mille Juifs à la date du 31 décembre 1942.
La rumeur du génocide en cours situait alors son ampleur en deçà de la statistique SS. Le 1er mars 1943, le tract antifasciste dont le journal de Kremer conserve la trace lui apprit que les nazis - "nous avions", écrivait-il - avaient "déjà liquidé 2 millions de Juifs par balle ou par gaz"[349]. Il n'a pas discuté le chiffre. L'expérience du témoin d'Auschwitz est limitée. Même s'il avait oeuvré au plus fort de "l'évacuation" des Juifs d'Europe occidentale, la chronique personnelle de ses "actions spéciales" ne livre qu'un pâle reflet du "camp de l'extermination". Pendant son séjour à Auschwitz, la chronologie de la déportation occidentale comporte, outre les 9 convois arrivés de l'Ouest aux dates de ses "actions spéciales", 41 autres convois: 15 de France, 17 aussi des Pays-Bas et 9 de Belgique. Pour cette première année du génocide "occidental", les comptes du statisticien de la SS donnent 97.368 personnes pour ces trois pays[350]. Toutes sont inscrites au titre de "l'évacuation [...] y compris le traitement spécial". Dans ses contorsions statistiques, Korherr ne comptabilisait pas "les résidants des ghettos et des camps de concentration"[351]. Au regard de "la solution finale de la question juive européenne" et de sa statistique, tous les déportés d'Europe occidentale acheminés à Auschwitz depuis l'été ne relevaient pas de la comptabilité concentrationnaire. D'emblée, toutes ces personnes étaient comptées dans "la décroissance du judaïsme", y compris les déportés immatriculés à Auschwitz et encore en vie en décembre 1942.
Cette lecture statistique de la déportation occidentale correspondait aux vues des officiers supérieurs SS chargés des affaires juives en Europe: Korherr avait compilé les chiffres qu'ils lui avaient fournis. Ils n'avaient pas jugé bon de lui communiquer le décompte des déportés retenus dans le camp de concentration d'Auschwitz au titre de la "mise au travail"[352]. A leur point de vue, il n'était pas statistiquement signifiant. Mathématiquement, leur nombre n'est pourtant pas négligeable: en moyenne, la sélection pour le travail à Auschwitz excluait du "traitement spécial" un tiers des déportés de l'Ouest[353]. Des 9 convois du journal de Kremer, 31 % des déportés n'avaient pas été gazés à l'arrivée. En ne communiquant pas ces données au statisticien d'Himmler, les services SS anticipaient sur le bilan prévisible. Dès la conférence de Wannsee, il était convenu, dans le programme de "la solution finale", "qu'une grande partie d(es Juifs valides) s'éliminera tout naturellement par son état de déficience physique" et que "le résidu qui subsisterait en fin de compte et qu'il faut considérer comme la partie la plus résistante devra être traitée en conséquence"[354].
A la première lecture, le bilan définitif de la déportation occidentale confirmerait l'anticipation statistique du document Korherr. La plupart des déportés de l'Ouest immatriculés à Auschwitz, également ceux qui étaient descendus à Kosel en 1942 moururent pendant leur captivité. Les survivants de la déportation sont relativement moins rares dans les convois de 1943 et de 1944. Au total, à peine 4.356 déportés raciaux survécurent, soit 2,27 % des 191.417 Juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas qui furent "évacués" de 1942 à 1944 vers les camps réservés à la solution finale à l'Est. 40.000 environ avaient été déportés à Sobibor, 150.000 à Auschwitz qui, historiquement parlant, fut pour la plupart des déportés ouest-européens, "le camp de l'extermination"[355]. Ce bilan macabre, si tragique fût-il, masque toutefois ce qui fait la spécifité du génocide juif dans les massacres perpétrés par les SS. La statistique fausse la perspective historique. Elle ne fait pas la différence, elle globalise, totalisant les morts du système concentrationnaire avec ceux de la solution finale. Et, dans cette confusion des morts, elle confond les choses.
7.3 La confusion des morts
Auschwitz, camp d'extermination pour la masse des déportés, fut aussi - comme Buchenwald ou Ravensbrück - un camp de la mort pour les internés, et l'un des plus grands, sinon le plus grand[356]. Tout le système concentrationnaire nazi fonctionnait sur le principe de l'"extermination par le travail"[357]. Les forçats juifs n'en étaient les seules cibles. "Tous les internés étaient des maudits, ce qui les rapprochait de la race globalement condamnée", écrit l'historien Joseph Billig[358]. Quant aux concentrationnaires juifs, "immatriculés, même avec le tatouage, (ils) échappent donc au processus immédiat de la solution finale pour entrer dans le cycle concentrationnaire et", souligne l'historienne Olga Wormser, pour "y mourir en fin de course, de la même manière que les concentrationnaires non-juifs épuisés, mais dans la chambre à gaz au lieu de la carrière, de la balle dans la nuque ou de la mort naturelle au Revier (à l'infirmerie), bien qu'elle se produise aussi pour eux"[359].
La statistique comparative permet d'évaluer la part de cette mort concentrationnaire dans le génocide juif et de rendre compte en chiffres de la singularité de ce dernier dans la répression nazie. Le cas "belge" s'y prête en raison de la structure socioculturelle particulière de la population juive dans ce pays[360]. Le bilan de la répression nazie en Belgique occupée peut être statistiquement approché grâce aux dossiers individuels de l'administration belge des victimes de la guerre. Ses derniers chiffres datent de 1984. Ils concernent les trois principales dimensions de la répression: les "prisonniers politiques", les "déportés au travail" obligatoire et les déportés raciaux. Cette statistique s'additionne[361]: le total donne 113.469 personnes arrêtées pendant l'occupation nazie. 40.690 sont mortes des suites de cette arrestation. Cette mortalité de 35,8 % varie selon les catégories répressives. Les moins vulnérables ont été les 46.755 "déportés au travail"[362]. Il s'agissait de travailleurs obligatoires assignés à résidence dans des camps qui n'appartenaient au système concentrationnaire. Leur mortalité a été fort basse: 5,5 %. 2.592 seulement y ont perdu la vie. Le camp de la mort laisse, en revanche, une empreinte profonde sur la statistique des "politiques": sur les 41.257 "prisonniers" incarcérés dans les prisons ou déportés dans les camps de concentration, 13.958 sont morts[363]. Leur mortalité s'élève à 33,8 %. Pour élevée que fût cette mortalité, deux "politiques" sur trois n'en ont pas moins survécu à la répression nazie. Avec les déportés raciaux dirigés vers un camp d'extermination, le phénomène statistique prend une toute autre allure. Ici, moins d'un déporté racial sur dix a survécu. S'ils représentaient seulement 22,4 % des habitants du pays détenus par l'occupant, ils comptent pour 59,3 % dans les décès dus à la répression nazie.
Le retournement statistique porte la marque du génocide juif. Il donne, après coup, la mesure mathématique de cette "déportation vers l'Est " dont le pouvoir d'occupation disait, à l'époque, qu'elle "est une mesure d'un autre caractère et plus sévère que le transfert habituel dans un camp de concentration"[364]. Le poids respectif des morts au bilan final signifie, en chiffres, que l'acheminement des déportés raciaux vers Auschwitz n'a effectivement pas été un phénomène du même ordre que la déportation dans un camp de concentration, une prison ou un camp de travail du IIIème Reich. Si 16.550 détenus non juifs sur 88.012 - soit 18,8 %. - n'ont pas survécu à la captivité, les morts sont au nombre de 24.140 chez les déportés raciaux et ils y représentent les 94,7% du total. Le génocide juif n'est pas un fait de témoignage. C'est un fait matériel, statistiquement mesurable qui se marque par un solde négatif dans la démographie du pays occupé.
Les chiffres de l'administration belge des victimes de la guerre sont les plus sûrs. Ses enquêtes administratives ont été menées à l'étranger, avec l'aide du Service International de Recherches de la Croix-Rouge, à Arolsen (en République Fédérale Allemande)[365]; toutes les archives "belges" de la déportation raciale et de la répression nazie ont été systématiquement dépouillées. Le service de documentation et de recherche a identifié chaque personne, constituant un dossier individuel avec copie des pièces d'archives qui la concernent. Ce travail administratif remarquable et apparemment unique en Europe occidentale[366] a permis de réviser les chiffres avancés en 1947 dans le rapport sur La persécution antisémitique en Belgique de la commission des crimes de guerre près du ministère de la justice. Le tableau statistique publié renseignait 25.437 déportés, 1.261 survivants en Belgique et 15 autres à l'étranger[367]. Trente-sept ans plus tard, la marge d'erreur a été insignifiante: 1,46 % sur le nombre de déportés et 1,O9 % sur celui des survivants. Des personnes inscrites sur les transportlist du camp de rassemblement avaient été comptées comme de déportés alors qu'elles n'avaient pas quitté le pays occupé: il s'agissait le plus souvent d'évadés des convois non repris ultérieurement. Dans ses recherches, l'administration belge des victimes de la guerre est parvenue à les identifier. Les derniers chiffres, d'une sûreté remarquable, ne sont guère plus susceptibles de varier qu'au rang des unités. La rigueur des recherches administratives belges explique probablement pourquoi, au plan de la statistique, le nombre des survivants de la déportation raciale est, dans le cas belge, proportionnellement moins bas que dans les cas français et néerlandais[368]. Les chiffres belges n'en sont pas moins macabres[369]. Ils fixent le bilan de la déportation du camp de rassemblement juif de Malines vers Auschwitz à 25.257 personnes. Les survivants ne sont pas plus de 1.205 (dont 12 tziganes sur 351 déportés)! Ces rescapés de la déportation raciale ne sont cependant pas des "survivants" de l'"extermination"!
7.4 Les morts de l'extermination
L'itinéraire concentrationnaire des rescapés signale où se situe la singularité du génocide juif. Le fait ressort à l'évidence du périple de deux petits convois numérotés "Z" qui, partis du camp de rassemblement de Malines, n'ont pas été dirigés sur Auschwitz. Ils étaient formés de 132 ressortissants juifs de Hongrie, pays ami du Grand Reich. Par opportunité diplomatique, ces Juifs hongrois ont été détournés du circuit de la solution finale. Ils ont été acheminés dans des camps de concentration dépourvus de chambres à gaz, les hommes à Buchenwald, les femmes et les enfants à Ravensbrück[370]. Internés, ils y ont subi les ravages de la mort concentrationnaire. Elle a frappé 47,2 % d'entre eux. De cette déportation qui a été raciale, mais qui n'aboutissait pas aux chambres à gaz d'Auschwitz, 52,2 % ont survécu[371].
Les déportés raciaux, qui en avaient été, quant à eux, détournés pour les besoins de l'économie de guerre à leur arrivée à Auschwitz ou encore à l'arrêt de Kozel, n'ont pas survécu dans la même proportion. Les 1.205 "rescapés" de 1945 représentent 13,15 % des 9.157 déportés ayant échappé aux chambres à gaz à leur arrivée à destination. 8.299 avaient été immatriculés à Auschwitz et 858 au plus étaient descendus à Kozel. Leur mortalité est particulièrement élevée. Les concentrationnaires juifs du camp de femmes de Ravensbrück ou du camp des hommes de Buchenwald n'ont pas été aussi éprouvés. La différence n'implique pas que le "KonzentrationsLager Auschwitz" et les commandos de travail de Haute-Silésie aient constitué un complexe d'un autre type dans le système concentrationnaire. C'est, pour une large part, la durée de la captivité qui rend compte des variations du taux de mortalité. La plupart des immatriculés d'Auschwitz - 4.591 sur 8.299 - et tous les "Kozéliens" - 858 - avaient été déportés en 1942. Ces vétérans de la déportation raciale sont seulement au nombre de 255 parmi les rescapés de 1945. Leur taux de survie n'atteint même pas les 5 %, très exactement 4,6 %. Par contre, chez les immatriculés arrivés de 1943/1944, il s'élève à 25,6 % avec 950 survivants sur 3.708 déportés enregistrés à Auschwitz. Les conditions catastrophiques de l'évacuation, en particulier les "marches de la mort" de janvier 1945 ont certes pesé gravement sur le bilan macabre de la déportation raciale, mais elles ne suffisent pas à expliquer ces variations du taux de mortalité des "Belges" selon la durée de leur internement dans les camps de la mort du complexe concentrationnaire d'Auschwitz.
Cette statistique "concentrationaire" ne concerne toutefois pas le génocide juif. Elle ne s'applique à la masse des déportés raciaux acheminés à Auschwitz. A s'en tenir aux 21 convois "belges" qui ne sont pas arrêtés à Kosel, 61,5 % de l'effectif dirigé sur ce "camp de l'extermination" n'ont pas été immatriculés dans les régistres du "KonzentrationsLager Auschwitz". Sur les 19.232 personnes, hommes, femmes et enfants présents dans ces transports, 7.403 seulement ont été repris dans la comptabilité concentrationnaire. Des 11.829 qui n'ont pas été reconnues aptes au travail, aucune n'est revenue[372]. Le retour toujours exceptionnel est le rare privilège des déportés admis à entrer à Auschwitz. La dernière trace que l'histoire conserve des autres personnes déportées est leur identité sur la transportlist du camp de départ. Toute la singularité du génocide juif réside dans cette disparition des déportés parvenus à leur destination: sortis de l'histoire à Auschwitz, ils sont comptés comme autant de "pertes" au dernier cacul du bilan de la solution finale.
Le génocide, phénomène statistique, se mesure dans les comptes négatifs de la démographie de la guerre. Il n'y relève pas du témoignage, qu'il soit d'après guerre ou d'époque. Les 21 convois dont l'analyse statistique chiffre la singularité du génocide n'ont laissé dans les archives aucun témoignage relatif à la disparition de leurs déportés. Le VIIIè convoi "belge", arrivé à Auschwitz le jour où, dans son journal, le médecin SS Johann-Paul Kremer date sa participation à une "action spéciale" n'appartient pas à la série. L'incertitude sur le nombre d'hommes âgés de 15 à 50 ans effectivement descendus des 6 autres convois juifs à l'arrêt de Kosel[373] entâcherait la rigueur mathématique du calcul. Le chiffre de 11.829 disparus à l'arrivée est un fait attesté d'une évidence flagrante dans le cas des 21 convois qui n'ont pas laissé descendre les déportés avant Auschwitz. Fixer ce nombre à 16.100 au plus pour l'ensemble de la déportation raciale de Belgique[374] est une manière d'estimer l'ampleur de l'extermination. L'estimation est certes fort proche de la réalité, elle la cerne avec plus de rigueur que le bilan global de la déportation vers Auschwitz où la mort concentrationnaire occulte la spécifité du génocide juif, mais elle conserve une zone d'ombre.
A cet égard, la valeur
documentaire des notes du SS Johan Paul Kremer est fort médiocre: le
témoignage oculaire d'époque ne vient nullement corriger l'évaluation du nombre
de personnes subissant le "traitement spécial" d'Auschwitz. Ce qui
fait sa valeur documentaire, c'est de dater cette disparition du jour de
l'arrivée. Avec sa chronologie des "actions spéciales", l'officier
SS témoignait d'une histoire dont,
acteur parmi d'autres, il ne connaissait qu'une dimension, celle précisément
où il intervenait dans le rôle dont ses notes quotidiennes conservent la
trace. Elles sont, pour les déportés disparus dès leur arrivée au camp
d'extermination autant d'actes de déces collectifs. Avec la documentation
relative à la solution finale dans les pays d'où ils provenaient, ces notes
d'Auschwitz au quotidien viennent inscrire leur mort sur cette page d'histoire dont on prétendait déjà au temps des SS,
qu'elle ne serait jamais écrite.
Conclusion
Une 'Page" d'histoire "jamais écrite"?
Par un paradoxe sur lequel il faut s'interroger pour conclure, il n'a pratiquement pas été question de ces Juifs d'Europe occidentale disparus au cours des "actions spéciales" du médecin SS d'Auschwitz, lors de la polémique sur l'inexistence des chambres à gaz. L'"explication personnelle mais tout à fait gratuite" de Faurisson - pour reprendre les termes des magistrats de Paris en 1983 - a fait la notoriété du document Kremer. Le public en a saisi la portée, mais il a ignoré sa signification historique. Il ne l'a pas découvert comme la source documentaire obligée d'un événement qui pourtant concernait directement l'histoire de l'occupation nazie à l'Ouest de l'Europe. Le fait très réel et nullement négligeable du massacre de quelque 7.000 personnes arrivées justement de France, de Belgique et des PaysBas lui a échappé!. Qu'est-ce à dire, sinon que la référence au document d'histoire dans cette controverse n'avait pas pour objet d'y lire le fait historique?
Les chimères de la négation "révisionniste" n'appelaient pas un débat sur le génocide, mais sur sa représentation dans la conscience contemporaine. C'est très significativement que la "révision" des notes personnelles de l'officier SS s'est attaquée à l'image d'Auschwitz qu'elles laissaient au lecteur des années quatre-vingts. Tout aussi significativement, l'attention s'est focalisée, face à la tentative de la dénaturer, sur l'horreur du camp d'extermination dont le journal du médecin SS d'Auschwitz conservait la trace. Ces confidences sur "le comble de l'horreur" et ses "scènes épouvantables" avaient été, on l'a vu, bridées par le secret de rigueur. Dans leur retenue, elles n'avaient pas décrit toute l'horreur de "l'extermination" et, assurément, elles n'en ont pas dit autant que le lecteur appelé à se prononcer sur la perversion de leur sens. Lui, il a été enclin à y lire plus qu'elles ne rapportaient. L'officier SS, on s'en souvient, s'était trompé dans le compte de ses "actions spéciales". Quarante ans après, les magistrats de Paris se trompaient dans leur lecture. Elles ne sont précisément pas "mentionnées à quinze reprises avec horreur dans le journal du médecin Kremer". L'erreur porte cette fois sur l'horreur et elle est tout aussi instructive. La Cour d'appel, confirmant la condamnation de Faurisson en première instance pour manquement aux devoirs de l'objectivité et de l'imparialité intellectuelle, n'intervenait pas dans un débat d'histoire. L'arrêt de 1983 a eu soin de reconnaître l'incompétence des tribunaux en cette matière. En l'occurrence, l'institution judiciaire s'est prononçée - ce sont ses termes - sur des "assertions d'ordre général qui ne présentent plus aucun caractère scientifique et relèvent de la pure polémique". Les magistrats visaient les allégations injurieuses de Faurisson sur le "mensonge historique". Très exactement, ils lui reprochaient d'être "sorti du domaine de la recherche historique".
Le tribunal avait élevé ses deux articles dans Le Monde et un Mémoire en défense au rang "des travaux historiques que les chercheurs soumettent au public". Les "historiens à controverse" - le mot est de Paul Veyne - n'ont eu pas cette indulgence. Monté au créneau, son collègue Pierre Vidal-Naquet récusant une discussion "impossible" s'est employé, en guise de "réponse", à "démonter pièce à pièce les arguments pour en démasquer le faux-semblant"[375]. La prétention scientifique de cette "révision" de l'histoire n'était le moins abusif de sa panoplie. "Sa perfidie est précisément", expliquait l'historien, "d'apparaître pour ce qu'elle n'est pas, un effort pour écrire et penser l'histoire". "Ce faisant", renchérit Nadine Fresco, on cherche à "bénéficier par amalgame des qualités de sérieux et de respectabilité intellectuelle attachée à la notion d'école historique"[376]. En dehors de l'Hexagone, la "peine" que s'y sont donnée Faurisson et ses adeptes de la prétendue "école révisionniste" pour faire valoir "le sérieux de leur travail" a été observée sans la passion qui caractérise le débat d'idées en France. Dans cette distanciation, l'examen n'a pas été moins inflexible. La méthode d'investigation mise en oeuvre dans les "écrits révisionnistes" a suffi à les disqualifier. "Il est clair", constatent deux historiens contemporanéistes de l'Université de Gand dans leur enquête sur Les chambres à gaz disparues, "qu'on ne doit guère attacher de valeur scientifique au révisionnisme"[377]. Sa "méthode favorite" consiste à "s'attaquer à un document isolé, donc détaché de son contexte, et à le jeter au panier sur base de contradictions réelles ou supposées". En revanche, notent Bart Brinckmann et Bruno de Wever non sans quelque irritation, "les autres documents "accablants" laissent ces pédants muets comme une carpe". Les auteurs "révisionnistes" n'ont pas eu meilleure presse auprès de Jean Stengers: ils "écrivent une histoire exécrable"[378] et "fausse"[379]. Ce professeur d'histoire contemporaine à l'Université libre de Bruxelles a voulu examiner avec sérénité la "valeurs des arguments eux-mêmes, quelle que soit la qualification des hommes qui les présentent". Ils n'ont pas résisté à l'épreuve. L'examen a révélé, dans leurs écrits, l'"oubli systématique du contexte et des éléments écrasants présents dans le contexte", les "interprétations intenables, confinant parfois à l'absurde, de certains témoignages" et, enfin, les "erreurs fondamentales de raisonnement"[380]. Avec sa lecture du journal de Kremer, Faurisson présente "l'exemple le plus remarquable" d'une interprétation "absolument intenable". C'est "une interprétation proprement délirante", ajoute J. Stengers[381]. L'historien belge ne retient pas les accusations de malhonnêteté et de falsification dont Faurisson a été l'objet. Son "cas" est "psychologique": "il appartient", écrit Stenger, "à la catégorie des savants fous"[382]. Selon son "diagnostic personnel, la fêlure se manifeste par deux traits: d'une part, par un délire interprétatif et d'autre part, par une forme de folie obsessionnelle, c'est-à-dire d'idée fixe"[383]
En France aussi, Paul Veyne a parlé d'un "délire d'interprétation systématisé" chez Faurisson, mais le professeur au Collège de France ne l'exonère pas, comme le professeur belge, de l'accusation de malhonnêteté intellectuelle[384]. Veyne n'a que mépris pour ses "opérations qui dans le jargon des historiens à controverse s'appelaient falsification de la vérité historique"[385]. Mais l'auteur des Grecs ont-ils cru à leurs mythes? ne lui accorde pas le titre de "faussaire". Veyne y explique que le "faussaire" est l'"homme qui s'est trompé de siècle" et qui "suit des méthodes qui ne sont plus au programme". Faurisson ne relèverait pas de cette catégorie. "Le paradoxe du faussaire passe très au-dessus de sa tête", estime l'historien français. Avec son "doute hyperbolique", il serait tout au plus un "personnage dont il vaut mieux rire que pleurer"[386]. Dans la controverse qu'il a provoquée, son "seul tort" aurait été "de s'être placé sur le terrain de ses adversaires". Il "relevait", note Veyne, "de la vérité mythique plutôt que de la vérité historique", mais il a laissé croire à ses "lecteurs" qu'ils étaient avec "son livre" sur le "même programme qu'avec les autres livres sur Auschwitz". En somme, avec son "doute hyperbolique à sens unique", Faurisson "voulait avoir raison contre ses adversaires et comme eux". "C'était donner le bâton pour se faire battre", note Veyne.
Son essai sur les Grecs et leurs Mythes, réflexion sur l'histoire et ses historiens, pose le principe que "la discussion des faits se passe toujours à l'intérieur d'un programme". "Il est clair", écrit-il, "que l'existence ou la non-existence de Thésée et des chambres à gaz en un point de l'espace et du temps a une réalité matérielle qui ne doit rien à notre imagination. Mais cette réalité ou irréalité est aperçue ou méconnue, est interprétée d'une manière ou d'une autre, selon le programme en vigueur; elle ne s'impose pas d'elle-même, les choses ne nous sautent pas aux yeux". En un mot, "la matérialité des chambres à gaz n'entraîne pas la connaissance qu'on peut en avoir". Sa saisie serait, selon Veyne, tributaire du programme de vérité, "car", à son point de vue, "le matter of facts n'est connaissable que dans une interprétation"[387].
Le cas Faurisson infirmerait plutôt cette épistémologie. Son "scepticisme" n'a en aucune manière fonctionné "à vide" dans la "révision" des archives nazies relatives aux "travaux urgents" du printemps 1943 à Auschwitz. Le spécialiste universitaire de la critique de textes littéraires avait bel et bien un "programme de vérité" en s'attaquant aux sources historiques du génocide juif. Il lui interdisait précisément d'appréhender "la matérialité des chambres à gaz" à travers ses traces écrites[388]. Elles s'imposent à tout historien, quelle que soit par ailleurs son interprétation des faits et sa grille de lecture de l'histoire. Elles ne s'imposaient pas à un Faurisson déterminé à proclamer la "bonne nouvelle" de "l'inexistence des chambres à gaz". Les "gaskamer" et "vergasungskeller" du texte nazi cessent d'être lisibles dès lors qu'il s'agit à tout prix de nier les exterminations d'Auschwitz. Tout autant son Mémoire en défense contre ceux qui (l') accusent de falsifier l'histoire s'est évertué à ne pas lire "le camp de l'extermination" dans le journal de Kremer. Il ne parvient pas plus à lire, chez Himmler "la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre". Reprenant à son compte la thématique de la belligérance juive, Faurisson s'acharne à réduire les massacres du texte nazi à une "guerre des partisans". "Une guerre", écrit-il, "menée aussi sauvagement de part et d'autre" et, dans ce discours bel et bien idéologique sur l'histoire, le "révisionnisme" use de l'alibi de "maintes pages" des Discours "dits"(sic) secrets du chef des SS[389]. Les "faurissonnades"[390] sur l'inexistence du génocide juif ne s'expliquent jamais sur leur connivence, sinon leur concordance et à tout le moins leur coïncidence avec cette fameuse "page" du discours himmlérien "qui n'a jamais été écrite et ne le sera jamais"[391]. Cette singulière rencontre de l'écrit "révisionniste" avec le "camouflage" de la vérité que pratiquaient les services SS au temps de "l'extermination" appelle pourtant une mise au point.
La question a été posée à Faurisson. La revue italienne Storia illustrata lui a demandé, en 1979, s'il était conscient que ses "affirmations aussi tranchantes qu'incroyables" pouvaient "contribuer ainsi à une espèce de "réhabilitation" du nazisme"[392]. Se posant en chercheur indépendant, il s'est déclaré animé du seul "souci de réhabiliter ou de rétablir" la seule "vérité" et d'oeuvrer à une "histoire véridique de la Seconde Guerre Mondiale". Cette contribution annoncée ne s'est pas concrétisée. Le seul texte qui ait l'apparence d'un récit historique est resté le Mémoire en défense où il lui a fallu décrire sur 50 pages le professeur de médecine Johann Paul Kremer devant les horreurs du typhus à Auschwitz en septembre-octobre 1942. Si personne ne s'était penché aussi longuement sur cette pièce d'archives, "l'apport" de sa relecture "à nos connaissances se place au niveau de la correction, dans un long texte, de quelques coquilles"[393]. Faurisson, on l'a vu, illustre jusqu'à la caricature cette appréciation de Vidal-Naquet sur la littérature "révisionniste". Dans son cas, la traque typographique s'attaque au moindre espace - ici, l'omission d'un article, là des points de suspension - pourvu qu'il se prête à insinuer le scepticisme et préserve, de la sorte, le "camouflage" de la vérité en usage à l'époque des faits. Pourtant, à l'entendre, le temps d'"os(er) la proclamer" serait enfin advenue en 1978[394]. La "bonne nouvelle" est d'abord parue dans la revue d'extrême-droite, La Défense de l'Occident. Les lecteurs du Monde n'ont pas eu la primeur du problème des "chambres à gaz". Ils ne furent les premiers à apprendre que "le nazisme est mort et bien mort avec son Führer"[395]. Le professeur d'université - esprit libre - aurait volontiers approuvé l'"ancien nazi" qui, ajoutait-il en 1979, serait venu lui "dire que les prétendues "chambre à gaz" et le prétendu "génocide" des Juifs forment un seul et même mensonge historique". "Cela n'irait pas plus loin", disait ce chercheur indépendant[396]!
Cela a été bien plus loin! Une telle rencontre marque "le début de (cette) épidémie culturelle, nourrie de mensonges, de faux semblants qui a profité de l'impact des médias, des réactions adverses inadéquates et d'une sensibilité à fleur de peau de la mémoire juive"[397]. Dressant le diagnostic du Syndrome de Vichy en 1987, Henri Rousso situe "l'enchaînement diabolique" à la publication dans L'Express de l'interview de l'ancien Commissaire Général aux Questions Juives du Maréchal Pétain. Louis Darquier dit de Pellepoix, réfugié en Espagne, y déclarait qu'"à Auschwitz, on n'a gazé que des poux"[398]. L'ancien nazi français y présentait le génocide comme "une invention pure et simple, une invention juive". Quatre jours après, le 1er novembre 1978, Faurisson espérait, dans une lettre au journal Le Matin, que ces "propos (...) améneront enfin le grand public à découvrir que les prétendus massacres en "chambres à gaz" et le prétendu "génocide" sont un seul et même mensonge"[399]. Cette découverte ravit des nazis nullement anciens. Ils vinrent dire leur admiration au providentiel "professeur" qui "peut démonter tous les mensonges"[400]. A les écouter, il leur avait fallu "attendre un Français, le professeur Faurisson pour apprendre ce que les Allemands n'ont pas fait". Au retour d'une visite au prophète du nouvel évangile, la cheville-ouvrière d'un groupuscule hollandais s'extasiait sur sa vertu retrouvée[401]. "Pourquoi", s'étonne-t-elle avec une feinte ingénuité en 1987, "moi et les autres nationaux-socialistes, nous devrions encore éprouver maintenant un sentiment de culpabilité"? Son camarade de parti, plus jeune, est le chef d'une milice paramilitaire d'extrême-droite flamande[402]. Il avait été membre des Jeunesses hitlériennes de Flandre, à l'époque du génocide juif. Bien sûr, lui aussi, il ne croit évidemment "pas à ce mythe". L'homme n'a pas répudié le nazisme. Hitler est plus que jamais un prophète de son temps. Les révisionnismes aidant, il acceptait désormais de s'en revendiquer ouvertement et publiquement, quoique dans une version angélique. Les camps nazis? Mais, réplique le nazi nostalgique à l'objection du journaliste qui l'interviewait, "le judaïsme international a déclaré la guerre à l'Allemagne nationale-socialiste en l934. Il est tout de même normal qu'Hitler ait enfermé les opposants dans des camps pour les neutraliser"! Et l'admiratrice néerlandaise de Faurisson se référant au "professeur" d'expliquer au journaliste stupéfait qu'"il y a bien eu des Juifs qui ont été enfermés, mais pas tués. Hitler ne pouvait rien faire d'autre : les Juifs lui avaient déclaré la guerre".
"Il y a eu beaucoup de morts", préféra dire peu après le président du Front National en France, "des centaines de milliers, peut-être des millions de morts, juifs et aussi de gens qui n'étaient pas juifs"[403]. Dans ce crescendo de confusion, Jean-Marie Le Pen, crédité alors d'une audience électorale de 10 à 12 %, tentait de rattraper le faux-pas qu'il venait de commettre. Invité à l'émission télévisée le Grand Jury-Le Monde-RTL, il avait été provoqué, ce 13 septembre 1987, à s'expliquer sur les "thèses des historiens révisionnistes". Les bouleversantes images du procès de l'ancien chef de la gestapo de Lyon étaient encore dans les mémoires. Evénément médiatique, le procès K. Barbie avait, au printemps, rappelé les horreurs du nazisme, une leçon d'histoire qui s'avérait, aux dires du procureur général Pierre Truche, "nécessaire pour empêcher qu'on essaie de falsifier l'Histoire, en niant, comme certains, l'existence des chambres à gaz, comme s'il s'agissait de pouvoir de la sorte, faire retenir l'idée d'une doctrine nazie acceptable, présentable"[404]. Interrogé sur cette négation, Le Pen ravalait la question à un "point de détail de l'histoire de la deuxième guerre mondiale". Il ne disait "pas que les chambres à gaz n'ont pas existé". Il n'avait "pas pu (lui)-même en voir" et, avec ce gros bon sens, il se posait "un certain nombre de questions". Lui, Le Pen, il n'avait "pas étudié spécialement la question". Mais, "il y a", prétendait le chef de l'opposition nationale en France, "des historiens qui débattent de ces questions"[405]. L'originalité française de l'idéologie "révisionniste" tient dans cette référence aux spécialistes. Un Faurisson, dont les amitiés à l'extrême-droite étaient peu visibles, a pu, en sa qualité de chargé de cours dans une université, faire accroire qu'il ne s'agissait pas d'une entreprise idéologique[406].
Le scandale du "point de détail" dans la France en proie à la poussée d'extrême-droite a levé cette ambiguïté. Il a aussi permis d'évaluer la réceptivité du public aux "thèses des" prétendus "historiens révisionnistes" grâce à un sondage Sofres, réalisé un mois après l'émission du Grand Jury RTL-Le Monde. Neuf ans après l'affaire Faurisson, l'avancée du "révisionnisme" dans la mémoire historique des Français restait médiocre. A peine deux ou trois sur cent ne pensaient pas ou doutaient que les nazis les aient utilisées[407]. L'impact des assassins de la mémoire[408] n'avait pas une "ampleur" aussi "inquiétante" que leur entreprise. Vidal-Naquet avait exprimé cette préoccupation, un mois avant le "point de détail", dans le recueil de ses analyses du phénomène "révisionniste". Dès son Eichmann de papier, il avait averti qu'il "concerne, pour l'essentiel, non l'histoire de la guerre 1939-1945, mais l'étude des mentalités contemporaines"[409]. La percée médiatique d'un Faurisson "dans notre société de représentation et de spectacle" lui était apparue comme "une tentative d'extermination sur le papier qui relaie l'extermination réelle". A la différence d'un Eichmann, "Faurisson n'a(vait) pas de trains à sa disposition, mais il a(vait) des papiers"[410]. Dans ces écrits contre la mémoire, remarquait Vidal-Naquet, "on ressuscite des morts pour mieux atteindre les vivants". Observant au fil des ans le parcours du ressentiment de ces redresseurs des morts, Nadine Fresco souligne, en 1988, combien leur entreprise s'attaque à une "variante" du problème qui s'était posé aux nazis pendant la solution finale: dans leur cas, il s'agit, en effet, de "se débarrasser de ces millions de juifs morts qui continuent d'encombrer la conscience occidentale" et de "le faire assez bruyamment pour que la publicité donnée à l'entreprise pallie son insuffisance en effectifs"[411].
Phénomène marginal, cette négation obstinée des exterminations d'Auschwitz renseigne, dans sa forme paradoxale, sur leur prégnance dans la conscience contemporaine, "tant il est vrai", comme le note Nadine Fresco, "que les divers mécanismes par lesquels individus et groupes manifestent leur refus du poids et de l'empreinte d'un événement sont aussi une preuve supplémentaire de cette empreinte et de ce poids"[412]. A cet égard, le "révisionnisme" est, quelle que soit l'idéologie qui l'articule, l'expression caricaturale de la mémoire d'une époque. L'historien des mentalités étudiant "l'empreinte laissée par le génocide des juifs sur le monde occidental durant la deuxième moitié du XXème siècle"[413] reconnaîtra dans l'hérésie "révisionniste" la fille de cette "religion (...) de l'"Holocauste" des Juifs". Dans son obsession, un Faurisson la dénonce[414]. Et si l'Allemand Stäglich a pu écrire, à la fin des années septante, contre Le Mythe d'Auschwitz, c'est qu'effectivement, l'imaginaire collectif de son temps s'est forgé une représentation mythique des horreurs nazies.
Ces distorsions de la conscience historique ne surprennent pas l'historien du génocide juif. Il les a déjà rencontrés dans l'événement. Elles invitent même à concevoir "une histoire du crime nazi" qui intégrerait "la ou plutôt les mémoires" et rendrait compte de ses "transformations". "Entre la mémoire et l'histoire, il peut y avoir tension, voire opposition", avertit Vidal-Naquet dans Les assassins de la mémoire[415]. En tant qu'écriture, l'histoire procède systématiquement à cette confrontation critique. C'est ce qui explique que "dans le cas de l'extermination, les rapports entre l'historien et le non-historien ne sont apparemment guère faciles à orchestrer". Olivier Mongin, qui, lui, n'est évidemment pas historien a bien voulu le reconnaître[416]. Le philosophe n'écrit pas l'histoire avec son discours sur "l'apocalypse d'Auschwitz"[417]. Il prétend en dire l'essence, encore qu'il ne cesse de s'interroger, depuis Théodore Adorno, sur la possibilité de "penser après Auschwitz"[418]. Le théologien lui dispute le territoire de "l'holocauste comme châtiment et comme signe", mais, lui aussi, il s'y perd car le "sens théologique" de l'événement serait plutôt dans son "nonsens" et dans le "silence de Dieu". Plus prosaïque, le sionisme y a lu une légitimation d'Israël puisqu'une Europe immanquablement hostile aux Juifs les aurait laissés sans défense face à la guerre d'extermination que leur livrait Hitler. Si riche d'images, l'holocauste a aussi produit, dans ce siècle de spectacle, sa caricature hollywoodienne: Marvin Chomski n'a pas intitulé autrement ce feuilleton télévisé d'un "génocide à l'eau de rose"[419] qui, de droit, s'achève sur le départ du seul rescapé de la famille Weiss vers la terre promise. L'événement médiatique bouleversa, en 1978, le public allemand déjà en proie aux traumatismes de ce "passé qui ne veut pas passer" et que d'aucuns, y compris des historiens, s'emploient à banaliser pour des raisons idéologiques[420]. L'onde de choc de Holocauste atteignit l'année suivante, la France aux prises, quant à elle, avec le Syndrome de Vichy. L'effet, comme un retour de manivelle, fit le lit de la fièvre "révisionniste": la "démarche négationniste" jouait à merveille sur les failles d'un mode de représentation de l'histoire"[421].
Le terme de "holocauste" consacre, on ne peut mieux, les dérapages de l'imaginaire. Les historiens - ils n'échappent pas aux pressions de leur temps - ont trop longtemps donné leur caution à une représentation aussi aberrante du génocide juif. Ces millions de cadavres n'ont pas été brûlés pour sanctifier le nom de quelque dieu que ce soit! La relève de "shoah" ne nomme pas mieux la chose. On se refuse absolument à traduire le terme hébraïque comme si l'interprétation du génocide juif en termes d'histoire de l'Allemagne nazie et des sociétés soumises à sa domination altérait sa singularité. Pour préserver sa spécifité de toute confusion avec les autres génocides, le mot se complaît à la banaliser dans la durée millénaire. Il inscrit la déportation babylonienne au départ de la "solution finale" et la destruction du temple antique dans la perspective "catastrophique" de l'extermination des déportés ! "Auschwitz" ne fixe pas mieux la chose dans la mémoire des atrocités nazies. La position centrale du symbole dans la conscience contemporaine est relativement récente. La mémoire historique de l'après 1945 avait retenu l'image - très réelle - que les correspondants de guerre alliés avaient saisie à Buchenwald, Bergen-Belsen ou Dachau, lors de la libération des camps nazis. L'image symbolique d'Auschwitz n'a prévalu qu'au tournant des années soixante. En ce temps où Eichmann venait d'être jugé à Jérusalem, ce fut le procès de Francfort qui institua cette représentation. Son ambiguïté se marqua d'emblée, en 1965, dans L'instruction de Peter Weiss. Le dramaturge conçut son oratorio à partir des minutes du procès de Francfort toujours en cours[422]. Construit sur le modèle de cet "enfer de Dante" que le journal du témoin Kremer y avait évoqué, le document-théâtre gomma dans la représentation d'Auschwitz l'identité juive des victimes. Le discours sur le totalitarisme inscrit au programme de ce temps les voulait anonymes pour consacrer l'universelle banalité du mal[423].
L'ambiguïté ne procédait pas seulement du regard de l'époque sur le système concentrationnaire. Auschwitz y a été effectivement un camp de la mort parmi d'autres. Sa spécificité dans l'extermination se situait - pour reprendre le témoignage de Kremer - à l'"extérieur", là où arrivaient les contingents juifs destinés aux installations "spéciales" du camp. Au colloque de 1982 sur L'Allemagne nazie et le génocide juif, Vidal-Naquet s'est à bon droit interrogé sur la pertinence du symbole d'Auschwitz. "Le lieu de la négativité absolue", estime-t-il - encore qu'il doute qu'un tel concept ait un sens pour l'historien -, "ce serait plutôt Treblinka ou Belzec". Avec la ronde infernale de ses camions à gaz, Chelmno conviendrait mieux: le château du Wartheland où les victimes entraient pour se déshabiller évoque tout à la fois l'extermination des convois dans les camps de la solution finale et les massacres perpétrés à la sortie des villes et villages de l'Est soviétique occupé.
Cette géographie historique du génocide juif ne se laisse pas saisir en une seule représentation. Les images masquent toujours l'une ou l'autre dimension de l'événement et l'imaginaire, avide de clichés aux légendes simples, s'embarrasse moins encore de ces détails qui font la complexité de l'histoire. Dans la mémoire collective, Auschwitz capitalise tout génocide. "Ici", dit la plaque commémorative qui y est apposée, "de 1940 à 1945, 4 millions d'hommes, de femmes et d'enfants ont été torturés et assassinés par les génocides hitlériens". Avec ses archives, l'historien, lui, y dénombre seulement quelques centaines de milliers de morts, juifs ou non, d'un des plus grands camps du système concentrationnaire nazi et guère plus d'un million victimes de l'extermination des convois juifs à leur arrivée[424]. L'histoire - à moins de se vouloir apologétique ou, à l'inverse, réquisitoriale - est toujours iconoclaste. Les images de la mémoire se brisent dans ce retour critique aux sources d'époque. En revanche, la conscience historique y gagne une meilleure connaissance des faits qui préserve la mémoire des manipulations idéologiques du temps présent.
Une pièce comme le journal du médecin SS d'Auschwitz méritait ce
travail de tâcheron. Le document n'avait pas seulement été l'objet de la
perversion "révisionniste". Il n'avait surtout pas livré tout son
témoignage sur le massacre des Juifs d'Europe occidentale, à leur arrivée au
camp d'extermination.
[1] Discours d'Himmler aux généraux SS à Posen, le 4
octobre 1943, d'après F.BAYLE, Psychologie et ethique du
national-socialisme, P.U.F.,Paris, 1953, pp.438-439
[2]
Doc.Nuremberg NO 316O, Le chef de la police de
sécurité et du service de sécurité, compte rendu des événements URSS n°124,
Berlin, le 25 octobre 1941, p.2 et p.6. Autre traduction dans H. MONNERAY,La persécution des Juifs dans les pays de l'Est, présentée au procès
de Nuremberg, Paris, 1949, pp.299-300.
[3]
Doc. Nuremberg URSS-57, rapport du Groupe d'action
A pour la période du 1O octobre 1941 au 31 janvier 1942, Ibidem, p.
51
[4]
Himmler devant les Reichsleiter et les Gauleiter, à
Posen, le 6.1O.1943 dans H. HIMMLER, Discours secrets,
Paris, 1978, p.167-168
[5]
Voir le journal de Kremer, dans Auschwitz vu par les SS, Hösz, Kremer, Broad, Musée d'Etat,
Oswiecim, 1974. (cité désormais Journal de Kremer)
[6]
R. FAURISSON, Mémoire en défense contre ceux qui m'accusent
de falsifier l'histoire, Paris, 1980, p.229
[7]
Voir Le Monde, 29 décembre 1978.
[8]
Le Monde, 16 février 1979.
[9]
Le Monde, 21 février 1979
[10]
Le 17 décembre 1980 sur les ondes d'Europe n°1, Faurisson avait déclaré que
"les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide
forment
un seul et même mensonge historique qui a permis une gigantesque escroquerie
politico-financière dont les principaux bénéficiaires sont l'Etat d'Israël
et le sionisme international et les principales victimes le peuple allemand
- non ses dirigeants - et le peuple palestinien tout entier". Propos qui lui valurent d'être condamné,
devant la 17 ème chambre correctionnelle de Paris pour provocation à
la discrimination, à la diffamation, à la haine et à la
violence raciales. Cette déclaration détermina aussi le verdict de la Cour
d'appel de Paris. Faurisson s'y était pourvu contre le tribunal civil qui
l'avait condamné pour manquements aux
devoirs de l'objectivité et de
l'impartialité
intellectuelles. Pour le juge d'appel aussi, "Faurisson se prévaut
abusivement de son travail critique pour tenter de justifier sous son
couvert, mais en dépassant largement
son objet, des assertions d'ordre général qui ne présentent plus aucun
cractère
scientifique. Il est délibérément sorti de la recherche historique et a
franchi un pas que rien, dans ses
trvaux
antérieurs n'autorisait (...)". (Voir sur l'affaire Faurisson entre
autres, S.KALISZ, Le révisionnisme ou la négation des
chambres à gaz, étude du phénomène et de son impact médiatique,
mémoire de licence en journalisme, Université Libre de Bruxelles, 1986-1987)
[11] Le nouvel ordre juif. Ce
que les Juifs exigent pour eux-mêmes, dans Stürmer,
4 novembre 1943.
[12]
Voir l'analyse de la "fonctionalisation d'un antisémitisme caricatural"
dans l'affaire Faurisson, par I.HALEVI, Hypocrisies: du bon
usage du révisionnisme, dans Revue d'études palestiennes,
n°26, Hiver 1988, pp.9-11.(Ilan Halevi, d'origine juive, est le représentant
de l'O.L.P. auprès de l'Internationale socialiste).
[13]
N. FRESCO, Les redresseurs de morts, comment on revise
l'histoire, dans Les Temps Modernes,
n° 4O7, juin 198O, p. 2182.
[14]
voir P. VIDAL-NAQUET, Les assassins de la
mémoire, "Un Eichmann de papier" et autres essais sur le
révisionnisme, Paris, 1987, p. 73
[15]
R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet,
deuxième édition, augmentée, Paris, 1982.
[16]
"Les tribunaux", explique le juge d'appel, "ne sont ni
compétents, ni qualifiés pour porter un jugement sur la valeur des travaux
historiques que les chercheurs soumettent au public et pour trancher les
controverses ou les contestations que ces mêmes travaux manquent rarement de
susciter".
[17]
Voir l'exploitation "révisionniste" du jugement de la Cour d'appel de
Paris par P.GUILLAUME, A ce dont l'esprit se contente
on mesure l'ampleur de sa perte, dans Annales
d'histoire révisionniste, n°2, été 1987, p.155; voir aussi la
lecture du jugement et la discussion du point de "révisionniste" à
ce sujet dans G.WELLERS, Qui est Robert Faurisson?,
dans Le Monde juif,n° 127, juillet-septembre
1987, p.96.
[18]
L'erreur de la Cour d'appel est significative. Elle sera prises en compte dans
les conclusions.
[19]
S. KLARSFELD, Mémorial de la déportation des Juifs de
France, Paris, 1978, non paginé.
[20]
L. DE JONG, Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog,
Gevangenen en gedeporteerden, s'Gravenhage, 1978, tome 8, vol.2
[21]
M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs,
1942-1944, Editions Vie Ouvrière,
Bruxelles, l987, t III, vol I, p.247.
[22]
Doc. CDJC XXVb-87, IV-J, Paris, le 2O.7.1942,
concerne: Voyage en zone non-occupée - inspection des camps juifs, signé:
Dannecker, capitaine SS, publié dans S. KLARSFELD, Deutsche Dokumente 1941- 1944, Die Endlösung der Judenfrage in
Frankreich, herausgegeben von Serge Klarsfeld, Paris, 1977, p. 95.
Voir aussi doc CDJC XXV b-2O, IV J. Paris, le 13 mai
l942, concerne: affectation du matériel ferroviaire pour les transports de
Juifs, signé: Dannecker, capitaine SS, ibidem, p. 56.
[23]
Major Guenther, Berlin, le 29.4.33 au commandant de la SIPO et SD pour le
territoire néerlandais occupé, Major Zoepf, La Haye, au commandant de la SIPO
et SD, Colonel Dr. Knochen, Paris, au Délégué du Chef de la SIPO et SD Major SS
Ehlers, Bruxelles, concerne: évacuation des Juifs, dans S.KLARSFELD
et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in
Belgien, The Beate Klarsfeld Foundation, New-York-Paris,(1980) p.64.
[24] Journal de Kremer, p. 231.
[25] Ibidem, p. 228.
[26] Ibidem, p.226.
[27] Ibidem, p. 230.
[28] Ibidem, p. 231.
[28b]Sur
les quinze "actions speciales", le journam mentionne cinq fois la
provenance des personnes. Dans quatre cas, il s'agit de déportés arrivés à
Auschwitz. Dans deux cas (y compris l'action double du 7 octobre), des détenues
du camp des femmes. L'identification historique des quinze "actions
spéciales" rélève qu'une sule à peine ne vise ps des arrivants au
camps.
[29]
R. Faurisson traduit "draussen" par "dehors", et non
"à l'extérieur". Et, dans cette lecture immédiate, il se complaît à
insinuer qu'"historiens et magistrats suppriment traditionnellement
le mot "dehors" (draussen) pour faire dire à Kremer que cette
action se déroulait dans une "chambre à gaz""(voir Une lettre de M. Faurisson, dans Le Monde,
16 janvier l979. Le manque de rigueur dans la référence aux documents
d'histoire nourrit ces insinuations abusives. A cet égard, on utilisera avec
la plus extrême prudence les extraits du journal de Kremer publié dans Justiz und NS Verbrechen, Coll.Urteiten Samenlungen,
University Press of Amsterdam, 1977, vol. 17, p. 500-7 et suivantes. Repris
au dossier de l'affaire Kremer à Munster, le texte comporte plusieurs
erreurs dont, à la date du 2 septembre, précisément l'omission de
"draussen". Le 6 septembre néanmoins, la "Sonderaktion draussen"
est publiée correctement.
[30]
Les "musulmanes" ruinent l'interprétation que J.G Cohn-Bendit,
"révisionniste" modéré, avance dans son Analyse du
journal de Kremer. De l'exploitation dans les
camps à l'exploitation des camps, une mise au point de la Guerre Sociale,
Paris, 1981, oppose sa lecture aux "spéculations de Wellers, de
Vidal-Naquet, ainsi qu('à) celles de Faurisson"(p.16). Cohn-Bendit
exploite le "aus" des "Sonderaktion". Dans "Sonderaktion
aus Holland", il n'y a pas - et dans aucun cas, a lu Cohn-Bendit - une
relation grammaticale entre des personnes et Sonderaktion. Il ne s'agirait
donc pas d'une action exercée directement sur des personnes. "Selon
la structure grammaticale", écrit-il, "c'est bien la Sonderaktion
qui est en provenance de Hollande". Kremer parlerait donc chaque
fois de l'arrivée ou du départ d'un transport. En suivant Cohn-Bendit et en
l'absence du "aus", le lecteur ferait partir les "musulmanes"
avec des "gens de l'extérieur" arrivant au camp, lors de la
"Sonderaktion" unique du 7 octobre 1942!
[31]
R. Faurisson, spécialiste de la critique des textes littéraires passé à
celle des documents d'histoire, estime quant à lui que "cette note est
claire. Le Dr. Kremer a ici affaire à des femmes dites "musulmanes""
(voir R. FAURISSON, Mémoire en défense,
p. 32). Ce qu'elles étaient ne ressort pas du document Kremer. Pour en lire
le sens, il lui faut également recourir à d'autres sources. En histoire, il
ne peut pas chercher "midi à midi". "Je cherche midi à
midi", avait dit Faurisson avant d'être connu comme "historien révisionniste"
(dans Les Nouvelles Littéraires, 1O-17
février l977). "Les textes", expliquait-il dans cette interview,
"n'ont qu'un sens ou bien il n'y a pas de sens du tout". (Cité
d'après N. FRESCO, Les redresseurs de morts
dans Les Temps Modernes, n° 407, juin 198O,
p. 2154.)
[32]
Journal de Kremer, p. 228, n.53.
[33]
cité dans H. LANGBEIN, Hommes et femmes à
Auschwitz, Fayard, Paris, 1975, p.93.
[34] Ibidem, p. 331.
[35] Ibidem, p.91-92.
[36]
Ibidem, p. 9O.
[37]
Ni le témoignage des médecins anciens détenus ni celui de l'ancien médecin SS
Kremer ne portent sur des femmes atteintes de typhus. Faurisson, utilisant la
déposition de Kremer sur ces "musulmanes" s'autorise néanmoins à affirmer
qu'elles étaient "atteintes de la maladie (...). Le typhus était passé
par là" (R. FAURISSON, Mémoire en défense,p.
32)
[38]
Journal de Kremer, p. 236.
[39]
La provenance du convoi du 7 octobre 1942 n'est pas connue. Non plus le nombre
de personnes arrivées au camp. L'"action spéciale" à laquelle elles
sont soumises laisse entrer au camp 98 hommes et femmes qui y sont immatriculés(
Voir le Journal de Kremer, n.77, p. 236.)
[40]
Le journal de Kremer, n 71, p. 234.
[41]
Ainsi, le 8 novembre, Kremer note même trois "actions spéciales",
dans sa numérotation: les 12 ème et 13ème "cette nuit", et
"dans l'après-midi, donc la 14ème".( Voir Journal de
Kremer, p. 244)
[42]
A ce stade de la découverte du journal de Kremer, on s'abstient provisoirement
de parler de sélection pour l'"action spéciale", mais on n'oubliera
pas cette indication que l'auteur du document ne les confond pas.
[42b] Journal de Kremer, p. 231.
[43]
La 14ème "action spéciale" de Kremer, le 8 novembre 1942, pourrait
éventuellement faire exception. Le journal ne mentionne rien sur la provenance
des personnes qui en sont l'objet. Aucune source ne recoupe le document. Danuta
Czeh ne reprend pas cette "action spéciale" dans le
"Calendrier" d'Auschwitz. L'édition critique du journal (n.98,
p.244) ne l'identifie pas non plus. Comme l'"action spéciale" s'était
déroulée "cette nuit" selon le Journal de Kremer, il pourrait
s'agir d'un convoi du Ghetto de
Ciechanow arrivé le 7. C'était le cas de l'"action" du 12 octobre
"la nuit" contre un convoi arrivé la veille, mais ici, la note même
de Kremer identifiait l'origine du convoi, la
"Hollande"
[44]
Quelques feuilles de la liste chronologique de l'enregistrement par séries
de matricules de détenus à Auschwitz sont reproduites dans Hefte von Auschwitz,
n° 3/1960, pp.113-114. Les séries de matricules correspondant à la période de
Kremer sont publiées dans D. CZECH, Kalendarium der Ereignisse
in Konzentrationslager Auschwitz-Birkenau (Le calendrier
des événements), dans Hefte von Auschwitz, n°3, 1960. Les pages 85-102 couvrent la
période de Kremer à Auschwitz. La liste des matricules pour cette période a
été vérifiée sur les photographies du document original qu'a consulté Christian
Dupont. Historien de formation et journaliste à la Radio-Télévision Belge
Francophone, il a rapporté de son enquête en Pologne toute une documentation
filmée par son équipe à partir des pièces d'archives originales en vue de
l'émission du service historique sur Auschwitz ou la mémoire
qui revient. Voir également Ministère de la Santé
Publique (Belgique),Rap.429 Tr 178.165/39, le 23.4.1963. Nummerbesetzung im
Konzentrationslager,liste établie par le Service International de Recherche
de la Croix-Rouge, à Arolsen sur base de ses archives et de la documentation
et des travaux du Musée d'Auschwitz; à ce propos, le
"calendrier" qui fait référence au journal de Kremer comporte, tout
remarquable que soit ce travail, des inexactitudes pour ce qui est de la déportation
"occidentale". La notice technique de S. KLARSFELD, dans Le Mémorial de la déportation des Juifs de France les a
redressées pour la France; la présente étude en rectifie d'autres pour la
Belgique et les Pays-Bas, dans ce cas grâce aux recherches les plus récentes
de G. Hirschfeld communiquées à l'auteur.
[45]
Aucun homme du convoi XVI de Westerbork n'a été immatriculé.
[46] US-War Refugee
Board: German Extermination Camps -
[47]
Voir le Rapport sur les camps de concentration d'Auschwitz,
Birkenau et Maïdanek rédigé par Rudolf Vrba et Fred Wetzler, le 25 avril 1944
, publié dans R. VRBA et A. BESTIC, Je me suis évadé
d'Auschwitz, Paris, 1988, pp.361-362.( Rudolf Vrba s'appelait Walter
Rosenberg).
[48]
L'auteur "révisionniste" W. Stäglich n'en écrit pas moins que
"le degré de "précision" éveille la méfiance. Il n'est pas
imaginable qu'un détenu, en admettant même qu'il ait fait partie de la
hiérarchie du camp ait pu obtenir toutes ces précisions. Et je fais abstraction
ici du facteur restitution de tous ces chiffres qui aurait exigé une mémoire
hors du commun".(Voir W. STAGLICH, Le Mythe d'Auschwitz
, p. 125).
[49]
Le tableau chronologique des convois de déportation de S. Klarsfeld donne 928
personnes, mais la notice sur le convoi VII signale 1.000 personnes. Voir
S.KLARSFELD, Le Mémorial de la Déportation des Juifs de
France
[50]
Ont aussi été immatriculées 64 femmes dans la série de 19.295 à 19.358.
[51]
Le plus souvent, la cartothèque nazie du camp d'Auschwitz est tout aussi lacunaire
que celle des autres camps de concentration. Si 8.299 matricules ont été
attribués à Auschwitz aux 28 convois de Belgique, les archives de la captivité
permettent d'identifier seulement 3.O83 déportés raciaux.
[52]
Archives du Musée d'Auschwitz, fiche d'Akiwa
Frühauf, matricule 63.227
[53]
Ministère de la Santé Publique et de la Famille. Administration
des victimes de la guerre. Service documentation et recherche, Transport VIII.
Voir quelques pages de la liste originale, de la page 53 à la page 58, dans
S.KLARSFELD et M.STEINBERG, Mémorial de la déportation
des Juifs de Belgique.
[54]
Voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil,
1942, les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, Vie
Ouvrière, Bruxelles, 1984, t II p.211[55]
Si son épouse et sa fille n'ont pas survécu à l'arrivée à Auschwitz, Akiwa
Frühauf, lui, n'a pas survécu à la captivité.
[56]
Pour les Pays-Bas, voir Auschwitz, Ed.
Het Nederlandsche Rood Kruis, 's Gravenhage, vol 1, 1945 et, sous le même
titre, les 4 fascicules, publiés en 1947, 1948, 1952 et 1953. Sur l'histoire
de la déportation "néerlandaise", voir L. DEJONG, Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog, Gevangenen
en gedeporteerden, 1978, tome 8, vol. 1 et 2 partie, p. 7O8. Une étude de G. HIRSCHFELD, Die Opfer der nationalsozialistischen Endlösung in den besetzten
Niederlanden sera publiée dans Die Zahl der jüdischen
Opfer des Nationalsozialismus, hrsg. Wolfgang
Benz que prépare l'Institut d'Histoire Contemporaine de Munich.
Les chiffres des convois "hollandais" qui identifient ici les
"actions spéciales" du journal de Kremer sont de
[57] Pour la Belgique, le document de base est la liste alphabétique des personnes arrêtées par l'autorité occupante en tant qu'israélite ou tziganes et déportées par les convois partis du camp de rassemblement de Malines, entre le 4 aout 1942 et le 31 juillet l944, document multigraphié du Ministère de la Santé Publique et de la Famille, Administration des victimes de la guerre; voir aussi Tableau récapitulatif des Israélites et Tziganes déportés du camp de rassemblement de Malines vers les camps d'extermination de Haute-Silésie, constitué sur base de la documentation en possession du Ministère de la Santé Publique et de la Famille, à la date du 1er septembre 1979. La liste alphabétique, ainsi que les statistiques et leur interprétation ont été publiées par S. KLARSFELD ET M. STEINBERG, Le Mémorial de la Déportation des Juifs de Belgique, Bruxelles-New York, 1982.
[58]
S. KLARSFELD, Introduction dans Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France. Le titre
de son ouvrage n'est nullement "tendancieux". Ce "n'est"
pas "qu'une liste de Juifs qui ont été embarqués dans les trains de la
déportation", comme le laisse croire la Réponse à
Pierre Vidal-Naquet de R.Faurisson (p.22). S'“il ne s'agit" en
effet "pas d'une liste de morts comme on le donne souvent à
entendre" selon Faurisson, c'est qu'elle comporte moins de 3 % de
survivants! L'avocat S.Klarsfeld, historien de formation, n'a pu, faute de
disposer du résultat de recherches administratives d'un quelconque organisme
officiel ou ministériel, identifier sur les listes de déportation les
personnes disparues. Dans Le Mémorial de la Déportation
des Juifs de Belgique, Klarsfeld qui s'est chargé de la reproduction
de la liste alphabétique officielle des déportés, a pu précisément, grâce au
matériel documentaire disponible, indiquer nommément ceux qui avaient été
rapatriés, à peine 4,77 % en l'occurrence.
[59]
Voir R. VRBA et A. BESTIC, Je me suis évadé
d'Auschwitz, p.388. Une note
de la traduction française s'autorise à prétendre - et ce encore en 1988 -
qu'à l'exception du chiffre rectifié par Le mémorial de la déportation des
Juifs de France, "aucun autre des chiffres cités par Wetzler et Vrba n'a
été contesté". L'estimation du nombre de Juifs gazés mentionnait
"50.000" déportés de "Belgique" et "100.000" de
"Hollande". Ces chiffres du rapport Rosenberg-Wetzler ne sont pas
seulement contestables. Ils sont tout aussi erronés que l'attribution des
séries de matricules aux déportés d'Europe occidentale.
[60]
Une autre répartition n'est pas à exclure, soit 5 de France, 2 des Pays-Bas et
3 de Belgique. La "Sonderaktion aus Holland (1600 personen)" du 12
octobre pose, en effet, un problème d'identification. Convient-il de se fier à
l'indication de Kremer sur l'origine "hollandaise" de ces
déportés? Le convoi XXVI des Pays-Bas -
1703 personnes au départ - n'est pas arrivé, le 12, mais le jour
précédent, le 11. Le 12 arrivent des déportés de Belgique: ils étaient au
nombre de 1.574 quand les convois XII et XIII, partis de Malines le 10, ont
passé la frontière germano-belge. Ces deux convois, probablement regroupés
en un seul transport au cours de leur traversée de l'Allemagne, s'arrêtent à
Kozel: le convoi XII de 999 déportés comportait 202 hommes âgés de 15 à 50
ans, le convoi XIII de 675 déportés en comptait 156. Au plus arrivent à Auschwitz
1.216 déportés dont 28 hommes et 88 femmes sont immatriculés dans la même
série de numéros. 1.100 déportés disparaissent, ce 12 octobre. L'"action
spéciale" de Kremer a eu lieu "la nuit". S'agit-il de la nuit du
11 au 12 octobre, auquel cas, comme il l'écrit, l'"action"
s'appliquerait bien au convoi "hollandais" dont les déportés ont été
immatriculés le 11. Mais la note de Kremer débute par la mention de sa deuxième
vaccination qui a provoqué une forte fièvre. "Malgré cela", il
participe "la nuit" à une "Sonderaktion". Serait-ce alors
dans la nuit du 12 au 13 sur le convoi "belge" arrivés le 12? C'est
peu probable: Kremer l'aurait notée, à la date du 13, et non du 12. Le
problème reste entier car c'est le 12
que sa "deuxième vaccination (...) a provoqué une forte réaction
générale dans la soirée (fièvre)", écrit-il. Le fait que le 12 octobre
soit un lundi fournit peut-être la solution du problème. Le 11 aurait été un
jour férié pour le commando du SS Hössler opérant aux chambres à gaz et la mise
à mort des déportés" hollandais", arrivés le 11, aurait été effectuée
le 12 avant le gazage des "Belges".
[61] Deux témoignages vivants sur les abattoirs de Pologne, un
avertissement, un appel à la vigilance, à la résistance, à la lutte,
dans Notre Voix, 1er août 1943, reproduit
dans S. COURTOIS et A. RAYSKI, Qui savait quoi?
L'extermination des Juifs 1941-1945, Paris, 1987, pp. 201-203.
[62]
Ministère de la Santé Publique-Belgique, dossier de
Honig, Ignacy, né le 23 juillet 1904. Déclarations d'Ignacy
Honig, de Chaïm
Salomon, né le 18 mai 19O6.
[63] Voir
la notice sur le convoi n° 29 en date du 7 septembre 1942,
citant le télex adressé par H. Röthke, le chargé des affaires juives à Berlin,
à Orianenburg et à Auschwitz, dans S. KLARSFELD, Le Mémorial
de la Déportation des Juifs de France.
[64] Journal de Kremer, p. 231. La note 62 du Musée d'Oswiecim
renseigne, à cette date, l'arrivée d'un convoi de Westerbork, parvenu en fait,
le jour précédent. Cette erreur d'identification fausse également, du moins
pour un convoi, la lecture d'une première version de cette étude publiée sous
le titre Les yeux du témoin et le regard du borgne. lecture
critique d'un génocide au quotidien, dans Cahiers du
Centre de Recherches et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre mondiale,
12, mai 1989, pp. 31-84.
[65] Sur
les évadés de Haute-Silésie, voir M. STEINBERG, L'Etoile et
le Fusil, La Traque des Juifs, vol 1, pp. 250-254
[66] Ministère de la Santé Publique-Belgique, dossier de Honig, Ignacy, né
le 23 juillet 1904. Déclaration non datée d'I.Honig.
[67]
Lettre de Joseph Jakubowicz à l'auteur, Bruxelles,
le 12.1O.1987.
[68]
Archives du Musée d'Auschwitz, fiche de Koplewicz,
Henri, matricule 63.234. Kopléwicz est né le 21 décembre 1913
[69]
Voir S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Le Mémorial de la Déportation
des Juifs de Belgique (non paginé).
[70]
La Réponse à Pierre Vidal-Naquet (p.44) de
Faurisson accepte néanmoins l'argument purement rhétorique de son éditeur,
P. Guillaume, que les déportés non enregistrés à Auschwitz,
"allaient" à "Kielce", à Kosel, corrige l'expert en
"révisionnisme". (voir P.VIDAL-NAQUET, Les
Assassins de la Mémoire, p.64 n.89).
[71]
rattachés au complexe d'Auschwitz, y étaient immatriculés.
[72]
Dans les procédures judiciaires contre Kremer, il n'a pas été tenu compte de la
sélection de Kosel. Jerzy Rawicz, auteur de la traduction polonaise du
document Kremer original et préfacier de l'édition scientifique du Musée d'Oswiecim,
a écrit qu'"au cours de son bref séjour à Auschwitz, (le médecin SS) a
réussi à envoyer 10.717 hommes, femmes et enfants sur 12.291 à la chambre à
gaz" (Journal de Kremer, p. 29). En 1960, le
ministère public de Munster a impliqué la responsabilité personnelle de
l'ancien médecin SS dans la mort d'au moins 7.735 personnes (Justiz und
NS Verbrechen, vol. 17, p.21). Le chiffre de Munster plus proche
des 6.732 de cette étude est le moins bien établi. La copie du journal dont s'est servi le parquet ne
comporte pas les "bonnes" dates.
Dans cette version Munster, 10 "actions spéciales" de
Kremer concernaient des convois d'Europe occidentale: 5 de France, 2 seulement
des Pays-Bas et 3 ou 4 de Belgique. La vérification sur le manuscrit original
de Kremer établit l'erreur du parquet de Munster.
[73]
La note de Kremer n'est pas pour autant la plus sûre. Le XXVIe convoi parti des Pays-Bas, le 9 octobre,
achemina plus de déportés qu'il ne le signalait : ils étaient au départ 1703.
[74]
Voir Le journal de Kremer, p. 237.
[75] W. STAGLICH, Le Mythe
d'Auschwitz. Etude critique,
Paris, 1986, p. 20.
[76]
Stäglich vise la documentation sur Auschwitz publiée en vue du procès. En
particulier, le recueil Wir haten es getan
dont un chapitre était consacré à Un professeur à Auschwitz.
[77]
L'édition en langue française de Auschwitz vu par les SS date de l'année suivante.
[78]
Si Stäglich ignore délibérément ce travail, R. Faurisson le ravale à des
"notes qui nous disent comment il faut déchiffrer le texte du professeur
Kremer selon la grille de lecture communiste ou exterminationniste"(voir
R. FAURISSON, Mémoire en défense, p. 1O6).
[79]
W. STAGLICH, op. cit, p.121.
[80]
Ibidem, p. 8-9.
[81]
Journal de Kremer, p.23O
[82]
Ibidem, p. 226.
[83]
Ibidem, p. 227.
[84]
M. GHEUDE, Lecture, dans P. WEISS, L'Instruction, oratorio en onze chants, traduit de l'allemand par Jean
Baudrillard, Ed. Labor,
Bruxelles, 1988, p. 362.
[85]
Ibidem, p.228.
[86]
Voir sur ce type d'analyse psychologique, Bruno BETTELHEIM, L'holocauste, une génération plus tard, dans son
recueil Survivre, Paris, 1979, p. 114.
[87]
Le journal de Kremer, n. 53, p. 228.
[88]
A. KEPINSKI, Le Rythme de la Vie cité d'après
Mieczyslaw Kieta, dans son avant-propos
à W. KIELAR, Anus Mundi, cinq ans à Auschwitz,
préface de David Rousset, Lafont Paris, 198O, p. 21.
[89]
Voir G.DE CROP, Anus Mundi, dans Le Monde juif, n° 130, avril-juin 1988, pp.77-78. Titulaire d'un diplôme de l'Ecole des Etudes
en Sciences Sociales de Grenoble sur Le génocide des Juifs
pendant la seconde guerre mondiale et le projet national-socialiste:
l'événement, la mémoire et la conscience, G. De Crop considère
"si cela ne paraissait pas sacrilège" qu'"il faudrait rermercier
Faurisson dont l'aveuglement arrive à point nommé pour que se cristallisent
les lambeaux du message", à savoir "le souvenir de
l'indicible".
[90]
"Pour (sa) part", Faurisson n'a "rien noté de "nazi"
dans le journal intime de ce vieux garçon prolongé" (voir R. FAURISSON, Mémoire en défense, p. 29).
[91]
Le journal de Kremer, p.218.
[92]
NO-6OO, Lettre de Grawitz à Himmler, le 4 mars 1942,
citée dans R. HILBERG, La destruction des Juifs
d'Europe, Paris, 1988, p. 283.
[93]
Le journal de Kremer, p.234.
[94] bidem, p.230
[95] Ibidem, p.249.
[96]
Ibidem, p.296.
[97]
Ibidem, le 30 janvier l943, p.249.
[98] Ibidem, p.250.
[99] Ibidem, p.249.
[100]
Selon Faurisson,"le vrai travail du professeur de médecine Johann Paul
Kremer à Auschwitz est de se livrer à des recherches de laboratoire sur
toutes sortes de maladie, et notamment le typhus" (Voir R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet, p. 31.)
[101]
Journal de Kremer, pp. 231-232. Voir
aussi p.226.Le 29 août, Kremer a cru qu'il venait remplacer un collègue malade.
[102] C'est seulement, à la date du 3 octobre que
le journal de Kremer mentionne pour la première fois le prélévement de
"matière vivante". Il l'aura noté cinq fois alors que sont
mentionnées 15 "actions spéciales" dont la première a lieu dès le
quatrième jour de la présence du médecin à Auschwitz.
[103]
Ibidem, note 74 de la p. 235.
[104]
Ibidem, entrée du 3.1O.1942, p. 235; du 1O.1O., p. 236; du 15.1O et du 17.1O., p. 238, du 13.11. p.
244.
[105]
P. Vidal-Naquet a insisté , quant à lui, sur le fait que le ton du journal
"ne change que dans une seule série de circonstances, pour prendre alors
parfois (pas toujours) une allure émotive tout à fait remarquable".(P.
VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, "Un
Eichmann de papier" et autres essais sur le révisionnisme,
p.68).
[106]
Journal de Kremer, p. 23O.
[107]
Ibidem, p. 229.
[108]
Au procès de Francfort, le témoin Kremer explique que "c'était humainement
tout-à-fait compréhensible. C'était la guerre, il y avait peu de cigarettes et
d'alcool. Si quelqu'un dépendait de la cigarette ..., on collectionnait les
bons et puis on allait avec la bouteille à la cantine" (Voir H. LANGBEIN,
Der Auschwitz-Process, Eine Dokumentation,
t, 1, p.72.)
[109]
Le propos est du Commissaire de la Ruthénie blanche, Wilhelm Kube. Il est
rapporté dans une lettre du lieutenant-colonel SS Strauch. L'extrait utilisé
ici - le document sera encore exploité plus loin - porte: "on nous reprochait
continuellement, à mes hommes et à moi, d'être des sauvages
et des sadiques, alors que je ne faisais que mon devoir. Même
le simple fait que des médecins-dentistes aient enlevé des plombages en or aux
Juifs destinés au traitement spécial - conformément aux ordres - a été le prétexte
à reproche. Kube rétorqua que notre façon de procéder était indigne de l'Allemagne de Kant et de Goethe. Si l'Allemagne était perdue
de réputation dans le monde entier, c'était notre faute. Par ailleurs,
c'était un fait que mes hommes jouissaient
lubriquement de ces exécutions".(Lettre du commandant de la SIPO-SD en
Ruthénie blanche à l'état-major personnel du R.F.SS, signé lieutenant-colonel
Strauch, Minsk, le 2O juillet l943, citée d'après W. HOFER, Le national-socialisme par les textes, Plon, 1963, pp.
268-298.
[110]
Journal de Kremer, p.249.
[111]
Ibidem, p. 236.
[112]
Ibidem, p. 238.
[113]
Ibidem, p. 238.
[114]
Voir Le Monde, 16 février 1979.
[115]
Voir Journal de Kremer, p.238 note 83.
[116]
L'arrestation de "sécurité", - "Sicherheitshaft"- était autorisée
par le pouvoir d'occupation. Celle dite de "protection" -
"Shutzhaft"- l'était par l'office central de la Sécurité du Reich.
Voir à ce propos, M. STEINBERG, Le dossier
Bruxelles-Auschwitz,la police SS et l'extermination des Juifs de Belgique,
Bruxelles, 1980, pp.33-35.
[117]
Voir, pour la France, S. KLARSFELD, Le livre des Otages,
Paris, 1979. Pour la Belgique, M. STEINBERG, L'Etoile et
le Fusil, t II, Les cent jours de la
déportation, pp.218-219, et t III, vol.2., La Traque
des Juifs, pp.54-55 et p.120-125.
[118]
Voir le cas du pseudo Léon Silberstein, de son vrai nom, Léon Kutnowski, dans
M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs,
t III, vol.2.,p. 73.
[119]
Ministère de la Santé Publique-Belgique, dossier de
Rakower, Moszek Aron, né le 12 mars 19O7 et fusillé le 6 janvier 1943.
(voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil.
1942, les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, t II,
p.219.
[120]
Voir les Conclusions dans M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t III,
vol.2.,pp.254-255.
[121]
CDJC/CDXCVI Le commandant militaire en Belgique et dans le Nord
de la France, chef de l'administration militaire, groupe: pol., Bruxelles, le
27 octobre 1942, aux Ober- et Feldkommandantures, concerne: procédure de transfert
dans le Reich et de déportation dans le territoire de l'Est, reproduit
dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung
der Judenfrage in Belgien, herausgegeben von
[122]
L. DEJONG, Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog,
Gevangenen en gedeporteerden, t. 8, Vol.2, p.755, note 1.
[123]
Message téléphoné du lieutenant SS Schwartz, (au)
service central de l'administration économique, service D II à Oranienburg,
daté du 8.3.43, d'après G. WELLERS, Les chambres
à gaz ont existé,p. 43.
[124]
Journal de Kremer, p. 234, entrée du 3
octobre 1942.
[125]
R. FAURISSON, dans Le Monde, 16
février 1979. La référence était la note 85 page 238 de Auschwitz
vu par les SS, à savoir la déposition judiciaire de Kremer sur
l'épisode des trois hollandaises. C'est cette référence abusive qui a été le
point de départ, sur le plan judiciaire, de l'affaire Faurisson.
[126]
L. DEJONG, Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog,
Gevangenen en gedeporteerden, tome 8, vol..2, p. 812.
[127]
Journal de Kremer, n. 53, p.228.
[128]
Le témoin Kremer confirme ici ce que son journal révèle de l'"action spéciale",
à savoir une action sur des personnes venant de l'extérieur ou du camp même, et
non la sélection de ces personnes.
[129] Journal de Kremer, n.52, p. 227.
[130]
R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet,
pp. 48-49.
[131] H. LANGBEIN, Der
Auschwitz-Processs, Eine Dokumentation t.1, p. 72.
[132]
Voir le chapitre Auschwitz de G. WELLERS dans E.
KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret
d'Etat, pp.186-191. Voir aussi D. CZECH, Konzentrationslager
Auschwitz, précis d'histoire et F. PIPER, Extermination,
dans Auschwitz, camp hitlérien d'extermination,
Varsovie, 1978.
[133]
Auschwitz vu par les SS, Hösz, Kremer, Broad,
p. 115.
[134]
idem, p.115, note 4.
[135]
idem, p. 120 et note 21 p. 120.
[136]
ibidem, p. 185-186.
[137]
Ibidem, p. 119.
[138]
cité d'après G.WELLERS, dans E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret d'Etat, p.191. Voir aussi sur la
question, l'exposé de U.D.ADAM, Les chambres à gaz
dans L'Allemagne nazie et le génocide juif, actes du
colloque de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, Paris,
1985, pp.-236-261.
[139]
cité d'après G.WELLERS, dans E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, op.cit.,
p.190.
[140]
N°12, 115/42 - EP-HA Article 2, concerne:
fabrication de deux fours crématoires tripes pour chacun des "bains pour
buts spéciaux"(sic), signé: Sous-lieutenant SS (S), Oswiezim (sic) , 21
août l942", note publiée dans Procès des
Grands Criminels de Guerre devant le Tribunal International, Nuremberg, 14
novembre-1er octobre 1946, Nuremberg, 1949, T XXXIX, p. 244. Les
guillemets de "Baeder fuer besondere Zwecke" comme la mention
d'Auschwitz en polonais figurent dans le texte publié. De toute évidence, il ne
s'agit pas de sa version originale. Le texte reproduit ne comporte toutefois
pas la mention expresse de "Badanstalt für Sonderaktion" (installation
de bain pour action spéciale) comme l'écrit J.C. Pressac pour qui cette pièce
désignerait les chambres à gaz du Crématoire IV. Il ajoute néanmoins
qu'"en réalité, le terme de "Badanstalt" s'applique aux (2)
bunkers" de 1942. Le fait que la note du 21 août propose d'utiliser les
fours crématoires déjà prêts "pour Mogilew" suggère qu'Auschwitz
pressé par l'accumulation des cadavres cherchait une solution pratique et
immédiate sans attendre jusqu'à ce que les projets de construction des nouveaux
crématoires aboutissent. Ce qui autorise à lire la note en comme une référence
aux deux maisons paysannes.(voir J.- C. PRESSAC, Les
Krematorien IV et V de Birkenau-Auschwitz et leurs chambres à gaz,
dans Le Monde juif,n° 107, juillet-septembre
1982, repris dans Mémoire du Génocide, Paris,
1987, p. 626 note 9).
[141]
L'original de la pièce ne se trouve pas au Musée d'Oswiecim. J.C. Pressac
écrit qu'"en dépit de (ses) demandes répétées", il n'a pu en obtenir
communication (Voir J.- C. PRESSAC, Ibidem, p. 626 note 9). Il est probable,
comme dans le cas du journal de Kremer en Pologne, que le document soit à
rechercher dans les archives de la commission soviétique d'enquête sur les
crimes commis par les fascistes allemands et leurs auxiliaires à Auschwitz.
L'actuelle "transparence" qui ouvre aux chercheurs des archives
historiques en URSS permettra peut-être d'autres découvertes utiles aux historiens
de l'Allemagne nazie et du génocide juif.
[142]
Major Guenther, Berlin, le 29.4.33 au commandant de la SIPO et SD pour le
territoire néerlandais occupé, Major Zoepf, La Haye, au commandant de la SIPO
et SD, Colonel Dr. Knochen, Paris, au Délégué du Chef de la SIPO et SD Major SS
Ehlers, Bruxelles, concerne: évacuation des Juifs, dans S.KLARSFELD
et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in
Belgien, The Beate Klarsfeld Foundation, New-York-Paris,(1980)
p.64.
[143]
Le chef de la direction centrale de la construction
des Waffen SS et de la Police d'Auschwitz à l'office centrale de l'administration
économique de la SS, signé:major SS Karl Bischoff, le 28 juin 1943,
cité d'après G. Wellers, dans E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, op.cit., p.
197.
[144]
Les crématoires II et III comportaient, chacun, 5 fours à trois moufles; les
crématoires IV et V, un four à 8 moufles. Voir Doc. CDJC, rapport
d'inspection de l'Ingénieur Prüfer, à la direction centrale de la construction
de la Waffen SS et de la Police à Auschwitz, le 29 janvier l943.
[145]
En 636 jours, le crématoire I pouvait brûler, à raison de 34O corps par 24
heures, 216.514 cadavres, soit le nombre des détenus immatriculés qui n'ont pas
été évacués d'Auschwitz (141.765 évacués sur 358.279 détenus immatriculés).
[146]
L'évacuation d'Auschwitz, entamée en mai 1944, n'a pas signifié l'arrêt des
déportations à Auschwitz. De la fin d'avril au début de juillet 1944, 429.028
Juifs de Hongrie y ont été acheminés.
[147]
Soit 75.745 évacués du 18 mai 1944 au 17 janvier 1945. Des 66.020 détenus
présents à cette date du dernier appel, environ 7.000 incapables de marcher
sont restés au camp, évitant les catastrophiques "marches de la mort"
de l'évacuation d'Auschwitz. Voir G.
WELLERS, Essai de détermination du nombre de morts au
camp d'Auschwitz, dans Le Monde juif,n°
112, octobre-décembre 1983, p. 154-156.
[148]
G. WELLERS, Ibidem, p. 141
[149]
G. WELLERS, Ibidem, p. 142.
[150]
Le nombre de prisonniers transférés d'Auschwitz, voire libérés n'est pas connu.
[151]
Les archives du Musée d'Oswiecim conserve un plan n° 1678 d'une installation d'incinération
daté du 14.8.42 (le futur Krematorium IV).
[152]
Archives du procès Hösz, t 11, annexe 2, Le chef de la Direction
centrale des constructions de la Waffen SS et de la Police d'Auschwitz, signé : major SS Bischoff, 3O janvier 1943,
cité d'après J.- C. PRESSAC, op. cit., p. 621.
[153]
Le chef de la Direction Centrale pour Constructions
de la Waffen-SS et de la Police à Auschwitz, capitaine SS au chef de l'office
du groupe C, Général de brigade SS et Général-major de la Waffen-SS, Dr. Ing.
Kammler à Berlin-Liechterfelde-Ouest, le 29 janvier 1943, commande objet:
crématoire II, Etat du bâtiment, cité d'après G. WELLERS, Les chambres à gaz ont existé, p. 85.
[154]
Voir la reproduction, ibidem pp.136/137.
[155]
Voir Le Monde, le 16 janvier 1979.
[156]
Voir Le Monde, le 29 décembre 1978. Malgré sa "révision" du 16 janvier
suivant, Faurisson maintiendra par la suite cette version qu'"il s'agit,
en effet, non pas d'une chambre à gaz homicide, mais d'une chambre froide aux
dimensions caractéristiques (3O m x 7 m) semi-enterrée afin d'être protégée de
la chaleur"(voir R. FAURISSON, Exposition de la
déportation 1933-1944 , dans Supplément à la
revue trimestrielle Les Amis de Paul Rassinier,
n° 1, juin 1982).
[157] G. WELLERS, Qui est
Robert Faurisson, dans Le Monde juif,
n° 27, juillet-septembre 1987,p.1O9.
[158]
G. WELLERS, Les chambres à gaz ont existé, p. 87.
[159]
R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet,
p.4O.
[160] Interview de Robert
Faurisson, dans Storia illustrata,
août l979, n° 261, réédition La Vieille Taupe, p. 15.
[161] A. HITLER, Mein Kampf,
p.677-679.
[162]
E. JACKEL, L'élimination des Juifs dans le programme de Hitler, dans L'Allemagne nazie et le génocide juif, p.11O.
[163]
Ch. R. BROWNING, La décision concernant la solution finale,
ibidem, p. 194.
[164]
J. FEST, Hitler, jeunesse et conquête du pouvoir,
Paris, 1973, p. 81.
[165]
Le mot est de R. FAURISSON, Réponse à Pierre
Vidal-Naquet, p.4O.
[166]
Doc PS-5O1. Dr. Becker sous-lieutenant SS au lieutenant-colonel
SS Rauf à Berlin, Kiev, le 16 mai l942, reproduit dans MONNERAY, H.,
La persécution des Juifs dans les pays de l'Est,
pp.148-15O.
[167]
II D, Note du lieutenant-colonel SS Rauf, Berlin,
le 5 juin 1942, reproduite dans E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL,
Les chambres à gaz, secret d'Etat,
illustration III.
[168]
Lettre d'Arthur Greiser,gauleiter du Warthegau, à
Himmler, le ler
[169]
W.Riedel et Fils, Béton armé et construction,
Bielitz, rapport du jour, le 23.2.1943, Installation d'incinération 4, ouvrages
journaliers, reproduit dans J.- C. PRESSAC, op. cit. p.631
[170]
W.Riedel et Fils, Béton armé et construction,
Bielitz, rapport du jour, le 2.3.1943, Installation d'incinération 4, ouvrages
journaliers, reproduit ibidem, p.631
[171]
Le chef de la Direction Centrale pour Constructions
de la Waffen-SS et de la Police à Auschwitz, Major SS à Entreprise Usines
d'équipements allemands, S.a.r.l., Usine d'Auschwitz/ H(aute) S(ilésie), le 31
mars 1943, citée d'après G. WELLERS, Les
chambres à gaz ont existé, p. 89. La lettre indique, pour les 3
portes à gaz du crématoire II "turmgaz" (colonnes étanches au gaz),
probablement une erreur ( voir J.- C. PRESSAC, ibidem, p. 639)
[172]
Voir J.C. PRESSAC, ibidem, p.627.
[173] Ibidem, p. 635.
[174] Ibidem, p. 640.
[175] Voir le télex du 29.4.1943 dans
S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung
der Judenfrage in Belgien, p.64.
[176]
Ministère de la Santé Publique-Belgique. Dossier de Livchitz,
Georges, né le 3O septembre 1917. Annexe à la lettre du commandant militaire à
l'oberfeldkommandantur 687, Bruxelles, le 15 février 1944.
[177]
Voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque
des Juifs ,t III, vol. 2, p. 69.
[178]
Ibidem, p.72
[179]
Le Flambeau, octobre 1943, ibidem, p.72.
[180]
La sélection avait toutefois été moins restrictive qu'à l'accoutumée. Dans l'évacuation "belge" de 1943,
ce convoi du 19 avril présente la singularité d'avoir le taux de sélection le
plus élevé. Il a aussi au bilan final un taux de survie absolument
exceptionnel pour un transport de 1943: il est de 10,7%. Il n'est que de 2,7 %
dans les autres convois "belges" de l'année.
[181]
Voir Tribunal Supérieur du Schelswig-Holstein, décision
dans l'affaire pénale contre E. Ehlers, C. Canaris, K. Asche et K. Fielitz, le
8 mars 1977, dans
M.STEINBERG, Dossier
Bruxelles-Auschwitz, p.197. Le document y est intégralement
traduit. Le texte allemand, dans
S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung
der Judenfrage in Belgien, p.116 et suivantes.
[182]
E. EHLERS, Inexactitudes dans Flensburg T,
le 29.5.1975, ibidem, p. 103.
183]
E. EHLERS, Inexactitudes dans Flensburg T,
le 29.5.1975, ibidem, p. 103.
[184]
En Belgique, 75 Allemands furent condamnés pour crimes de guerre dont 10 à
mort. Aux Pays-Bas, autre petit pays, ils furent 204 dont 19 à mort. En France, 2.107 dont 104 à mort, selon A.
RUCKERL, Die Strafverfolgung von NS-Verbrechen 1945-l978.
Eine dokumentation, p. 3O et p. 32
[185]
Royaume de Belgique, ministère de la justice,
commission des crimes de guerre, Les crimes de guerres commis sous l'occupation
de la Belgique, 1940-1945,La persécution antisémitique en Belgique
, Liège 1947, pp. 39-40.
[186]
Breendonck était un camp de la police de sécurité établi à mi-chemin entre
Bruxelles et Anvers. L'expression "enfer de Breendonck" est reprise
aux critiques de l'administration militaire sur la gestion du camp. Voir CDJC
CDXC-3 Compte rendu de l'entretien entre le chef de
l'administration militaire Reeder et le major SS Canaris, le 17 septembre 1941,
daté du 22 septembre 1941, p. 2. Voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, 1942, les cent jours de la déportation des Juifs
de Belgique, pp.53-56.
[187]
Voir le point des "obstacles à la procédure" dans la décision de
juger, dans M.STEINBERG, Dossier
Bruxelles-Auschwitz , pp. 188-189.
[188]
La persécution antisémitique en Belgique
, p.34.
[189] Ibidem, p.41.
[190] voir dans M.STEINBERG, Dossier Bruxelles-Auschwitz , p.188. Un quatrième
ancien officier SS, Karl Fielitz qui avait dirigé l'antenne anversoise de la
police de sécurité était accusé dans cette affaire Ehlers. La décision de juger
le disculpe.
[191] Voir A. RUCKERL, Die
Strafverfolgung von NS-Verbrechen 1945-l978. Eine dokumentation,
Karlsruhe, 1979. L'auteur Adalbert Rückerl, procureur général, était
alors le directeur du Centre des administrations judiciaires concernant les
crimes nazis, à Ludwigsburg.
[192] dans M.STEINBERG, Dossier
Bruxelles-Auschwitz,p. 203-2O4.
[193] Ibidem, p.197.
[194] Ibidem, p.198.
[195]
cité d'après L. POLIAKOV, Bréviaire de la haine. Le
IIIè Reich et les Juifs, Paris, 1953, p.35.
[196]
Sur l'interprétation du discours du 30 janvier 1939, voir M.R. MARRUS, The History of the Holocaust: a survey of recent literatur,
dans Journal of Modern History, 59, mars
1987, p. 121.
[197]
Voir l'analyse du discours "prophétique" du Führer, chez L.S.
DAWIDOWICZ, The War against the Jews, London,
(1975), pp.110-111. Voir aussi J. BILLIG, La Solution finale de la
question juive, essai sur ses principes dans le IIIème Reich et en France sous
l'occupation , Paris, 1977, p. 53.
[198]
Directive de Otto Dietrich, chef du service de
press du Reich et du parti, datée du 5 février 1943, citée d'après
J. BILLIG, ibidem, p. 81.
[199]
Le journal du Dr. Goebbels, Paris, 1949,
p. 246.
[200]
voir Interview de Robert Faurisson, dans Storia illustrata, août l979, n° 261, réédition La Vieille
Taupe, pp. 15-17. Bien qu'il ne soit "pas un spécialiste de ces
questions", Faurisson n'explique pas moins toutes les mesures prises à
l'encontre des Juifs en Europe par des "raisons de sécurité". Le
discours "révisionniste" sur l'histoire de cette période consiste à
prétendre qu'"Hitler a traité les civils juifs comme les représentants
d'une minorité belligerante ennemi". "En bonne logique guerrière",
selon cette lecture, "Hitler aurait été conduit à interner tous les Juifs
tombés sous sa coupe. Il est très loin de l'avoir fait, non sans doute pour des
raisons humanitaires mais pour des motifs d'ordre pratique".(pp. 16-17).
Tout autant Faurisson affirme que "jamais Hitler n'a ordonné, ni admis que
quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion". Sans doute, ce
"révisionnisme" concède-t-il qu'il "connaî(t) mal Hitler",
mais il saisit assez le discours hitlérien sur "l'extermination de la
race juive en Europe" pour y lire un témoignage d'époque sur "la
guerre inexpiable" qu'"il y a eu entre Hitler et les Juifs".
"Il est évident", au regard de Faurisson, "que chacun renvoie
sur l'autre la responsabilité de ce conflit"( p.15)
[201]
Doc. NG-5O92 CXXVII-57, télégramme signé: Dr.
Best, Copenhague, le 18 octobre 1943, cité d'après J. SABILLE, Comment furent sauvés les Juifs du Danemark, dans Mémoire du Génocide, p.172.
[202]
Voir E. NOLTE, Légende historique ou révisionnisme. Comment
voit-on le IIIème en 1980?, dans Devant l'Histoire, Les documents
de la controverse sur la singularité de l'extermination des Juifs par le régime
nazi, p.15. L'argument de la bélligérance fondé sur une déclaration
de Chaïm Weizmann de septembre 1939 constitue le seul apport du "révisionnisme"
aux débats autrement sérieux qui agitent cette fois les historiens du nazisme
et de la solution finale. L'historien allemand Ernst Nolte l'a découverte
dans les écrits "révisionnistes". Il se "reproche de l'avoir
ignoré(e) (...) bien qu'elle soit de nature à étayer (cette) thèse, non négligeable",
selon lui.
[203]
Sur le statut des Juifs palestiniens, ressortissants britannique, voir à
propos de l'"échange germano-palestinien", dans M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, 1942-1944, T III,
vol, I, pp. 183-189.
[204]
Voir doc. EG-183 Le chef de la police de sécurité et du
service de sécurité, IV B 4 a, au Ministère des Affaires Etrangères,
conseiller de légation Rademacher, Berlin, le 22 juin l941,dans
S.KLARSFELD et M. STEINBERG,Dokumente. Die Endlösung der Judenfrage in
Belgien ,p.28-29.
[205]
Le chef supérieur de la SS et de la police, note de
procès-verbal, objet: convention de langage au sujet de la déportation à l'Est
des Juifs de zone non-occupée, Paris, le 4 septembre 1942, reproduit
dans D. PESCHANSKI, Que savait Vichy?
dans S.COURTOIS et A.RAYSKI,Qui savait quoi? L'extermination
des Juifs 1941-1945, Paris, 1987. p. 64. Peschanski cite ce document
pour conclure qu'à tout le moins, "Laval n'a pas voulu savoir". Son
analyse de l'attitude de chef du gouvernement français est très fine:
"la volonté d'exclure les Juifs étrangers, quitte à les livrer aux
Allemands si ces derniers le demandent, surdétermine l'occultation dès lors
nécessaire de toute interrogation sur le sort des victimes" (p.62).
[206]
CDJC XXVI-29, IV J - SA 24, Paris, le 15 juin l942,
concerne: prochains transports de Juifs de France, signé: Dannecker, capitaine
SS , reproduit dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, pp.
25-26.
[207]
Procès von Falkenhausen - P 2412 Ministère de la Justice,
Gaston Schuind, secrétaire général au conseiller général Thedick, Bruxelles,
le 14 avril 1943
[208]
Voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, 1942,
les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, t II, p.68.
[209]
Procès von Falkenhausen - P 2413 Ministère de la Justice,
Gaston Schuind, secrétaire général au conseiller général Thedick, Bruxelles,
le 14 avril 1943
[210]
La proportion des enfants était plus élévée dans les convois de 1942:
22,29 %.
[211]
Voir sur cette problématique, M. STEINBERG,
L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs ,t III, vol. 2, pp.229-233.
[212]
Dans les territoires administrés par l'armée - la France et la Belgique -, les
homes d'enfants et asiles de vieillards juifs constituaient, en 1943, un ersatz
de la "protection" des citoyens d'origine juive arrivée à son terme.
Il n'y a dans ces modalités de la solution finale aucun "étrange phénomène
à concilier avec une prétendue politique d'extermination", pour reprendre
en un autre sens l'expression de R.Faurisson. La démarche "révisionniste"
est si étrangère à toute compréhension historique que dans sa Réponse à Pierre Vidal-Naquet, p.30, il n'a pu saisir
pourquoi les ravages de la solution finale dans la population juive de France
s'élèvent seulement à 20 ou 25 %. Dans sa lecture abusive, il n'hésite pas à
conclure "que les trois quarts des Juifs établis (sic) en France n'ont pas
été déportés". A moins de considérer, d'un point de vue xénophobe, sinon
antisémite, que les Juifs, quelle que soit leur nationalité, sont toujours des
étrangers, ceux qui s'étaient "établis" dans la France d'avant 1940 –
c’est-à-dire les immigrés et les réfugiés du Grand Reich Allemand arrivés à la
veille de la guerre - ont été déportés dans une plus grande proportion que les
citoyens français d'origine juive. Chez ces derniers, le rapport est d'un à six
ou sept. La proportion des Juifs étrangers déportés s'élève à près d'un sur
deux. Selon les chiffres publiés par J. Billig, Le
Commissariat Général aux Questions Juives 1941-1944 , Paris, 1957,
t II, p. 209 et S. KLARSFELD, Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France, sur les
259.717 Juifs dont la nationalité est établie, il y avait 145.008 citoyens
français, soit 55, 8 %. Sur les 75.721 déportés juifs, les Français seraient
approximativement 24.000, soit 16, 5 %. En Belgique, où la structure
socioculturelle de la population juive est toute différente - 94 % d'étrangers
-, ces derniers ont été aussi vulnérables qu'en Belgique.(voir les conclusions
de M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs,
1942-1944, T III, vol, II, pp.250-251). Les Juifs des Pays-Bas ont
été les plus vulnérables: 80 % ont été déportés, mais dans ce territoire
placée sous une administration civile, les citoyens juifs - les trois
quarts de la population juive-n'ont pas été immunisés en 1942.(voir à ce
sujet la fort intéressante mise en perspective ouest-européenne de J.C.H.
BLOM, De vervolging van de joden in Nederland in internationaal
vergelijkend perspectief, dans
De Gids, n° 6/7, 1987, pp.494 à 507).
[213]
Procès von Falkenhausen P 2395 Le chef de
l'administration militaire au délégué du chef de la police de sécurité,
Bruxelles, le 30 septembre 1942, objet: évacuation des Juifs, réf. entretien
avec le major Ehlers en date du 25.9.1942, signé: Reeder
[214]
Procès von Falkenhausen P 2393 Administration militaire,
groupe politique/pol aux Ober et Feldkommandanturen, le 25 septembre 1942
[215] M.STEINBERG, Dossier
Bruxelles-Auschwitz , p.199.
[216] Voir R.M.W. KEMPNER, Edith Stein
und Anne Frank, Zwei von Hunderttausend. Die Enthüllungen über die
NS-Verbrechen in Holland vor des Schwurgericht in München, Freiburg/Brelsgau,
1968.
[217]
J. Billig a souligné, en 1968, combien "les aveux de Harster et de Zoepf,
la demande de pardon qu'ils ont adressée rétroactivement à leurs victimes
constituent un des traits exceptionnels de ce procès". Voir J. BILLIG, La solution finale de la question juive en Hollande, Robert Kempner
sur Edith Stein et Anne Frank, dans Le Monde
juif, n° 52, 1968.
[218]
(S. KLARSFELD), Le Procès de Cologne, additif au Mémorial de la Déportation des Juifs de
France ,(sl.,sd) et Le verdict du procès de
Cologne, texte présenté par Serge Klarsfeld , dans Le Monde Juif , n° 1O1, 1981.
[219]
J(oseph). B(illig):Quelques réflexions sur
les déclarations fondamentales des accusés, dans Mémoire du Génocide,, p. 441-442.
[220]
De Vrijschuter(Le Franc-Tireur), 2eme
année, n° 8 [août 1942]
[221]
Voir le chapitre La rumeur du génocide dans M.
STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs,
t III, vol. 1, pp.229-263.
[222]
Les atrocités nazies dans les régions occupées
soviétiques occupées, dans Le Drapeau Rouge,n°3,
février 1942.
[223]
Doc. Nuremberg R 1O2, compte rendu n° 6 sur
l'activité et la situation des Groupes d'action de la Police de Sécurité et du
Service de Sécurité en U.R.S.S., du 1er au 31 octobre 1941, dans H.
MONNERAY,La persécution des Juifs dans les pays de l'Est,
p. 298.
[224] Fraternité, 8, juillet 1943 cité dans Qui savait
quoi? L'extermination des Juifs 1941-1945, p. 196.
[225] J'accuse, 14, juin 1943, ibidem, p.192.
[226] J'accuse, 16, 26 juin 1943, ibidem, p.194
[227] Notre parole, mars 1943, ibidem p. 178. Analysant, avec la publication de ces textes d'époque,
ce qu'il appelle "une stratégie de l'information", S.Courtois,
pourtant un spécialiste du communisme n'a pas saisi combien elle était en
réalité, une stratégie de la mobilisation. L'historien évacue cette problématique
du criblage de l'information sous prétexte qu'"il est évidemment
impossible de déterminer l'impact exact de cette presse clandestine"
communiste juive(p.14). La simple critique des seuls documents publiés révèle
déjà combien leurs auteurs ne parvenaient pas à se persuader de la réalité du
génocide en cours qu'ils dénonçaient. La question demeure ouverte de
déterminer jusqu'à quel point "les milieux juifs (...) prennent alors conscience
que la persécution antisémite vise désormais à leur destruction", comme
l'écrivent encore S. COURTOIS, D. PESCHANSKI et A. RAYSKI, dans Le sang de l'étranger, les immigrés de la M.O.I. dans la Résistance,
Fayard, Paris, 1989, p. 159.
[228]
Voir à ce sujet W.LAQUEUR, Le terrifiant secret, la
"soLution finale" et l'information étoufée, Paris, 1981,
notamment pp.266-276. Egalement R. POZNANSKI, Qui savait
quoi dans le monde?, dans S.COURTOIS et A.RAYSKI, op. cit., p. 37.
[229]
L'information sur ce point était fausse. La rumeur du génocide charriait aussi
nombre d'erreurs, tels "les wagons pleins de chaux vive". Il est
regrettable de les retrouver sous la plume d'un historien définissant la
question qu'il pose. Voir S.COURTOIS et A.RAYSKI,ibidem,p.7. Cet ouvrage collectif
porte malheureusement la marque de la précipitation. Toutes les communications
ne traitent pas avec une égale rigueur critique la problématique de la
conscience historique.
[230]
Radio Moscou, 27 décembre 1942, voir la
traduction du passage principal en allemand dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, pp.
57.
[231]
Doc. Nuremberg PS 3244, Mesures préparatoires pour
la solution du problème juif en Europe, rumeurs au sujet de la situation des
Juifs à l'Est, 9 octobre 1942, extrait des Ordonnances,
réglements et avis de la chancellerie du parti national-socialiste,
volume II, reproduit dans H. MONNERAY,
op. cit. , p.91-92
[232]
Journal de Kremer , le 1er mars 1943,
pp. 25O-251
[233]
Voir dans H. MONNERAY,op. cit., p.91-92.
[234]
Le nouvel ordre juif. Ce que les Juifs exigent pour
eux-mêmes , dans Sürmer, 4
novembre 1943.
[235]
Voir dans H. MONNERAY, op.cit., p.91-92.
[236]
CDJC XXVI-29, IV J - SA 24, Paris, le 15 juin l942,
concerne: prochains transports de Juifs de France, signé: Dannecker, capitaine
SS, reproduit dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, pp.
25-26. Une erreur typographique s'est glissée dans le document reproduit:
"in das östliche Deportationsgebiet" doit se lire "in das
östliche Operationsgebiet", une seule lettre fait toute la différence
historique entre "la déportation" et "l'extermination".
[237] M.STEINBERG, Dossier
Bruxelles-Auschwitz, pp. 2O1-2O2
[238]
Doc. Nuremberg URSS-57, rapport du Groupe d'action
A pour la période du 1O octobre 1941 au 31 janvier 1942, dans H.
MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l'Est,
p. 51
[239]
doc L.180 Groupe d'Action A, compte rendu général jusqu'au 15
octobre 1941, daté du 31 janvier 1942, ibidem, p.28O.
[240]
Compte rendu URSS-57, rapport du Groupe d'action A
pour la période du 1O octobre 1941 au 31 janvier 1942, ibidem, p. 51
[241]
doc.Nuremberg NO-2825, RSHA IV-A 1 R 133, du 14
novembre 1941, cité dans R. HILBERG, La
destruction des Juifs d'Europe, p. 256.
[242]
Doc.Nuremberg NO 2824,Le chef de la police de
sécurité et du service de sécurité, compte rendu des événements URSS n°148,
Berlin, le 19 décembre 1941 , dans H. MONNERAY,op. cit., p. 3O3.
[243] Doc.Nuremberg NO 316O, Le chef de
la police de sécurité et du service de sécurité, compte rendu des événements
URSS n°124, Berlin, le 25 octobre 1941, p.2 et p.6. Autre traduction
dans H. MONNERAY, ibidem, pp.299-300.
[244]
Doc. Nuremberg URSS-57, rapport du Groupe d'action
A pour la période du 1O octobre 1941 au 31 janvier 1942, ibidem, p.
51
[245]
Ministère du Reich pour les territoires occupés de
l'Est, projet de lettre signé: Wetzel, Berlin, le 25 octobre l941, objet:
solution de la question juive, dans P. JOFFROY ET K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann, texte établi par Pierre Joffroy et Karin
Königseder, Paris, 1970, p.162-163.
[246]
Doc. Nuremberg PS 3257 Inspection de
l'Armement en Ukraine, au
chef du Bureau de l'Economie et
de l'Armement auprès du Haut Commandement de l'Armée,le général d'Infanterie
Thomas à Berlin , le 2 décembre l941, dans H. MONNERAY, op.cit,
p. 111
[247]
Auschwitz vu par les SS, Hösz, Kremer, Broad,
p. 108.
[248]
doc. Nuremberg PS 11O4. Le commissaire du
territoire de Sluzk, Carl au commissaire général à Minsk, Sluzk le 30 octobre
1941, objet: opération contre les Juifs, dans H. MONNERAY, op.
cit., p. 137.
[249]
doc. Nuremberg PS 11O4. Le commissaire général
pour la Ruthénie blanche, au Gauleiter Heinrich Lohse, commissaire du Reich
pour les territoires de l'Est à Riga, Minsk le 1er novembre 1941, personnel, signé:
Kube, ibidem, p.134.
[250]
Dans ses Libres propos sur la la guerre et la paix (Paris,
1954, t I, p.137), Hitler exprime à plusieurs reprises son mécontentement
devant les réactions négatives que suscitent, dans le Reich, la déportation
des Juifs allemands vers l'Est. "Notre bourgeoisie en est toute
malheureuse", dit-il le 25 janvier l942, en présence d'Himmler."Que
va-t-il leur arriver?". Et d'ajouter: "il faut agir radicalement.
Quand on arrache une dent, on l'arrache d'un coup et la douleur tarde à
disparaître (...) Moi, je me borne à leur dire [aux Juifs] qu'ils doivent s'en
aller. S'ils cassent leur pipe en route, je n'y puis rien. Mais s'ils refusent
de partir volontairement, je ne vois pas d'autre solution que
l'extermination. Pourquoi ne
considérais-je un juif avec d'autres yeux qu'un prisonnier russe ? Dans les
camps de prisonniers, nombreux sont ceux qui meurent. Ce n'est pas ma faute. je
n'ai voulu,ni la guerre, ni les camps de prisonniers. Pourquoi le juif a-t-il
fomenté cette guerre ? Il se passera bien trois cents à quatre cents ans avant
que les juifs reprennent pied en Europe".
[251]
Ministère du Reich pour les territoires occupés de
l'Est, projet de lettre signé: Wetzel, Berlin, le 25 octobre l941, objet:
solution de la question juive, dans P. JOFFROY ET K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann, texte établi par Pierre Joffroy et Karin
Königseder, Paris, 1970, p.162-163.
[252]
Voir Y. TERNON et S. HELMAN, Le massacre des aliénés,
des théoriciens nazis aux praticiens, Ed. Casterman, Paris.
[253]
Wetzel écrivait:"à l'heure actuelle, on évacue des juifs de l'ancien
Reich pour les envoyer à Litzmannstadt [Lodz dans le Warthegau], et
d'autres camps encore, d'où ils partiront vers l'Est, et, s'ils sont aptes au
travail, dans les camps de travail".
[254]
CDJC/CDXCVI Le commandant militaire en Belgique et dans le Nord
de la France, chef de l'administration militaire, groupe: pol., Bruxelles, le
27 octobre 1942, aux Ober- et Feldkommandantures, concerne: procédure de transfert
dans le Reich et de déportation dans le territoire de l'Est, dans
S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung
der Judenfrage in Belgien, p.51.
[255]
Doc. PS 447, directive du Haut Commandement de la
Wehrmacht, signée: Keitel, le 13 mars 1941.
[256] M.STEINBERG, Dossier
Bruxelles-Auschwitz, p.120
[257]
Les ordres donnés à Pretszch semblent avoir été fort vagues. L'ordre
d'assassiner également les femmes et les enfants serait intervenu une fois le
massacre entamé. Au procès dit des "Einsatzgruppe" à Nuremberg en
1947/1948, le général SS Erwin Schulz, également docteur en droit et présent à
l'école de Pretszch en mai l941, apprit seulement - selon ses dires - le l0
août 1941 que les femmes et les enfants devaient être tués comme les hommes. A
sa demande, il fut relevé, le 25 septembre 1941, du commandement du commando
d'action 5 dans le Groupe C. Voir F. BAYLE, Psychologie et éthique du
national-socialisme, P.U.F., Paris, 1953, p. 99.
[258]
Le cas le plus remarquable est celui du général de brigade SS Heinz Jost,
docteur en droit comme Ehlers et son aîné de quatre ans. Il demanda d'être relevé du commandement du Groupe A où
il avait succèdé à Franz Stahlecker. Himmler et Heydrich lui laissèrent son
grade de général de la police, mais il fut muté sur le front avec le grade de
sergent dans la Waffen SS. Ibidem, p. 91.
[259]
Doc PS 1919 Discours d'Himmler à Posen, devant les généraux SS,
le 4 octobre 1943, cité d'après MONNERAY, H., op. cit., p.66
[260]
Discours de Himmler aux Reichsleiter et Gauleiter,
à Posen, le 6.1O.1943, dans H. HIMMLER, Discours secrets,
Paris, 1978, p.167-168
[261]
Discours d'Himmler aux généraux SS à Posen, le 4
octobre 1943, d'après F. BAYLE, op.cit. , pp.438-439
[262] lettre du commandant de la SIPO-SD en Ryuthénie blanche à
l'état-major personnel du R.F.SS, signé lieutenant-colonel Strauch, Minsk, le
2O juillet l943, citée d'après W. HOFER, Le national-socialisme
par les textes, pp. 297-298.
[263]
Voir sur E. Strauch, A. DE JONGHE, La lutte Himmler-Reeder
pour la nomination d'un HSSPF à Bruxelles - Cinquième partie: Salzbourg avant
et après - Evolution policière de septembre 1943 à la fin de l'occupation,
dans Cahiers d'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale,
Bruxelles, 8, octobre 1984, pp. 100-101.
[264]
NO-4315 Lettre de Berger ( chef de l'Office central de la
SS) à Brandt (état-major personnel de Himmler), 18 août 1943, cité
d'après R. Hilberg, La Destruction des Juifs
d'Europe, p. 335, n.81
[265]
Cité d'après R. HILBERG, ibidem, p. 334 note 80.
[266]
NO-6OO, Lettre de Grawitz à Himmler, le 4 mars 1942,
citée dans R. HILBERG, ibidem, p. 283.
[267]
Voir F. BAYLE, op. cit., p. 145.
[268]
Procès-verbal de C. Canaris, le l8 juin 1946,
cité d'après A. DE JONGHE, La lutte Himmler-Reeder
dans Cahiers d'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale,
Bruxelles, 8, octobre 1984, pp. 101 note 4O3.
[269]
Mémoire de E. Strauch, le 8 mai 1947,
cité d'après A. DE JONGHE, ibidem, p. 101 note 4O3.
[270] Dans
son étude du comportement des inculpés du procès des Groupes d'action à Nuremberg, François Bayle constate que
"des sanctions disciplinaires: déplacements et retrogradations,
frappèrent les chefs de groupes ou de commandos qui refusèrent d'exécuter les
ordres d'extermination" (F. BAYLE, op. cit. , p. 179)
[271]
Himmler n'est pas parvenu à installer le général SS R. Junglaus comme chef
supérieur de la SS et de la Police en Belgique et dans le Nord de la France au
printemps 1942.
[272]
J.BILLIG, Expertise sur la connaissance par le SS
Oberstrurmbannführer Ehlers du sens réel de la déportation des Juifs de
Belgique, dans M.STEINBERG, Dossier
Bruxelles-Auschwitz , pp. 2O1.
[273]
Ibidem, p.201.
[274]
Voir le compte rendu de l'audience du 29 juin l981, par L. De Lentdecker, dans
De Standaard, 3O juin 1981, reproduit
dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Le Mémorial de la déportation
des Juifs de Belgique. La fin du volume est consacré à cet
épilogue judiciaire et le reconstitue à l'aide des coupures de presse.
[275]
Voir le compte rendu de la dernière audience par J.P. C(olette), dans Le Soir, 3 juillet l941.
L'accusait ajoutait qu'"il est donc faux d'affirmer que je n'ai
pas de regret". Il répondait ainsi à la partie civile. Elle avait dénoncé
son mutisme."Sans même avouer le rôle qui fut le sien", avait-elle
déclaré, "il pouvait tout au moins regretter les crimes que le service
dont il était un agent a commis contre tant
d'êtres humains, hommes, femmes,
enfants et vieillards".
[276]
Les extraits les plus significatifs du verdict sont publiés dans S.KLARSFELD et
M. STEINBERG, Le Mémorial de la déportation des Juifs
de Belgique, non paginé.
[277]
Le 29 juin 1981, dans ses préliminaires, le conseil de l'accusé, ancien
bâtonnier de l'ordre des avocats de Kiel, déclarait volontiers: "Nous
aussi, nous disons que Hitler voulait exterminer les Juifs et que sa volonté
fut exécutée en 1942".
[278]
Ces pièces d'archives ignorées du parquet et produites par la partie civile
sont les compte rendu des entretiens de l'officier SS avec les délégués du
conseil juif qui fonctionnait sous son contrôle personnel.
[279]
Ministère de la Santé Publique et de la Famille.
Administration des Victimes de la Guerre. Procès-Verbaux du Comité directeur
de l'Association des Juifs en Belgique, compte rendu de l'entretien au sicherheitsdienst,
en date du 23.1O.1942 dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente. Die
Endlösung ...in België,
p. 53. Voir aussi M.STEINBERG, L'Etoile et le Fusil,
1942, Les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique,
Bruxelles, 1984, T II, p. 16.
[280]
Doc. Nuremberg, PS 1919, discours d'Himmler devant
les généraux SS, à Posen, le 4 octobre l943.
[281]
Voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La
Traque des Juifs ,t III, vol. 1, p. 214 et suivantes
[282] Doc. Nuremberg NG-5219. AA. 17 nov. 1942, Service des Affaires étrangères, Bruxelles, au
Service des Affaires Etrangères, Berlin, Bruxelles le 11 novembre l942,
concerne: Juifs en Belgique signé:
Bargen , publié dans S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien pp. 54-55.
[283]
Le chiffre de 20.000 personnes à déporter jusqu'en octobre 1942 correspond à
celui que donne l'ancien commandant d'Auschwitz Rudolf Hösz. Revenant dans ses Mémoires sur ses premières dépositions judiciaires quant
au nombre de Juifs morts dans son camp, il "considère le chiffre de deux
millions et demi comme beaucoup trop élevé". Lui, il "ne (se) souvient(t)
que des chiffres des "actions" plus importantes qui (lui) ont
souvent été indiqués par Eichmann ou ses délégués" et ici, il citait le
chiffre "belge" de 20.000 (Voir Auschwitz vu par les SS, pp. 132-133)
[284]
J.B. Quelques réflexions sur les déclarations
fondamentales des accusés, dans Mémoire du Génocide,
p. 443.
[285]
Dannecker, condamné à mort par contumace en France en 195O, est présumé s'être
pendu, le l0 décembre 1945, dans la prison américaine de Bade-Tolz.
[286]
Doc. CDJC CDLXXXI- 5b Jugement du procès
Lischka-Hagen-Heinrichshon 23 octobre 1979-11 février 1980, p. 279.
[287]
Doc CDJC XXV b-2O, IV J. Paris, le 13 mai
l942, concerne: affectation du matériel ferroviaire pour les transports de
Juifs, signé: Dannecker, capitaine SS, dans S. KLARSFELD, Deutsche Dokumente 1941- 1944, Die Endlösung der Judenfrage in
Frankreich, herausgegeben von Serge Klarsfeld, Paris, 1977, p. 56.
[288]
J. BILLIG, La Solution finale de la question juive,,
p. 94.
[289]
R. FAURISSON, Une enquête du Monde
diplomatique sur les chambres à maz (mars 1988), dans Annales d'Histoires révisionnistes, 4, printemps 1988, p. 144). Le numéro de mars 1988 du Monde diplomatique comportait une enquête
d'Alexandre Szombati sur la mémoire sans défaillance
des bourreaux, les nazis parlent. Y était rapportée (p. 5) la
"grande surprise" du juge d'instruction des procès du camp de Treblinka, l'Allemand
Kurt Schwedersky d'être "tombé" sur un document aussi explicite que
le rapport Dannecker sur "le but de (la) déportation" en dépit de
l'interdiction de "parler ouvertement de l'extermination des Juifs"
dans le IIIème Reich.
[290]
R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet,
Paris, 1982, p. 29; voir aussi l'exposé sur le convoi n° 1 du 27 mars
1942, dans S.KLARSFELD, Le Mémorial de la
Déportation des Juifs de France, non paginé).
[291]
O(ffice) C(entral de la) S(écurité du) R(eich), IV
B 4, Paris, le 1.7.1942, concerne: conférence de service en vue de l'imminente
évacuation de France, avec le capitaine SS Dannecker, Paris, signé: Dannecker,
capitaine SS, Eichmann, lieutenant-colonel SS, dans S. KLARSFELD, Deutsche Dokumente, p. 71.
[292]
Dannecker lui-même est un ancien de la section II du service de sécurité de la
SS chargée des "adversaires idéologiques" (voir le service
des questions juives au SD. Le II-112 sous le signe du sionisme
dans J. BILLIG, La Solution finale de la question juive,
pp.22 et suivantes). En Belgique, les affaires juives relevèrent de la
section II des "adversaires idéologiques" de la police de sécurité
jusqu'au printemps 1943 (voir à ce sujet sur la Belgique le chapitre La mission antijuive de la police SS dans M. STEINBERG, Dossier Bruxelles-Auschwitz, p. 16).
[293]
Voir doc. EG-183 Le chef de la police de sécurité et du
service de sécurité, IV B 4 a, au Ministère des Affaires Etrangères, conseiller
de légation Rademacher, Berlin, le 22 juin l941 dans S.KLARSFELD et
M. STEINBERG, Dokumente. Die Endlösung der Judenfrage in
Belgien, p. 28.
[294]
CDJC V- 59 Mémoire de Dannecker sur l'office central juif,
daté du 21 janvier 1941, cité d'après J. BILLIG, Le Commissariat General aux Questions Juives (1941-1944),
Paris, 1955, T 1, p. 46.
[295]
Avant même que les chargés des affaires juives à l'Ouest eussent atteint les
quota fixé le ll juin, l'"aktion" de "transport des Juifs vers
l'Est" prit, sur instruction de Berlin, "le caractère d'une
évacuation générale", comme le signalait dès septembre l'autorité
militaire d'occupation à Bruxelles (voir Rapport d'activité n° 21
de l'administration militaire en Belgique et au Nord de la France, le 15 septembre
1942, p. A 38, dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, p. 44)
[296]
Doc. CDJC XXVb-87, IV-J, Paris, le 2O.7.1942,
concerne: Voyage en zone non-occupée - inspection des camps juifs, signé:
Dannecker, capitaine SS, publié dans S. KLARSFELD, Deutsche Dokumente, p. 95.
[297]
R. FAURISSON,Réponse à Pierre Vidal-Naquet, p.
29; voir aussi l'exposé sur le convoi n° 1 du 27 mars
1942 , dans S.KLARSFELD, Le Mémorial de la
Déportation des Juifs de France, non paginé).
[298]
Interview de R. Faurisson à Storia illustrata,
août 1979, n° 261, rééditée par La Vieille Taupe, p. 11.
[299]
Voir l'extrait du verdict de Kiel publié, dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Le Mémorial de la déportation des Juifs de Belgique.
[300]
Voir Tribunal Supérieur du Schelswig-Holstein, décision
dans l'affaire pénale contre E.Ehlers, C.Canaris, K.Asche et K.Fielitz, le 8
mars 1977, dans M.STEINBERG, Dossier Bruxelles-Auschwitz,
p.197.
[301]
Ibidem, p.204
[302]
Formulaire, daté du 18 juillet 1942,
publié dans G. WELLERS, Les chambres à gaz ont
existé, pp. 83-84.
[303]
Le journal du Dr. Goebbels, Paris, 1949,
p. 246.
[304] Sermon de l'évêque de Munster, Clemens von Galen en l'Eglise Saint
Lamberti à Munster, le 3 août 1941, reproduit dans W. HOFER, Le National-Socialisme par les Textes, pp. 161-163
[305]
Général SS Victor Brack à Heinrich Himmler, RFSS ,
Berlin le 23 juin l942, d'après E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret d'Etat p. 136-137. Au total,
92 hommes "de la chancellerie du
Führer [participèrent à] l'exécution de l'opération Reinhard" sur les 45O
que Globocnik eut sous ses ordres, jusqu'au 19 octobre l943. (Lettre du Général de Brigade SS Globocnik à la direction du personnel
du R.S.H.A à Berlin, le l9 octobre l943, ibidem, p.135).
[306] Journal de Kremer ,p.226.
[307]
R. FAURISSON, Mémoire en défense, p.31.
[308]
P. VIDAL-NAQUET,Les assassins de la mémoire.
p.68 et p.73.
[309]
R. Hilberg a même exigé de son éditeur Fayard que le mot d'"extermination
ne (soit) pas (...) utilisé dans son texte: on parlera donc, sous sa plume
d'"opérations mobiles de tuerie" et de "camps de mise à
mort"".(Voir l'avertissement de l'éditeur, dans R. HILBERG,La destruction des Juifs d'Europe, p.7) Ce choix personnel
est malheureux. il multiplie les impasses dans la traduction des documents
(Voir au chapitre VIII, Les déportations,
pp. 338, 341, 345 ...). Plus fondamentalement, l'option morale de Hilberg
nourrit la confusion chez le lecteur entre les "camps de la mort" que
sont les camps de concentration et les "camps d'extermination" qui
n'immatriculent pas les déportés voués au massacre, dès leur arrivée. Voir le
compte rendu de M. STEINBERG, dans Annales, Economies,
Sociétés, Civilisations , 43ème année, n° 3, mai-juin 1988,
pp.666-669. (C'est cette revue scientifique que parodie les Annales d'histoire révisionniste dans sa quête d'une
respectabilité).
[310]
Voir Une lettre de M. Faurisson, dans Le Monde, 16 janvier l979.
[311]
En réponse à Faurisson, Vidal-Naquet souligne qu'avec cette note sur "le
camp de l'extermination", Kremer "ne fait pas, c'est vrai, référence
à un concept juridico-administratif qui ne figurait pas, c'est encore vrai,
sur les tablettes officielles du IIIème
Reich, il parlait tout simplement de ce qu'il voyait".Dans la
traduction de Vidal-Naquet toutefois, "Kremer parle du camp de
l'anéantissement").(voir P. VIDAL-NAQUET, Les assassins
de la mémoire,, p.72-73.
[312]
R. FAURISSON,Mémoire en défense, p.22.
[313]
La note est citée dans la traduction d'Oswiecim (voir le Journal de
Kremer, p.235). Pierre Vidal-Naquet remarque que "Faurisson,
si soucieux d'exactitude en matière de traduction, ne s'est pas aperçu que
Kremer n'emploie pas, pour le typhus, le verbe Vernichten,
il écrit le 3 octobre:"A Auschwitz, des rues entières sont abattues par le typhus"(In Auschwitz
liegen ganze Strassenzüge an Typhus darnieder)".(Voir P. VIDAL-NAQUET,Les assassins de la mémoire.p.71-72. Le recueil reprend Un Eichmann de papier, publié dans Esprit,
9, septembre 1980.). Dans son Mémoire en défense
sorti de presse en novembre de 198O, Faurisson rectifie, en traduisant par
"étaient couchées, malades"(p.2O).
[314]
R. FAURISSON, Mémoire en défense, p. 25.
[315]
Une lettre de M. Faurisson, dans Le Monde, 16 janvier l979.
[316]
R. FAURISSON, Mémoire en défense, p. 32.
[317] Ibidem, p. 34.
[318] Ibidem, p. 32
[319] Journal de Kremer , p. 226.
[320]
télex de l'office central de l'administration
économique de la SS, le 22 juillet 1942 , dans E. KOGON, H.
LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret
d'Etat, p. 2O1.
[321]
Lettre du 14 septembre l942, citée dans
G. WELLERS, Qui est Robert Faurisson, dans Le Monde juif, n° 27, juillet-septembre 1987, p. 1O3.
[322]
télex de l'office central de l'administration
économique de la SS, le 26 août 1942
et idem, le 2 octobre 1942 , dans E.
KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret
d'Etat, p. 2O1.
[323]
Journal de Kremer, n.52, p. 227.
[324]
Du temps de Kremer, la rampe n'était pas à Birkenau, mais à la gare de
marchandises d'Auschwitz.
[325] H. LANGBEIN, Der
Auschwitz-Processs, Eine Dokumentation t. 1, p. 73.
[326]
Voir le doc.NO-365,Ministère du Reich pour
les territoires occupés de l'Est, projet de lettre signé: Wetzel,25 octobre 1941,
reproduit dans Eichmann par Eichmann, p.162-163.
[327]
Sur le rôle de V. Brack dans l'exécution technique du génocide, voir R.
HILBERG, op. cit., pp.757, 76O, et surtout pp. 776 et suivantes.
[328]
G. WELLERS, Les deux gaz toxiques, dans E. KOGON, H.
LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret
d'Etat, p. 259.
[329]
La formule est de R. Faurisson, dans son Mémoire en défense,
p. 48. Il ne l'utilise évidemment pas en relation avec le document Wetzel du
31 octobre 1941. R. Faurisson feint d'ignorer cette pièce du dossier des
chambres et des camions à gaz. Il s'étonne d'autant plus facilement que Kremer
"ne peut rien dire sur la façon de pénétrer dans la "chambre à
gaz" pour en retirer les corps. C'est bien pourtant à cet instant fatidique,
dans ces heures cruciales de la manipulation de centaines de cadavres pénétrés
de cyanure qu'en tant que médecin, il aurait eu éventuellement à
intervenir". L'argument lui sert à invalider un témoignage judiciaire où
l'accusé - Kremer - rapporte la préoccupation de la vie des exécutants SS de
l'extermination des Juifs.
[330] Justiz und NS
Verbrechen, vol. 17., p. 17.
[331] Journal de Kremer, p.229.
[332] H.
LANGBEIN, Der Auschwitz-Processs, Eine Dokumentation
t. 1, p. 74
[333]
Ibidem, p. 72.
[334]
R. FAURISSON,Mémoire en défense, pp. 48 et
suivantes
[335]
Ce bénéfice du doute que le verdict accorde à l'accusé ne décide pour autant
Faurisson à réviser sa théorie des procès en sorcellerie intentés aux criminels nazis. Idem, p.53.
[336] Ibidem, p. 55. Chez Faurisson, l'argument
sert à prouver que Kremer, par crainte de la justice, continue "à
réciter" la "leçon" apprise en Pologne. Selon lui, Kremer aurait
opté, dans sa défense, pour le "système, adopté par tous les avocats de
ce type de procès, (qui) consiste à ne remettre en cause aucun tabou et à
déclarer :"oui, sans doute, les gazages ont existé, mais personnellement,
je n'y ai participé que de très loin et sur ordre"" ( Ibidem). La
défense de Kremer fut bien différente de l'analyse "révisionniste":
il ne plaida pas coupable.
[337]
Ibidem, pp. 48 et suivantes
[338]
Faurisson s'étonne des déclarations du témoin sur le geste du SS qui
"lançait(!) le contenu d'une boîte de Zyklon B par une ouverture dans le mur(!) et que par
cet orifice (!) on entendait les cris des victimes [...]". Et de s'interroger.
"Mais ce médecin, qu'a-t-il vu, de ses yeux vu, en fait de "chambre à
gaz" ? Exactement rien", conclut-il.
[339]
Voir au chapitre IV, la discussion sur "le gazage".
[340] message téléphoné du lieutenant SS Schwartz d'Auschwitz au service
central de l'administration économique, service D II à Oranienburg, daté du
8.3.43, dans G.WELLERS, Les Chambres à Gaz ont
existé; des documents, des témoignages, des chiffres", p.43
[341]
L'état des effectifs de Birkenau, daté du 8 octobre l944
compte les 1.299 détenus soumis au "traitement spécial", le 7, parmi
les 2.394 "sorties" dont 1.15O "transfert", dans E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret d'Etat, p.2O2.
[342]
Le Reichsführer SS, état-major personnel, à l'inspecteur
de la statistique camarade de parti Korherr, signé: lieutenant-colonel SS
Brandt, le lO avril l943 , cité
G. WELLERS, La Solution finale et la
mythomanie néonazie, Paris-New-York, 1979, p.64.
[343]
R. FAURISSON, Réponse à Vidal-Naquet, p. 24.
[344]
Le "révisionnisme" fait grand cas de la déposition d'Ernst
Kaltenbrunner au procès de Nuremberg sur le "traitement spécial"
réservé à des détenus de marque internés dans des hôtels de luxe. Le contexte
de cette citation est toujours ignoré. Kaltenbrunner y montrait que
"l'expression tragique de "traitement spécial" est employée ici
d'une façon absolument humoristique" (Procès de Nuremberg,
t. XI, p.348 cité d'après G. WELLERS, Qui est Robert Faurisson,
dans Le Monde juif, n° 27, juillet-septembre
1987, p.104.
[345]
Dans sa réponse à Vidal-Naquet (p.24), Faurisson exhibe la lettre de l'auteur
du rapport, Richard Korherr au Spiegel, le
25.7.l977 reproduite par son collègue en "révisionnisme" W. STAGLICH,
(Le mythe d'Auschwitz, n.58, p.4O7).
"L'affirmation", y écrivait l'ancien nazi," selon laquelle
j'aurais pu établir que plus d'un million de juifs ont pu mourir dans les
camps du gouvernement général de Pologne et des territoires de la Warthe, des
suite d'un traitement spécial est absolument inexact. Il me faut protester
contre l'emploi du verbe "mourir" dans ce contexte. C'est justement
le terme de "traitement spécial" qui m'incita à demander une
explication par téléphone à l'Office central de la Sécurité du Reich. On me
répondit que ce terme s'appliquait aux juifs qui devaient être établis en
colonie dans le district de Lublin". Faurisson n'a pas reproduit la
dernière phrase. C'est que Staglich en dit trop pour Faurisson. La référence à
la réserve de Nisko - projet abandonné depuis l94O - ruine le sens d'"isoler"
qu'il donne à "Sonderbehandlung". Korherr en dit aussi trop peu.
Pourquoi, par surcroît de "camouflage", Himmler interdirait-il, en
1943, cette référence à un projet abandonné depuis deux ou trois ans.
Faurisson, si critique pour les anciens nazis qui reconnaissent le fait de
l'extermination, n'envisage pas un instant que Korherr ait un quelconque
intérêt personnel, au temps des procès de "criminels nazis", à
préserver le "camouflage" qui l'exonère de toute complicité dans le
génocide.
[346]
Lettre d'Arthur Greiser,gauleiter du Warthegau, à
Himmler, le ler mai l942 dans
E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret
d'Etat, p.14.
[347] Le Reichsfürher SS au chef de la SIPO-Sd, le 9 avril l943 ,
reproduite dans G. WELLERS, "La Solution finale et la mythomanie
néo-nazie", Paris-New York, 1979, p.64.
[348]
Le rapport inscrit dans "l'évacuation" le "ghetto de
vieillards" de Thérésienstadt dont il décompte, dans une sous-rubrique,
les 87.193 personnes.
[349]
Journal de Kremer, le 1er mars 1943, pp. 25O-251
[350]
Respectivement 41.911, 38.571 et 16.886
[351]
L'inspecteur de la statistique auprès du
Reichsführer SS, La solution finale de la question juive européenne, rapport
statistique,[le 23 mars 1943] dans G. WELLERS, La Solution
finale et la mythomanie néo-nazie, pp.72-73
[352]
Au titre de "la mise au travail", Korherr retient 185.776 Juifs qui
n'interviennent pas dans le calcul de la "décroissance". Ibidem, p. 75
[353]
G.Wellers a fait le calcul des immatriculés pour l'ensemble de la déportation à
Auschwitz. D'après ses chiffres - et quoi qu'il y ait d'un chercheur à l'autre
des variations dépourvues de signification statistique -, des 25.260 déportés
de Belgique, 8.435 furent immatriculés (en fait, dans le dernier état de la
statistique, 25.257 déportés et 8.299 immatriculés, les 351 tziganes compris);
des 69.030 déportés de France, 27.220 furent immatriculés; et des 56.575
déportés des Pays-Bas, 38.305 le furent. Voir G. WELLERS, Essai de
détermination du nombre de morts au camp d'Auschwitz, dans Le Monde juif, n° 112, octobre-décembre 1983, p.153.
[354]
Voir le doc.N-G. 2586-E, Protocole de conférence,
[20 janvier 1942], p.8 (En
allemand: "entsprechend behandelt werden mussen)". On notera
qu'Heydrich faisant cet exposé a aussi annoncé que "nous mettons dès maintenant
à profit nos expériences pratiques, si indispensables à la solution finale du
problême juif", car, "on ne saurait considérer cependant ces
solutions [dans le contexte : "l'évacuation des Juifs vers l'Est, solution
adoptée avec l'accord du Führer"] que comme des palliatifs".
[355]
Les chiffres globaux se répartissent comme suit, en ce qui concerne uniquement
la déportation des Juifs vers les camps d'extermination:
a) de France: 73.853 dont il n'y eut que
2.190 survivants (S. KLARSFELD,Le Mémorial de la Déportation
des Juifs de France)
b) de Belgique: 25.475 dont il n'y eut que
1.335 survivants (sont compris dans les déportés, 351 tsiganes et 218 juifs
partis vers Buchenwald, Ravensbrück, Bergen-Belsen et Vittel; voir S. KLARSFELD
et M. STEINBERG,Le Mémorial de la Déportation des Juifs de
Belgique, Bruxelles-New York, 1982. Voir aussi pour une analyse
statistique plus fine le bilan de la solution en
Belgique dans M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La
Traque des Juifs, Bruxelles, l987, t III, vol II, p.259).
c) des Pays-Bas: 90.089 dont il n'y eut que
831 survivants (Voir L. DE JONG, Het Koninkrijk der
Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog, Gevangenen en gedeporteerden,
1978, tome 8, vol.2 partie, p. 708.
d) Les chiffres hollandais sont plus élevés,
environ 107.000 dont environ 5.200 survivants, mais ils comprennent, en plus
grand nombre que dans le cas belge et français
des déportés - 27.000 personnes - vers les camps de Mauthausen,
Buchenwald, Bergen-Belsen .... dans ces camps de la mort, la mortalité, tout
élévée qu'elle soit, est qualitativement inférieure à la mortalité des camps
d'extermination. C'est pourquoi, faussant les chiffres globaux, ces déportés
hors solution finale ne sont pas compris ici. Il importe historiquement de pas
confondre les notions de "camp de la mort" et de "camp
d'extermination". La singularité du génocide juif se dissout dans cette
confusion où s'amalganent les disparus du camp d'extermination et les
concentrationnaires juifs morts au camp comme leurs compagnons non-juifs.
[356]
La mortalité des concentrationnaires n'y fut peut-être pas la plus élevée.
D'après G. Wellers (voir G. WELLERS, Essai de détermination du nombre de morts au camp d'Auschwitz,
dans Le Monde juif, n° 112, octobre-décembre
1983, p. 142), quelque 358.279 détenus - pour moitié des Juifs - furent
immatriculés à Auschwitz (décompte fait des doubles emplois de matricule). A
l'évacuation du camp - du 18 mai 1944 jusqu'aux marches de la mort de la fin
janvier 1945 - il y avait à peine 141.765 "survivants", soit 39,5 %.
Ce qui ne signifie pas que la mortalité, fort élevée, soit de 60,5 % (le
chiffre des transferts n'est pas connu). Selon
L. DE JONG, Het Koninkrijk der
Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog, Gevangenen en gedeporteerden, t. 8, vol. 1, p. 117), il y aurait eu 228.000
morts sur 400.000 détenus d'Auschwitz, soit une mortalité de 57 %. Elle est de
67 % au Stutthof, de 25 % à Buchenwald.
[357]
La formule est reprise à l'accord entre Thierack, ministre de la justice du
Reich et le Reichsführer SS Himmler, le 18 septembre 1942. L'article 2 prévoit
"l'exclusion des éléments asociaux de l'administration de la justice
générale et leur transfert au Reichsführer SS pour l'extermination par le
travail" (doc. PS 6514)
[358]
J. BILLIG, L'hitlérisme et le système concentrationnaire,
1967, p. 1O
[359]
O. WORMSER, Le système concentrationnaire nazi,
Paris, 1968, p. 16.
[360]
A la différence de la France et plus encore des Pays-Bas, les citoyens belges
n'étaient qu'une infime minorité dans la population juive en Belgique, à peine
6 %. Elle était formée, avant d'être ravagée par la solution finale,
essentiellement d'étrangers, même d'immigrés, voire de réfugiés du Grand Reich
allemand arrivés à la veille de la guerre.
Cette structure socioculturelle caractéristique permet de les
distinguer, dans les statistiques de l'administration belge des victimes de la
guerre. Elles sont relatives aux "prisonniers politiques" et aux
"déportés au travail", les uns et les autres reconnus légalement,
ainsi qu'aux déportés raciaux ("israélites" et "tziganes")
bénéficiaires d'aucun statut légal. Les deux premières catégories de détenus
comportent essentiellement des citoyens belges, alors qu'ils sont l'exception
dans la troisième catégorie. Cette particularité "belge" autorise
l'analyse comparative de leur sort respectif pendant la guerre.
[361]
Cette approche des statistiques de l'administration des victimes de la guerre
innove. Auparavant, les chiffres - faute d'avoir été analysés dans le détail -
étaient au mieux juxtaposés. Dans son étude sur l'évacuation
massive des prisons SS en Belgique: les convois des 8 et 23 mai 1944 à
destination du camp de concentration de Buchenwald (Cahiers d'histoire de la seconde guerre mondiale, Bruxelles,
n° 6, octobre 198O, p. 142), Peter Scholliers avait aperçu le problème sans
pouvoir le résoudre. Il avait remarqué la contradiction entre les chiffres
communiqués par le Ministère de la Santé Publique et de la Famille et ceux
relatifs aux Statistique de la résistance et de la
déportation publiés dans le Bulletin du Centre de
Recherches et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre Mondiale, n°
8, mars 1978, p. 53.
[362]
Les commissions d'agréation refusaient le statut de déporté au travail aux
déportés raciaux qui le sollicitaient: ils avaient été déportés pour raison
raciale. Les autorités d'occupations n'avançaient par cette raison à l'époque:
les Juifs étaient déportés pour une "mise au travail", l'"Arbeiteinsatz".
[363]
Ont été reconnus au titre légal de prisonniers politiques 26.535 citoyens
belges et 764 ressortissants étrangers, soit
27.299. A ces chiffres s'ajoutent les reconnaissances à titre posthume
qui s'élèvent à 13.781 citoyens belges et 177 ressortissants étrangers, soit
13.958. Le nombre d'étrangers - moins d'un millier - autorise à additionner les
"politiques" avec les "déportés raciaux": sur 25.457 déportés
de Malines ( non compris les déportés "belges" de Drancy), les
citoyens belges d'origine juive sont à peine 1.203. A remarquer toutefois que
des déportés raciaux de nationalité belge ont pu obtenir le statut de
prisonnier politique; il en est de même des étrangers, mais tous les
"prisonniers étrangers" ne sont pas juifs. Les 113.000 personnes qui
ont été détenues en Belgique occupée au triple titre de la répression
politique, raciale et "économique" (les déportés au travail) sont un
ordre de grandeur. Seul un programme de recherche mobilisant une équipe de chercheurs dotés de
moyens modernes permettra de dresser un tableau correct de la répression: les
sources sont disponibles, non les ressources.
[364]
CDJC/CDXCVI Le commandant militaire en Belgique et dans le Nord
de la France, chef de l'administration militaire, groupe: pol., Bruxelles, le
27 octobre 1942, aux Ober- et Feldkommandanturen, concerne: procédure de
transfert dans le Reich et de déportation dans le territoire de l'Est,
reproduit dans S.KLARSFELD et M.STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der
Judenfrage in Belgien, p.51.
[365]
Les recherches menées en France établissent que 5.034 Juifs de Belgique y
avaient également été déportés à Auschwitz. La plupart étaient soit des
réfugiés de l'exode de 194O, soit des réfugiés du Grand Reich allemand arrêtés
sur ordre des autorités belges le 10 mai l940 et déportés dans le Sud de la
France où le gouvernement de Vichy les livra à la police nazie. Les fugitifs
de Belgique occupée, inscrits dans la cartothèque de la "section
juive" de Bruxelles, sont au nombre de 1.242 parmi ces 5.034 déportés de
France. S'ils n'ont pas été déportés de Belgique occupée, ils sont néanmoins
comptés dans la démographie de la répression nazie dans ce pays.
[366]
En France, il a fallu le Mémorial de la déportation
des Juifs de France de
[367] Royaume de Belgique, ministère de la justice, commission des crimes de
guerre, Les crimes de guerres commis sous l'occupation de la Belgique,
194O-1945, La persécution antisémitique en Belgique , Liège 1947,
hors texte, pp.3O-31
[368]
Le taux de survive des 73.853 déportés de France (en ce compris moins de 1000
déportés vers Kaunas-Reval et Buchenwald) est de 2,9 %, soit 2190 survivants.
Celui des 90.089 Juifs des Pays-Bas déportés à Auschwitz et à Sobibor est de
0,92 % (831 personnes). Le taux de survie "belge" est de 5,24 % en
considérant les 1.335 survivants des 25.475 déportés vers Auschwitz,
Bergen-Belsen, Vittel, Ravensbrück et Buchenwald.
[369]
La rigueur des recherches administratives belges permet d'établir un taux de
mortalité des déportés raciaux de Belgique de plus de 94 %. Le chiffre
"français" en est fort proche: 97,1 %. Dans sa contestation du
génocide juif, Faurisson s'est cru autoriser à dénoncer le "procédé stupéfiant"
qu'il impute à
[370] Sur
les gazages pratiqués à Ravensbrück vers février 1945, voir E. KOGON, H.
LANGBEIN, A. RUCKERL, pp. 232-238.
[371] Sur
ces 132 Juifs hongrois, 69 ont survécu à la captivité.
[372] Les
rescapés des 21 convois avaient, tous, été immatriculés.
[373]
Les chiffres "belges" inviteraient à conclure que les déportés des
convois dont la sélection pour le travail a été d'abord faite à Kosel ont été
gazés à leur arrivée en plus grand nombre. Pour les 6 convois s'étant arrêtés à
Kosel, la sélection pour le travail ( y compris à Auschwitz) représente
seulement 24 % de l'effectif (858 à Kosel et 545 matricules à Auschwitz). Les
11 autres convois de 1942 donnent un taux de sélection pour le travail à
Auschwitz de 36 %.
[374] Sur
les 25.257 déportés raciaux acheminés à Auschwitz, 858 au plus sont descendus à
Kozel, 8.299 ont été immatriculés au camp et 16.000 ont disparus à l'arrivée.
[375]
P. VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire,
p.13.
[376]
N. FRESCO, Parcours du ressentiment, dans Lignes, n° 2, février 1988, p. 32
[377]
Voir B. BRINKMAN et B. DE WEVER, De verdwenen gaskamers,
dans De Nieuwe Maand, n° 4, mai 1988, p. 10,
p. 14
[378] J.
STENGERS, Quelques libres propos sur "Faurisson, Roques
et Cie", dans Cahiers", Centre de Recherches et d'Etudes historiques
de la Seconde Guerre Mondiale, Bruxelles, 12, mai 1989, p.13. Il s'agit du
texte de la conférence présentée le 16 mars 1986 à un séminaire du Centre.
Des passages de cette comunication, enregistrée à l'insu du Centre et tronqués,
ont été diffusés dans le but de servir la propagande "révisionniste".
[379] Ibidem, p.17.
[380] Ibidem.
[381] Ibidem, p.25
[382] Ibidem, p.23.
[383] Ibidem.
384]
P. VEYNE, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes? ,
pp.115-117.
[385]
P. Veyne a signé la déclaration des historiens français sur la politique hitlérienne d'extermination publiée
pendant
l'affaire Faurisson dans Le Monde, 21
février 1979.
[386]
En quelques lignes savoureuses, Veyne renvoie à son "doute hyperbolique"
cet "être mythique qui s'appelait Faurisson": "un imposteur avait pris sa place devant les tribunaux,
ses livres avaient été écrits par d'autres et les prétendus témoins oculaires
de son existence étaient, soit partiaux,
soit victimes d'une hallucination collective".
[387]
P. VEYNE, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes?,
p.117.
[388]
R. FAURISSON, dans Le Monde, 29
décembre 1978.
[389]
R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet,
pp. 22-25.
[390]
Le mot est de H. ROUSSO, Le Syndrome de
Vichy.1944-198..., Paris, 1987, p. 166.
[391]
"Faurisson est trop intelligent pour s'abaisser à un jargon nazi et
antisémite" écrivent B. BRINKMAN et B. DE WEER, (De verdwenen
gaskamers, dans De Nieuwe Maand,n°
4, mai 1988, p. 14. Sur le phénomène "révisionniste" en Flandre, pp.
12-13).
[392]
Interview de R. Faurisson, dans Storia Illustrata, août l979, de l'édition de La Vieille
Taupe, p.21.
[393]
P. VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, p.9.
[394]
Le Monde, 29 décembre 1978.
[395]
R. FAURISSON, Le problème
des "chambres à gaz" dans La Défense
de l'Occident, n°198, juin 1978.
[396]
Interview de R. Faurisson, dans Storia Illustrata, août l979, de l'édition de La Vieille
Taupe, p. 21
[397]
H. ROUSSO, Le Syndrome de Vichy , p. 166.
[398] Ibidem, p. 155.
[399] Ibidem, p. 166.
[400] H. GJSELS, Humo sprak
met Bert Erikson dans Humo, 23 avril
l987, pp. 92 à lO2. Voir aussi M.STEINBERG, Bert Eriksson aan het
woord, Faurisson als heraut van oude en nieuwe nazi's, dans De Rode Vaan, 9
juillet l987, p.1O.; également M.
STEINBERG, Oui, je suis
nazi, dans Regards, 9
juillet-22 août l987.
[401]
Il s'agit de la "Veuve noire", Florrie Van Tonningen, épouse d'un
nazi néerlandais qui, accusé de collaborations, s'est suicidé en 1945.
[402]
Bert Eriksson, président du V.M.O, l'Ordre des Militants Flamands.
[403] Voir aussi P. JARREAU, Les
explications de M. Le Pen sur les chambres à gaz. La nuit, tous les chats sont
gris, dans Le Monde, 20-21
septembre 1987.
[404]
Voir Le procès de Klaus Barbie, dans Le Monde, numéro spécial, juillet 1987, p 37.
[405]M.Jean-Marie Le Pen au Grand Jury RTL-Le Monde, les chambres à gaz?
"Un point de détail", dans Le Monde,
15 septembre l987.
[406]
Sur les relations de Faurisson avec l'extrême-droite, voir N. FRESCO, Parcours du ressentiment, dans Lignes,
n° 2, février 1988, pp. 34-35.
[407]
Sondage Sofres pour Le Monde-RTL, du 17 au 21
octobre l987, dans Le Monde,
4.11.1987. A été posée la question: "vous personnellement, quel est votre
sentiment sur le débat concernant l'utilisation des chambres à gaz par les
nazis au cours de la seconde guerre mondiale". Les sondés se sont répartis
de la manière suivante:
89 % sont "sûrs que les nazis ont
utilisé les chambres à gaz"
8 % pensent "que leur utilisation par
les nazis est très probable"
1 % doutent "de leur utilisation par les
nazis"
2% pensent "qu'elles n'ont jamais été
utilisées par les nazis"
[408]
P. VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, p.7.
[409] Ibidem, p.31.
[410] Ibidem, p.40.
[411]
N. FRESCO, Parcours du ressentiment, dans Lignes, n° 2, février 1988, p. 32.
[412] Ibidem, p. 29.
[413] Ibidem, p.72.
[414]
R. FAURISSON, Mémoire en défense, p.3.
[415]
P. VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, p.8.
[416]
O.MONGIN, Se souvenir de la Shoah, Histoire et fiction,
dans Esprit, n°1, janvier 1988, p.92.[417]
L'expression est de Philippe Lacoue-Labarthe, cité d'après O. MONGIN, ibidem,
p.91.
[418]
Voir P. VIDAL-NAQUET, thèses sur le
révisionnisme, dans l'Allemagne nazie et le
génocide juif, p.507. Voir aussi A. FUNKENSTEIN, Interprétation théologique de l'holocauste: un bilan, pp.
465-494. Egalement E. FACKENHEIM, Penser après Auschwitz,
Les éditions du Cerf, Paris, 1986.
[419]
Selon A. FINKIELKRAUT, L'Avenir d'une négation,
réflexion sur la question du génocide, Paris, 1982, p. 81.
[420]
E.NOLTE, Un passé qui ne veut pas passer, dans Devant l'histoire, les documents de la controverse sur la singularité
de l'extermination des Juifs par le régime nazi, p. 29.
[421]
H. ROUSSO, Le Syndrome de Vichy.1944-198..., p.
170.
[422]
Voir le témoin n°2 dans le chant du phénol,
dans P. WEISS, L'Instruction, p. 259
[423]
H. ARENDT, Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du
mal, Paris, 1966.
[424]
Georges Wellers, lui-même rescapé d'Auschwitz, attribue ce "chiffre
exagéré (...) au traumatisme, au choc naturel, inévitable qui dominait le
psychisme des survivants pendant les premières années après la fin de la
guerre, après la fin de leur cauchemar"(G. WELLERS, Le nombre de
morts au camp d'Auschwitz, dans Le Monde juif,
n°112, octobre-décembre 1983, pp.138-139.
Annexes
Sources
documentaires du massacre des juifs de l'Ouest
à l'arrivée à Auschwitz
Le journal de J.-P. Kremer à Auschwitz
Le document Dannecker
Le télex du 29 avril 1943
La méthode Brack
La « vergasungskeller » d' Auschwitz
La « vergasung »