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Steinberg Maxime, Les yeux du témoin et le regard du borgne, 
L'histoire face au révisionisme
, "L'histoire à vif", Les éditions du cerf, Paris, 1990

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Table de matières

Avant-propos  Ils "savent ce que c'est de voir..."

Chapitre I   Entre les lignes
    1.1. Le témoignage de l'erreur
    1.2. Les musulmanes à auschwitz
    1.3. Les gens de l'extérieur
    1.4. La chronique des convois
    1.5. Les transports du journal
    1.6. La rumeur d'Oschevitz

Chapitre II  Les yeux de l'horreur
    2.1. Une impression d'horreur souhaitée?
    2.2. L'anus mundi
    2.3. L'anatomie nazi
    2.4. Une froide impassibilité
    2.5. Trois femmes qui suppliaient
    2.6. Le camp de concentration moins sévère

Chapitre III  De singuliers Bunkers
    3.1. Un singulier singulier
    3.2. Les travaux d'Auschwitz
    3.3. Du gazage et de son usage
    3.4. Les travaux urgents du printemps
    3.5. La façon (...) inquiétante d'Auschwitz

Chapitre IV   A mille kilomètres de l'horreur
    4.1. L'esprit d'humanité de l'officier SS
    4.2. Un camouflage cousu de fil blanc
    4.3.
Le plausible de l'officier SS

Chapitre V  Un plus loin à l'est par trop explicite
    5.1. Une mesure de réchange
    5.2. L'image d'horreur à l'est
    5.3. L'objection de conscience?
    5.4. Je l'ai connu trop tard

Chapitre VI  Appeler les choses par leur nom
    6.1. "L'extermination totale"
    6.2. Les 100% de l'officier SS
    6.3. En raison du secret
    6.4. L'anéantissement revue et corrigé
    6.5. L'action spéciale du témoin oculaire
    6.6. Le fait capital

Chapitre VII  Le chiffre du secret
    7.1. Le traitement special d'Auschwitz
    7.2. Les chiffres du camouflage
    7.3. La confusion des morts
    7.4. Les morts de l'extermination

Conclusion   Une "page" d'histoire "jamais écrite"?
  
Photos
Notes

Annexes:
Sources documentaires du massacre des juifs de l'Ouest à l'arrivée à Auschwitz

Le journal de J.-P. Kremer à Auschwitz
Le document Dannecker
Le télex du 29 avril 1943 
La méthode Brack 
La « vergasungskeller » d' Auschwitz
La « vergasung »


Arrière page

   

Avant-propos 
  
 Ils "savent ce que c'est de voir..."

Dans le génocide au quotidien, c'est par centaines, voire par milliers qu'on tue! Non par millions! Au jour le jour, les proportions restent, si l'on ose dire, à l'échelle humaine. Les zéros qui s'accumulent n'annulent pas ici la réalité des chiffres. Les SS - leur chef le disait à ses généraux - "savent ce que c'est de voir un monceau de l00 cadavres ou de 500 ou de 1.000"[1]. Himmler, lui, il en tirait "gloire". Dans ce massacre journalier, ses SS étaient, selon lui, restés des "hommes honnêtes". Le mot ne doit pas surprendre. Le nazisme a sa propre conception de l'humanité. Ses victimes juives en étaient exclues. Ces hommes, ces femmes, ces enfants massacrés dans la routine de l'"extermination" étaient, "tous", des "individus sans intérêt au point de vue racial et intellectuel"[2]. Les tueurs éprouvaient ce besoin irrépressible d'argumenter les meurtres qu'ils perpétraient pourtant "conformément aux ordres reçus"[3]. Rendant compte, il leur fallait se donner des raisons de les avoir exécutés. Quelque part, le fantasme idéologique avait craqué à l'épreuve du massacre. Un instant, les choses s'étaient appelées par leur nom. Les tueurs SS avaient bel et bien vu mourir des êtres humains. Dans ces tueries quotidiennes, le plus insupportable était la mise à mort des femmes et des enfants. Himmler avait beau dire devant les dignitaires du parti nazi que "cela a été accompli sans que nos hommes ni nos officiers n'en aient souffert dans leur coeur ou dans leur âme"[4]. Devant ses généraux - eux, ils savaient "ce que c'est de voir" -, le chef des SS était moins affirmatif. Dans cette "page de gloire de (leur) histoire" qu'ils écrivaient avec le sang de leurs victimes, Himmler a concédé qu'il y a eu "des exceptions dues à la faiblesse humaine". Le propos mérite toute l'attention. C'est un témoignage, et des plus autorisés. Il ouvre une piste dont on ne saurait sous-estimer l'intérêt historique. C'est qu'il s'est trouvé, parmi les assassins, des témoins nazis de l'horreur. Les traces écrites qu'ils ont laissées, plus rares, sont des plus instructives. Les mots de l'horreur y nomment les choses horribles.

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*    *

Les yeux du témoin et le regard du borgne s'attache à une pièce d'archives remarquable, le témoignage d'époque d'un officier SS d'Auschwitz, le sous-lieutenant Johann-Paul Kremer[5]. Médecin au camp pendant une courte période - du 29 août au 18 novembre l942 -, il y prenait part aux "actions spéciales" contre les déportés à leur descente du train. Chaque fois, il le notait dans son journal, chronique quotidienne des faits qui le concernaient personnellement et où il était directement impliqué. Ses commentaires d'époque sont frappants. Le document dévoile "le camp de l'extermination".  Le médecin SS y découvre un "enfer" avec des "scènes épouvantables" atteignant "le comble de l'horreur".  Tel quel, le journal de Kremer n'est pas la pièce la plus marquante du génocide au quotidien, mais elle a peut­être été la plus remarquée. Et, à coup sûr, la source d'époque d'origine nazie la plus discutée, voire la plus vivement controversée.

Dans l'après-Auschwitz, les notes prises à l'époque des faits ont servi à d'autres fins que la recherche historique. Elles furent, dès l'abord, une pièce à conviction, et en premier lieu contre leur auteur. L'ancien médecin SS fut jugé, en 1947, à Cracovie, au procès de 40 SS de la garnison SS du camp de concentration d'Auschwitz: le tribunal suprême polonais le condamna à mort. A 64 ans, criminel d'Auschwitz le plus âgé, il ne fut pas exécuté. Treize ans après, c'était, en République fédérale, la cour d'assises de Munster qui, à son retour - notes de 1942 à l'appui - le condamnait à 10 ans de prison: à 77 ans, la peine était de pure forme, elle n'excéda pas celle qu'il venait de purger en Pologne. Quatre ans plus tard, l'octogénaire comparaissait, avec son journal de guerre, à titre de témoin à charge dans l'affaire Mulka et consorts, les 20 SS du camp d'Auschwitz jugés de 1963 à 1965 devant la Cour d'assises de Francfort.

Il y eut, pour ainsi dire, une quatrième affaire Kremer, cette fois sans Kremer, devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, en 1981. La  Ligue Internationale contre le Racisme et l'Antisémitisme et plusieurs associations patriotiques de résistants et de déportés y avaient assigné Robert Faurisson pour avoir, entre autres, "volontairement tronqué certains témoignages tels que celui de Johann Paul Kremer"[6]. Le journal du médecin SS d'Auschwitz avait été au centre de la polémique provoquée par le "révisionnisme". Le Monde, publiant, à la fin de 1978, une thèse "aussi aberrante" que le problème des chambres à gaz de Faurisson avait aussi présenté une abondance de preuves[7]. Dans cet inventaire, Georges Wellers, rescapé d'Auschwitz, mais également président de la commission historique du Centre de Documentation Juive Contemporaine de Paris, citait, en bonne place, des notes du médecin SS. La réponse de Faurisson prétendit lui apprendre à les "citer correctement"[8]. Un roman inspiré, protesta Wellers[9]! Une déclaration retentissante de Faurisson sur les ondes d'Europe n°1 livra la clef de sa relecture des sources. La mort de millions d'hommes et de femmes, d'enfants et de vieillards y devenait un "prétendu génocide"[10]. Le propos était, à tous égards, injurieux. L'histoire était, dans la "révision" de Faurisson, rien moins qu'un "mensonge historique". A l'époque des faits, même l'antisémite nazi le plus frénétique ne dénonçait pas la rumeur du génocide en cours comme une "supercherie juive"[11]. Le délire "révisionniste" s'y complaît à y lire une "gigantesque escroquerie politico-financière". Pesant soigneusement ses mots, Faurisson, professeur de lettres, en désignait le bénéficiaire, non pas la "juiverie internationale", mais un "sionisme" tout aussi "international". Cette version était mieux appropriée aux sensibilités des années septante-quatre-vingts mises à l'épreuve par les événements du Moyen-Orient. La manipulation antisémite donna aussitôt une nouvelle impulsion à la bataille judiciaire à peine entamée[12]. Si le débat des prétoires traita de l'aspect formel, la polémique sur le fond se poursuivit à coups de livres.

Le journal de Kremer y resta en point de mire. Wellers consacrait, en 1981, un chapitre à Faurisson contre Kremer dans Les Chambres à Gaz ont existé; des documents, des  témoignages, des chiffres. Auparavant, en 1980,  Faurisson soustitrait, en novembre, son Mémoire en défense contre ceux qui m'accusent de falsifier l'histoire: Vous avez dit: "Kremer"? - Un exemple de super­cherie historique. Son "tripatouillage" des notes de Kremer avait, quant à lui, été démonté en juin dans Les Temps Modernes: une étude de Nadine Fresco, Les redresseurs de morts analysait comment on revise l'histoire[13]. Le numéro de septembre d'Esprit imprima son orientation à l'analyse critique du "révisionnisme": Pierre Vidal-Naquet y procéda à l'anatomie d'un mesonge dans Un Eichmann de papier. La mé­thode Faurisson y était caractérisée comme un "art de ne pas lire les textes" et, "sur le plan de la morale intellectuelle et de la probité scientifique", son interprétation du document Kremer dénoncée comme "un faux"[14]. Faurisson a réagi avec sa Réponse à Pierre Vidal-Naquet où devant la pertinence des observations de son adversaire le plus systématique, il lui a fallu infléchir sa lecture des notes du médecin SS d'Auschwitz pour préserver sa propre négation du génocide juif[15].

L'année suivante, la dernière passe d'armes de la bataille judiciaire se déroula devant la Cour d'appel de Paris. Faurisson y fut à nouveau condamné. En 1983, le juge ne donna toutefois pas pleinement raison à la partie adverse. Il se déclara incompétent pour "porter un jugement sur la valeur des travaux historiques"[16]. L'aveu servit les prétentions de Faurisson: le perdant avait gagné, devant ce jury incompétent, cette légitimité scientifique qu'ambitionne la prétendue "école révisionniste"[17]. Son érudition avait abusé, après d'autres, les magistrats de Paris. A leur estime, "les accusations de légèreté formulées contre lui manquent de pertinence".  La cour d'appel n'avait pas saisi ce qui différencie le travail de l'idéologue sur l'histoire de l'enquête heuristique sur les sources. Sa lecture est borgne. Son regard est sélectif et il l'est d'autant plus que l'idéologue est érudit. Lui, il sait pertinemment bien quels sont les documents qu'il lui faut écarter de son propos. Un Faurisson s'était bien gardé d'introduire la pièce Kremer dans sa négation du génocide juif. Confronté à ce document d'époque, il lui a fait dire n'importe quoi pourvu que ce ne fut pas ce qu'il niait. Cela, la cour d'appel l'a aperçu en le condamnant. "Il cherche en toute occasion", a-t-elle dit, "à atténuer le caractère criminel de la déportation, par exemple en fournissant une explication personnelle, mais tout à fait gratuite des "actions spéciales" mentionnées à quinze reprises (sic[18]) avec horreur dans le journal du médecin Kremer".

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Cette lecture plurielle n'a paradoxalement pas pris en compte toute la portée historique du document Kremer. La perversion "révisionniste" de son sens - tout comme son instrumentalisation judiciaire - a certes focalisé l'attention sur les exterminations dont cette pièce d'archives conservait une trace écrite.  Mais cette lecture provoquée  est restée, pour invalider la négation polémique du génocide juif, au plan du texte. Dans son principe, l'entreprise "révisionniste" de déréalisation du discours s'y était cantonnée. Or, le journal du médecin SS, témoignage d'époque, n'est précisément pas un "discours vide". Ces notes d'Auschwitz au quotidien témoignent d'un événement qui, comme elles, est lui aussi chronologiquement daté et géographiquement situé!  Il avait débuté à mille kilomètres du lieu du massacre et Kremer n'en saisissait pas  à Auschwitz toute la dimension. Pour la recherche historique, sa chronique personnelle n'en est pas moins une source d'une importance exceptionnelle: ses notes, toutes lacunaires qu'elles soient, sont la seule trace écrite d'origine nazie relative à la disparition de déportés juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas, dès leur arrivée à Auschwitz.

La valeur documentaire de cette source n'avait pas échappé aux historiens qui ont dépouillé les archives de la déportation ouest-européenne. En 1978, le Mémorial de la déportation des Juifs de France choisissait, à titre d'illustration, l'extrait le plus significatif[19]. La même année, la monumentale histoire des Pays-Bas dans la seconde guerre mondiale traitait des notes de Kremer relatives au sort des Gedepoorteerde Joden[20]. Plus tardif, La Traque des Juifs insiste, du point de vue belge, sur l'importance toute particulière du document Kremer[21].La chronique du médecin SS pendant son bref séjour à Auschwitz appelle un déchiffrement plus systématique que cette approche en ordre dispersé. Chaque chercheur s'y est référé pour ce qui concernait son champ d'investigation. Cette triple référence évènementielle est elle-même significative. La pièce d'archives, document capital pour l'histoire du génocide qui a frappé les Juifs d'Europe occidentale, acquiert aussi sa pleine signification dans ce triple retour à l'événement. A le suivre au plus près jusque dans les notes quotidiennes de l'officier SS, la critique historique bute inévitablement sur les embûches que leur lecture "révisionniste" a dressées à plaisir. Il lui faut les démonter. Le propos n'est pas polémique. Le "révisionnisme" est un discours non pas d'histoire, mais sur l'histoire et, à ce titre, comme tout regard qui y est porté, il relève de l'analyse critique. Dans l'enquête d'histoire, on ne s'arrêtera même pas à la dimension idéologique du phénomène. La polémique sur l'inexistence du génocide relève de l'histoire des mentalités et renseigne sur la mémoire historique dans la conscience contemporaine. Il faudra y réfléchir dans les conclusions. La mémoire et l'histoire n'ont pas la même approche du passé. Dans cette enquête sur les sources documentaires du massacre des déportés d'Europe occidentale à leur arrivée à Auschwitz, ce qui importe, c'est de ne rien omettre dans leur lecture. L'érudition sélective est tout à l'opposé de la méthode historique. Elle fausse la pleine compréhension de la pièce d'archives. Le discours idéologique du "révisionnisme" est à cet égard un cas-limite. La moindre ambiguïté du document ou de ses lectures successives lui sert à en pervertir le sens et à dénaturer l'histoire qui y est saisie dans son immédiateté au moment où elle s'accomplit.

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Un document d'histoire n'est cependant pas fait sur mesure. On l'oublie trop souvent, la pièce d'archives, si remarquable soit-elle, n'est toujours qu'une fenêtre entrebaîllée. Le premier regard ne saisit pas d'emblée ce qu'elle laisse entrevoir. Une lecture au premier degré n'épuise pas la trace écrite. Entre ses lignes, elle condense plus d'histoire qu'elles n'en expriment. Ses mots les plus anodins sont parfois tout aussi signifiants, sinon davantage, que les plus significatifs. Les archives nazies relatives à la "solution finale" sont, à cet égard, autant de cas de figure. Classées à l'époque "affaires secrètes du Reich", elles sont, de surcroît, surcodées. Le décryptage est le préalable absolu à leur lecture correcte. Le texte rétabli, son interprétation est loin d'être achévée. Comme le code de lecture, il lui faut - épreuve décisive - passer au crible de la critique historique. Epreuve décisive, car le document d'histoire n'a de sens que dans son rapport à celle-ci. 

Le témoignage d'époque qu'apporte le journal de Kremer sur "l'extermination" des déportés de l'Ouest arrivant à Auschwitz n'est toutefois pas à lire en relation directe et immédiate avec l'histoire de la "solution finale" en France, en Belgique et aux Pays-Bas. Il ne saurait être question de  composer ici un chapitre qui aurait manqué aux histoires de la déportation des Juifs d'Europe occidentale. En termes d'histoire, la "solution finale" n'est pas réductible à son aboutissement macabre. L'extermination est un moment de la politique antijuive du IIIème Reich dans les territoires occupés, un moment chronologiquement daté et géographiquement situé. Si la "solution finale" a toujours signifié, en effet, l'élimination de la présence physique des Juifs d'abord dans le Grand Reich allemand, puis avec la guerre mondiale en Europe, elle n'a versé dans son sens génocidaire qu'avec l'invasion de l'U.R.S.S. en juin 1941. Mais, même après que la décision fatale a été étendue à tous les Juifs du continent, les deux sens ont continué à se chevaucher. L'ambiguïté de la "solution finale" est dans le déroulement même de l'évènement. En dehors des lieux d'extermination, parfois à quelques kilomètres, elle n'a pas cessé d'être aussi territoriale. Les villes, les régions, les territoires sous domination allemande devaient, les uns après les autres, être "libérés des Juifs". 

Dans le code nazi, la formule est synonyme d'"évacuation". Et tous ces cryptogrammes signifient l'extermination comme les "actions spéciales" du journal du médecin SS d'Auschwitz. L'historien de la "solution finale" à l'Ouest de l'Europe ne l'ignore pas. Pour avoir dépouillé les archives nazies des camps de rassemblement, il connaît jusqu'à l'identité des Juifs "évacués vers" cet "Est" énigmatique où ils ont effectivement disparu. La déportation a rompu la continuité de leur histoire. Elle l'a brisée en temps successifs et parallèles séparés par la distance d'Auschwitz. Les recherches historiques les plus récentes commencent à introduire cet espace-temps dans la dimension "occidentale" de la solution finale. La problématique est nouvelle. L'historien n'échappe aux questions que se pose la conscience historique de son temps. Comme elle, il  risque de céder à la tentation anachronique d'extrapoler. Toute la difficulté de cette relecture est de prendre la mesure exacte du paramètre d'Auschwitz à l'Ouest. Il s'agit d'apprécier jusqu'à quel point les contemporains de l'évènement étaient conscients du sens réel de l'histoire en cours et d'évaluer le poids de cette conscience historique dans les comportements.  

Cette problématique se pose en de tout autres termes dans le cas des autorités d'occupation, et en particulier des officiers SS impliqués dans la déportation des Juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas. En ce qui concerne ces derniers, elle n'est nullement nouvelle. Elle ne date pourtant pas de l'après-1945. La répression des crimes de guerre a fait l'impasse sur la solution finale à l'Ouest. L'épilogue judiciaire du massacre des déportés intervient dans les années  soixante-quatre-vingts, avec les procès de la déportation des Juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas devant les cours d'assises de la République fédérale allemande. Les officiers SS y ont été condamnés pour complicité d'assassinat parce qu'ils avaient agi dans la déportation "occidentale" en connaissance de cause. Comme dans les procès de Kremer, les accusés ont été confrontés à des pièces à conviction puisés dans les archives nazies de la solution finale. Et comme l'ancien médecin SS d'Auschwitz, ces hommes qui y avaient acheminé les convois de l'Ouest se sont défendus face à ces pièces accablantes. Leurs explications autant que l'appréciation des juges contribuent à mieux saisir la portée de ces pièces. Avec le document Kremer, ces quelques documents d'époque émanant des services de la Sécurité du Reich à l'Ouest levaient le voile sur le massacre des déportés de l'Ouest. En dépit du secret de rigueur, les officiers SS en poste à Paris, Bruxelles et La Haye n'ignoraient pas, dès les premiers convois vers Auschwitz, que "les Juifs qui se trouvent dans les zones de domination allemande s'acheminent vers leur extermination totale"[22]. De surcroît, "le camp d'Auschwitz" les priait, au printemps 1943 "pour des raisons" qui leur étaient "évidentes, de ne pas faire avant le transport, aux Juifs à évacuer, de communications inquiétantes". Il leur était impérativement recommandé d'éviter, pendant les transports, toute "allusion susceptible de provoquer une quelconque résistance de la part des Juifs et de n'éveiller aucun soupçon"[23].

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Le génocide au quotidien: les yeux du témoin et le regard du borgne intègre ces documents d'époque destinés aux officiers SS de l'Ouest dans l'interprétation historique des notes prises à Auschwitz à o'arrivée des convois ouest-européens. L'ouvrage débute par la lecture entre les lignes du journal de Kremer: dans ce premier chapitre, la pièce d'archives s'avère être une chronique de la déportation occidentale. Le deuxième chapitre - les yeux de l'horreur - accompagne l'officier SS dans sa descente dans "l'enfer" et dans sa découverte du "camp de l'extermination", à l'arrivée des convois de France, de Belgique et des Pays-Bas. Le témoin y évoque l'un des singuliers bunkers, auxquels s'attache le troisième chapitre. Kremer, resté à peine trois mois à Auschwitz, n'a toutefois pas connu les nouvelles installations de mise à mort par les gaz achevées au printemps 1943. Ces "travaux urgents" d'Auschwitz expliquent le document adressé aux officiers SS en poste à Paris, Bruxelles et La Haye. La direction du camp s'y référait dans son souci d'une "répartition" des déportés de l'Ouest "sans accroc". En conséquence, le quatrième chapitre se déplace à mille kilomètres de l'horreur pour déterminer ce que savaient les destinataires du document. L'un d'eux n'en était pas si éloigné. Avant de prendre ses fonctions à l'Ouest, il avait opéré dans les territoires occupés d'Union soviétique. La "déportation vers l'Est" dont les services allemands à l'Ouest disaient, en 1942, qu'elle était une "mesure plus sévère que le transfert dans un camp de concentration" ne signifiait rien d'autre que les exterminations qui avaient été perpétrés dès 1941, "plus loin à l'Est". Cet autre cryptogramme était par trop explicite. Le cinquième chapitre s'attache à repérer, dans l'environnement de l'officier SS en action à l'"Est", "l'image d'horreur" dont témoignaient, à l'époque, des sources nazies bien moins discrètes que le journal du médecin SS d'Auschwitz. Cet aller-retour de l'Ouest à l'Est invite enfin à appeler les choses par leur nom, dans le sixième chapitre. En dépit du secret, l'officier SS chargé des affaires juives à Paris l'avait fait à l'époque. Parlant de l'"extermination totale" des Juifs, il n'avait toutefois rien dit sur la "façon" d'opérer avec les déportés. Le journal du médecin SS d'Auschwitz ne dévoile pas plus le "camp de l'extermination".  Accusé par ses notes, Kremer a seulement rompu la consigne du secret pour sa propre défense judiciaire. Le chiffre du secret, septième et dernier chapitre, corrobore son exposé. Le camouflage des statistiques nazies de la déportation ne résiste guère à un examen critique des comptes de la solution finale à l'Ouest. Dans ces chiffres macabres, le génocide ne relève plus du témoignage. C'est un phénomène statistique et en tant que tel, il est mesurable dans la démographie de la répression nazie. Cette analyse comparative n'est généralement pas praticable. Elle l'est dans le cas belge, en raison de la structure socio-culturelle de sa population juive. Pour la plupart étrangers à l'époque, les Juifs se  singularisent dans les statistiques des victimes de l'occupation allemande. Avec une précision remarquable, les chiffres belges fixent aussi la singularité du massacre des Juifs. Ils mesurent toute la différence, dans la répression nazie, entre le "transfert dans le Reich" et la "déportation vers l'Est". L'extermination des déportés juifs, dès leur descente des trains de la solution finale ne se confond pas avec les victimes du système concentrationnaire nazi et de ses camps de la mort. Dans cette différence, les notes quotidiennes du médecin SS d'Auschwitz prennent leur pleine signification. Elles constituent - document exceptionnel - l'acte de déces collectif des déportés disparus de l'histoire à leur arrivée au "camp de l'extermination". Leur intérêt historique justifie qu'elles soient publiées dans les annexes, avec d'autres sources documentaires tout aussi utiles à la saisie du génocide au quotidien, dans son immédiateté. La lecture littérale n'en saisit toutefois pas toute la portée historique. Elle est à lire, comme cet avant-propos y invite, entre les ligne.
 

Chapitre I   
   
Entre les lignes

    1.1. Le témoignage de l'erreur
    1.2. Les musulmanes à auschwitz
    1.3. Les gens de l'extérieur
    1.4. La chronique des convois
    1.5. Les transports du journal
    1.6. La rumeur d'Oschevitz

 1.1. Le témoignage de l'erreur

Les notes du médecin SS d'Auschwitz sont le plus souvent de petites phrases laconiques apparemment dépourvues d'épaisseur événementielle. La plus caractéristique est peut-être celle du 10 septembre 1942, jour où l'histoire perd toute trace d'au moins 632 déportés à peine arrivés avec le convoi VIII de Belgique. Kremer a simplement écrit que "le matin", il avait assisté "à une action spéciale"! La note n'est pas plus explicite ! Aux yeux de l'officier SS, cette "action" du 10 septembre n'était néanmoins pas un fait négligeable. Si son cahier ne mentionne rien d'autre ce jour-là, il retient - indice significatif de l'importance que l'auteur du journal attache personnellement à ces faits - que c'était "la 5ème fois" qu'il prenait part à une action spéciale depuis son arrivée au camp[24].

Dans ses comptes, s'est pourtant trompé. La cinquième fois était, en réalité, la sixième. L'erreur se situe, le 5 septembre: coup sur coup, l'officier SS participe à deux "actions spéciales", l'une "à midi", l'autre  "le soir, vers 8 heures, de nouveau"[25]. "La première fois", c'était le 2 septembre "à 3 heures  du matin"[26]. Les deux "actions" du 5 portent donc son compte à trois. Le lendemain, le 6, "le soir, vers  8 heures",  le médecin SS prend part "de nouveau à une action spéciale"[27]. Donc la quatrième! Mais il ne compte pas encore: il en est toujours à ses débuts. C'est à la suivante, le 9 septembre qu'il s'installe dans la routine et  entame sa numérotation incorrecte, "le soir" avec "la 4ème fois"[28].

L'erreur du journal de Kremer n'est pas innocente. Elle a sa vérité. Le témoin qui se trompe témoigne une seconde fois. Son erreur - qu'il la commette pendant les faits ou après coup - est quelque part instructive. Dans le journal de Kremer, l'erreur de compte aide à mieux appréhender la signification usuelle de l'action spéciale pour ses participants. Le 9 septembre, après sa première semaine d'actions spéciales, l'officier SS Kremer, se les remémorant, ne retient qu'une seule des deux actions du 5 septembre et c'est celle qui ne s'écarte pas de sa pratique désormais habituelle. La première fois, le 2, il avait inscrit une action spéciale à l'extérieur. Le 6, c'est de nouveau (...) à l'extérieur. Le plus souvent pourtant, le journal de Kremer n'a pas précisé. Sur les 15 actions spéciales mentionnées, 5 à peine comportent une indication[28b]. La note double du 5 septembre fournit un renseignement pour chaque action. L'entrée du midi - elle est à citer en allemand - porte sur une Sonderaktion aus dem F(rauen) K(onzentrations] L[ager] (Muselmänner) ! Une action spéciale à partir du camp des femmes où il y a des musulmanes !! L'entrée du soir, à 8 heures laisse tout aussi perplexe ici, il s'agit d'une Sonderaktion aus Holland. Le texte est énigmatique. Ces deux actions spéciales en provenance de Hollande et d'un camp de musulmanes à Auschwitz heurtent le sens commun.

C'est que le mot à mot est piégé. Le journal de Kremer dit autre chose que ce qui est écrit. Il a son propre code. Les "Sonderaktion "aus Holland" ou "draussen" (à l'extérieur)[29] ne se prêtent pas plus à une lecture immédiate que les "musulmänner" d'Auschwitz[30]. Ici, le sens littéral est, à l'évidence, un contresens historique. Cette pièce d'époque n'atteste pas la présence de musulmanes au camp d'Auschwitz!

1.2. Les "musulmanes" à Auschwitz

Dans son journal, l'officier SS ne se réfère pas à une catégorie administrative de détenues. Le terme de "musulmanes" est repris à l'argot du camp et les archives d'Auschwitz ne sont ici d'aucun secours. La seule lecture des sources d'époque ne livre pas la clef. L'énigme des "musulmanes" d'Auschwitz appelle des sources d'une autre nature, ces sources dites orales parce que recueillies après guerre auprès de témoins - anciens gardiens SS et anciens détenus, quelles que soient, par ailleurs, les circonstances de cette enquête[31]. Dans cette confrontation des sources orales et documentaires, la pièce d'archives authentifie dans le témoignage ce qui décrypte et amplifie son propre sens.

En l'occurrence, celui des "musulmanes" du journal de Kremer lève un coin du voile sur l'atrocité d'Auschwitz. "Le comble de l'horreur", y est-il écrit, le 5 septembre l942, à propos de la "Sonderaktion aus [...] Müsulmänner". "En tant qu'anatomiste", dira Kremer après la guerre, "j'ai vu beaucoup de choses horribles, j'ai eu souvent à faire avec les cadavres, pourtant ce que j'y ai vu, je n'ai pu le comparer avec quoi que ce soit"[32]. Interrogé dans l'instruction de son procès à Cracovie en 1947, l'ancien médecin SS d'Auschwitz parle ici du lieu où se déroule cette "action spéciale": "ce que j'y ai vu", a-t-il bien dit. Sa déposition s'attache au comportement des musulmanes à cet endroit et c'est leur attitude qui lui a fait concevoir, à l'époque, le comble de l'horreur. Questionné sur les modalités de l'action du 5 septembre, l'anatomiste ne livre pas un diagnostic médical sur ces prisonnières amaigries du camp de femmes désignées généralement par le nom de Musulmänner.

Le témoignage d'anciens détenus - des médecins d'Auschwitz - personnellement concernés dans et par leur drame est plus explicite.  Le docteur Aron Bejlin expliquera que "le stade de "musulman" est le dernier dans la cachexie [...]. Celui qui y parvient se met à parler sans cesse de nourriture. Or, il y avait deux sujets tabous à Auschwitz: le crématoire et la nourriture [...]. Quand quelqu'un perdait le contrôle de lui-même et se mettait à raconter sans arrêt les repas qu'il faisait chez lui, c'était le premier signe qu'il était arrivé au stade de "musulman""[33]. Le docteur Wladyslaw Fejkiel désigne ce stade comme la deuxième phase des symptômes de la dénutrition. Selon ce médecin à qui, du temps d'Auschwitz, Kremer avait réclamé deux détenus dénutris pour ... ses observations[34], "la première était caractérisée par l'amaigrissement, l'atonie musculaire et la diminution croissante de l'énergie motrice". La seconde "commençait quand l'affamé avait perdu le tiers de son poids normal". "Outre l'amaigrissement plus prononcé" et ses effets physiologiques, se modifiait aussi le comportement. L'allure était typique: "quand on observait un groupe de loin", ajoute Fejkiel, "il faisait penser à des Arabes en train de mendier, d'où le nom de "musulmans" qu'on leur donnait habituellement dans le camp"[35].

 Les "musulmanes" du camp des femmes - sujet du traitement "spécial" du docteur SS Kremer - ont été décrites, en 1946, dans les Aspects pathologiques du camp de concentration d'Auschwitz-Birkenau. Désiré Haffner, ancien concentrationnaire, n'y retient pas son indignation. "Des femmes?", proteste-t-il. "Mais qu'est-ce qu'elles avaient encore de féminin, d'humain, ces spectres affreux à voir? Ces crânes rasés, ces peaux craquées par les intempéries, ces corps squelettiques portant partout les traces des atrocités commises par les femmes SS, ces bras tatoués, ces mains gelées, ces jambes gonflées, c'étaient ça des femmes ?"[36]. L'impression d'horreur qu'elles laissèrent dans le journal de Kremer tenait, néanmoins si peu à leur aspect physique[37] que l'officier SS oublia cette "action spéciale" dans sa chronologie numérotée. C'est qu'elle ne correspondait pas à la routine des "Sonderaktion". Elle s'appliquait, en effet, à des détenus du camp, et non - comme en témoigne l'erreur dans les comptes de Kremer - à des "gens de "l'extérieur".

1.3. Les gens de l'extérieur

La seconde "action spéciale" du 5 septembre "aus Holland" relevait de cette routine. Une note du 12 octobre fournit cette clef de lecture. Kremer y signale une autre "Sonderaktion aus Holland" et, cette fois, il précise : "1600 personnes". "Aus Holland" se lit donc "des gens en  provenance de Hollande"[38]. Les "actions spéciales" s'appliquent à des personnes provenant de l'extérieur: des "Auswartige", écrit textuellement Kremer, le 7 octobre. Cette dernière note est des plus sommaires, mais livre, dans sa brièveté, une indication précieuse. Kremer y inscrit "la 9ème action spéciale (gens de l'extérieur et femmes "musulmanes")". L'inscription porte sur une "Sonderaktion" unique qui concerne deux catégories de personnes différentes, les unes provenant du camp des femmes, les autres arrivant de l'extérieur[39]. La note fait penser à celle du 5 septembre. Le journal renseignait aussi deux catégories de personnes: des internées provenant -"aus"- du camp des femmes et des déportés arrivés à Auschwitz "aus Holland", mais les deux "action spéciale" étaient distantes d'un intervalle de 8 heures, l'une "à midi", l'autre "vers 8 heures". Chaque "action" portait sur des personnes différentes et dans un temps différent. Le 7 octobre, le journal de Kremer enregistre dans le même temps une seule et unique "Sonderaktion" sur des personnes différentes. Et le journal n'introduit ici aucune erreur. Le médecin SS est désormais attentif à sa comptabilité: il la tient depuis un mois. Tronquée au départ, la numérotation correspond bien aux "actions" notées: après le 10 septembre -"la cinquième fois"-, Kremer signale sa participation à deux "actions spéciales", le 23 septembre, la "nuit": ce sont ses "6. und 7. Sonderaktion". A cette date sont arrivés deux convois; le premier - d'après les 351 numéros de matricules attribués - provenait de Slovaquie: à défaut de la "transportlist", on ignore le nombre de Juifs qui disparaissent. Il s'élève à 499 pour l'autre transport, un convoi "français", le XXV. La "8.Sonderaktion" a lieu, le 30, encore une fois "la nuit": un convoi d'origine inconnue est arrivée, ce jour-là comme l'atteste l'immatriculation à Auschwitz de 156 personnes[40]. Une semaine après, le 7 octobre, Kremer inscrit la "9. Sonderaktion" sur les deux catégories différentes. La "10. Sonderaktion" est datée du 12 octobre. Dans les comptes du journal, la note unique du 7 ne vaut pas pour deux "actions", le même jour. Kremer ne les a pas mentionnées, ce qu'il n'a jamais manqué de faire quand cela se produisait[41]. Dans ses notes, l'erreur est dans la numérotation, non dans les inscriptions. Le 7, il n'a pas, notant les deux catégories concernées par l'"action spéciale" du jour, confondu leur ... désignation[42] avec la "Sonderaktion" proprement dite.

Ce point éclaire quelque peu le sens de l'énigmatique action spéciale du journal de Kremer. Les localisations - en particulier le drausen du premier jour - signalent la provenance des personnes qui y sont soumises. Pour sa 9ème action sur des gens de l'extérieur et (des) femmes musulmanes", Kremer n'était évidemment pas, le 7 octobre, à l'extérieur du camp et, en même temps, à l'intérieur. Et s'il a noté, le 5 septembre, une action spéciale à partir du C(amp de) C(oncentration des) F(emmes), il ne l'aura cependant visité que douze jours plus tard. C'est, en effet, le 17 que son journal acte qu'aujourd'hui, il a visité le camp des femmes[42b]. Le 5, Kremer n'avait toujours aperçu que des musulmanes provenant de ce camp. C'est à cet égard que l'absence de l'action spéciale du 5 septembre dans les additions de l'officier SS n'est pas une erreur de détail. L'omission est hautement significative elle indique combien le médecin d'Auschwitz conçoit son activité spéciale en fonction de l'arrivée des transports. Dans la pratique du SS commis aux actions spéciales, ce qui est singulier se déroule à l'intérieur du camp d'Auschwitz. La singularité du camp de l'extermination qu'il découvre à l'occasion de sa première action spéciale se situe, quant à elle, à l'extérieur d'Auschwitz. Ce témoignage est capital. Il situe, à Auschwitz, la différence entre le camp d'extermination et le camp de concentration. C'est en ce sens historique essentiel que la chronique personnelle de l'officier SS  est, dans sa comptabilité des actions spéciales, un journal des convois.

1.4. La chronique des convois

De fait, sauf une - précisément le 5 septembre - chaque "action spéciale" du journal de Kremer coïncide avec la réception de nouveaux venus au camp[43]. Si la lecture des notes quotidiennes du médecin SS suggère quelquefois cette coïncidence, elle est chiffrée dans la liste chronologique des séries de matricules attribuées aux détenus enregistrés dans le camp d'Auschwitz[44]. Le 2 septembre - à la "première (...) action spéciale" de Kremer - la liste conserve la trace de 12 matricules, de 62.897 à 62.908. Les "femmes" enregistrées ce jour-là  au nombre de 27 relèvent d'une autre série, de 18.827 à 18.853. Dans la suite de cette série, le 5 septembre - date de la "Sonderaktion aus Holland" - 53 femmes reçoivent les matricules de 19.117 à 19.169 (Auschwitz a enregistré entre temps 264 détenues)[45]. Le 6 septembre, la "Sonderaktion" de Kremer - "de nouveau", a-t-il écrit - coïncide également avec une nouvelle attribution de matricules: 16 aux hommes, la série de 63.065 à 63.080, et 38 aux femmes, la série de 19.170 à 19.207.  Ces séries parallèles et ininterrompues comportent, à chaque date où le journal de Kremer enregistre une "action spéciale", quelques dizaines, voire quelques centaines de matricules supplémentaires. A la dernière "Sonderaktion", "donc la 14ème à laquelle j'ai participé", écrit Kremer le 8 novembre, les matricules des hommes passent de 74.021 à 74.165 et ceux des femmes, de 23.963 à 24.044, soit 145 hommes et 82 femmes enregistrés.

Cette liste chronologique - document capital pour l'histoire de la déportation à Auschwitz - n'est pas une source de première main. Le document n'émane pas directement de l'administration SS du camp. Les séries de matricules ont été clandestinement relevées à la "section politique" et conservées à l'insu des SS. Une source d'époque l'atteste. La source est ... américaine. Trois mois avant que l'armée rouge ne libère le camp d'Auschwitz, le War Refugee Board, l'office des réfugiés de guerre publiait, en novembre 1944, le rapport - alors anonyme - de deux évadés d'Auschwitz[46]. Walter Rosenberg et Alfred Wetzler, Juifs slovaques, avaient rédigé leur document, le 25 avril, dix-huit jours après leur évasion. Ils avaient disposé de l'information indispensable, à savoir les séries de matricules attribuées aux détenus lors de leur enregistrement dans le camp, pour informer le monde libre du sort des disparus. Leur témoignage se fondait, en effet, sur la succession des immatriculations à l'arrivée au camp. Les séries dont ils firent état couvrent aussi la période du journal du médecin SS d'Auschwitz et, à cet égard, le rapport Rosenberg-Wetzler constitue une autre source documentaire - non nazie - sur le massacre des Juifs de l'Ouest à leur arrivée à Auschwitz. Les deux évadés identifiaient, dans les séries "environ de 49.000 à 64.800, 15.000 Juifs" déportés de l'Ouest dont ils croyaient qu'ils étaient "naturalisés français, belges et hollandais"[47]. D'après leur témoignage, "ce nombre ne comprend que 10 % (sic) des déportés des convois qui arrivèrent entre le 1er juillet et le 15 septembre 1942". Rosenberg et Wetzler affirment que les autres - donc 140.000 déportés non enregistrés si l'on se fie à cette information  - "furent directement dirigés sur le bois de bouleaux. Le commando spécial (Sonderkommando), affecté aux opérations de gazage et d'incinération", précisent les évadés d'Auschwitz, "travailla par équipes de jour et de nuit. Des centaines de milliers de Juifs furent gazés pendant cette période". Le document comptabilisant déjà 150.000 déportés d'Europe occidentale pendant le seul été 1942, recense encore 3.000 autres "juifs naturalisés français, belges et hollandais" dans la série des matricules "environ 65.000 à 68.000". "Les autres", ajoutaient-ils, "au moins 30.000 furent gazées". A suivre ces témoins échappés du camp d'extermination, le bilan du génocide "occidental" s'élèverait déjà à environ 170.000 morts. Leur rapport identifie encore - toujours pour la période de Kremer - 9.000 autres "Juifs naturalisés français, belges et hollandais" dans la série "environ 71.000 à 80.000". "Le nombre de ceux qui ont été admis au camp dépasse à peine 10 % du total du convoi (sic)", expliquent-ils. Les évadés s'autorisaient d'"une évaluation prudente" pour affirmer que "65.000 à 70.000 furent gazées".

L'"évaluation" n'était en rien "prudente". Ces rescapés d'Auschwitz se trompaient grossièrement. Leurs calculs sont si abusifs qu'ils disqualifient la valeur historique de cette source datant de la guerre. "Son" bilan de la déportation occidentale porte à environ 260.000 personnes le nombre de Juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas qui seraient arrivés à Auschwitz, du 19 juillet au 8 décembre selon les séries de matricules mentionnées dans le document. Les révélations des évadés sur le nombre des déportés "occidentaux" assassinés par le gaz sont tout aussi excessives. Mécaniquement, ils ont appliqué à tous les convois de l'Ouest un calcul de 90 %, qui s'avère avoir été au contraire exceptionnel. L'erreur de ces témoins est d'avoir - comme il arrive trop souvent - systématisé abusivement des informations par ailleurs fondées. En dépit de ses extrapolations excessives, le document Rosenberg-Wetzler a l'avantage d'authentifier ce que les concentrationnaires, tout au moins les plus avertis, savaient à l'époque du sort réservé aux déportés non immatriculés. Du point de vue de la connaissance historique, c'est cette information qui est le plus utile: le rapport des évadés d'Auschwitz authentifie les séries de matricules copiées par les détenus employés à la "section politique" du camp.

Le témoignage a l'avantage - encore qu'il soit vain en raison des corrections absolument indispensables qu'appellent ses erreurs grossières[48] - d'identifier les déportés d'Europe occidentale dans ces séries de matricules. Comme ils l'avaient prétendu, la première citée - les 50.000 - a bien été attribuée à des transports "occidentaux": dans cette série, 911 matricules ont servi à inscrire les hommes des convois VI et VII de France arrivés, non pas à partir du 1er, mais les 19 et 21 juillet. L'erreur est bénigne. En revanche, le témoignage Rosenberg-Wetzler achoppe sur le sort des 928 déportés du premier convoi: partis de Pithiviers le 17 juillet, ils ont tous - intégralement tous - été acceptés dans le camp: les 809 hommes ont été immatriculés, dans la série de 48.880 à 49.688 et les 119 femmes dans celle de 9.550 à 9.668. Le convoi VII de France, parti de Drancy le 20 juillet, n'a pas, quant à lui, été épargné à l'arrivée, quoiqu'il n'ait pas subi des ravages aussi dévastateurs que les évadés d'Auschwitz le rapportent pour cette période[49]. Des 1.000 déportés, les disparus sont, le 21 juillet, au nombre de 375: la série des matricules de 49.777 à 50.280 a été distribuée à 504 hommes du convoi VII et 121 matricules  dans la série de 9.703 à 9.823 ont été attribués aux femmes. La série des 50.000, entamée avec les hommes de ce convoi, n'a pas entièrement servi à l'immatriculation de déportés de l'Ouest: le 22 juillet, 479 hommes du convoi III des Pays-Bas ont reçu les matricules de 50.403 à 50.881 (les femmes - 297 -, les numéros de 9.880 à 10.176). A nouveau, dans ce convoi, les disparus à l'arrivée sont les moins nombreux: 155. Dans le cas "belge" également, les déportés immatriculés sont toujours plus nombreux - et de beaucoup - que les 10 % attestés par les évadés. Les convois "belges" arrivèrent seulement à partir du 5 août. Au convoi I, 426 hommes reçurent des matricules de 56.433 à 56.858, 318 femmes étant enregistrées de 14.784 à 15.101. De ce premier convoi, 254 personnes ont disparu à l'arrivée.

Les renseignements communiqués par les évadés d'Auschwitz sur le sort des déportés de l'Ouest ne sont guère plus sûrs dans la dernière série de matricules citée dans leur rapport. Dans la période où la série des 80.000 aurait été, selon eux, distribuée à des déportés de l'Ouest, aucun convoi n'est arrivé de France, de Belgique ou des Pays-Bas. La série précédente ne comporte, quant à elle, que 77 matricules, de 79.313 à 79.389 réservés à un convoi "hollandais". Ici cependant, le témoignage des évadés sur les 10 % d'enregistrés se confirme: des 826 déportés de ce convoi, 749 ont disparu à leur arrivée le 2 décembre. Le pourcentage des disparus est tout aussi élevé dans le cas du convoi des Pays-Bas arrivé le 21 novembre: sur un contingent de 726 déportés ont été immatriculés seulement 35 femmes, de 25.621 à 25.655, et 47 hommes de ... 77.194 à 77.240. Aucun autre convoi de l'Ouest n'avait été acheminé pendant les immatriculations de la série 78.000. Le témoignage des évadés est plus que lacunaire. Sur les 4.000 matricules de la série de 77.000 à 80.000 attribués selon eux à des "Juifs naturalisés français, belges et hollandais", à peine 124 leur ont été réservés. Les erreurs sont si nombreuses dans le document Rosenberg-Wetzler que cette source d'époque relative au massacre des Juifs de l'Ouest n'apporte, en cette matière, qu'une très vague information fort peu fiable. La liste chronologique des séries de matricules est, quant à elle, d'une tout autre qualité. Document certes de seconde main, cette source est fondamentale.

L'authenticité de ses renseignements compense heureusement son silence sur l'origine des convoi arrivant de l'Ouest. A la différence du rapport Rosenberg-Wetzler, la liste chronologique ne mentionne pas la provenance des déportés dont elle a conservé les matricules. Ainsi, le 10 septembre 1942, elle acte l'inscription à Auschwitz de 21 hommes sous les numéros de 63.223 à 63.243 sans indiquer qu'il s'agit, dans ce cas, de déportés de Belgique[50]. Les fiches personnelles de détenus immatriculés à la "Politische Abteilung" permettaient de connaître leur origine. Plusieurs ont été conservées[51]. Elles authentifient la liste chronologique. Celle du détenu d'Akiwa Frühauf, né le 15.5.1893 à Cracovie, porte le matricule 63.227[52]. Cette pièce d'archives provenant de la cartothèque du "KonzentrationsLager Auschwitz" renseigne encore que le détenu immatriculé 63.227 a été "livré la 1ère fois" au camp, le "10.9.1942". Dans la série de matricules attribués ce jour-là, Frühauf était, selon sa fiche, le cinquième déporté admis au camp à l'arrivée d'un convoi parvenu de Belgique. La fiche de la "karterei" établit formellement cette provenance. A la rubrique "Arrêté", il a été écrit "le 28.8.42"; la rubrique "à" indique "Anvers". Le renseignement renvoie aux archives du camp de rassemblement, à Malines, en Belgique[53]. Celles-ci ont aussi été conservées et le nom d'Akiwa Frühauf y figure sur un exemplaire de la liste du transport VIII. Le document, également chronologique, débute à la date du 29.8.42 avec les noms dans le désordre des personnes enregistrées ce jour-là à la caserne Dossin. Akiwa Frühauf (arrêté en fait dans la nuit du 28 au 29 août  pendant la grande razzia dans le quartier juif d'Anvers[54]) y est inscrit sous le numéro 30. Au numéro 31, sa femme Bertha Frühauf-Rubinlicht, née le 2.5.1903; au numéro 32, sa fille Godelaine, née le 16 juin l935. A Auschwitz, ni l'une, ni l'autre n'ont été immatriculées[55]. La dernière personne inscrite sur la "transportlist", à la date du 4.9.42 est un enfant de 6 ans à peine, Gita Stazowski, née le 18.8.36. Cette fillette juive n'a plus eu dans l'histoire d'autre matricule que le numéro 1.000 qui était le sien à la date du "4.9.42" dans le convoi VIII en formation. Parti le 8 septembre du camp de Malines, ce transport de 1.000 personnes, toutes identifiées, est arrivé à Auschwitz le 10: la fiche d'Akiwa Frühauf l'établit, la chronologie des matricules le confirme comme d'une autre manière, la chronique de Kremer avec, pour "la 5ème fois" selon lui, une note sur l'"action spéciale" du jour !


1.5. Les transports du journal

De ses 14 "actions spéciales" sur des "gens de l'extérieur", les seules que le médecin SS d'Auschwitz ait comptabilisées, neuf sont ainsi identifiables grâce aux archives de la déportation d'Europe occidentale. Comme en Belgique, les "transportlist" des camps de rassemblement de France et des Pays-Bas n'ont pas été détruites lors de la débâcle allemande. Dans ces pays de l'Ouest, le matériel documentaire disponible a permis de fixer avec la plus grande exactitude possible les statistiques relatives à la déportation et au sort des déportés. Les Pays-Bas, publiant les chiffres et les noms, le firent officiellement très tôt après la guerre[56]. Ce fut fait un peu plus tard en Belgique[57]. En France, cela n'a jamais éte la préoccupation des autorités nationales. Il a fallu y attendre plus de 34 ans pour qu'"au terme d'un travail éprouvant", un chercheur acharné, Serge Klarsfeld - avocat, mais aussi historien - publie "les noms de presque toutes les victimes et les renseignements d'état-civil qui permettent de les identifier et de dresser le bilan de cette tragédie, comptabilisée par de rigoureuses statistiques"[58]. Ce remarquable travail réduit de moitié le chiffre le plus souvent avancé de 150.000 déportés. Les estimations les plus fantaisistes n'avaient cessé de circuler depuis 1944. Dès novembre, le rapport de l'office américain des réfugiés de guerre avait lancé, avec le document Rosenberg-Wetzler, une "estimation du nombre de Juifs gazés à Birkenau entre avril l942 et avril l944" qui se situait à "150.000" dans le cas des déportés de France[59].

Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France calcule au contraire au plus juste, dans chaque convoi, le chiffre approximatif des déportés disparus dès leur arrivée à Auschwitz. Ces calculs procèdent du principe appliqué au convoi VIII de Belgique. Les recherches de Klarsfeld permettent ainsi d'identifier 5 "actions spéciales" du journal de Kremer: le 2 septembre, sur le convoi XXVI (parti de Drancy, le 31 août); le 6 septembre, sur le convoi XXVIII (également parti de Drancy, le 4 septembre); le 9 septembre, sur le convoi XXIX, (toujours parti de Drancy, le 7 septembre); le 23 septembre, sur le convoi XXXV (parti lui de Pithiviers le 21 septembre); et enfin, le 8 novembre sur le convoi XLVII (parti de Drancy le 6 novembre). Trois autres "actions spéciales" sont encore identifiables grâce aux recherches sur la déportation "néerlandaise" à partir du camp de rassemblement de Westerbork: celle du 5 septembre, sur le convoi XVI (parti le 4 septembre); celle du 12 octobre, sur le convoi XXVI (parti le 9 octobre); et enfin celle du 18 octobre, sur le convoi XXVIII (parti le 16 octobre).

Les archives fournissent ainsi formellement, pour 9 convois "occidentaux" du journal de Kremer le nombre de déportés au départ des convois et le nombre d'entre eux qui ont été immatriculés à Auschwitz. Les 9 convois - 5 de France, 3 des Pays-Bas et 1 de Belgique - comptaient 10.356 déportés au départ de l'Ouest[60]. A l'arrivée, Auschwitz en immatricula à peine 1.346. Le décompte ne fixe pas avec la même rigueur dans chaque cas le nombre des personnes qui ont disparu à jamais dès leur descente de train. A l'arrivée du convoi XXIX de  France - objet de la 4ème "action spéciale" du journal de Kremer -, les 111 matriculés attribués ne signifient pas que tous les autres déportés ont été massacrés. Deux d'entre eux, Ignacy Honig et Chaïm Salomon livrent en 1943 leur témoignage (...) vivant (...) sur les abattoirs de Pologne[61]. Notre Voix le publie, en France le 1er août. Ces deux déportés du XXIXème convoi venaient de s'évader le 22 avril du camp disciplinaire de Schopenitz[62]. Juifs d'Anvers, ils ont d'abord rejoint la Belgique: ils s'y cachent à Namur, à l'hôtel Léopold, après leur retour le 2 mai. Puis, séparément, ils ont gagné le Sud de la France comme ils l'avaient fait au printemps 1942 avant leur arrestation à Monte-Carlo, à la fin d'août. C'est à Nice L'organe de la section juive de la Main d'Oeuvre Immigrée du parti communiste français présente le témoignage publié en août comme celui d'"un Juif de Nice qui, déporté, vécut pendant 8 mois dans un des plus atroces camps de Pologne".

D'après le récit de Notre Voix, les deux évadés n'avaient pas été acheminés jusqu'à Auschwitz. Leur convoi s'était arrêté à 120 km, à Kozel. "Pendant trois jours", relate ce témoignage du temps de guerre, "nous avons voyagé sans manger, sans même un peu d'eau". Le XXIXème convoi avait quitté Drancy, le 7 septembre très exactement à 8 heures 55[63]. Le 9 , après l'arrêt de Kozel, il est arrivé à Auschwitz où le médecin SS Kremer prend part "le soir" à la cinquième "action spéciale" de son journal[64]. Aux dires des évadés, c'est "plus morts que vifs" qu'ils sont, quant à eux, "arrivés à Koziel (sic)". A l'ouverture des "portes", précise le récit, "68 d'entre nous étaient morts". Le témoignage décrit la sélection pratiquée à Kozel parmi les déportés du XXIXème convoi.

"Tous les Juifs de 16 à 50 ans ont été pris pour de durs de travaux dans les mines des environs", rapporte Notre Voix. "Les autres, enfants, vieillards, femmes faibles et malades, ont été conduits à Oschevitz (sic), le camp pour Juifs "inutiles", ou, comme (les) bourreaux l'appelaient cyniquement le "camp à faire crever". Au moment du transfert à Oschevitz", continue le récit des évadés, "des scènes indescriptibles se produisirent: de jeunes enfants de 10 à 12 ans se donnaient comme âges de 16 ans; des vieillards de 70 ans déclaraient en avoir 50, et des malades qui ne pouvaient pas se tenir sur leurs jambes, se déclaraient aptes au travail, car chacun savait qu'Oschevitz signifie une mort immédiate et terrible".

1.6. La rumeur d'Oschevitz

Cette description porte l'empreinte des huit mois d'expérience concentrationnaire des deux évadés dans les commandos de travail de Haute Silésie. En 1943, eux, ils savent ce que signifie "Oschevitz". Décrivant les sentiments des déportés qui poursuivirent le voyage jusqu'à Auschwitz en 1942, ils se réfèrent d'ailleurs à ce que ces derniers ne pouvaient pas connaître. 

"Il arrivait souvent", indique le récit, "(...) que des malades graves travaillaient de peur d'être envoyés à Oschevitz. Pendant plusieurs jours, ils se traînaient au travail jusqu'à ce qu'ils tombent épuisés. Les bourreaux se jetaient alors sur eux et les achevaient à coups de botte. De telles scènes se déroulaient presque journellement". 

Le témoignage révèle ici sa pleine signification. Il renseigne sur les "conditions" qui "à Koziel étaient si terribles que tôt ou tard, ça se terminait pour la plupart des internés, sinon par la maladie et Oschevitz, alors par la mort à Koziel même".

La proximité d'Auschwitz et de ses installations d'extermination rendait plus vulnérable le sort des forçats juifs dans les camps de travail de Haute Silésie. Honig et Salomon identifiant correctement le camp d'extermination, ne disent rien de la façon dont "Oschevitz" appliquait aux Juifs "inutiles" cette "mort immédiate et terrible". Deux autres "Kozéliens" évadés ont rapporté, quant à eux,  une version de l'extermination plus horrible - si l'on peut dire - que la mort par les gaz. Léopold Goldwurm et William Herskovic, également Juifs anversois avaient été déportés de Drancy, avec le convoi XXXII, le 14 septembre 1942. Il n'appartient pas à la série du journal de Kremer. Sélectionnés pour le travail à l'arrêt de Kozel, ils se sont évadés du camp de Peiskretcham, près de Gleiwitz en février 1943. Leur retour en Belgique date du 3 mars 1943[65]. Cachés dans le Namurois, ils ont livré leur témoignage au journal en langue yiddish de Charleroi. Ce sont aussi, comme en France, des militants communistes qui publient cet organe. Ils l'ont intitulé Unzer Kampf, (Notre combat)  sans s'apercevoir combien un tel titre pouvait avoir, dans cette période hitlérienne de l'histoire, une résonance historique sinistre. Le numéro publié en juin 1943 de cet autre Combat dénonce 

"toute la perfidie et la délectation sadiques des cannibales hitlériens lancés sur les masses juives sans défense et toute la bestialité de ces vampires sanguinaires. Il sera même difficile aux futurs historiens de notre époque", ajoute Unzer Kampf, "de trouver les expressions adéquates pour dépeindre la tragédie de cette génération". 

Le témoignage que diffuse l'organe clandestin accentue la difficulté. Selon les évadés du camp de Peiskretcham, les enfants juifs déportés 

"qui n'ont pas atteint (l') âge" de la sélection pour le travail à Kosel "sont expédiés à Oswiecim (une localité située près de la ville de Sosnowice), avec les malades et les vieillards: ils  y seront brûlés vifs, dès leur arrivée, dans des fours crématoires construits à cette fin".

Comme les témoins de Notre Voix, ceux d'Unzer Kampf ont appuyé leur témoignage sur l'horreur qu'Auschwitz inspirait aux "musulumans" des autres camps silésiens. Le terme ne figure pas dans ce témoigage d'époque, mais c'est bien d'eux qu'il s'agit dans le récit des évadés. 

"Lorsqu'un des détenus en arrive à présenter les symptômes de l'oedème - résultat de la sous-alimentation accompagnée d'épuisement", rapporte l'organe clandestin belge, "les autres le soutiennent et le conduisent au travail: malheur à celui qui se plaindrait d'être malade: c'est le chemin d'Oswiecim sans rémission". 

A la "visite médicale", le diagnostic que "le patient ne serait plus apte au travail au bout d'une quinzaine, par exemple" signifie que 

"dans quinze jours, le malade sera brûlé à Oswiecim, brûlé vif. Les forçats ont ainsi peur de se plaindre; ils peinent jusqu'à ce qu'ils tombent d'épuisement et d'inanition. Les morts, on les jette sur un tas d'ordures, les uns sur les autres; quand il s'est amassé une quantité suffisante de cadavres, un camion vient les charger". Dans ces "camps" qui, dépourvus d'installations d'extermination, sont néanmoins des camps de la mort, "les familles sont séparées: les hommes travaillent ensemble, et les femmes ensemble"; "ils n'ont pas le moindre contact entre eux" et "les uns ignorent tout du sort des autres".

Cette ignorance dont les déportés descendus à Kozel font état dans leur angoisse livre la clef de la sélection opérée avant Auschwitz dans les convois ouest-européens du journal de Kremer. Tous ceux qui ont survécu à la captivité - ils sont rares - sont des hommes. Ils étaient nés entre 1892 et 1927. Honig est de 1904 et après la guerre, il expliquera qu'à Kozel, "seuls les hommes de 15 à 50 ans ont dû descendre"[66]. Né en 1913, le médecin Joseph Jacubowicz, un déporté du convoi VIII de Belgique qui s'est arrêté "dans la nuit du 9 au 10 septembre, à Kozel", se souviendra, lui aussi, que "tous les hommes de moins de 50 ans ont reçu l'ordre de descendre". 

"Au moment", écrit-il, "où nous nous sommes rangés en colonnes sur le quai de la gare, un garde armé qui s'y trouvait devant moi, nous a textuellement dit, pendant que le convoi s'ébranlait pour poursuivre sa route, que "Sie wurden es besser haben als die andere dort" (Vous serez mieux lotis que les autres là-bas). Il connaissait donc le sort réservé "aux autres" à leur arrivée à Auschwitz".  

Selon ce témoignage, les "autres", ce sont "les femmes et les enfants et les hommes de plus de 50 ans (qui) ont donc continué le voyage"[67]. Le témoin oculaire Jakubowicz sait ce qui s'est passé dans son wagon. Il avait le numéro 932 dans le convoi VIII. Mais il ignorait comment les déportés des autres wagons avaient réagi à l'ordre de descendre du train. Akiwa Frühauf avait le numéro 30 dans le convoi: né en 1893, ce déporté immatriculé à Auschwitz n'avait pas encore atteint la limite d'âge; cinq ou six wagons plus loin, le numéro 323  Henri Koplewicz, né en l913, aurait lui aussi dû descendre à Kosel. Sa fiche à Auschwitz signale qu'il a reçu le matricule 63.234: il était le septième après Akiwa Frühauf à être accepté au camp[68]. A Kosel, de toute évidence, tous les hommes âgés de 15 à 50 ans n'avaient pas obtempéré à l'ordre de descendre. Les familles dans les wagons se comportaient plutôt à l'inverse du témoignage publié dans Notre Voix en août 1943. Le père, l'époux risquait la désobéissance pour demeurer avec les siens. Dans le convoi VIII, le décompte des 283 hommes âgés de 15 à 50 ans ne donne pas le nombre exact des personnes restées dans le train. A l'arrivée à Auschwitz, ce furent donc plus de 717 déportés qui descendirent. La sélection retint Frühauf, Koplewicz et 19 autres hommes. Les femmes furent plus nombreuses: on leur a accordé 64 matricules de la série 19.295 à 19.358. Le décompte des 85 matricules porte au minimum (le chiffre réel est déja supérieur d'au moins deux unités!) à 632 le nombre des déportés qui ne sont pas descendus à Kosel et qui, descendus à Auschwitz, n'ont pas été enregistrés dans le camp. Les enquêtes de l'administration belge des victimes de la guerre et du service international de recherche de la croix-rouge n'ont retrouvé la trace d'aucun des disparus, ni dans les archives des autres camps nazis, ni ailleurs. Ces archives concentrationnaires sont lacunaires: dans ce cas "belge", 934 déportés du 8 septembre 1942 ne laissent plus d'autre mention que leur nom sur la liste "transport VIII" du camp de rassemblement. La répartition des 66 déportés identifiés donne 59 hommes, 4 femmes et 3 garçons ou filles de moins de 16 ans[69]. L'écart est significatif. Les hommes identifiés sont près de trois fois plus nombreux que les 21 matricules attribués à cette catégorie à Auschwitz: c'est la sélection à Kosel qui en rend compte. Les personnes identifiées relevant de l'autre catégorie sont nettement moins nombreuses: sélectionnées seulement à Auschwitz, elles n'ont pas été, comme les hommes de Kosel, réparties dans d'autres camps avant la dernière année de la guerre.

Comme ce convoi "belge", six autres convois de la série de "Kremer" se sont arrêtés à Kosel. La série comporte aussi deux autres convois qui ne s'y sont pas arrêtés. Ils sont pourtant les plus typiques dans la chronique "spéciale" du médecin SS d'Auschwitz. L'arrêt à Kosel est l'exception dans la déportation occidentale[70]. Sur les 77 convois partis de France, 15 à peine, tous de 1942, s'y sont arrêtés[71]. Dans le cas belge, ils furent au nombre de 6 - également en 1942 - sur les 27 transports juifs partis de Malines vers Auschwitz. Des 33 convois des Pays-Bas arrivés à Auschwitz jusqu'au départ de Kremer, les deux tiers - 21 - ne laissèrent pas descendre les hommes aptes au travail à la halte de Kosel. Le journal du médecin SS d'Auschwitz n'aperçoit toujours qu'un aspect limité de "l'extermination". En chiffre, il s'élève à 6.732 déportés des convois ouest-européens disparus aux dates où l'officier SS mentionne sa participation à une "action spéciale". Cette estimation est miminale. Sur les 10.356 déportés des 9 convois du document Kremer,  2.278 hommes de 15 à 50 ans au maximum ont pu descendre à l'arrêt de Kozel. Au moins 8.078 déportés sont restés dans les trains. A l'arrivée d'Auschwitz, 1.346 matricules leur ont été distribués. Le nombre de 6.372 disparus est donc une approximation calculée au plus bas. Il comprend tous les déportés des 9 convois qui ne relevaient de la catégorie autorisée à descendre à Kosel et qui, de surcroît, n'ont pas été retenus pour Auschwitz et ses commandos[72].

Dans cette estimation, le chiffre des disparus est toutefois absolument sûr pour les deux convois de "Kremer" qui n'avaient pas fait la halte de Kosel, soit un transport "hollandais", le convoi XXVI et un transport "français", le convoi XLII, en tout 2.703 déportés. Décompte fait des 679 matricules attribués à ces convois, il y a bel et bien 2.024 personnes qui ne laissent plus d'autre trace dans l'histoire que leur nom sur la "transportlist" établie au départ. Notant le 12 octobre sa "10. Sonderaktion" sur des gens "aus Holland (1.600 personen)"- précisément le convoi XXVI des Pays-Bas, le journal du médecin SS d'Auschwitz saisit, à son insu, la déportation occidentale dans ce qu'elle a de plus caractéristique dans l'histoire[73]. De surcroît, l'officier SS révèle, dans cette note du 12 octobre, le lieu où se pratique l'"action spéciale". La note conserve l'impression des "scènes épouvantables devant le dernier bunker"[74]. C'est, à cet endroit, que le témoin SS a les yeux de l'horreur.
  

Chapitre II  
   
Les yeux de l'horreur

    2.1. Une impression d'horreur souhaitée?
    2.2. L'anus mundi
    2.3. L'anatomie nazi
    2.4. Une froide impassibilité
    2.5. Trois femmes qui suppliaient
    2.6. Le camp de concentration moins sévère

2.1 Une impression d'horreur souhaitée?

Les traces écrites de cette horreur dans le document Kremer invitent à une lecture plus approfondie du document d'histoire. Son propos n'est de se complaire dans le genre macabre. La coïncidence de la disparition de quelque 7.000 personnes, hommes, femmes et enfants avec 9 des 15 "actions spéciales" effectivement mentionnées dans cette pièce d'archives pose une réelle question d'histoire qu'il faut résoudre. Cette lecture événementielle de la chronique personnelle du médecin SS d'Auschwitz ne procède nullement d'un "art de susciter dans l'esprit du lecteur non averti l'impression d'horreur souhaitée"[75]. La critique historique ne procède pas "par des commentaires orientés et des suppositions malveillantes se rapportant aux notes anodines du journal intime d'un homme représenté comme le type par excellence de l'exécutant dépourvu de tout scrupule moral". D'après l'Allemand Wilhelm Stäglich en 1979[76], Herman Langbein aurait quinze ans plus tôt manipulé en ce sens le document Kremer. Ancien d'Auschwitz et alors secrétaire de son comité international, Langbein avait, en 1964, publié en allemand et commenté des extraits du journal de Kremer en vue du "grand" procès des gardiens SS de ce camp devant la i.procès de Francfort; cour d'assises de Francfort. Entre temps, les sociologues historiennes du Musée d'Etat à Oswiecim, Jadwiga Bezwinska et Danuta Czeh ont mis au point, en 1971, l'édition scientifique du document[77]. Le "révisionniste" Stäglich n'ignore pas cette publication. Le regard borgne de son Mythe d'Auschwitz ne tient aucun compte de l'apparat critique remarquable de l'édition "polonaise"[78]. En 1979, Stäglich n'aperçoit toujours "aucun élément susceptible (dans le journal de Kremer) de nous éclairer ni sur les "gazages massifs", ni sur "les mauvais traitements" infligés aux détenus"[79]. L'ouvrage "révisionniste" ;- il est vrai - n'est pas, de son propre aveu, "une oeuvre historique"[80]. Cette humilité de bon aloi n'interdit pas à son auteur de vérifier d'après des critères objectifs les preuves présentées en faveur de la prétendue usine de mort d'Auschwitz". Ce juriste s'intéressant à l'histoire contemporaine s'autorise d'une singulière conception de ses principes scientifiques. A le suivre, le censeur des preuves disposerait de critères objectifs pour apprécier un document d'histoire sans qu'il lui soit indispensable d'établir ce qui s'est réellement passé à Auschwitz[80a]. Le mythe de Stäglich évacue ainsi l'objet historique de sa lecture des sources qui l'appréhendent. Tout aussi imaginaire est sa défense d'un peuple allemand présenté comme l'incarnation du mal absolu[80b]. L'artifice disculpe l'accusé réel le IIIème Reich. Des dossiers du procès de l'histoire contre le nazisme, l'avocat complaisant écarte d'un effet de manche la pièce à conviction Kremer. Péremptoire, le révisionniste Stäglich n'y lit rien qui soit susceptible de confirmer la thèse de l'extermination;[80c].

Le témoignage oculaire de l'officier SS apporté in tempore non suspecto - si l'on ose dire - n'a pas cette innocence aveugle. Les notes du médecin SS commis aux "actions spéciales" d'Auschwitz témoignent, dans leurs propres termes, d'une histoire horrible. Les "scènes épouvantables devant le dernier bunker" lors de sa "10. Sonderaktion" se répètent six jours après, à l'arrivée du convoi XXVIII des Pays-Bas : la note du 18 octobre est relative à la "11. Sonderaktion (Hollander)" et signale des "scènes horribles avec trois femmes qui suppliaient de leur laisser la vie sauve"[81]. Avec elles disparurent au moins 1024 personnes du convoi "hollandais". Les disparus de l'autre convoi "hollandais", le 12 octobre, sont exactement au nombre de 1251. Les déportés n'étaient aussi nombreux à disparaître - 741 au minimum - lorsque le 2 septembre, à l'arrivée du convoi XXVI de France, le médecin SS, découvrant avec sa première "action spéciale", la fonction du camp, a bien compris que "ce n'est pas pour rien qu'Auschwitz est appelé le camp de l'extermination"[82] . Cette prise de conscience conduisit-elle pour autant le docteur Kremer à témoigner dans le secret de son journal intime de toute l'horreur du camp d'extermination?

2.2 L'anus Mundi

A sa première confrontation avec le massacre des déportés à leur arrivée à Auschwitz, Kremer a laissé échapper le commentaire qu'"en comparaison, l'Enfer de Dante (lui) apparaît presque comme une comédie"[83]. La référence est littéraire. Elle a inspiré le dramaturge allemand Peter Weiss dans sa reconstitution de L'Instruction du procès d'Auschwitz à Francfort. Dans sa lecture de la pièce de Weiss, Michel Gheude s'interroge sur cette référence à La Divine Comédie dans le journal de Kremer. "Pourquoi Dante?", questionne-t-il." Pourquoi, ici, dans ce lieu désolé, le souvenir de la plus intense poésie, la recherche d'un sens dans l'invocation de la Comédie(...)? Pourquoi cet appel aussi au religieux, au voyage théologique? Simple référence à une représentation modèle de l'enfer? Simple cliché ou intuition décisive?"[84]. La référence à l'"enfer" n'était ni l'un, ni l'autre chez le témoin SS de l'horreur. Sous la plume de ce professeur d'université, docteur en philosophie de surcroît, c'était un artifice. Le détour intellectuel permettait à l'homme, dans l'intimité de son journal, de prendre le recul psychologique face à cette "extermination" dont il venait d'avoir l'expérience infernale. Trois jours après, le SS de l'"enfer" d'Auschwitz atteignait "le comble de l'horreur" pendant l'"action spéciale" sur les "musulmanes". Aussitôt, son commentaire personnel l'édulcore : "le lieutenant SS Thilo (médecin militaire) avait raison", note-t-il, "de me dire aujourd'hui que nous nous trouvions à l'anus mundi"[85].  Ce trou du cul du monde, le distingué professeur d'université l'avait pudiquement voilé. Le terme latin était sous sa plume un autre artifice: il appelait au niveau mental le relais d'une traduction où l'affectivité récupérait ses distances devant l'insupportable atrocité[86].  A son procès à Cracovie en 1947, Kremer accablé par les confidences de son journal expliquera qu'il avait "employé cette expression, car (il) ne pouvai(t) imaginer rien de plus horrible et de plus abominable"[87].

L'expression d'"anus mundi" traduit bien "la répulsion et l'épouvante que ce camp de concentration suscitait chez tous les observateurs", estime Antoni Kepinski[88]. Ce "fondement du monde" aurait toutefois une signification  idéologique dans le propos de ces médecins SS d'Auschwitz: il "justifiait l'existence du camp par la nécessité d'un nettoyage de l'univers". "Pour une bonne compréhension des camps d'extermination hitlériens - et en dehors de l'objectif politico-économique immédiat, à savoir annihiler l'ennemi de la façon la plus efficace et la moins coûteuse -", estime Kepinski, "cette désignation acquiert une signification plus profonde: purifier la race aryenne de tout ce qui ne correspondait pas à l'idéal du surhomme germanique". L'"anus mundi" du journal de Kremer s'est ainsi enrichi rétrospectivement "jusqu'à devenir l'"axis mundi" d'une Europe, entièrement soumise à l'emprise d'une fiction diabolique"[89]. Dans cette réflexion où la philosophie le dispute à l'histoire, "le projet national-socialiste accouche d'une vaste et macabre fantasmagorie, tirée aux forceps du système concentrationnaire". Le journal du philosophe Kremer est quant à lui plus prosaïque. Il place l'"anus mundi" à l'"extérieur". Les déportés juifs acheminés d'Europe pour être assassinés dans "le camp d'extermination" n'entraient précisément pas dans le système concentrationnaire. La singularité du génocide juif réside dans cette extériorité. 

L'"anus mundi" de Kremer, témoignage oculaire de l'horreur de l'extermination, n'exprime pas pour autant l'essence du racisme nazi. Ses notes personnelles sont fort peu idéologiques. Tout au plus, le journal apprécie-t-il les "aperçus remarquables sur la situation future politique, économique et idéologique" du général de Brigade SS Ernst Robert von Grawitz[90]. La note date du séjour de Kremer à l'école sanitaire des Waffens SS en septembre 1941[91]. Le chef de l'Office Central Sanitaire de la SS avait passé la soirée en compagnie de ses collègues médecins. A la fin de l'été, l'avancée des troupes du IIIème Reich en URSS - quoi que moins décisive qu'on l'avait programmée - ouvrait toujours des perspectives exaltantes à l'Est. Elles le seraient moins en 1942 et le médecin en chef des SS allait lui-même devoir s'inquiéter des troubles psycho-somatiques qu'il diagnostiquerait chez l'un ou l'autre officier de haut rang du fait tant des "exécutions de Juifs" que "d'autres expériences à l'Est"[92]. Les compétences médicales du lieutenant d'Himmler laissent cependant fort sceptique le professeur Kremer. Il revoit Grawitz à Auschwitz, le 25 septembre 1942 : le médecin en chef de la SS lui a recommandé de prescrire, "dans les cas d'apparition de maladies infectieuses (...) Ecoutez-bien: un purgatif", raille-t-il[93].

Les notes du professeur d'université ne sont pas moins médiocres. Le point de vue où se place Kremer est toujours étriqué. Grawitz accompagnait le Général SS Oswald ., autre lieutenant d'Himmler. De la visite à Auschwitz du chef de l'Office Central de l'Administration et de l'Economie de la SS dont relève tout le système concentrationnaire du IIIème Reich, le professeur d'Université retient, le 24 septembre, qu'à cette occasion, ... "pour la première fois", une sentinelle lui a personnellement présenté les armes. "En compagnie du Général Pohl", Kremer dîne le soir au Foyer des officiers SS: "un véritable festin", selon le témoin d'Auschwitz. Lui, il s'est intéressé ... au menu servi. "Du vrai café", a-t-il noté. Kremer apprécie la bonne chère. Chaque dimanche, il ne manque pas de noter l'"excellent déjeuner". Ainsi le 6 septembre: un "consommé de tomates, 1/2 poulet avec pommes de terre et choux rouge(20 gr. de matière grasse) dessert et magnifique glace de famille". Avec tout autant d'application, le professeur Kremer a noté sa présence "le soir, vers 8 heures de nouveau à une action spéciale à l'extérieur"[94]. L'homme, si imbu de sa personne et si peu témoin de son temps, n'est pas pour autant un nazi de circonstance.

2.3 L'anatomiste nazi

Son adhésion au parti ne date d'après l'avènement de Hitler: dès juillet 1932, il fut, à Munster, le premier chargé de cours de l'Université à rallier le mouvement. Mais il est resté un scientifique, passionné par les recherches sur l'hérédité. Elles s'inscrivaient bien dans la "conception du monde" du IIIème Reich raciste. Toutefois, le professeur Kremer n'avait pas choisi le bon créneau. Kremer publie, en 1942, ce qu'il intitule lui-même en toute modestie une contribution remarquable à l'analyse de l'hérédité des mutilations traumatiques : Hérité ou acquis? L'article a été envoyé à la Revue de l'Hérédité et de la Constitution humaines, en mai 1941, à la veille de l'agression contre l' U.R.S.S. Le moment était mal choisi. Dès l'hiver, le front de l'Est commence à renvoyer au pays les combattants mutilés dans cette guerre des races. De surcroît, l'acquisition de caractères héréditaires - obsession scientifique de Kremer - ne correspondait guère à l'attente de la raciologie nazie. Kremer aurait "dû prendre position" et "ouvertement conclure à une non-transmission héréditaire de caractère acquis"[95]. Trois mois après l'effondrement du IIIème Reich, l'ancien médecin de la Waffen SS découvrira qu'il avait "porté un coup très dur au parti, du point de vue idéologique, en publiant (son) étude sur la transmission héréditaire de propriétés acquises"[96]. A l'époque, il n'avait compromis que sa carrière académique. Sa candidature à la chaire de biologie héréditaire à l'Institut d'anatomie à Munster n'entra "pas en ligne de compte du fait de (cette) étude". Il n'y avait "pas d'autres objections (le) concernant". Il venait d'ailleurs d'être nommé, le 22 décembre 1942, président du tribunal disciplinaire régional. Quelques jours à peine après sa "disqualification" académique, il était même promu au rang de lieutenant SS de réserve[97]. Au demeurant le nazi Kremer ne pouvait tolérer d'être "évinc(é)" à l'Université "alors qu'(il était) le plus ancien membre du parti parmi le corps enseignant de Munster". Dominant toujours ses sentiments, il conservait toute sa lucidité pour comprendre qu'il "agaçai(t) ces messieurs de l'Université à cause des résultats scientifiques qu'(il) avai(t) obtenus et de (son) activité au sein du parti longue de plusieurs années"[98].

L'amertume du professeur incompris s'inscrit dans son journal en marge d'une note du 13 janvier l943[99]. "Il n'existe pas de science aryenne, négroïde, mongoloïde ou juive, mais seulement une science vraie et une science fausse", a-t-il écrit à une date non précisée. La note du 13 livrait le ressentiment personnel du savant méconnu. Elle énonçait que "la science aux yeux bandés est une farce et le restera". Kremer découvrait maintenant que "la situation de l'Allemagne n'est donc pas meilleure qu'au temps" de Galilée. Le journal ne prend nullement ici l'allure d'une dissidence. Dix ans après l'avènement de Hitler, le professeur nazi et fier de l'être ne s'aperçevait des entraves à "la liberté de la science tant vantée" qu'à la suite de son éviction personnelle. Et dans sa déconvenue, le professeur de médecine incompris se désespérait de finir "donc (ses) jours comme une victime de la science et un fanatique de la vérité".

Ce docteur en médecine était assurément un fanatique de la science. Rien ne l'arrêtait dans ses recherches sur l'anatomie humaine. A Auschwitz, bon champ d'observation, le professeur Kremer s'était laissé aller, tout médecin qu'il eût été, à des pratiques que la conscience morale réprouve et que la déontologie professionnelle condamne chez les disciples d'Hippocrate. Son "travail" à Auschwitz ne consistait pas à "se livrer à des recherches de laboratoire sur toutes sortes de maladie, et notamment le typhus"[100]. Le Professeur n'y avait pas été envoyé dans ce but. Ce réserviste de 59 ans, mobilisé dans la Waffen SS - et non dans la Wehrmacht - vint y remplaçer un collègue en permission de détente et ses activités médicales ne sortirent guère de la pratique ordinaire d'un médecin SS d'Auschwitz[101]. Dans ses notes quotidiennes, la trace de ses investigations scientifiques est bien moins fréquente que la mention des "actions spéciales"[102]. Elle est aussi plus tardive. L'homme de science acte le premier vivant provenant de foie et de rate d'homme ainsi que de pancréas" plus d'un mois après son arrivée. C'est sur place qu'il avait saisi l'occasion d'étudier les modifications de l'organisme humain sous l'effet de la faim. Les bonnes dispositions du nouveau médecin-chef de la garnison, le major SS Eduard Wirths firent le reste. Le champ d'observation de Kremer étaient les fameux "musulmans" de son journal. L'homme n'était pas une âme sensible et les misères humaines ne l'impressionnaient nullement. Le professeur d'anatomie choisissait ses cobayes humains parmi les détenus cachectiques. Selon sa propre version, il "observai(t) d'une façon très détaillée les prisonniers appartenant à ce groupe et quand l'un d'eux, (l)'intéressait tout particulièrement, étant donné son état, (il) donnai(t) l'ordre aux infirmiers de (le lui) réserver". On le prévenait "au moment où (le détenu en question) serait condamné à être tué par une injection de phénol". Kremer y assistait personnellement selon son témoignage judiciaire. Dans ses notes quotidiennes, ces assassinats n'étaient pas mentionnés - la remarque s'impose - au titre d'"action spéciale". Selon sa déposition à Cracovie, "le jour fixé par un infirmier SS, (l)es malades qu('il) avai(t) choisis (... étaient allongés) encore vivant(s) sur la table où avait lieu l'autopsie". Kremer s'"approchai(t) de la table et (il) interrogeai(t la victime ...) sur différents détails, essentiels pour (ses) recherches. Quand (il) avai(t) pris les renseignements dont (il) avai(t) besoin, l'infirmier SS s'approchait du malade et tuait celui-ci par une injection administrée dans la région du coeur". Devant ses juges, l'accusé s'est défendu d'avoir jamais "administré de piqures mortelles de phénol"[103]. A l'époque, le journal du médecin SS n'apercevait rien de répréhensible dans ces meurtres répétés. Tel un protocole clinique, il actait sans sourciller les prélèvements du jour[104]. L'officier SS n'était pas homme à se laisser de quelque manière impressionner, fût-ce par l'"action spéciale".

2.4 Une froide impassibilité

Si ses premières expériences "spéciales" à Auschwitz l'avaient pris au dépourvu, il recupéra sans peine son aplomb[105]. Très vite, il ressentit dans cette garnison SS d'Auschwitz une "impression vivifiante"[106]. Une semaine après son arrivée, son journal le signale et le soir, il enregistre sans la moindre trace d'émotion la troisième "action spéciale" du médecin. Le professeur Kremer, enfin accommodé à son nouveau rôle, avait retrouvé, du moins dans son journal, sa froide impassibilité. Il ne confia pas à ses notes quotidiennes s'il appréçait, lui aussi, la rasade d'alcool servie aux SS de l'"action spéciale". Le journal acte le fait, le 5 septembre, après "le comble de l'horreur": "à cause de la ration supplémentaire distribuée à de telles occasions - consistant en 1.5 litre d'alcool, 5 cigarettes, 100 gr. de saucisse et pain - les hommes se bousculent pour participer à de telles actions", écrit Kremer[107]. Cette frénésie des SS ne lui inspire aucune réflexion[108]. Les notes de ce docteur en philosophie ne sont pas le lieu où l'"Allemagne de Kant et de Goethe" devait recouvrer ses droits: il lui arrivait, même dans le discours d'un dignitaire nazi, d'élever sa protestation contre la "façon de procéder" des hommes de Himmler appliquant le traitement spécial aux Juifs, rien moins qu'un comportement de "sauvages" et de "sadiques qui jouissaient lubriquement de ces exécutions". Dans ce discours nazi, "si l'Allemagne était perdue de réputation dans le monde entier, c'était (leur) faute"[109]. Kremer, lui aussi, il "avai(t) presque honte d'être allemand", mais du seul fait que ses mérites scientifiques n'avaient pas été reconnus. Sa candidature malheureuse à la chaire de biologie héréditaire lui fit penser aux temps "où l'on musela(it) la science par la torture et le bûcher"[110]. Cette référence - toute personnelle - aux atrocités du passé ne vient pas sous sa plume pendant son séjour à Auschwitz. Dans son journal du camp, les "Sonderaktion" se succèdent au contraire dans une froide impassibilité. Des 15 mentionnées dans ses notes personnelles,  4 à peine sont parvenues à y franchir le seuil de son affectivité. A la 11ème, le 12 octobre - la "10.Sonderkation" de son journal - Kremer retrouvait les premiers accents de l'"horreur" dans "l'enfer" d'Auschwitz: la journée s'était mal passée. Sa "deuxième vaccination préventive contre le typhus" avait "provoqué une forte réaction" de "fièvre". "Malgré cela", rapporte le journal, l'officier SS prend part "dans la nuit à une action spéciale" au cours de laquelle se produisent les "scénes épouvantables devant le dernier bunker"[111]. Le lendemain, "l'exécution de 7 civils polonais" à laquelle assiste aussi le médecin ne suscite pourtant aucune réaction affective de son journal intime[112]. Avec la même sérénité sont enregistrées, six jours après, "11 exécutions". La note du lendemain, - 18 octobre - fait état, par contre de "scènes horribles": le flegme de l'anatomiste a craqué "avec [ces] trois femmes qui suppliaient de leur laisser la vie sauve"[113].

2.5. Trois femmes qui suppliaient

Ces "scènes atroces" du 18 octobre seraient aussi des "exécutions de condamnés à mort, exécutions auxquelles le médecin était obligé d'assister". Dans sa lecture du journal de Kremer, Robert Faurisson avance cette interprétation. "Parmi les condamnés se trouvent", affirme-t-il, "trois femmes arrivées dans un convoi de Hollande: elles sont fusillées"[114]. Le document n'autorise pas cette révision des "scènes atroces". Il ne s'agit pas, dans cette note du 18 octobre, d'une "exécution", mais bien d'une "action spéciale" à laquelle prend part le médecin SS d'Auschwitz, sa "11. Sonderaktion", a-t-il écrit. Il n'y a pas, en l'occurrence, de confusion possible avec les "exécutions" mentionnées les jours précédents, les 13 et 17. Elles ne sont pas reprises dans ses comptes "spéciaux". Sa précédente "action spéciale" - la "1O. Sonderaktion" - est datée du 12 ! Dans aucun cas, son journal ne les confond avec sa présence à une "exécution". Au demeurant, cette activité du médecin SS d'Auschwitz n'a pas dans ses notes quotidiennes la fréquence des "actions spéciales". Il l'indique pour la première fois au lendemain de sa "1O. Sonderaktion". Les "7 civils polonais" exécutés ce 13 octobre provenaient probablement de la prison de Myslowice et avaient été, dans l'attente de leur jugement, internés au bloc 11 du camp principal, la prison du camp du concentration. Un tribunal sommaire y prononçait les sentences, mais il siégeait selon les disponibilités du chef de la police d'Etat de Katowice, le colonel SS Rudolf Milner qui le présidait en personne[115]. On ignore quand il a ordonné les 7 exécutions du 13. Elles datent d'un mardi. Le 17, un samedi, Kremer, quant à lui, assiste de nouveau à "11 exécutions". Et, si l'on suit Faurisson, ce serait le lendemain, un "dimanche matin" - écrit Kremer - que surviendraient de nouvelles exécutions. Les "trois femmes arrivées d'un convoi de Hollande" et exécutées, en même temps que les condamnés à mort de Faurisson n'ont, en tout état de cause, pas pu être condamnées à Auschwitz. Elles y sont arrivées le jour même où Kremer les entend supplier "de leur laisser la vie sauve". C'est le 18 octobre, en effet, que 116 femmes du convoi XXVIII des Pays-Bas ont été immatriculées dans la série de 22.669 à 22.784. 

Les convois de l'Ouest n'amenaient pas à Auschwitz des détenus juifs dits "de sécurité", voire "de protection" pour y purger leurs peines[116]. Ces derniers relevaient des instances judiciaires du territoire occupé et lorsqu'elles prononçaient des condamnations à mort, celles-ci étaient exécutées sur place et à grand renfort de publicité[117]. Les autorités d'occupation ne se privaient pas non plus, en élaborant les listes d'otages terroristes à fusiller en guise de réprésailles, d'y faire figurer, dans chaque série, au moins un Juif signalé comme tel. Il pouvait survenir que la victime choisie se trouvât déjà en camp de concentration en Allemagne. A Buchenwald, un jeune Juif a été pendu tandis que le pouvoir d'occupation annonçait qu'il était fusillé avec les autres "otages terroristes" exécutés dans le territoire[118]. Il était moins rare que des concentrationnaires juifs soient exécutés sur ordre des autorités du Reich dans les camps où ils étaient internés en dehors du territoire occupé, à Dachau par exemple. Il s'agissait de détenus - c'était le cas de non-Juifs également - dont le transfert avait été ordonné dans le Reich du fait que, dans le territoire occupé, les conditions n'étaient pas réunies pour une condamnation exemplaire. Généralement, ils étaient jugés à Berlin, devant le Tribunal du Peuple et le plus souvent, ils étaient exécutés dans la prison où ils avaient été incarcérés avant leur procès. Dans quelque cas que ce soit,  ces victimes juives de la répression politique ne sont jamais passées par les camps de rassemblement juifs.

2.6 Le Camp de concentration moins sévère

Les "Juifs politiques" ne relevaient pas de la solution finale. Ils ne ressortissaient pas de la compétence des "sections juives" de la police de sécurité, mais de ses autres départements. Ce statut policier les exceptait de la condition juive ordinaire. En l'occurrence, l'exception s'est avérée vitale. C'est le paradoxe racial de la répression nazie à l'Ouest de l'Europe. Le "Führerprinzip" qui déterminait le champ des compétences policières laissait au "Juif politique" une chance de survie sans commune mesure avec le sort du déporté racial. Le cas des partisans juifs arrêtés en Belgique occupée est à cet égard exemplaire. Ces "politiques" engagés dans la lutte armée étaient assurément les Juifs les plus dangereux. Ils abattaient dans les rues des officiers et sous-officiers allemands, ainsi que leurs collaborateurs recrutés sur place, parfois aussi des "gestapistes" juifs. L'autorité d'occupation considérait à juste titre - mais non pas à bon droit - que "le seul fait qu'il s'agit d'un juif qui a été trouvé porteur d'un revolver chargé permet de supposer qu'il appartient à des milieux terroristes" et ces militaires allemands approuvaient, sur cette base, la proposition de la section IV de la police de sécurité d'inscrire le partisan arrêté sur la liste des otages terroristes à fusiller[119]. Cible privilégiée de la répression nazie, ces partisans furent plus souvent déportés vers les prisons et les camps de concentration du IIIème Reich. Si la captivité fit encore des ravages dans leurs rangs, à la Libération, la moitié d'entre eux n'aura pas moins survécu à la répression politique. La répression raciale a eu, quant à elle, une toute autre efficacité. Moins d'un déporté du camp de rassemblement juif sur dix est revenu[120].

C'est que "la déportation vers l'Est est une mesure d'un autre caractère et plus sévère que le transfert habituel dans un camp de concentration"[121]. Une circulaire interne à l'administration militaire en Belgique occupée l'explique en automne 1942. Il régnait dans les bureaux militaires une grande confusion quant à "la procédure du transfert dans le Reich et de la déportation dans la région de l'Est". Sous le sceau du secret, ce document expose que "la manière d'exécuter la déportation est confiée (au) service (de la police de sécurité), mais doit être tenue secrète". Les Juifs relevant de la solution finale étaient soumis au pouvoir discrétionnaire du détachement de la Sécurité du Reich à l'Ouest et de l'officier SS chargé des affaires juives. Dans la légalité allemande de l'occupation, ils n'étaient même pas l'objet d'une "mesure de police". Officiellement, ils étaient des "prestataires de travail", y compris les enfants en bas ou les vieillards impotents. La cartothèque juive de la police de sécurité à Bruxelles - qui a été conservée - est, à cet égard, un document remarquable. Sur les fiches des déportés, les fonctionnaires du service n'ont pas cessé jusqu'au départ du dernier convoi d'apposer le cachet "Arbeitseinsatz" avec la date du départ et le numéro dans le transport. Dans les premières semaines de cette mise au travail, ils étaient même requis de se présenter au camp de rassemblement sous la menace de ... leur arrestation et transfert dans un camp de concentration en Allemagne[121b]. En dépit de cette menace, les réfractaires à cette mise au travail tombés aux mains des services policiers ne relevaient toujours pas de la procédure de transfert dans le Reich. Même les Juifs détenus pour raison de sécurité et dont les autorités militaires d'occupation se dessaisissaient relevaient désormais de la mise au travail. Les services d'occupation étaient tenus de les livrer à la police de sécurité en dépit des procédures régulières, ce qui provoqua ces malentendus dont parlait la circulaire d'octobre 1942. Livré au camp de rassemblement, le détenu de sécurité restait néanmoins un Sonderfahle, un cas spécial dont le départ était retardé. Arrivé enfin à destination, il n'était pas soumis à l'action spéciale des SS d'Auschwitz."Celui qui en 1942 arrivait à Auschwitz à titre de prisonnier de sécurité était écarté de la sélection sur le perron d'arrivée"[122]. L'historien néerlandais Louis De Jong le signale. Son histoire des Gedeporteerde Joden est publiée en 1978 avant que Faurisson ne décrète la présence dans un convoi des Pays-Bas de femmes à exécuter avec des condamnés à mort. Les archives d'Auschwitz dispensaient d'avancer cette allégation gratuite. Elles conservent le message téléphoné du chef de la section de main d'oeuvre à la centrale des camps de concentration à Oranienburg relatif à un "convoi provenant de Berlin arrivé le 7.3.43"[123]. Le lieutenant SS Heinrich Schwartz bien remis de l'attaque de typhus exanthématique que le docteur Kremer avait notée dans son journal[124] y communique la répartition des 690 déportés de ce convoi, "y compris 25 détenus pour la détention préventive". Tous les "25 détenus en préventive" sont "allés au service du travail", indique ce document d'époque.

L'interprétation que Faurisson avance des "scènes horribles" notées dans le journal de Kremer, le 18 octobre se réfère pourtant à un témoin on ne peut plus compétent, à savoir Kremer en personne[125]. C'est dans le témoignage judiciaire de l'ancien médecin SS d'Auschwitz que l'auteur "révisionniste" a appris que les "trois femmes" du journal "qui suppliaient de leur laisser la vie sauve" étaient "des femmes jeunes, en bonne santé, malgré cela leur prière n'a pas été exaucée et les SS qui participaient à l'action les ont fusillées sur place". Mais, portant ce témoignage, Kremer n'avait absoluement pas dit qu'il s'agissait d'une "exécution de condamnés à mort". Ces "trois Hollandaises", expliqua le prévenu de Cracovie, "ne voulaient pas entrer dans la chambre à gaz et suppliaient de leur laisser la vie sauve".

Kremer parla aussi d'une "action de gazage" à propos des "scènes épouvantables" notées le 12 octobre, à l'arrivée d'un autre convoi "en provenance de Hollande". Dans la marge de son cahier, le médecin avait écrit un nom: "Hossler", Franz Hössler, l'officier SS qui commandait le "Sonderkomando", le "commando spécial" des prisonniers chargés à cette époque d'ensevelir les cadavres gazés. L'inculpé de Cracovie se souvint "qu'il avait essayé de faire entrer tout un groupe dans un bunker. Il a réussi, sans prendre en considération un seul [homme] qu'il était absolument impossible de caser dans le bunker en question. Hössler a tué cet homme d'une balle de pistolet. A la suite de cela, j'ai décrit dans mon journal les horribles scènes devant le dernier bunker", déclara Kremer. L'explication paraît douteuse à l'historien néerlandais des Gedepoorteerde Joden. "L'exécution d'un seul homme", s'étonne Louis De Jong, "l'aurait-elle atteint comme une "scène horrible"? Il doit s'être passé davantage, ce 12 octobre et l'on peut penser que les victimes, comprimées les unes contre les autres et prises d'une folle panique, sentaient instinctivement ce qui les attendait (en outre, dans ces cas, les SS tiraient souvent dans la foule au petit bonheur)"[126]. L'historien néerlandais insiste à juste titre sur l'ampleur de cette "11. Sonderaktion". Le témoignage judiciaire de Kremer le confirme non pas parce que le prévenu "ajoute qu'on a gazé 1.600 Hollandais": ce "chiffre approximatif" qu'il avait inscrit dans son journal, il l'avait "entendu de (ses) camarades". Plus significative que cette approximation en l'occurrence abusive est cette difficulté de caser "tout un groupe" dont il a gardé le souvenir. Jamais, Kremer n'avait assisté à une "action spéciale" d'une telle ampleur. Des 9 convois d'Europe occidentale identifiant les "actions spéciales" de Kremer, les inaptes au travail du 12 octobre étaient les plus nombreux. Le convoi XXVI des Pays-Bas était un gros transport de 1.703 personnes - et non 1.600 - qui, toutes, aboutirent à Auschwitz. La sélection des aptes au travail qui n'avait pas été faite à Kosel écarta de l'immatriculation 1.251 personnes.  Même à l'"action spéciale" suivante, les victimes n'avaient été aussi nombreuses. Le jour où Kremer rédigea sa note sur les "trois femmes qui suppliaient de leur laisser la vie", 1.024 déportés du convoi XXVIII des Pays-Bas n'avaient pas été immatriculés.

Cette note du 18 octobre indique, en tout état de cause, que l'officier SS ne parvenait pas à conserver son impassibilité face au refus de la mort et au sursaut vital des personnes soumises à l'"action spéciale". Le "comble de l'horreur" dans le journal de Kremer, c'est effectivement, selon sa propre lecture de ses notes, un tel comportement, surtout dans le cas de femmes. Il l'a implicitement reconnu à propos des musulmanes du 5 septembre. Leur "mise à mort par les gaz (...) était particulièrement désagréable", expliqua-t-il à Cracovie. Mais ce qui avait laissé cette pénible impression au professeur d'anatomie, ce ne fut pas leur aspect physique. Il avait "constaté, d'après le comportement de ces femmes, qu'elles se rendaient compte du sort qui leur était réservé, car elles suppliaient les SS de leur faire grâce de la vie. Elles pleuraient, mais on les a toutes poussées dans la chambre à gaz et gazées"[127].

Ce "on" n'a pas valeur d'une première personne du pluriel. Bien que cette déposition fasse dire à l'accusé Kremer: "j'ai participé à la mise à mort de groupes de ces femmes", cette mise en forme judiciaire ne signifie pas - le système de défense de Kremer l'exclut - qu'il reconnaisse ici une quelconque participation personnelle à l'exécution du crime. "On", ce sont les autres, les SS.  Lui, le médecin, il était présent à "l'action spéciale" contre les "musulmanes" comme l'aurait été un observateur fortuit. "Quand je suis arrivé près du bunker, elles étaient assises, habillées  par terre", a-t-il eu soin de préciser[128]. "Comme elles portaient des vêtements usés de camp, on ne les a pas laissées entrer dans les baraques servant de vestiaires, mais on les a laissées se déshabiller en plein-air". C'est alors qu'il a "constaté"  qu'en dépit de leurs supplications, les SS les ont "poussées dans la chambre à gaz". Ce "comble de l'horreur" de sa note du 5 septembre, il l'a donc constaté d'après sa déposition, "près du bunker". Dans ce témoignage judicaire, Kremer a parlé du "bunker" au singulier. L'accusé a aussi parlé des "bunkers", de singuliers "bunkers", faut-il dire!
  

Chapitre III
   
De singuliers bunkers

    3.1. Un singulier singulier
    3.2. Les travaux d'Auschwitz
    3.3. Du gazage et de son usage
    3.4. Les travaux urgents du printemps
    3.5. La façon (...) inquiétante d'Auschwitz

3.1 Un singulier singulier

Dans son témoignage judiciaire, l'ancien médecin SS d'Auschwitz s'est expliqué sur les "Sonderaktion" dans "le camp de l'extermination" de son journal de guerre. Il a alors parlé des "bunkers" au pluriel. "Dès le 2 septembre 1942, à 3 heures du matin", a-t-il dit, "on m'a désigné et", ajoute-t-il, "j'ai participé à une action où l'on gazait les gens". Et d'expliquer ici qu'"on accomplissait ce meurtre massif dans de petites maisons situées dans une forêt derrière le camp de Birkenau. Les SS appelaient ces maisons en leur argot, "les bunkers""[129]. Son journal s'était servi du terme à propos des "scènes épouvantables" du 12 octobre "devant le dernier bunker". Ce singulier serait, selon Faurisson, la preuve irrévocable chez le témoin Kremer d'"une leçon apprise dans les prisons polonaises", une leçon que des "geôliers polono-staliniens" auraient enseignée à l'accusé en aveu! C'est que, prétend Faurisson, "les interrogateurs de la police polonaise se sont trahis par le fait notamment qu'ils ont transformé "le dernier bunker" situé à Auschwitz 1 (Stalag) en l'un de ces bunkers situés au-delà même du camp de Birkenau ... Pour les policiers, il fallait faire coïncider le singulier employé par le Dr. Kremer dans son journal avec le pluriel très embarrassant de ces deux fermettes". Faurisson, savour[ant...] le résultat", en oublie, pour les besoins de sa négation des exterminations d'Auschwitz, la lettre du texte dont il prône le respect scrupuleux[130]. Dans une autre déposition, c'est bien au singulier que le juge d'instruction polonais fait parler l'accusé Kremer, dans la mise en forme de sa déclaration, de ce "bunker" où il avait atteint le "comble de l'horreur" avec la "mise à mort par le gaz" des "Musulmanes" d'Auschwitz. Les "scènes épouvantables devant le dernier bunker" notées le 12 octobre ne se sont pas, quant à elles, produites au camp principal. Le journal de Kremer ne le dit nulle part. Le texte n'implique pas non plus qu'elles se déroulent à Birkenau, le deuxième camp d'Auschwitz. Il signale tout simplement un "dernier bunker", ce qui suppose qu'aux yeux du témoin rédigeant la note, il y en a au moins un autre qui n'est pas le "dernier". Sa déposition devant la justice polonaise sur ces "deux petites maisons" sera par ailleurs, réitérée, dix-sept ans après, devant le tribunal allemand de Francfort. Dans ce procès nullement "polono-stalinien", Kremer déposant à titre de témoin et non d'accusé précisera qu'il s'agissait de "vieilles maisons paysannes (...) montées en bunker et munies d'une solide porte à coulisse"[131].

Sur ces singuliers "bunkers" où disparurent à jamais, du temps de Kremer, des déportés d'Europe occidentale arrivés aux dates des "actions spéciales" de son journal, d'autres SS ont aussi laissé un témoignage judiciaire[132]. Le plus qualifié est l'ancien commandant d'Auschwitz. Dans ses mémoires rédigées dans la prison polonaise avant sa condamnation à mort, Rudolf Hösz relate qu'il avait porté son choix pour le "bunker I" sur une "ferme" située au nord-ouest du camp de Birkenau : "elle se trouvait à l'écart, était entourée de boqueteaux et de broussailles qui la protégeaient contre les regards indiscrets et n'était pas trop éloignée de la voie ferrée", écrit-il[133]. La ferme appartenait à des paysans exilés, les nommés Jozef Wichaj et Rydzon[134]. Ce "bunker" au singulier n'a plus suffi à la tâche après le printemps 1942. "Nous fûmes obligés de créer une nouvelle installation d'extermination", explique Hösz. "On choisit et adapta à ce but une ferme", située plus à l'Ouest. Le Musée d'Oswiecim a établi que son propriétaire était aussi un paysan exilé, le nommé Harmata[135]. Ces "deux chaumières paysannes jolies et proprettes (qui) s'élevaient dans un site agréable" sont décrites dans la déclaration d'un ancien membre de la "section politique" du camp, le sergent SS Pery Broad[136]. L'homme d'autant plus complaisant qu'il est discret sur son rôle personnel indique que ces "deux maisonnettes d'aspect inoffensif" comportaient "sur les murs (...) des panneaux indicateurs en plusieurs langues : "pour la désinfection". "Les Juifs recevaient l'ordre de se déshabiller près du "bunker" et on leur disait", explique Rudolf Hösz dans ses révélations, "qu'ils devaient aller au dépouillage dans des pièces qui portaient ce nom": c'étaient des chambres où "on versait le contenu des boîtes de gaz, par des lucarnes spéciales"[137]. Un rescapé du "commando spécial" juif affecté à l'intendance des exterminations précise que "ces lucarnes étaient obturées par de petites portes en bois". Szlama Dragon n'a connu les "bunkers" I et II qu'après le départ de Kremer: il a été immatriculé, le 10 décembre 1942. Sa déposition devant le juge d'instruction polonais le 10 mai 1945 ne situe pas à l'extérieur des chambres à gaz les panneaux dont parle Pery Broad dans le mémoire remis aux Anglais, le 13 juillet de la même année. Selon Dragon, "les personnes introduites dans la pièce pour être gazées voyaient sur la porte de sortie une plaque avec l'inscription "Desinfektion". Sur la portée d'entrée, "on en voyait une autre: "Zum Baden" (Vers les bains)", inscription visible de l'extérieur. Un autre rescapé d'Auschwitz, déporté de France arrivé peu avant les convois du journal de Kremer, a signalé, quant à lui, "qu'au-dessus de la portée d'entrée se trouvaient les mots "Brausebad" (bains-douches)"[138]. Le témoin, André Lettich, docteur en médecine, parle lui aussi d'expérience: il fonctionna auprès du "commando spécial" d'un des "bunkers" de 1942. Sa thèse à la faculté de médecin de Paris précise qu'"au plafond, on pouvait même voir des pommes de douche qui étaient cimentées mais qui n'ont jamais distribué d'eau"[139].

La seule pièce d'époque d'origine nazie et relative à ces premières chambres à gaz d'Auschwitz se rapporte à ces "bains pour buts spéciaux"[140]. Le document n'est pas disponible dans le texte original[141]. Au procès de Nuremberg, la partie soviétique dont l'armée avait libéré le camp d'Auschwitz a fait état d'une note, datée du 21 août 1942 et portant sur la "construction de deux fours crématoires triples pour chacun des "bains pour buts spéciaux"(sic pour les guillemets)". A tout le moins, avec ou sans ces guillemets de la commission soviétique des crimes de guerre, ce singulier camp d'Auschwitz comportait bien deux installations de "bains", et ce une dizaine de jours avant la première "action spéciale" du docteur Kremer.

Ce témoin oculaire du massacre des Juifs de l'Ouest, resté à peine trois mois dans le "camp de l'extermination", n'a pas connu ce qu'il est advenu de la "construction" pour laquelle Auschwitz attendait, le 21 août, des "instructions ultérieures" de Berlin. Un document remarquable, postérieur à la période de Kremer, révèle comme par inadvertance que la "répartition" des déportés arrivés précisément de l'Ouest, mais "inquiet(s) sur le lieu et la façon dont il prévu de les utiliser" était fonction de l'achèvement de ces "travaux" d'Auschwitz. Il s'agit d'un télex adressé le 29 avril 1943 à Paris, Bruxelles et La Haye. Cette communication de la Sécurité du Reich n'a pas pour objet d'informer les officiers SS de l'Ouest sur l'état d'avancement des "travaux" entrepris par la direction centrale de la construction de la Waffen SS et de la Police d'Auschwitz. Le major SS Gunther leur rappelle, à la "demande" du camp, des instructions impératives qu'il leur enjoint de respecter pendant l'"évacuation des Juifs" et, pour étayer ce rappel à l'ordre, l'adjoint d'Eichmann explique aux services policiers SS à l'Ouest qu'"en raison de travaux urgents à exécuter, Auschwitz doit attacher de l'importance à ce que la réception des transports et leur répartition ultérieure se déroulent autant que possible sans accroc (reibungslos en allemand)"[142]. Les archives d'Auschwitz identifient ces "travaux urgents" qui motivent, au printemps 1943, l'agacement de la direction du camp à l'arrivée de déportés rétifs.

3.2 Les traveaux d'Auschwitz

Lorsqu'ils sont entièrement achevés au tout début de l'été, le tableau qu'en dresse la direction centrale de la construction SS d'Auschwitz donne, à son tour, la mesure de cette relation sinistre avec les convois arrivant au camp. Le rapport de son chef, daté du 28 juin, a d'emblée une signification macabre. Le major SS Karl Bischoff y fait état de la capacité d'incinération dont dispose désormais le camp. Si le crématoire du camp principal pouvait brûler 34O cadavres en 24 heures, les quatre nouvelles installations, édifiées à Birkenau et numérotés de II à V, portent le rendement à ...4.756 cadavres quotidiens[143]. L'énormité du chiffre mesure, à Auschwitz, la singularité du camp d'extermination ... dans le système concentrationnaire nazi.

La mortalité de sa population concentrationnaire n'a pas appelé la mise en place, dans ce camp, d'une gigantesque batterie de 17 nouveaux fours crématoires pourvus de 46 creusets au total[144]. L'ancien crématoire du camp principal suffisait - et largement - aux besoins du camp de concentration. Sa capacité permettait d'incinérer deux fois plus de cadavres qu'il n'y a eu de détenus dotés d'un matricule, enregistrés au "KL Auschwitz" et décédés au camp et dans ses dépendances pendant les cinq années de son existence[145]. Le nombre exact des prisonniers immatriculés à Auschwitz et y décédés - il ne s'agit pas là du nombre total des morts d'Auschwitz ! - n'est pas connu, mais il peut être approché. En 1983, Georges Wellers s'est essayé à le fixer, en calculant le nombre de ce qu'il nomme "les survivants" d'Auschwitz[146]. Les  archives permettent de connaître le nombre des détenus immatriculés et évacués en raison de l'avance de l'armée rouge, entre le 18 mai 1944 et le 18 janvier 1945[147]. Les prisonniers évacués - des Polonais, des "détenus" dits "en rééducation", des Juifs, des Tziganes et des Russes - ont été au plus 141.765. Ayant quitté le complexe d'Auschwitz en vie, ces "survivants" se décomptent du total des détenus immatriculés. Cette donnée est aussi disponible: les séries de matricules distribués aux entrants totalisent 381.455 matricules[148]. Compte tenu des doubles emplois, la population concentrationnaire est moindre: elle s'est élevée en 56 mois à 358.279 détenus immatriculés[149]. Les quelque 140.000 évacués des derniers mois fixent à un maximum absolu de 66,9 % le taux moyen de mortalité possible des concentrationnaires d'Auschwitz[150]. En regard d'une telle mortalité, les installations de crémation projetées dès l'été 1942 et achevées un an plus tard ont doté Auschwitz d'une surcapacité d'incinération[151]. Pour autant que les 216.514 détenus immatriculés qui n'ont pas été évacués, soient tous morts au camp et dans ses dépendances, Auschwitz pouvait, avec ses cinq crématoires fonctionnant à plein rendement, brûler leurs cadavres dès l'été 1943  en ... moins de deux mois. Cette surcapacité de crémation situe à Auschwitz toute la différence entre un camp de la mort et un camp d'extermination.

La présence de crématoires dans les grands camps de concentration avertit qu'ils sont des lieux où les détenus meurent en grand nombre, que ces camps nazis, avec ou sans installations "spéciales" d'extermination, sont mortifères. Les crématoires dont Auschwitz est pourvu au printemps 1943 ne sont, de toute évidence, pas destinés à la fonction habituelle du système concentrationnaire nazi. Une lettre de service du major SS Karl Bischoff destine les nouvelles installations de crémation à l'"exécution du traitement spécial"[152]. Le document est daté du 30 janvier 1943. Le jour précédent, Bischoff levait par inadvertance, un coin du voile sur ce mystérieux "traitement spécial". Le chef de la direction de la construction à Auschwitz était pressé d'annoncer à Berlin que "le crématoire II a été achevé grâce à l'emploi de toutes les forces disponibles, malgré des difficultés immenses et un temps de gel, par des équipes de jour et de nuit, à l'exception de quelques détails de construction"[153]. Les "détails" font toujours l'histoire. Ce 29 janvier 1943, ils identifient la seconde morgue souterraine du crématoire II comme une "cave de gazage". Le plan, conservé dans les archives et destiné, à l'époque, aux entreprises civiles chargées de la construction, indiquait, quant à lui, deux "leichenkeller" (caves aux cadavres) de 210 m2 chacune[154]. Le major SS Bischoff  explique à Berlin que le crématoire a été mis en marche bien que "le plafond en béton de la cave aux cadavres n'a(it) pas pu encore être décrépi en raison de l'action du gel". Sachant ce que les entreprises civiles travaillant pour le compte de la SS n'avaient  pas à connaître, l'officier rassure Berlin: "Cela est toutefois sans importance étant donné que la cave de gazage peut être utilisée à cette fin", ajoute-t-il.


  


  


  

3.3 Du gazage et de son usage

En allemand, le document porte "vergasungskeller". La traduction correcte de "vergasung" ne serait pas "gazage" selon la "révision" du professeur Faurisson! "Dans cette lettre", écrit-il, ""Vergasungskeller" désigne la pièce en sous-sol où se fait le mélange "gazeux" qui alimente le four crématoire"[155]. Le philologue "révisionniste" avait objecté cette traduction à Georges Wellers. Le document Bischoff du 29 janvier 1943 lui avait été opposé. Faurisson avait prétendu que "le local que les Allemands auraient fait sauter avant leur départ n'était qu'une morgue typique (Leichenkeller), enterrée (pour la protéger du froid)"[156]. Les variations "révisionnistes" sur la "vergasungskeller" d'Auschwitz ont laissé fort perplexe Wellers. "Bref conclut-il en 1987, "le même local est tantôt une "morgue", tantôt une "chambre froide aux dimensions caractéristiques" et tantôt la "pièce où se fait le" (mystérieux) "mélange gazeux" pour alimenter le four crématoire ... qui marche au coke!"[157]. Dès 1981, Wellers s'interrogeait, dans Les chambres à gaz ont existé, sur l'"ingénieur" qui "a eu l'idée de construire une "pièce" de 210 m2 de surface (d'après le plan) pour y faire le mystérieux mélange "gazeux""[158]. Préférant gloser sur le sens des mots, Faurisson a bien voulu concéder que celui de "vergasung" pouvait être meurtrier: "appliqué à un récit de bataille de la guerre des gaz en 1918", a-t-il répliqué à Vidal-Naquet, "il peut se traduire par "gazage""[159].

La référence est excellente! Elle figure, dès 1924, dans Mein Kampf et tout historien de l'Allemagne nazie la connaît car une référence au gaz si précoce pose problème dans la genèse du génocide juif. Faurisson, lui, il n'y a pensé. De son propre aveu, il "connaî(t) mal Hitler"[160]. Il le connaît si mal qu'il s'aventure à affirmer que Hitler n'avait jamais "admis que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion". Six ans après l'expérience des gaz de la première guerre mondiale, le caporal autrichien était d'un autre avis. Son Combat regrettait, dans un passage fameux, qu'on n'eût pas "au début ou au cours de la guerre, (...) tenu une seule fois 12 à 15.000 de ces Hébreux corrupteurs du peuple sous les gaz empoisonnés que des centaines de milliers de(s...) meilleurs travailleurs allemands de toute origine et de toute profession ont dû endurer sur le front"[161]. Ce discours meurtrier de Mein Kampf annonçait-il les chambres à gaz d'Auschwitz? L'historien allemand Eberhard Jäckel, lecteur des plus avertis des moindres papiers de Hitler, fait remarquer que "l'intention de liquider 12.000 à 15.000 d'entre eux ne signifiait pas (l')élimination totale" des quelque 600.000 Juifs que comptait alors la république de Weimar. "Quoi qu'il en soit", note-t-il, "il est certain que l'antisémitisme de Hitler, tel qu'il l'a exposé dans Mein Kampf a des traits guerriers, que l'on suppose ou non une association entre l'emploi des gaz asphyxiants dans la Première Guerre mondiale et les chambres à gaz de la Seconde. Son antisémitisme provenait de la guerre, il réclamait des méthodes guerrières, il n'est donc pas surprenant qu'il ait atteint son apogée sanglant dans la Seconde Guerre qui, dès le départ, appartenait au programme de Hitler"[162]. L'historien américain Christopher Browning, appliquant une autre grille de lecture à la problématique historique du génocide, considère que ce "passage fréquemment cité" de Mein Kampf "a plus de sens dans le contexte de la légende du "coup de poignard dans le dos" que comme prophétie ou allusion cachée à la solution finale"[163]. Il marquait, chez le führer de la petite formation national-socialiste, la résolution radicale "d'écraser une fois pour toutes la tête de serpent marxiste": ces "12 à 15.000 Hébreux" qu'il aurait fallu gazer étaient, dans le texte hitlérien, les "chefs marxistes". Dans l'esprit du caporal Hitler et de ses contemporains, les gaz étaient l'arme absolue. Lui, il les avait subis, les 13 et 14 octobre 1918, sur le front de Flandre, près Wervik: il en resta aveugle jusqu'à la fin de la guerre, ce qui, si l'on en croit son autobiographie, le décida à entrer en politique quand il apprit et la révolution de novembre et l'armistice de 1918[164].

Les textes d'histoire sont toujours à lire dans leur contexte, à la fois littéral et historique. "Tout est", en effet, "affaire de contexte"[165]. Faurisson l'écrit à bon droit, mais s'agissant de la "vergasung" dans les nouvelles installations en construction à Auschwitz, le  contexte de la lettre du 29 janvier 1943 a disparu dans la "pièce en sous-sol où se fait le mélange "gazeux" qui alimente le four crématoire". Selon le  major SS Bischoff, "les fours" du crématoire II "ont" bien "été allumés" et peuvent donc incinérer les cadavres à entreposer provisoirement dans la "cave de gazage" en attendant que celle "aux cadavres" soit utilisable. Les deux caves ont la même contenance. La chose est d'autant plus praticable que la "vergasungskeller" n'est pas encore équipée pour sa fonction. Le major SS Bischoff ne l'écrit pas textuellement, mais terminant son rapport sur le "crématoire II" et l'"état du bâtiment", il annonce - et cela, bien que "les fours" aient "été allumés" - que "l'entreprise Topf et fils n'a pas pu livrer à temps le dispositif d'aération et de désaération". "Après (son) arrivée", assure le chef de la construction à Auschwitz, "l'incorporation de celui-ci  sera aussitôt commencée, de sorte qu'on peut prévoir que le 20-2.43,  il sera complètement  en service". Achevé à cette date, le crématoire II sera donc  en mesure non seulement d'incinérer les cadavres, mais encore, avec sa "vergasungskeller" équipée d'un "dispositif d'aération et de désaération" de gazer les personnes à incinérer. Cette lecture du "gazage" est bel et bien d'époque.

Dans ce document Bischoff, la "vergasung" ne se lit pas autrement que dans le rapport du sous-lieutenant SS Becker. Ce scientifique - un docteur en chimie - était en tournée d'inspection dans les zones d'opérations des Groupe d'action C et D de la police et de la SS en Union soviétique. Le 16 mai 1942, il est à Kiev. "Die vergasung", le gazage, expose-t-il, "ne se fait généralement pas d'une façon correcte". Et ce technicien averti d'expliquer que "pour en finir le plus vite possible, le conducteur presse l'accélérateur à fond. En agissant ainsi, on fait mourir les gens par étouffement, et non par assoupissement progressif comme prévu". Ses "directives", annonce sa lettre à Berlin, "ont prouvé que grâce à un ajustement correct des leviers, la mort est plus rapide et les prisonniers s'endorment paisiblement. On ne voit plus de visages convulsés, plus d'excrétions, comme on en remarquait auparavant[166]". Le destinataire de cette expertise en gazage humain, le chef de la sous-section II D chargée des questions techniques à la Sécurité du Reich  était, quant à lui, très satisfait du procédé. Le 5 juin 1942, le lieutenant-colonel SS Walter Rauf se félicitait de la "façon exemplaire" dont elle était utilisée à Chelmno, dans le Wartheland. A cause d'une "explosion" survenue avec un des camions, il s'empressait d'objecter que "depuis décembre 1941 ont été traités de façon exemplaire 97.000 avec trois camions dont le fonctionnement n'a révélé aucun défaut"[167]. Le gauleiter du district était tout aussi satisfait du "commando spécial" en action dans le Wartheland, encore qu'il n'appréciât pas à sa pleine mesure son efficacité. Le 1er mai 1942, - un mois avant le document Rauf où le bilan macabre se chiffrait déjà à 97.000 Juifs gazés - lui, il prévoyait encore "deux ou trois mois". Sa lettre annonçait à Himmler que "l'opération de traitement spécial des cent mille juifs se trouvant sur le territoire de mon district, autorisée par vous en accord avec le chef de la direction de la sécurité du Reich, le général de corps SS Heydrich, pourra être achevée d'ici deux à trois mois"[168]. Dans l'attente, Arthur Greiser priait le chef des SS de l'"autoriser (...) à utiliser (...) le commando spécial disponible déjà engagé à l'occasion de l'opération juive". Le gauleiter "cro(yait) pouvoir prendre la responsabilité de (...) proposer de faire exterminer dans le Warthegau les cas de tuberculose ouverte existant dans la population polonaise, soit 35.000 cas selon son estimation.

A la différence de ces pièces remarquables relatives au camp d'extermination de Chelmno, les archives se rapportant à la construction des nouveaux crématoires d'Auschwitz ne traitent pas des massacres qui y seront perpétrés. Le problème du major SS Bischoff était d'achever au plus vite les travaux en cours. Le 29 janvier 1943, il était trop optimiste. Le crématoire II n'a pas été "complètement en service", le 20 février, comme il l'avait annoncé. Il a fallu  attendre encore jusqu'au printemps 1943 pour que les "travaux urgents" aboutissent.

3.4 Les travaux urgents du printemps

Le crématoire II a été réceptionné le 31 mars, avec quarante jours de retard sur la promesse de Bischoff. Le crématoire IV construit plus simplement et en surface fut livré, le premier, le 22 mars. Mais, l'aménagement intérieur de la chambre à gaz n'était pas entièrement terminé. La firme Riedel et fils avait bien posé des "fenêtres étanches au gaz", le 22 février[169]. Et, une semaine après - le 2 mars -, son conducteur des travaux réalisant la destination de cette pièce rendue ainsi étanche, avait indiqué à ses ouvriers la tâche de "bétonner le parterre dans (la) chambre à gaz (im gazkammer)"[170]. A sa livraison vingt jours plus tard, le crématoire IV n'était toujours pas pourvu des 3 portes étanches au gaz commandées le 18 janvier à l'Entreprise Usines d'équipement allemands. Le 31 mars, dans sa lettre à cette firme installée à Auschwitz, le major SS Bischoff rappelle, à cette occasion, une "autre commande d'une porte à gaz (gaztür) 100/192 pour la cave aux cadavres I du crématoire III" à "exécute(r) de même nature et mesure que la porte de la cave du crématoire II (...) avec un judas à double verre de 8 mm avec un caoutchouc assurant l'étanchéité et une  ferrure"[171]. Ce crématoire III, jumeau du crématoire II, sera livré, en dernier lieu, le 25 juin. Le crématoire V, lui, a été réceptionné officiellement le 4 avril. Mais le 17, l'équipe de Riedel et fils y travaillait toujours[172]. Son jumeau, le crématoire IV déjà en activité donnait aussi du souci à la direction centrale de la construction. Moins de douze jours après sa livraison officielle, des fissures étaient déjà apparues dans la maçonnerie et le 3 avril, Auschwitz dut faire appel au constructeur civil. Le 10 avril, la firme Topf et fils acceptait évidemment de réparer, mais elle offrait seulement une garantie d'une durée limitée à deux mois à la condition d'un usage raisonnable du four[173]. En avril, ces "travaux urgents" qu'évoquait le télex envoyé à l'Ouest à la demande d'Auschwitz comportaient encore l'achèvement de l'isolation des chambres à gaz. Le 9, l'atelier de serrurerie du camp doit encore livrer "24 boulons d'ancrage pour les portes étanches au gaz" des crématoires IV et V. Le 16, la commande concerne les ferrures de cinq portes étanches au gaz pour les crématoires III et IV, travail achevé le 2O avril[174].

C'est précisément à cette date que roulait déjà en Allemagne le convoi dont l'arrivée à Auschwitz mit dans l'embarras la direction du camp débordée par ses "travaux urgents". Dans le télex qu'elle fit envoyer aux officiers SS de Paris, Bruxelles et La Haye, ils sont un point de détail. La valeur documentaire de cette pièce remarquable est ailleurs, dans la nature des instructions que la "façon" d'Auschwitz commande de respecter impérativement à l'Ouest de l'Europe et, à cet égard, cette pièce d'archives, un document tout à fait officiel quoique que confidentiel, lève tout autant que les notes personnelles du médecin SS d'Auschwitz un coin du voile sur le secret du massacre des déportés d'Europe occidentale. Le télex du 29 avril 1943 témoigne, comme le journal de Kremer, de la notoriété "inquiétante" d'Auschwitz parmi les Allemands employés à l'"évacuation des Juifs". Ce qu'écrivait le docteur Kremer en septembre 1942 y trouve une autre confirmation. Le médecin d'Auschwitz n'avait pas inventé la formule de "camp de l'extermination". Selon son journal, c'était bien ainsi "qu'Auschwitz est appelé". Le médecin transcrivait la réputation sinistre que propageaient, en dépit du secret de rigueur, les SS impliqués dans le massacre des déportés. Cette perméabilité du secret est l'objet du télex de la Sécurité du Reich sur la "façon (...) inquiétante" d'Auschwitz.

3.5 La façon (...) inquiétante d'Auschwitz

A 1000 km de l'extermination, le télex du 29 avril 1943 apprend aux officiers SS de Paris, Bruxelles et La Haye que "le camp d'Auschwitz a prié de nouveau, pour des raisons évidentes, de ne pas faire avant le transport, aux Juifs à évacuer, de communications inquiétantes au sujet de l'endroit ou du sort qui les attend"[175]. Le ton du document de la Sécurité du Reich était on ne peut plus impératif: "je vous prie d'en prendre acte et d'en tenir compte", télégraphie le major SS Rolf Gunther. L'adjoint d'Eichmann "insiste en particulier sur les instructions permanentes à l'escorte de ne faire pendant le voyage aucune allusion susceptible de provoquer une quelconque résistance de la part des Juifs et de n'éveiller aucun soupçon quant à la façon dont ils seront logés". Le document n'est guère plus explicite sur les raisons précises qui ont motivé la direction à inviter Berlin à rappeler à l'ordre les officiers SS chargés de l'"évacuation des Juifs" à l'Ouest. La date du télex est toutefois une indication. Le plus récent convoi d'Europe occidentale est un transport "belge" parti du camp de rassemblement de Malines, le 19 avril et parvenu à Auschwitz, le 22, une semaine avant le télégramme de Berlin.

Ce convoi, le XXème de la déportation "belge" n'est certes pas passé inaperçu. Sur son trajet en Belgique, il avait déjà donné du fil à retorde à l'escorte. Peu après le départ de Malines dans la soirée du 19 avril, un fanal posé sur la voie l'a contraint à s'arrêter entre Boortmeerbeeck et Wespelaer: les hommes de l'escorte, revenus de leur surprise, s'aperçurent qu'un homme armé d'un revolver tenait en respect le machiniste et que deux autres s'affairaient aux portes coulissantes des wagons à bestiaux pour libérer les prisonniers. La police de sécurité retiendra "l'attaque du train transportant des Juifs le 19 avril 1943" dans les raisons d'inscrire le "chef de la bande de terroristes" sur la liste des otages à fusiller en février 1944[176]. La "bande" - ce n'était que trois jeunes gens - s'attendait à trouver l'escorte à l'arrière du train et non derrière le tender. Surpris par ses tirs, le groupe réussit seulement à ouvrir un wagon.  Revenus à leur tour de leur surprise, 17 déportés saisirent l'occasion de s'échapper. Cette libération de voyageurs d'Auschwitz est unique en son genre dans toute l'histoire de la déportation raciale en Europe. Cependant, le plus remarquable dans cette nuit "belge" du 19 au 2O avril 1943 n'est pas leur fuite éperdue dans la campagne flamande. De l'intérieur des wagons - du moins dans la plupart -, les déportés n'ont cessé de forcer le chemin de la liberté par leurs propres moyens, tout au long du trajet belge. Au départ de Malines, le convoi comptait 1631 personnes. Avant la frontière, il avait perdu un déporté sur sept. Les fugitifs avaient sauté du train en marche, malgré les tirs de l'escorte. Ses coups furent meurtriers. La police de protection, chargée d'escorter ce convoi, a abattu sur place 16 des 231 évadés. 7 autres, blessés à mort, avaient pu s'éloigner du chemin de fer. Pendant cette nuit tragique, le XXème convoi laissa, avec les cadavres échelonnés sur son parcours, un "nouvel itinéraire d'ignominie tracé à travers la Belgique, le long de la voie ferrée de Malines à Tongres". Un journal de Londres où la nouvelle était parvenue diffusa l'information[177]. Dans la clandestinité, la résistance juive, appréciant cette rébellion massive des déportés, souligna qu'"ils savent si bien ce qui les attend la-bas qu'avant d'avoir franchi la frontière, ils sautent en pleine marche au risque de se rompre les os"[178]. Le comité de défense des Juifs était convaincu, sinon persuadé que "la déportation signifie la mort"[179]. Cette équation fatale, la plupart des déportés étaient loin de l'accepter: dans les wagons des évadés, ils étaient les plus nombreux à n'avoir pas saisi l'occasion d'y échapper.

La plupart aussi n'y échappèrent pas à l'arrivée à Auschwitz: le 22 avril, 879 personnes dont un grand nombre d'enfants en bas âge et de vieillards ne furent pas sélectionnés pour entrer dans le camp. Le XXème convoi se vit attribuer seulement 276 matricules de la série 117.455 à 117.730 pour les hommes et 245 de la série 42.451 à 42.695 pour les femmes, soit 521 matricules au total. Comme à l'ordinaire - quoique dans une moindre proportion qu'explique peut-être l'urgence des "travaux" d'Auschwitz[180] - les déportés dont l'histoire perd la trace dès l'arrivée à destination du XXème sont les plus nombreux. Le comportement - au moment de disparaître - de ceux qui, pendant le trajet belge, avaient le plus hésité à suivre l'exemple des rebelles ne laisse d'autre écho que cet "accroc" énigmatique auquel fait allusion le télex du 29 avril préoccupé de la "répartition ultérieure" des déportés. Le document n'apporte pas d'autre lumière sur cette "résistance" des déportés avertis des rumeurs "inquiétantes" sur la "façon" d'Auschwitz. Aucun témoin de l'"action spéciale" du jour n'a conservé dans quelque journal que ce soit la trace écrite de scènes épouvantables où les victimes s'insurgeaient de n'avoir pas la vie sauve.

Le télex d'avril 1943 n'en est pas moins une pièce d'archives intéressante. Comme les autres sources administratives nazies relatives à la "solution finale", ce document sibyllin n'a de sens que s'il est caché. A l'époque, il fallait que les destinataires - le major SS Zoepf à La Haye, le colonel SS Knochen à Paris et le lieutenant-colonel SS Ehlers à Bruxelles - eussent été initiés à son code. Ils n'avaient pas eu besoin, quant à eux, d'explication à propos de "la façon dont (les Juifs) seront logés" et de "l'endroit" où ils le seront. Il n'avait pas non plus été indispensable de leur indiquer quelles étaient donc ces "communications inquiétantes" qui provoquaient la "résistance" des déportés" et qu'il s'imposait de censurer. Les "raisons" des SS qui opéraient à "la réception" des convois et à "la réception ultérieure" des déportés leur étaient - pour le dire comme le télex du 29 avril - "évidentes".

Cette évidence a fondé, trente ans après, la conviction du tribunal supérieur du Schleswig-Holstein appelé à se prononcer sur la recevabilité des poursuites intentées contre Ernst Ehlers, nommément cité dans le télex du 29 avril 1943. "Ehlers", constate la décision de le juger, "fut spécialement chargé par des instructions continuelles, de faire en sorte que les commandos qui devaient accompagner les convois (auxquels étaient joints des membres de la compagnie de garde [du siège central de la police de sécurité et du service de sécurité à Bruxelles]) ne fassent pas au cours du transport de confidences aux Juifs en ce qui concerne leur sort"[181]. Dans la délibération des magistrats allemands, le document du printemps 1943 introduisait - c'est capital dans une lecture judiciaire des archives - la relation directe et personnelle avec le prévenu sur le point crucial de la cause. La pièce d'époque infirmait l'affirmation d'Ehlers qu'il n'avait "pas (été) au courant des pratiques cruelles à Auschwitz".  L'homme prétendait même qu'il avait "exercé (son) service dans un esprit d'humanité et qu('il s'était) tenu à l'écart de toutes les mesures contre les Juifs" pour avoir dirigé la police nazie à  1.000 kilomètres de l'horreur[182].

  
Chapitre IV
   
A Mille kilomètres de l'horreur

    4.1. L'esprit d'humanité de l'officier SS
    4.2. Un camouflage cousu de fil blanc
    4.3.
Le plausible de l'officier SS

4.1 L'esprit d'humanité de l'officier SS

Pour preuve de l'"esprit d'humanité" avec lequel il avait exercé sa fonction de chef de la police de sécurité, Ernst Ehlers, honorable juge en retraite du tribunal des affaires sociales de Kiel, faisait valoir en 1975 - et publiquement - que "la Justice belge ne (l'avait) pas recherché" après la guerre[183]. Le fait signalé est tout à fait exact. L'auditorat de la Cour militaire belge ne s'était pas intéressé à son cas après 1945. Son collègue Constantin Canaris, de surcroît interné, convenait tout aussi bien. La répression judiciaire des crimes de guerre s'attacha à instruire des procès exemplaires. Dans cet après-guerre belge, la représentativité des accusés allemands importa davantage que leur nombre. Cela étant, le bilan répressif certes moins fourni dans ce pays ne fut pas moins sévère qu'en France et qu'aux Pays-Bas. Toutes proportions gardées, les condamnations à mort y furent même plus nombreuses[184]. La Belgique avait tout autant dénoncé, sans complaisance pour qui que ce fût, "la responsabilité (...d)es commandants locaux de la police de sécurité et du service de sécurité". La commission des crimes de guerre estima que leur responsabilité pénale était "engagée plus particulièrement en ce qui concerne la persécution antisémitique en Belgique"[185]. "Sous leur autorité (...)", insistait-elle, "s'organisèrent et fonctionnèrent les multiples rouages de l'appareil policier qui des caves de la Gestapo à l'enfer de Breendonck[186] ou aux charniers d'Auschwitz, broya tant de vies humaines". Dans cet "appareil policier" à qui "incomba l'exécution matérielle des mesures", il est "évident", selon le rapport officiel sur La persécution antisémitique en Belgique, que "chacun, dans sa sphère d'activité, et quel que fût son rang dans la hiérarchie, collaborait à une entreprise dont il connaissait les objectifs". Cela dit, la commission des crimes de guerre s'est posée la question "de doser les responsabilités" individuelles; non pas qu'elle ait envisagé un instant qu'on aurait - selon le plaidoyer d'Ehlers - "exercé" son "service" en Belgique occupée "dans un esprit d'humanité"! En 1947, il s'agissait tout au plus, en ce qui concerne les responsabilités criminelles de "la Gestapo et de ses séides", d'"apprécier les unes plus sévérement que les autres". D'ailleurs, la commission "n'hésite pas à répondre par la négative" à la question du dosage. Dans cet appareil policier, elle n'entend faire aucune différence. "Il n(e lui) apparaît pas, bien au contraire" que quiconque, "à quelque degré de la hiérarchie qu'il ait appartenu", ait eu "le dessein d'adoucir les souffrances des victimes". L'absence de poursuite contre l'officier SS qui l'avait dirigé de la fin 1941 au début de l944 ne signifie pas ce que Ehlers voulut y découvrir trente ans après. De surcroît, l'argument de l'impunité était spécieux. Son ancien collègue, Canaris, tout condamné qu'il eût été par la justice belge, était son co-inculpé dans cette affaire "allemande". Le tribunal supérieur du Schelswig-Holstein écartait l'objection de la chose jugée. Dans l'affaire qui porte le nom de Ehlers, Canaris était certes poursuivi pour "le même fait que celui faisant l'objet du procès de Bruxelles", mais, remarque le tribunal allemand révisant l'épilogue judiciaire belge, la chose avait été "jugée là uniquement du point de vue légal de la privation de liberté"[187]!

De fait, les déportations juives opérées en 1944 sous le commandement du colonel SS Constantin Canaris, chef de la police de sécurité en Belgique et au Nord de la France, n'avaient guère pesé dans les vingt ans de travaux forcés auxquels les Belges l'avaient condamné en 1951. Dans la répression des crimes de guerre, les cours militaires ont systématiquement fait l'impasse sur la solution finale à l'Ouest. La justice de l'après 1945 s'est attaquée aux auteurs, ainsi qu'à leurs complices, des crimes de sang commis dans les pays occidentaux. Les responsabilités dans la déportation de Juifs vers l'Est n'ont pas été envisagées, du point de vue judiciaire, comme autant de complicités dans les assassinats perpétrés à l'arrivée des déportés. La pusillanimité, sinon le laxisme des cours militaires sont d'autant plus remarquables que les "responsabilités" criminelles des autorités d'occupation à l'Ouest - tant policières que militaires - étaient officiellement dénoncées. "Leur tâche (...) de mener à bien, sur un territoire donné, le plan général criminel des chefs suprêmes de leur pays" était décrite sans la moindre ambiguïté comme aussi sans la moindre nuance. Dans l'après 1945, la persécution antisémitique à l'Ouest était parfaitement perçue comme "un des multiples aspects" de la "tragédie des Juifs d'Europe". Rien qu'à Auschwitz, la commission belge des crimes de guerre chiffrait, en 1947, "le nombre des victimes à près de 2.000.000 parmi lesquelles", ajoutait son rapport, "de nombreux milliers de déportés de Belgique". Cet organisme institué près du ministère belge de la justice exposait que "des milliers de personnes furent (...) dès leur arrivée, conduites à la mort dans des conditions atroces"; qu'après "le triage" des déportés, "les femmes et les enfants, les vieillards, les faibles et les malades étaient isolés et immédiatement envoyés à Birkenau où se trouvaient les chambres à gaz"[188].

La conclusion judiciaire ne s'inscrit toutefois pas dans la logique de l'exposé. Cette commission de juristes dont faisait partie, de surcroît, un substitut à l'auditeur général près de la cour militaire n'a pas requis des poursuites du chef de complicité dans le massacre des déportés à leur descente des trains. Les responsables allemands ont été dénoncés pour les seuls "crimes suivants: déportation de civils, internement de civils dans des conditions inhumaines, confiscation de biens, arrestation en masse sans discrimination"[189]. La lecture judiciaire de l'après 1945 a été singulièrement étriquée. En Belgique - comme dans les pays voisins - le procès de la solution finale n'a pas eu lieu. Dans les procès "belges" de 1950/1951, l'évènement juif a été amputé de sa dimension historique essentielle. Il a aussi été banalisé. Les charges "juives" pour le moins mitigées ont figuré parmi d'autres chefs d'inculpation - telles les fusillades d'"otages terroristes" - en l'occurrence bien plus graves.

Dans l'épilogue judiciaire allemand, l'acte d'accusation est autrement grave que les charges retenues en Belgique. En 1975, la justice de leur pays accusait Ehlers et Canaris, ainsi que leur chargé des affaires juives, l'ancien lieutenant SS Kurt Asche, de "complicité dans la mise à mort cruelle et perfide d'un grand nombre d'êtres humains pour avoir, dans la période d'août 1942 à juillet 1944, à divers moments et à des degrés divers, collaboré à la déportation de quelque 26.000 juifs (...) vers le camp d'extermination d'Auschwitz"[190]. Dans cette affaire de "criminels nazis"[191], le Landgericht du Schleswig-Holstein - la cour d'assises - n'a toutefois pas d'emblée suivi le parquet de Kiel. On y estima que "dans l'état actuel des moyens de preuve, il ne serait pas possible d'apporter la preuve que les prévenus aient été au courant des projets de mise à mort des déportés". Appelé à se prononcer en 1977, le Tribunal Supérieur considéra au contraire que "leur condamnation est à prévoir avec quelque probabilité"[192].

"Le soupçon suffisant pour la réouverture du procès principal" contre l'inculpé le plus important ne prenait pas seulement appui sur le document d'histoire qui, au printemps 1943, laissait deviner le sort horrible des déportés à leur arrivée à Auschwitz. Les magistrats allemands opposèrent à ses dénégations toute une batterie d'arguments puisés dans d'autres sources d'époque. La justice démontrait ainsi qu'"une telle ignorance du prévenu Ehlers est, en effet, difficilement admissible - malgré le secret gardé officiellement en ce qui concerne les mesures d'extermination à Auschwitz". La lecture judiciaire y découvrait, quant à elle, un "camouflage cousu de fil blanc".

4.2 Un camouflage cousu de fil blanc

Contre toute vraisemblance, le prévenu Ehlers avait construit sa défense sur l'argument de la "mise au travail" des Juifs. Selon cette défense impossible, il aurait "demandé à Eichmann lors d'une visite à Bruxelles" - aux environs du 1er juillet 1942 probablement - "et parce qu'au début, il avait des inquiétudes à ce sujet - si les Juifs étaient mis à mort à l'Est". "Eichmann", acte la décision judiciaire, "aurait catégoriquement nié cela et déclaré: les Juifs de l'Ouest sont traités différemment des Juifs de l'Est"[193]. Le responsable de l'"évacuation des Juifs" à l'Office Central de la Sécurité du Reich aurait, dans cette version, expliqué que "suite à la situation de la guerre qui s'était empirée, il est nécessaire que toutes les forces disponibles, donc également les Juifs, soient intégrées au travail". Le tribunal estime cette réponse plausible. A l'époque des faits, les Juifs étaient, en effet, - du moins officiellement - déportés à l'Est en vue de l'"Arbeiteinsatz". La décision de juger Ehlers examine les indications dont disposait l'officier SS pour s'apercevoir que "le but des déportations juives n'était pas "la mise au travail à l'Est". Leur but était bien plus", constate le tribunal allemand, "de vider l'Europe des Juifs et d'anéantir les Juifs, comme Hitler l'a déclaré à nouveau publiquement, après la conférence de Wannsee du 20 janvier 1942"[194].

Cette lecture judiciaire ne s'attarde pas aux prophéties hitlériennes. La question mérite pourtant d'être envisagée en relation avec cette prétendue "mise au travail". Car enfin, la situation ne manque pas d'être paradoxale. Pendant que les fidèles SS acheminaient les très officiels "prestataires de travail" vers le lieu secret de leur massacre, leur Führer ne cessait de proclamer sa détermination meurtrière en public. Hitler se justifiait par l'argument de la belligérance juive. Ce leitmotiv de la propagande nazie datait du discours prononcé le 30 janvier 1939 au sixième anniversaire de son avènement. Il y avait dénoncé la responsabilité de la "finance juive internationale (...) dans la guerre mondiale" à venir et il avait prophétisé, sept mois avant l'invasion de la Pologne, que si la guerre s'étendait au monde, l'issue en serait bel et bien "l'extermination de la race juive en Europe"[195]. Le génocide annoncé à cette date n'était pas plus inscrit dans les plans hitlériens que cette "guerre mondiale" redoutée[196]. Il relevait du discours alternatif de Hitler sur "la bolchevisation de l'Europe et une victoire du judaïsme". En 1941, les préparatifs de la guerre idéologique d'extermination contre l'U.R.S.S. mirent à l'ordre du jour, non pas encore "l'extermination de la race juive en Europe", mais celle du "judéo-bolchévisme". Ce pas franchi,  Hitler, contraint à une guerre décidément mondiale, répéta, dès 1942 à chaque solennité du IIIème Reich, sa prophétie désormais fameuse de 1939. Pour les besoins de son propos, le Führer la postdatait du début de cette guerre mondiale qu'il avait espéré circonscrire à la campagne de Pologne. Les variations du thème apocalyptique sont plus significatives. Le 8 novembre 1942 - à l'anniversaire du coup d'état avorté de 1923 - Hitler rappelait qu'"on s'est toujours moqué de (lui) en tant que prophète" et, prophète moqué, il se donnait la satisfaction d'évoquer à mots couverts l'ampleur du massacre en cours. "De tous ceux qui riaient alors" - il s'agissait des Juifs allemands dans son discours de janvier 1939 -, "innombrables sont ceux qui ne rient plus aujourd'hui et ceux qui rient encore ne le feront peut-être plus dans quelque temps", annonçait-il nullement prophétique désormais[197]. Ces proclamations publiques de l'extermination en cours procèdent toutefois autant que la prophétie de 1939 des nécessités de la pédagogie nazie. Comme le recommandait le chef du service de presse du Reich et du parti après la défaite de Stalingrad, "on peut se référer à la parole du Führer"[198]. C'est qu'"en relevant la ferme intention du judaïsme d'exterminer tous les Allemands, on fortifiera la volonté d'affirmation de soi-même", enseignait Otto Dietrich. Dans ce discours nazi sur la guerre, la déportation juive n'intervenait pas comme une leçon de choses. La belligérance juive légitimait "le procédé assez barbare" utilisé dans les camps d'extermination du Gouvernement général en Pologne, seulement dans le secret du journal du maître de la propagande du IIIème Reich. "On exécute à l'endroit des Juifs un jugement qui est certes barbare, mais qu'ils ont largement mérité", lui confiait Goebbels, le 27 mars 1942. Il y constatait que "la prophétie du Führer sur leur responsabilité dans le déclenchement d'une nouvelle guerre mondiale se concrétise de la manière la plus brutale". Et ce dirigeant de l'Allemagne nazie d'estimer que "dans ce genre d'affaires, il ne faut pas se laisser dominer par la sensiblerie. C'est un combat de vie ou de mort entre la race aryenne et le virus juif". L'homme d'Etat - l'un des proches de Hitler - découvrait dans cette guerre dont la responsabilité était imputée aux Juifs le moyen d'en finir avec eux. "Heureusement", poursuivait Goebbels, "nous disposons, en ces temps de guerre, de toute une gamme de possibilités qui nous seraient inacessibles en temps de paix. Nous devons en profiter"[199]. Cela noté dans le journal personnel du ministre de la propagande du IIIème Reich, la presse nazie ne présentait jamais le refoulement des Juifs "vers l'Est" comme une mesure préventive à l'encontre de "représentants d'une minorité belligerante ennemie"[200].

Tout au plus - dans des conditions politiques bien spécifiques -, les "menées antiallemandes" imputées aux Juifs servaient-elles à amortir l'impact psychologique prévisible de l'action antijuive projetée. L'argument, destiné à abuser une population par trop rétive, se retournait contre ses propres auteurs. Dans un quiproquo qui serait comique s'il ne s'agissait pas d'une tragédie sanglante, c'est les services allemands qu'il abusait. Au Danemark, le plénipotentiaire du Reich Werner von Best - il avait auparavant dirigé l'administration militaire en France - s'empressa dans un télégramme secret de lever le malentendu. "S'il est vrai", expliqua-t-il, "qu'il a été publié le 2-10-1943 à Copenhague la nouvelle que les Juifs auraient soutenu matériellement et moralement le sabotage, aucun élément concret ne le prouve, et", concluait son télégramme, "ce n'est là qu'un prétexte pour justifier les déportations de Juifs"[201]. Il s'était agi de laisser croire aux Danois nullement dupes que la grande rafle des Juifs du pays dans la nuit suivante procédait de la sécurité militaire, et non d'une action antijuive. L'autorité allemande recourant à l'argument du "sabotage" n'avait pas en l'occurrence manqué d'imagination. La "thèse non négligeable", à en croire l'historien allemand Ernest Nolte, "selon laquelle Hitler aurait eu le droit de traiter les Juifs comme des prisonniers de guerre, c'est-à-dire les interner" n'est pas d'époque[202]

Les ressortissants juifs des "pays ennemis" de l'Allemagne donnaient déjà assez de soucis au ministère des affaires étrangères du Reich. Par opportunité diplomatique, il lui importait - à l'encontre des "révisions" anachroniques de l'histoire - d'excepter cette catégorie de Juifs des mesures de déportation. Pour prévenir précisément toute "objection" de sa part, Eichmann lui annonçant que 90.000 Juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas allaient être "transférés au camp d'Auschwitz pour la mise au travail", avait, le 22 juin 1942, assuré la diplomatie allemande que la mesure ne s'appliquerait pas aux "ressortissants de l'Empire britannique[203], des U.S.A., du Mexique, des Etats ennemis de l'Amérique centrale et du Sud comme des Etats neutres et alliés"[204]. L'"évacuation des Juifs" ne s'inscrivait officiellement pas dans des considérations de politique ou d'idéologie. Elle était présentée sous le couvert du "travail obligatoire" imposé aux populations des territoires occupés. La "convention de langage" à usage extérieur exigeait qu'on parlât de leur "mise au travail". Au président français Laval qui, pour sa part, souhaitait, dans ses réponses aux diplomates étrangers, "éviter une divergence sur les renseignements donnés par" les services allemands en France, il était recommandé de "communique(r) (...) que les Juifs (...) sont transportés pour être employés au travail dans le Gouvernement Général" en Pologne[205]. Les instructions d'Eichmann aux chargés des affaires juives de Paris, Bruxelles et La Haye réunis en conférence le 11 juin spécifiaient même que "la condition essentielle est que les Juifs (des deux sexes) soient âgés de 16 à 4O ans". Mais, dévoilant déjà le camouflage, l'officier supérieur SS avait introduit une dérogation, à savoir, notait son agent à Paris, que "10 % des Juifs inaptes au travail pourront être compris dans ces convois"[206]. Très vite, la mise en route des trains de la "solution finale" renversa les proportions.

La présence massive d'enfants et de vieillards dans les convois démentait le camouflage par trop grossier de la "mise au travail".  Ces enfants "ne portent certainement", écrivait le secrétaire général du ministère de la justice à l'administration d'occupation en Belgique, "aucune responsabilité dans les événements actuels"[207]. La haute administration belge s'apercevait, encore que tardivement, que "l'humanité la plus élémentaire prescrit de veiller" sur eux. La formation du XXème convoi motivait cette démarche officielle. Le transport du 19 avril 1943 - il a décidément retenu de toutes parts l'attention des autorités de l'époque - projetait une caricature grotesque de la "mise au travail". Les 1.631 déportés présents dans le train, au départ du camp de Malines, ne comportaient pas moins de 242 enfants. Parmi eux, le plus jeune "prestataire de travail" juif de toute la déportation raciale, Suzanne Kaminsky, née ... 39 jours plus tôt. La présence des vieillards dans le convoi démontait tout autant le motif officiel de leur déportation[208]. Les plus âgés, constatait le porte-parole des secrétaires généraux belges, "ne peuvent de toute évidence être utilisés en vue du travail"[209]. Il y avait, dans le nombre, un Jacob Blom qui aurait fêté ses 91 ans en 1943 s'il n'avait pas été amené à Auschwitz. 5 autres déportés étaient nés dans les années 1850. Au total, les déportés âgés de 60 ans et plus étaient au nombre de 241. Ils représentaient plus de 16 % du contingent déporté en avril l943. Les enfants faisaient également 16 %[210]. Dans ce transport du 19 avril l943, le tiers des déportés ne relevaient pas de cette "mise au travail" qui prétendait motiver leur départ.

Le pouvoir d'occupation inquiet de l'initiative belge s'employa à prévenir toute nouvelle intervention des autorités du pays. Dès le 30 avril, sur "demande émanant de l'administration militaire", l'officier SS chargé des affaires juives prenait les premières dispositions pour installer sous son contrôle des centres d'hébergement pour enfants "abandonnés" et vieillards[211]. Les archives disponibles ne révèlent pas, dans ce cas précis, comment les instances allemandes ont négocié cet espace - précaire - de moindre mal dans la solution finale[212]. En tout état de cause, dans ce territoire administré par l'armée, la police politique ne pouvait agir, même dans la question juive, sans son assentiment. Le chef de l'administration militaire, jaloux de ses prérogatives, ne manquait pas au besoin d'attirer l'attention d'Ehlers en personne - et il le lui confirmait par écrit - sur les "conséquences fâcheuses au point de vue politique" des "abus" de ses agents "contraires aux conventions antérieures", "lors de l'évacuation des Juifs"[213]. A l'époque, cette responsabilité incombait pleinement au chef de la police de sécurité. Ehlers l'assumait face aux autres autorités allemandes et, répondant à leur attente, il donnait à ses "services (...) des instructions d'avoir à mener cette action de telle manière qu'elle éveille le moins possible l'attention du public et qu'elle ne suscite pas de sympathie pour les Juifs au sein de la population"[214]. L'installation d'hômes et d'asiles, sous le contrôle de l'officier SS chargé des affaires juives relevait, après le départ du XXème convoi, de ce sens de l'opportunité dont  l'administration militaire jouait avec un art consommé dans le maniement de la question juive.

Le tribunal supérieur du Schelswig-Holstein retient, quant à lui, de la correspondance du secrétaire général du ministère belge de la justice avec l'autorité d'occupation que "tout cela ne pouvait pas passer inaperçu à Ehlers qui, de son côté, avait des contacts avec l'administration militaire, justement à propos des affaires juives"[215]. Ses allégations sur la "mise au travail" dont Eichmann l'aurait persuadées n'ont pas, quant à elles, convaincu ses juges. "Les dires d'Eichmann", constatent-ils, "étaient - malgré le secret officiel du plan concret d'anéantissement élaboré au sein de l'O(ffice) C(entral de la) S(écurité du) R(eich) - déjà notoirement faux en des points essentiels. Ils n'étaient plus qu'un camouflage cousu de fil blanc". La décision judiciaire considère qu'"il doit avoir été difficile pour Ehlers également de ne pas reconnaître ces faits". A tout le moins, il était bien plus "plausible", pour un officier SS de son rang en poste à l'Ouest,  de considérer à l'époque des faits "que toutes les personnes à déporter n'étaient pas réellement employées au travail".

4.3 Le plausible de l'officier SS

Wilhelm Harster, ancien chef de la police de sécurité aux Pays-Bas a apporté ce témoignage. Cet officier de haut rang - il avait été général d'armée SS -  a relaté, comme Ehlers, un entretien avec Eichmann. Dans son souvenir, il eut lieu fin 1942/début 1943 chez le Commissaire du Reich à La Haye. La version officielle de la "mise au travail" y a aussi été avancée, mais Harster, quant à lui, n'a pas prétendu - à la différence de Ehlers - qu'il avait accordé foi aux explications officielles. Le tribunal supérieur du Schleswig-Holstein est d'autant plus enclin à retenir ce témoignage qu'Harster n'avait "plus de motif de faire des déclarations fausses pour sauvegarder ses propres intérêts".

Pour tardif qu'il ait été, le procès de la déportation des Juifs des Pays-Bas devant la Cour d'Assises de Munich, en 1966/l967 a été le premier épilogue judiciaire de la solution finale en Europe occidentale[216].  Et, il a, malgré les procès ultérieurs, conservé ce caractère exceptionnel[217]. Dans l'affaire K. Lischka, H. Hagen et E. Heinrichsohn devant la cour d'Assises de Cologne en 1979/l980[218] - procès de la déportation des Juifs de France - comme dans l'affaire E. Ehlers, C. Canaris et K. Asche, les inculpés, jugés ou non, ont systématiquement nié avoir à l'époque des faits connu le but réel de la déportation juive. Quel que ait été leur rang dans la pyramide des chefs SS, ils ont persisté dans cette défense invraisemblable en dépit des indices accumulés contre leurs dénégations. C'est à cet égard que le procès "hollandais" est tout à fait remarquable. Dans l'affaire W. Harster, W. Zoepf et G. Slotke, les principaux inculpés ont admis, encore pendant l'instruction du procès de Munich, ce qu'ils avaient, eux aussi, commencé par nier. Les aveux de Wilhelm Harster - ici, il faut le noter, il y a bel et bien aveu - sont les plus intéressants du point de vue historique. Ils recouvrent toute la problématique de la prise de conscience historique de l'événement en train de s'accomplir. A suivre Harster, ce général SS n'aurait pas été un témoin plus averti que tout un chacun en Europe occidentale. Berlin ne l'aurait pas informé de la façon dont les déportés des Pays-Bas seraient traités à l'arrivée. Mais, reconnut-il, "avec le temps (...), la composition des convois rendait plausible la supposition que toutes les personnes à déporter n'étaient pas réellement employées au travail". Selon l'ancien général SS, "il était bien plus vraisemblable que ces personnes inaptes au travail étaient transportées à l'Est pour périr plus ou moins rapidement". Dans sa déposition judiciaire, l'inculpé de Munich se fonde aussi - ce qui ne manque pas d'intérêt historique - sur "les émissions radiophoniques adverses". Selon ce témoin dont avait relevé tout l'appareil policier aux Pays-Bas, elles "ne cessaient d'affirmer que, à l'Est, les Juifs étaient tués en grand nombre et qu'il s'agissait non seulement des personnes provenant des territoires occupés à l'Est de l'Allemagne, mais aussi de celles de l'Ouest(sic)". Harster "essaya(...) d'abord de (s)e défendre contre l'évidence qui commençait à poindre: je considérais", explique-t-il, "comme plausibles les raisons d'un emploi des Juifs à l'Est pour le travail (nécessité d'entreprise de remplacement dans l'industrie menacée ou détruite en Allemagne de l'Ouest, irresponsabilité de gaspiller des trains pour des buts exclusifs d'extermination). Après un certain temps, j'ai dû cependant me rendre compte que les Juifs envoyés à l'Est allaient, dans leur ensemble, à la mort". Pour lui, "dès le commencement des premiers transports à l'Est, le sort des Juifs était devenu (...) une certitude"[219].

Le 15 juillet l942 - date du premier départ "hollandais" - et dans les semaines qui suivirent, une telle "certitude" ne pouvait reposer, comme le prétend l'ancien général SS en aveu, sur des informations "ennemies" relatives au sort des déportés de l'Ouest. Dans son témoignage judiciaire, Harster confond en une seule séquence les temps successifs de la prise de conscience. Ce qu'apprenait, en 1942, l'écoute des radios "adverses" - en particulier, l'émission de la BBC du 2 juin -, c'était "le lâche assassinat de 700.000 Juifs en Pologne"[220]. En Belgique, les servives d'Ehlers chargés de la répression des résistances pouvaient même en trouver la trace dans la presse clandestine. On y lisait à propos du sort des Juifs à l'Est que "par groupes entiers, ils sont supprimés par le gaz, d'autres sont abattus à la mitraillette". Les atrocités nazies à l'Est de l'Europe étaient connues depuis l'été 1941: Radio Moscou avait alerté le monde sur les massacres perpétrés dans les zones d'opérations des Groupes d'action de la police et de la SS et l'écho de ce génocide était parvenu dans les pays occupés de l'Ouest[221]. Peu après l'arrivée d'Ehlers dans la capitale belge, Le Drapeau Rouge clandestin y diffusait la note du commissariat du peuple aux affaires étrangères sur "les atrocités nazies dans les régions soviétiques occupées". "A Kiev", révelait l'organe communiste belge parmi d'autres nouvelles non moins macabres, "un pogrome organisé par les nazis a fait 52.000 victimes. Des Juifs amenés devant une tranchée ouverte furent massacrés à la mitraillette"[222]. Le Groupe d'action C qui opérait en Ukraine n'avait pas revendiqué autant de victimes: "à Kiev", annonçait le compte-rendu secret de la Sécurité du Reich en octobre 1941, "la totalité des Juifs furent arrêtés et les 29 et 30 septembre, 33.771 de ces Juifs furent exécutés"[223]. L'estimation soviétique gonflait le "pogrome" nazi de Kiev, mais pour excessive qu'elle ait été, elle n'ignorait pas l'ampleur du massacre ukrainien et, pour l'époque, cette connaissance était tout à fait remarquable.

En revanche, le sort des déportés de l'Ouest resta, quant à lui, un mystère. Encore en novembre 1943, ceux qui étaient le plus concernés par l'énigme n'osaient, dans leur for intérieur, trancher définitivement "la question angoissante". Les déportés étaient souvent des parents ou des amis. "Que sont devenus ces malheureux?", s'interrogeait un comité clandestin de défense des Juifs, à l'Ouest. Pour son organe Le Flambeau, il n'était "pas difficile de le deviner". "Le plus souvent", constatait-il, "on apprend des nouvelles tragiques: des fusillades en masse, des empoisonnement par les gaz, des attaques armées des ghettos en Pologne". Portant l'écho du génocide qui lui parvenait, l'organe de résistance juive ne s'aventurait néanmoins pas à "répondre à cette question angoissante" du sort des proches. "Personne", écrivait-il en cette fin de 1943, "ne saura (y) répondre". Fraternité, l'"organe  de liaison des forces françaises contre la barbarie raciste" n'avait pas, à l'été 1943, cette réticence "belge" sur "le voyage vers l'Est où 50.000 Juifs de France ont été expédiés et où la majeure partie a déjà été exterminée"[224]. Dans la même mouvance, J'accuse dénonçait en juin "le plus abominable des crimes que l'humanité n'ait jamais connu" et avertissait que "par le feu et le fer, les bourreaux nazis achèvent l'extermination d'une population de 3 millions, en ajoutant de milliers de Juifs amenés de France, Belgique, Norvège et Hollande"[225]. L'information restait néanmoins tout aussi instrumentale en France qu'ailleurs. "Tout ce qui paraissait incroyable" devenait, selon les nécessités de la résistance, "terriblement vrai"[226] ou laissait aux "déportés dans les camps-bagnes allemands" un espace de vie pour "continue(r) la lutte (et) accélére(r) la fin de l'hitlérisme par le sabotage"[227].

Selon les nécessités de la guerre, l'information était chez les Alliés, sinon "étouffée", du moins minimisée. La déclaration interalliée - cosignée par les gouvernements de Belgique et des Pays-Bas ainsi que le comité français de libération nationale - parle toujours, à la fin de 1942, de "plusieurs centaines de milliers d'hommes innocents, de femmes et d'enfants", chiffre de victimes déjà divulgué en juin par le gouvernement polonais[228]. Le document dénonce tout autant le "gigantesque abattoir" qu'est devenu la Pologne occupée et "l'épuisement" des "plus robustes" aux "travaux forcés dans les camps, tandis que les plus faibles meurent de faim ou sont simplement massacrés". Mais les gouvernements constatent que "jamais, on n'a pu obtenir de renseignements sur les déportés". Leur condamnation publique de la "politique d'extermination" hitlérienne se fonde sur le seul "dessein plusieurs fois exprimé par Hitler d'exterminer le peuple juif d'Europe". Pourtant, cette déclaration du 17 décembre 1942 se référait à "de multiples informations parvenues de différentes sources européennes". Les Soviétiques, signataires du document, abandonnèrent la réserve diplomatique dans leur émission en direction de l'Europe occidentale. Radio Moscou reprenant la note du commissariat des affaires étrangères sur le traitement odieux des populations juives d'Europe fit état dans le détail, une semaine plus tard, des "données du congrès juif d'Amérique et (des) renseignements fournis par le gouvernement polonais". Le texte de l'émission du 24 décembre, retranscrit dans l'organe clandestin Radio Moscou, circula dans le ressort territorial de Ernst Ehlers, alors major SS. Ce qui y était divulgué, c'était rien moins que le "plan d'extermination totale" qui, signalait le journal clandestin, "prévoit la concentration de 4 millions de Juifs d'Europe, surtout en Pologne". Les informations diffusées précisaient qu'"on fusille les Juifs en masse. On les soumet à l'électrocution(sic)[229]. On les extermine par les gaz et, dans les camps de concentration, par l'acide prussique"[230]. Pour qui était disposé à l'apprendre, rien n'était ignoré à l'Ouest de l'Europe pendant le génocide en cours à l'Est, pas même le nom du gaz employé dans les chambres de mort d'Auschwitz.

Quoique l'information sur les crimes du IIIème Reich ne constituât pas un thème majeur de la propagande hostile à l'Allemagne nazie, la rumeur du génocide préoccupait ses services compétents. "En rapport avec le développement des travaux sur la solution finale de la question juive", avertissait la chancellerie du parti, le 9 octobre 1942, "la population de diverses regions du territoire du Reich se livre ces derniers temps à des discussions sur "les mesures très sévères" contre les Juifs, en particulier dans les régions de l'Est"[231]. Des antifascistes cherchaient à provoquer ces débats. Le journal du médecin SS d'Auschwitz en témoigne pour sa part. Moins de quatre mois après son retour à Munster, le professeur Kremer prend connaissance chez son cordonnier d'"un tract du parti socialiste d'Allemagne" qui avait été adressé à ce dernier. De cette lecture, "il ressortait", écrit l'ancien SS du "camp de l'extermination", "que nous avions déjà liquidé 2 millions de juifs par balle ou par gaz"[232]. Kremer l'a noté sans faire la moindre référence à son expérience d'Auschwitz. D'autres membres "de diverses formations engagées à l'Est" n'avaient pas, quant à eux, la discrétion du professeur de l'Université de Munster. "Il fut constaté", selon la chancellerie du parti, "que de tels exposés - déformés et exagérés dans la plupart des cas - provenaient de permissionnaires de diverses formations engagées à l'Est et qui avaient eu eux-mêmes l'occasion d'observer de telles mesures"[233].

Loin de dénoncer ces rumeurs comme un ignoble et scandaleux mensonge proféré par des adversaires fanatiques, les autorités nazies ne les démentaient pas. "Il ne s'agit pas d'une supercherie juive", annonçait bien volontiers l'organe par excellence de l'antisémitisme hitlérien. Le Stürmer se référait aux révélations suisses de L'Hebdomadaire Israëlite et confirmait qu'"il est effectivement vrai que les Juifs ont "pour ainsi dire" disparu d'Europe et que "le réservoir juif de l'Est" d'où l'épidémie juive se répandait depuis des centaines d'années sur les peuples européens a cessé d'exister"[234]. "L'extermination de la race juive en Europe" n'était pas l'"affaire secrète du Reich" des archives nazies. C'était un leitmotiv des grands discours commémoratifs du Führer et l'on pouvait s'y référer pour comprendre la nécessité des "mesures très sévères" contre les Juifs. Ce qui n'était pas à dévoiler, c'était les moyens d'y parvenir. Face aux "rumeurs qui souvent prennent un caractère tendancieux", le parti autorisait, dans ses instructions d'octobre 1942, à exposer qu'"il est dans la nature des choses que ces problèmes, qui sont en partie très difficiles, ne peuvent être résolus dans l'intérêt de la sécurité définitive de notre peuple qu'avec une dureté sans ménagement". On pouvait savoir que "les Juifs (...) transportés de façon courante à l'Est (...) sont soit affectés au travail, soit emmenés plus loin à l'Est"[235]. Eichmann ne disait rien d'autre à ses interlocuteurs SS à propos de la déportation des Juifs de l'Ouest, mais ses explications avaient, pour un officier SS aussi averti qu'Ehlers, une résonnance particulière. La référence à cet "Est" lointain était, dans son cas, par trop explicite.
   

Chapitre V
   
Un "peu plus loin à l'Est" pas trop explecite

    5.1. Une mesure de réchange
    5.2. L'image d'horreur à l'est
    5.3. L'objection de conscience?
    5.4. Je l'ai connu trop tard

5.1 Une mesure de rechange

Le tribunal supérieur du Schleswig-Holstein connaissait, dans le texte pour l'essentiel, les explications d'Eichmann à l'intention des responsables des détachements de la Sécurité du Reich à l'Ouest. Le chargé des affaires juives de Paris, le capitaine SS Théodore Dannecker avait rédigé un compte rendu de la conférence du ll juin 1942 où lui avait été communiquée, ainsi qu'à ses collègues de Bruxelles et de La Haye, la décision fatidique d'entamer la déportation des Juifs de l'Ouest. Le document Dannecker était destiné à ses supérieurs hiérarchiques en France. Nommément, il mentionnait le lieutenant-colonel Kurt Lischka. Communication administrative à l'époque, la pièce d'archives a accusé, au procès de Cologne, l'ancien officier SS, principal inculpé de cette affaire "française". Le second destinataire du rapport Dannecker était le colonel SS Helmut Knochen, l'homologue d'Ehlers en France. Le nom de ce dernier n'y était évidemment pas cité, mais la pièce est tout aussi déterminante dans la décision judiciaire qui le concerne. Son système de défense lui interdisait d'en refuter le contenu. Le prévenu avait, pour exploiter l'argument de la "mise au travail", reconnu qu'à l'époque, son propre chargé des affaires juives lui avait - comme Dannecker à Knochen et à Lischka -  rendu compte des résultats de la réunion chez Eichmann, le ll juin. Rapportées dans le texte de Dannecker, les explications d'Eichmann permettent aux magistrats du Schleswig-Holstein d'apprécier ce que Ehlers a pu, s'il en avait ignoré le sens réel, soupçonner de cette déportation imminente des Juifs de son territoire. A Berlin, Dannecker avait appris que "des raisons militaires s'opposent, cet été, au départ des Juifs d'Allemagne vers la zone d'opération de l'Est. Ainsi le Reichsführer SS a-t-il ordonné de transférer au KZ Auschwitz une plus grande quantité de Juifs en provenance de l'Europe du Sud-Est (Roumanie) ou des régions occupées de l'Ouest"[236]. Dans son raccourci, l'exposé d'Eichmman était lourd de sens, pour un homme de l'expérience d'Ehlers. "Il est impossible", estime la décision de le juger, "qu'il puisse attendre des indications plus claires de la part de (l'Office Central de la Sécurité du Reich) en ce qui concerne les déportations à l'Ouest". C'est qu'"il avait été dit", constatent les magistrats du Scheslwig-Holstein, "que la déportation vers Auschwitz était en même temps une mesure de rechange pour la déportation des Juifs dans les secteurs sous contrôle des Groupes d'action à l'Est". "Ehlers", acte le tribunal, "savait par sa propre expérience exactement ce que les commandos des Groupes d'Action "au théâtre des opérations de l'Est" faisaient avec les Juifs"[237]. Lorsqu'il vint prendre ses fonctions dans la capitale belge le 1er novembre 1941, le policier SS arrivait précisément du territoire soviétique occupé. Là, l'"image d'horreur" qu'affichait l'extermination n'était pas voilée comme elle l'était dans la "façon" d'Auschwitz.

5.2 L'image d'horreur à l'Est

Les archives nazies sont on ne peut plus explicites sur le sort des Juifs soviétiques. Dans les territoires occupés de l'U.R.S.S., "la police de sécurité avait", selon ses propres termes, "pour tâche fondamentale d'opérer une élimination aussi complète que possible des Juifs conformément aux ordres reçus. C'est pourquoi", ajoute-t-elle, "des commandos spéciaux (...) procédaient à des exécutions en masse tant dans les villes qu'à la campagne"[238]. Sa détermination "à résoudre la question juive par tous les moyens" est chiffrée, en 1941 encore, dans le rapport sur le nombre d'exécutions du Groupe d'action A[239]. Quatre mois à peine après le début des opérations, ce seul Groupe - trois autres opèraient également - totalisait déjà 135.567 victimes à la date du 15 octobre. 123.932 y sont désignées sous la rubrique "Juifs", les autres étant des communistes, parfois encore confondus avec d'autres Juifs. Le ressort territorial du Groupe A comprenait les Pays Baltes, mais il s'étendait aussi, au Sud, en Ruthénie blanche. Cette région "mise à part, 229.052 juifs ont été exécutés", annonçait le Groupe A à la fin de janvier 1942[240]. Le territoire excepté n'avait nullement été épargné. Le bilan y était tout aussi macabre: "41.000 Juifs ont déjà été fusillés. Ce travail", a soin de préciser le Groupe, "ne comprend pas ceux qui ont été fusillés à la suite des commandos d'action qui nous ont précédés". Ces derniers relevaient d'un autre Groupe, celui précisément où avait officié Ernst Ehlers, le Groupe B. Eux aussi, ils avaient communiqué leurs chiffres. Le 14 novembre 1941 -  Ehlers était muté depuis un mois exactement - un document berlinois mentionne un bilan partiel du Groupe: 45.467 morts[241].

Si les archives nazies relatives au sort des Juifs de l'Est dévoilent en chiffres ce que la solution finale signifiait pour un ancien officier du Groupe B en poste à l'Ouest, elles révèlent aussi le sens très précis de l'"action spéciale" des SS. Le très officiel compte rendu des événements [survenus en] URSS n° 148 daté du 19 décembre 1941 donne le détail de celles du Groupe B. Ce document émanant du chef de la police de sécurité à Berlin n'a pas, quant à lui, la discrétion à laquelle est tenu un sous-lieutenant SS. Dans les notes quotidiennes du médecin d'Auschwitz, l'"action spéciale" demeure mystérieuse. Le journal de Kremer évoque bien, à cette occasion, des "scènes épouvantables" où l'on supplie "d'avoir la vie sauve", mais le texte reste, dans sa lettre, impénétrable quant à la façon de cette "extermination". Le document Kremer ne dit jamais comment sont disparus les 6.732 déportés d'Europe occidentale dont la trace s'est perdue aux dates de ses "actions spéciales". Le document berlinois, lui, parle, en clair. Dans le détail, il s'agit ici de rien moins que de "fusiller 5.281 Juifs des deux sexes, au cours d'une action spéciale" à Bobrouisk; non loin de là, à Paritschi, s'est déroulée une autre "action spéciale au cours de laquelle 1.013 Juifs des deux sexes furent fusillés". Toujours à la rubrique des "actions spéciales", le compte rendu signale encore que "le ghetto de Vitebsk fut évacué" et que "4.090 Juifs des deux sexes au total (y) furent passés par les armes"[242]. Selon un document antérieur relatif aux évènements d'octobre 1941, "la liquidation totale (restlosen liquidierung) des Juifs restants du ghetto de Vitebsk" avait débuté le 8 et, ajoutait le document utilisant un autre code que l'"action spéciale", "le nombre de Juifs soumis au traitement spécial s'élève à environ 3.000"[243].

Qu'il s'agisse des "actions spéciales" ou du "traitement spécial" appliqués aux Juifs soviétiques, les rapports de la police et de la SS chiffrent l'horreur; documents administratifs, ils ne la disent pas. Parfois, - ainsi, le rapport d'activité du Groupe A -, il leur faut reconnnaître "la rigueur exceptionnelle de ces mesures qui heurtaient même les sentiments allemands"[244]. C'est que trop souvent, "ces fusillades étaient publiques"[245]. Le "compte rendu que (il a) sous les yeux" l'apprend, en octobre 1941, à l'expert pour les affaires juives du Ministère du Reich pour les territoires occupés de l'Est: il s'agit ici d'"incidents" survenus à Vilna dans la zone d'opération du Groupe B. Dans celle du Groupe C, c'est l'Inspection de l'armement en Ukraine qui en témoigne: il lui faut dire en décembre 1941 que "l'action qui s'étendait aux hommes et aux vieillards, aux femmes et aux enfants étaient menée d'une façon affreuse". Consterné, cet organisme de l'armée s'imagine qu'"il n'y en a pas eu à ce jour de plus gigantesque dans l'Union soviétique par la quantité inouïe des arrestations, le nombre des exécutions atteignant facilement 150.000 à 200.000 juifs pour la partie de l'Ukraine contrôlée par le Commissariat du Reich, et ceci sans tenir compte des nécessités économiques"[246]. Les témoins allemands scandalisés qui ont laissé des traces écrites de l'horreur n'étaient nullement des opposants au régime nazi. Si, parfois, l'humanité proteste dans leurs écrits, ils ont tout au plus de la compassion pour la souffrance humaine. Ils étaient témoins - l'ancien commandant d'Auschwitz, Rudolf Hösz l'exprime fort bien dans ses mémoires - de "scènes qui serreraient le coeur de tout être susceptible d'éprouver encore un sentiment humain". Lui, il "devai(t) paraître froid et sans coeur devant (c)es scènes", il lui arrivait de ne pouvoir "même pas (se) détourner, lorsqu'une émotion qui n'était que trop humaine, s'emparaît de" lui. "Je devais", confie-t-il, "regarder avec indifférence les mères qui entraient dans les chambres à gaz avec leurs enfants qui riaient ou qui pleuraient". "Saisi de pitié, (il) aurai(t)", selon son témoignage d'après coup, "souhaité disparaître, mais il ne (lui) était pas permis de trahir la moindre émotion"[247]. Les lignes horrifiées écrites à l'époque de l'extermination n'expriment également aucune sympathie pour les victimes juives. Les témoins oculaires nazis ne protestent pas contre le principe de leur mise à mort. Ce qui les choque en dépit de leur nazisme, c'est la manière de la pratiquer.

Le témoin allemand de l'"opération contre les Juifs" de Sluszk en Ruthénie blanche, le 27 octobre 1941 "doi(t) dire, à (s)on profond regret qu'elle frisait de près le sadisme". Ce commissaire du territoire décontenancé  en oublie la retenue de convenance devant l'"image d'horreur" que "la ville elle-même offrait (...) durant l'opération". Dans le crescendo de son témoignage, le fonctionnaire nazi rapporte maintenant sans détour qu'"avec une brutalité indescriptible, de la part tant des officiers allemands que tout particulièrement des partisans lithuaniens, les Juifs, mais aussi certains Blancs-Ruthènes étaient tirés de leurs demeures et rassemblés. Partout dans la ville, on entendait des coups de feu et dans différentes rues, les corps des Juifs fusillés s'entassaient"[248]. Cette image horrible que saisit le regard du témoin nazi au contact quasi-physique avec les cadavres explique la qualité historique de son témoignage. Sa personnalité est ici secondaire. En ce sens, la médiocrité du journal du médecin SS d'Auschwitz n'est pas seulement imputable à l'impassibilité clinique du professeur d'anatomie. Le docteur Kremer n'a toujours aperçu "le comble de l'horreur" qu'au spectacle des "scènes atroces devant le bunker". Ses notes d'"actions spéciales" ne saisissent pas l'atrocité de "l'extermination" à l'intérieur du local. Les déportés inaptes au travail y entraient, mais ils ne mouraient pas sous son regard. A la différence du commandant d'Auschwit, lui, il n'avait pas à se préoccuper de faire disparaître les cadavres retirés des chambres à gaz. Son témoignage ne couvre pas tout le processus du massacre d'Auschwitz.

Le témoin oculaire du massacre de Sluszk lui, non plus, n'a pas tout vu. Il n'a "pas assisté à la fusillade aux abords de la ville", là où la masse des Juifs étaient conduits, mais - à la différence de Kremer - il a été si impressionné par ce qu'il a vu à Sluszk même, qu'il lui a fallu aussi porter témoignage sur ce qu'il n'avait pas vu et qu'il savait le plus horrible. Dans ce compte rendu officiel à l'autorité supérieure, le fonctionnaire nazi ne s'autorise toutefois à ne "faire aucune déclaration à ce sujet. Mais il (lui) suffira de dire que parmi les personnes fusillées, certaines réussirent à se frayer un chemin et à sortir de leurs tombes peu de temps après qu'elles eurent été recouvertes de terre". L'image a épouvanté au plus haut point le commissaire général de la Ruthénie blanche recevant ce rapport. A son tour, Wilhelm Kube tint à faire connaître - mais à titre "personnel" - son sentiment au commissaire du Reich pour les territoires de l'Est. "Enterrer vivants des gens gravement blessés qui réussissent à sortir de leurs tombes est un acte tellement bas et malpropre que cet incident devrait être rapporté tel quel au Führer et au Maréchal du Reich", à Goering, estimait le dignitaire nazi[249].

Hilter n'était absolument pas disposé à accepter de telles récriminations qu'il préférait imputer à "la bourgeoisie". Décidé selon ses propres termes à "agir radicalement", il ne voyait pas, lui, "d'autre solution que l'extermination"[250]. Grâce au concours de sa chancellerie personnelle, les spécialistes de la "la question juive" venaient précisément de découvrir le moyen d'éviter de tels "incidents (...) au cours des fusillades de Juifs"[251]. Désormais, ils "ne seront plus tolérés et ne seront plus possibles", expliquait l'expert des affaires juives dans les territoires de l'Est, à la fin d'octobre 1941. Alfred Wetzel s'était entretenu avec le major SS Eichmann et il avait appris que "des camps sont prévus pour les Juifs à Riga et à Minsk où pourront être transférés même les Juifs de l'ancien Reich". Il savait aussi que "M. Brack, chef supérieur du service de la chancellerie du Führer, s'est déclaré prêt à collaborer à l'installation des baraquements nécessaires et des appareils à gaz". Le Général SS Victor Brack, attaché à la chancellerie personnelle de Hitler, était le chef de la commission de travail du Reich pour les établissement thérapeutiques et hospitaliers qui siègeait à la Tiergartenstrasse, 4 à Berlin. L'adresse a donné le code de l'opération T 4, à savoir l'assassinat systématique sous couvert d'euthanasie de dizaines de milliers de malades mentaux et de personnes impotentes de nationalité allemande[252]. Wetzel communiquait l'adresse du service Brack. Pour "la solution de la question juive", il fallait désormais faire appel - par la voie hiérarchique - à ses chimistes car "Brack estime qu'il sera plus facile de fabriquer ces appareils sur place plutôt que dans le Reich". "Le Major Eichmann, chargé des questions juives à l'Office Central de la Sécurité du Reich, (était) d'accord". En ce mois d'octobre 1941 - crucial pour le destin des Juifs de toute l'Europe -, l'expert des affaires juives à l'Est considérait, "à en juger par la situation actuelle", qu'"il n'y (avait) aucun scrupule à avoir pour liquider, selon la méthode Brack, les juifs inaptes au travail". Les autres seraient internés "dans les camps de travail", tandis qu'eux partiraient "vers l'Est"[253].

C'est le sens macabre de cette fameuse "déportation vers l'Est" considérée à l'Ouest dès 1942 comme "une mesure d'un autre caractère et plus sévère que le transfert habituel dans un camp de concentration"[254]. Le service d'Ehlers en avait été informé sous le sceau de secret. Certes, arrivé en Belgique en novembre 1941, l'ancien officier du Groupe B n'avait pas connu à l'Est les modalités de la "méthode Brack". En revanche, et de son propre aveu, il était pleinement conscient du caractère criminel de l'activité des SS à l'Est. A le suivre dans ses explications, cet officier SS aurait même été, pour tout dire, une sorte d'objecteur de conscience.

5.3 L'objection de conscience?

Selon son témoignage, c'est sa "conscience", en effet, qui lui aurait "interdi(t)" de "participer à l'extermination de personnes innocentes" dans la zone soviétique. En mai l941, peu avant l'attaque contre l'URSS, Ehlers avait bien été convoqué à l'Ecole de police de Pretzsch comme les autres officiers SS des 4 Groupes d'action en formation. Il venait de la Gestapo de Leignitz dont il était le chef depuis mai 1940. Universitaire comme Kremer, l'homme avait un tout autre profil que le professeur de l'université de Münster. Lui, il avait adhéré au parti dès 1928 à l'âge de 19 ans. Juriste de formation, il était entré en 1937 à la section juridique de la Gestapo du Reich et, deux ans plus tard, l'homme siègeait rien moins qu'au quartier-général du Service de Sécurité de la SS à la tête d'une des sections du département III. Les officiers SS convoqués à Pretzsch n'étaient pas les premiers venus. Les "tâches spéciales"[255] confiées au Reichsführer SS dans les territoires soviétiques à occuper appelaient des cadres de confiance. Selon Ehlers, les instructions données à l'école de police précisaient "que les Juifs russes étaient tous sans exception des fonctionnaires bolchéviks et donc "à liquider""[256]. Ces ordres, a-t-il néanmoins admis, visaient en réalité à la liquidation totale des Juifs. Et c'est précisément pour cette raison que lui, Ehlers, il aurait décliné le poste offert à la tête du commando d'action 8 du groupe B[257]. "J'ai été le seul(sic[258])", a-t-il même prétendu, "à refuser le commandement d'un commando car ma conscience m'interdisait de participer à l'extermination de personnes innocentes", à la "Vernichtung unschuldiger Menschen" selon les termes allemands de cette déclaration publiée dans un journal de Flensburg en 1975. L'année précédente, un non-lieu avait mis le terme final à la très longue instruction entamée ... douze ans auparavant à charge de l'ancien officier SS du Groupe B!

Son prétendu refus "de participer à l'extermination de personnes innocentes" mérite toutefois d'être évalué selon des critères historiques. S'ils font parfois le travail des historiens, les tribunaux n'appliquent pas leur méthode. Le témoignage de Ehlers sur son rôle dans les territoires soviétiques occupés n'échappe pas à la critique historique. S'il manque des sources d'époque relatives à son activité personnelle dans le Groupe B, ce qu'en dit après coup cet officier SS de haut rang est à évaluer selon les normes en vigueur à l'époque. Le critère obligé est ici le fameux discours de Himmler devant ses généraux réunis à Posen, le 4 octobre 1943. C'est dans cette circonstance  qu'il leur avait rappelé que "la plupart d'entre" eux "sav(ai)ent ce que c'(était) que de voir un monceau de 100 cadavres, ou de 500, ou de 1.000". Il leur avait parlé "très franchement d(u) sujet extrêmement difficile" de "l'évacuation des Juifs, de l'extermination du peuple juif". Si "en public", ils ne devaient "jamais en parler", lui, il leur proclamait que "c'est une page de gloire de (leur) histoire qui n'a jamais été écrite et ne le sera jamais"[259]. C'est qu'elle était, dans le discours himmlérien, le banc d'épreuve de leurs "qualités". Les "mots" du Reichsführer SS étaient "très clairs" et "ne laiss(aient) aucun doute". Dans ce corps d'élite, l'"obéissance" des SS venait immédiatement après cette "fidélité" qui était leur "honneur". Il fallait, selon Himmler, que les chefs SS fussent "un exemple d'obéissance". Le lieutenant du Führer leur concédait "le droit et la responsabilité d(e) discuter" un ordre jugé erroné. "Dans la majorité des cas, l'ordre sera confirmé; il faut alors l'exécuter malgré tout". Ce principe d'obéissance ne souffrait aucune exception: l'ordre "doit être exécuté non seulement dans sa lettre, mais dans son esprit". Himmler accordait néanmoins au SS qui "ne peut prendre la responsabilité d'exécuter l'ordre donné" le droit "d'en être libéré". "On pensera", concluait-il sarcastique, "que les nerfs du subordonné ne sont plus en ordre, qu'il est devenu trop faible et on dira alors: "très bien, qu'il prenne sa retraite"". Une telle "faiblesse humaine" n'avait pas sa place dans la SS. La dureté était une composante de l'"honneur", vertu cardinale de l'Ordre noir. Dans cette "page de gloire" écrite avec le sang des Juifs massacrés, les SS s'étaient élevés en dignité. "Avoir passé par là, et en même temps, sous réserve des exceptions dues à la faiblesse humaine, être resté un honnête homme, voilà qui nous a endurcis", leur déclarait leur chef.

Himmler ne tenait pas exactement le même discours devant les dignitaires du parti. Trois jours plus tard, le 6 octobre toujours à Posen, il se livrait à de nouvelles confidences devant le "cercle restreint extrêmement réduit" des Reichsleiter et des Gauleiter. Le Reichsführer SS venait de leur exposer qu'"il a(vait) fallu prendre la grave décision de faire disparaître ce peuple de la terre". Et d'enchaîner que "ce fut pour l'organisation qui dut accomplir cette tâche la chose la plus dure qu'elle ait connue". L'aveu était, de sa part, une autre manière de présenter cette "page de gloire" qui ne devait "jamais" être écrite mais dont les initiés devaient être avertis au bénéfice de sa SS. L'extermination des Juifs, se plut à dire Himmler aux chefs nazis impliqués par ses confidences, comportait le risque de "devenir trop dur, (de) devenir sans coeur et (de) ne plus respecter la vie humaine". Dans le mythe himmlérien, c'était Charybde. Avec Sylla, le SS risquait de "devenir trop mou et (de) perdre la tête jusqu'à en avoir des crises de nerfs". "La voie entre Charybde et Scylla est désespérement étroite", voulut bien dire le chef des SS aux dignitaires du Reich. Mais, en dépit de ce double "danger pourtant réel", Himmler croyait "pouvoir dire que cela a été accompli sans que nos hommes, ni nos officiers en aient souffert dans leur coeur ou dans leur âme". Lui, le Reichsführer SS sur le point d'accèder au poste de Ministre de l'Intérieur du Reich, il appréciait cette "résistance nerveuse". S'il s'était ainsi ouvert "en petit comité" sur la grave décision de massacrer également les femmes et les enfants juifs, c'était précisément pour attester sa détermination d'"éteindre avec le pied le moindre petit feu et encore plus tous les feux de quelque importance". "Je ne me sentais pas en effet", confie-t-il aux chefs nazis, "le droit d'exterminer les hommes - dites si vous voulez de les tuer ou de les faire tuer - et de laisser grandir les enfants qui se vengeraient sur nos enfants et nos descendants"[260]. Cette détermination implacable dans l'"extermination des Juifs" était opposée à l'irrésolution du parti, dans le discours aux généraux SS. Himmler, soucieux de leur "gloire", inscrivait le point: "élimination des Juifs, extermination" dans l'inaltérable programme de 1920. Cette révision himmlérienne à rebours de l'histoire faisait dire à "chaque membre du parti" que "le peuple juif sera exterminé". Et dans cette relecture, chacun se plaisait à proclamer: "nous ferons cela. A la suite de quoi", continuait Himmler tout aussi sarcastique qu'à l'égard des "faiblesses" de ses hommes, "on voit arriver 80 millions de braves allemands, chacun avec son bon juif. Tous les autres sont des porcs, naturellement, mais leur juif est épatant. Pas un de ceux qui parlent ainsi n'a vu les cadavres, pas un n'était sur place"[261].

Dans cette glorification, le chef des tueurs apaisait aussi leur ressentiment. Sur place, les choses ne s'étaient pas passées aussi bien que Himmler le laissait entendre. Il leur était arrivé d'être en butte aux sévères critiques de dignitaires locaux quand ils s'attaquèrent justement à leurs "bons juifs". L'état-major personnel de Himmler ne l'ignorait pas. Il avait été dûment informé sur l'incident qui avait opposé le commissaire général de la Ruthénie blanche au lieutenant-colonel SS Strauch. Le 20 juillet, ce dernier, récemment promu officier Ic de l'état-major de "lutte contre les bandes armées", avait arrêté 70 Juifs "employés chez" Wilhelm Kube et leur avait "fait appliquer le traitement spécial". Le commissaire général n'était pas un obscur fonctionnaire civil du rang. Son autorité s'exerçait sur un territoire trois fois plus étendu que la Belgique et les Pays-Bas réunis. Kube considéra cette affaire "comme une attaque dirigée contre sa personne" et, d'autorité, il somma le chef SS de s'expliquer. Strauch éberlué "n'arrivai(t) pas à comprendre pourquoi des Allemands se brouillent à cause de quelques Juifs".  Il était outré des critiques du chef nazi à l'égard de sa manière de procéder. "Il était regrettable", écrivit-il textuellement, "qu'en plus d'avoir à faire ce travail désagréable, nous dus­sions encore être couverts de boue". Kube lui aurait dé­claré que "si l'Allemagne était perdue de réputation dans le monde , c'était notre faute". Le rapport que Strauch s'empressa de rédiger sur cet incident a bien soin de signaler que Kube "n'admettait pas que le Reichsführer SS et le général de corps d'armée von dem Bach fassent la loi jusque dans son commissariat général"[262]. Afin d'obtenir sa révocation, Strauch intervint aussi auprès de Erich von dem Bach-Zelewski, le représentant d'Himmler pour "la lutte contre les bandes armées" en Europe de l'Est et du Sud-Est[263]. Dans cet acharnement, le tueur réprouvé n'eut pas gain de cause. Le ministre des territoires occupés de l'Est, Alfred Rosenberg adressa seulement un "sérieux avertissement" à son commissaire général[264]. La mort inopinée de Kube mit fin à ce conflit de compétences. Erich von dem Bach-Zelewski n'avait pas moins considéré que l'attitude du commissaire général avait "frisé la trahison". Immédiatement après l'effondrement du IIIème Reich, il en était toujours convaincu.

Son jugement sur celui qui avait été son adjoint au temps des atrocités à l'Est était aussi fort sévère: à son point de vue, Strauch était "l'homme le plus abject qu'(il) avai(t) rencontré de (sa) vie"[265]. Lui, von Bach, il n'était pas resté impassible devant "les exécutions de Juifs qu'il avait lui-même dirigées et d'autres expériences à l'Est". En 1942, elles avaient ébranlé sa santé physique et morale. Il avait "souff(ert) en particulier de les revivre en imagination". Le chef des médecins de la SS  l'avait expliqué à Himmler. Le Reichs­führer SS inquiet avait dépêché Grawitz au chevet de von dem Bach hospitalisé[266]. La "résistance nerveuse" de Strauch n'a pas, quant à elle, subi une telle défaillance. L'adjoint de von Bach craqua seule­ment à Nuremberg. Dès le début du procès des Groupes d'Action de la SS et de la Police, il fallut l'hos­pitaliser à cause de ses crises convulsives épileptiformes[267]. Après sa condamnation à mort, la Belgique le réclama: Strauch y avait été muté en 1944.  Selon Canaris dont il avait été l'adjoint pour la Wallonie, il laissait trôner sur son bureau à Liège bien en vue un "souvenir" ramené de l'Est dont il se servait en guise de cendrier: la moitié d'un crâne humain[268]!. Le détail achevait le portrait odieux de l'officier SS. Strauch se défendit. Ce chef SS ne s'était pas lais­sé séduire par Charybde ! "Ses ordres", protesta-t-il, "ne (lui) étaient pas dictés par une ivresse sangui­naire ou par un caractère pervers, mais ils (lui) étaient dictés par (s)es ad­versaires et ils étaient conformes aux ordres reçus". Il en prenait "encore maintenant", écrivait-il en 1947, "la responsabilité vis à vis de (s)a conscience et devant (s)es juges" belges[269].

Si le SS Strauch se défendit d'avoir, dans l'exercice de ses fonctions, succombé à la tentation de Charbyde, Ehlers, autre officier des Groupes d'action de la police et de la SS n'a pas plus cédé à Scylla. Les services d'Himmler ne l'ont précisément pas contraint à prendre sa retraite pour avoir décliné la responsabilité à laquelle il était appelé dans les territoires soviétiques à occuper[270]. Sa carrière a été sans faille. Capitaine au début de la guerre, il n'a pris sa retraite d'officier SS qu'à l'effondrement du IIIème Reich avec le grade de colonel. A son départ de Bruxelles, il rejoignit le Reich avec le titre d'inspecteur de la police de sécurité et du service de sécurité à Cassel. C'était une promotion. Sa mutation du Groupe B à la mi-octobre 1941 avait tout autant été une promo­tion. Il fut envoyé à l'Ouest, avec le grade de major SS et en qualité de délégué du chef de la police de sécurité du Reich auprès du pouvoir militaire d'occupation en Bel­gique et dans le Nord de la France, rien moins que le représentant personnel de Heydrich, le lieutenant d'Himmler pour les af­faires de police[271]. La désignation at­teste à tout la moins que l'officier SS n'avait démérité à l'Est. En mai 1941, son refus de prendre part à la tête d'un commando à l'exécution d'ordres contraires à sa conscience morale n'avait nullement été sanctionné. Au contraire! Ehlers fit partie de l'état-major du Groupe B: chef de sa section IV, la fameuse Gestapo. "Himmler était très indulgent à l'égard d'une telle "faiblesse". Il mutait à un autre poste celui qui ne pouvait pas supporter le contact direct avec l'extermination", souligne avec ironie J. Billig à l'attention du tribunal allemand cherchant à dé­terminer la responsabilité criminelle du prévenu Ehlers dans la déportation de Juifs de l'Ouest[272]. Dans cette affaire "belge", ce qui importait du point de vue judiciaire, ce n'était pas la part personnelle d'Ehlers dans cette "extermination de personnes innocentes" à l'Est. Les dénégations de l'ancien officier du Groupe B ne le servaient pas dans cette cause. "En sa qualité de chef de la section IV", constate la décision de le juger, "Ehlers avait à trier les rapports d'activités des commandos d'action et spéciaux du Groupe d'action B, il devait en faire lui-même des rapports qui devaient être retransmis à (l'Office Central de la Sécurité du Reich)"[273]. "Ces expériences en Russie" - Ehlers prétendait qu'elles n'étaient pas les siennes - ne l'autorisaient pas à se retrancher derrière l'argument de l'innocence dans l'affaire "belge". "Comme il l'admet en tout cas (...)", acte le tribunal supérieur du Schleswig-Holstein, "il savait du temps où il avait été en Russie que les Juifs y étaient tués en grand nombre".

Dans ce procès intermédiaire, les unes après les autres, ses assertions s'étaient écroulées. L'épreuve ne laissa à Ehlers aucun espoir de convaincre les jurés de la Cour d'assises dans un procès public. Les lenteurs de la procédure dont il avait exploité toutes les ressources jouaient maintenant contre sa cause. Si son propre procès tardait à s'ouvrir, l'affaire Lischka devant la cour d'assises de Cologne aboutissait, en février 1980, à la condamnation des anciens officiers SS responsables de la déportation des Juifs de France. Les chances d'Ehlers devant la cour d'assises de Kiel étaient désormais nulles. Le prévenu ne se fit plus la moindre illusion. Le juge en retraite avait alors 71 ans: il choisit de ne pas comparaître, en novembre 1980, devant ses paires du Schleswig­Holstein, tous juges de la nou­vel­le génération. Son suicide privait de son principal inculpé le procès de la déportation des Juifs de Belgique. A l'ouverture des débats, le deuxième inculpé, Canaris fit aussi défaut. Il était malade et, pour ne pas encore retarder cet épilogue judiciaire fort tardif, son cas fut disjoint. Finalement, le seul accusé à comparaître fut l'ancien chargé des affaires juives à Bruxelles, Kurt Asche. Sa défense fut rien moins qu'une caricature. Le prévenu poussa le paradoxe jusqu'à nier avoir participé à cette déportation dont il prétendait évidemment n'avoir pas connu le but véritable.

5.4 Je l'ai connu trop tard

Dans cette affaire "belge" où le parquet allemand avait buté sur l'extrême rareté des archives provenant du détachement de la Sécurité du Reich dans la capitale belge, l'accusé fondait sa défense sur cette défaillance des sources historiques. "La reconstruction du passé est impossible de sorte que, aussi par défaut de documents, je n'ai pu répondre aux questions posées", expliqua Kurt Asche en guise d'excuse avant que la Cour ne se retire pour délibérer[274]. Sa déclaration finale rompait avec le mutisme dans lequel il s'était retranché pendant tout le procès. A ce stade, Asche, tirant un dernier avantage des lacunes du dossier, ne redoutait plus qu'on produise la moindre trace écrite lui attribuant nommément une connaissance personnelle du sens réel de la déportation juive. Bien conseillé, il commença par dire qu'il avait "ignor(é) le sort des Juifs". "Je l'ai connu trop tard, après la guerre", ajoutait-il et, sur­prenant son auditoire, il laissa tomber pour persuader le jury de sa bonne foi: "je porte depuis une faute morale et je la porterai jusqu'à la fin de mes jours"[275]. L'acte de contrition, tout calculé qu'il ait été, n'a pas eu l'effet souhaité. La cour d'assises de Kiel a condamné l'ancien officier SS des affaires juives dans la capitale belge pour "avoir contribué au meurtre d'au moins 10.000 Juifs"[276].

Dans cette estimation du génocide "belge", le verdict de Kiel est un épilogue judiciaire pour le moins étriqué. Pendant sa mission à Bruxelles - Kurt Asche y resta jusqu'en octobre 1943 -, les déportés avaient été nettement plus nombreux que le compte macabre du verdict al­lemand. Même la défense de l'accusé reconnaissait volontiers qu'"on a déporté à Auschwitz plus de 10.000 Juifs de Belgique" et qu'"ils y furent assassinés"[277]. De fait, le service dont Kurt Asche avait été l'agent le plus qualifié y avait acheminé, de son temps, 22.554 Juifs. Les deux tiers - au moins 15.099 - disparurent dès leur descente du train. L'autre tiers - interné, quant à lui - paya aussi un lourd tribut. A la libération des camps, à peine 632 déportés du temps de Kurt Asche étaient encore en vie. Dans ses comptes, la justice allemande défalquait de moitié la culpabilité criminelle du prévenu. L'accusation a seulement retenu, adossée au seul document d'époque impliquant personnellement l'inculpé, le chiffre de 10.000 déportés assigné à Asche pendant la conférence chez Eichmann, le 11 juin 1942. Le rapport de Dannecker chargeait l'ac­cu­sé. Le document signalait, en effet, la présence du "chargé (...) des affaires jui­ves de Bruxelles" à cette réunion où, précisait-il, "il a été con­venu d'ex­pulser (...) 10.000 Juifs de Belgique". Confronté à cette pièce pendant l'ins­truction, Asche a contesté qu'il ait eu une quelconque responsabilité dans l'exécution de la décision. Dans l'affaire Ehlers, il n'é­tait pas le principal inculpé et il ignorait, tout comme le parquet, l'ex­istence de pièces d'époque attestant son activité personnelle et ef­fective dans cette dé­por­tation. Ces archives belges, produites pendant le procès, révèlent un char­gé des affaires juives dans le plein exercice de ses compétences[278]. L'officier SS s'y montrait dans toute son arrogance. Le 23 octobre 1942 - selon le compte rendu daté de l'entretien -, il an­nonce au délégué du conseil juif le départ imminent des convois XIV et XV et, avec une arrière-pensée qui en disait long sur sa connaissance des choses, le cynique se plaisait d'annoncer que "l'évacuation concernera tous les Juifs se trouvant en Belgique et (qu') aucun de ceux-ci ne reviendra dans le pays"[279].

Devant ses juges, l'homme n'aura plus cette insolence. Tout penaud, il expliquera que son rôle avait été des plus subalternes, dès juillet 1942. Dans sa mémoire défaillante, le prévenu se souvenait parfaitement du moment. C'était, en effet, avant le départ du premier convoi pour Auschwitz, le 4 août. Dans cette "tentative de se disculper" - comme la qualifie le verdict de Kiel -, sa tâche purement administrative aurait consisté à mettre à jour des dossiers négligés. Le simplisme de l'argument donne la mesure du personnage. L'homme était un médiocre. Si sa carrière dans le service de sécurité de la SS avait débuté en 1935, il n'y gravit pas les échelons. Membre du parti depuis 1927, l'ancien petit employé de droguerie végéta dans le rang. A son arrivée en Belgique à la fin de 1940, il n'est toujours que sous-lieutenant SS. Chargé des affaires juives au siège central du détachement de la Sécurité dans ce ter­ritoire, il n'a pas dépassé le grade suivant. Ses collègues de Paris et de La Haye avaient une tout autre envergure. Théodore Dannecker est déjà capitaine à son départ de France au milieu de l'été 1942. Willy Zoepf, resté aux Pays-Bas, accéda au rang de major SS. Kurt Asche, lui, il ne conserva même pas son titre de lieu­te­nant SS. Après sa mutation le 9 octobre 1943, le tribunal XXXII de la SS et de la police le condamna, en mai 1944, à un an et demi de prison, entre autres pour "pillage chez les Juifs". Ce fut la seule condamnation qui lui fut infligée du fait de la guerre jusqu'à son procès à Kiel, trente-cinq ans après.

La peine SS était légère en regard des colères bra­vaches de Himmler. "Quiconque prélève à son profit, ne serait-ce qu'un mark, est un homme mort", avait proclamé le chef des SS du Reich pas moins de cinq jours avant que ses services de Bruxelles ne limogent l'officier SS pré­varicateur. Devant ses généraux, le Reichsführer SS justi­fiait cette impitoyable rigueur verbale en invoquant la "gloire" de ... l'"extermination" des Juifs. "Nous avions vis-à-vis de notre peuple le droit moral et le devoir de faire périr ce peuple qui voulait notre mort", explique Himmler ce 4 octobre 1943. "Mais nous n'avons pas le droit de nous enrichir, ne serait-ce que d'une fourrure, d'une montre, d'un mark, d'une cigarette ou de toute autre chose"[280]. Dans la capitale belge, ses agents les plus directement impliqués dans l'action anti­juive n'avaient pas résisté à la tentation. La section "juive" de la police de sécurité abrita une véritable pègre de la solution finale jusqu'à ce que l'abcès fût crevé après la fin de l'été 1943[281]. L'ex-chargé des affaires juives de Bruxelles n'avait nullement été cet innocent fonctionnaire dont il s'appliqua à jouer le personnage devant la cour d'assises du Schleswig-Holstein. Ses dénégations ne la persuadèrent pas plus de lui accorder tout au moins le bénéfice du doute sur le point cru­cial de la cause.

Malgré l'absence de pièces d'archives, la cour s'"est convaincue que l'accusé ap­prit au plus tard au moment des premières déportations des Juifs de Belgique qu'ils étaient tués pour la plupart". Son refus de l'admettre est, selon son appréciation, une autre "tentative de se disculper". Aux yeux du tribunal, il "s'avère invraisemblable" qu'il ait ignoré les "rumeurs". "Comment l'accusé pou­vait-il n'avoir eu aucun écho de tout cela?", s'étonne le verdict de Kiel. C'est qu'en effet, selon l'analyse allemande même de l'événement en cours, les bruits qui provenaient du génocide à l'Est de l'Europe interféraient dans son déroule­ment en Belgique. Le témoignage d'époque du représentant du Ministère des Affaires Etrangères du Reich auprès des autorités d'occupation à Bruxelles fixe ce point. Le baron Werner von Bargen découvrait le 11 novembre 1942 dans "les rumeurs d'exécutions (abschlachten)" la raison de l'insuccès de la tentative de rassembler les déportés sans contrainte policière[282]. L'explication de l'insubordination juive, pour sommaire qu'elle ait été chez le diplomate allemand, indique à tout le moins que les services concernés mieux informés prêtaient à ces "rumeurs" plus de crédibilité que les intéressés eux-mêmes. En tout cas, von Bargen rapportait dans ce télex des informations de source policière: "la police locale espère", télégraphiait­il encore à Berlin, "transporter 20.000 personnes d'ici la fin du mois d'octobre"[283]. A la fin de septembre - et selon les termes du télex, "15.000 hommes, femmes et enfants ont été déportés vers l'Est". Ce bilan de l'année 1942 n'a pas non plus été pris en compte dans le verdict contre Kurt Asche. Ce qui lui importait, c'était ce que l'accusé pouvait concevoir du destin des 10.000 Juifs qu'Eichman lui avait, le 11 juin, imparti de déporter. Les "rumeurs" du télex de von Bargen démentaient ses allégations sur ce point crucial du procès. "D'autant plus", estime le jugement, "que le responsable des affaires juives en Hollande, Zoepf, était lui aussi tout à fait au courant des choses".

L 'aveu de l'ancien collègue "hollandais" de Asche est moins explicite que celui de Wilhelm Harster. Sa position judiciaire a aussi été plus délicate. Les ordres de Berlin passaient par le supérieur hiérarchique, mais ils étaient exécutés au niveau du chargé des affaires juives. Dans leur fonction, un Wilhelm Zoepf à La Haye, un Kurt Asche à Bru­xelles ou un Théodore Dannecker à Paris officiaient dans leur ressort territorial respectif comme autant de sergents-majors de la solution finale. Ils étaient le chaînon indispensable du passage à l'acte dans la mécanique du génocide. C'est leur intervention personnelle qui précipita les Juifs vers le massacre. Zoepf a, comme Kurt Asche, d'abord nié l'avoir su, mais lui, il a fini par admettre qu'il "avai(t) des appréhensions quant à l'assassinat final des Juifs comme aboutissement des mesures prises, contre eux, surtout celle de la déportation et (...) par conséquent", a-t-il concédé, "je le considérais comme possible"[284]. La lecture de sa déposition n'a pas rompu le mutisme de l'accusé de Kiel. Le tribunal n'en a pas moins conclu qu'"il serait naïf d'admettre que (Zoepf) n'ait pas informé l'accusé (qui de plus était un ami) de l'objectif de cet entretien chez Eichmann auquel ils se sont rendus ensemble, ainsi que du sens et du but de la solution finale comme l'affirme Dannecker". Le chargé des affaires juives de Paris ne s'est jamais expliqué devant la justice[285], mais ses rapports d'époque - et ils sont on ne peut plus explicites - ont témoigné à charge des accusés dans maints procès de criminels nazis. C'est que, dans ces sources documentaires nazies de la solution finale, "Dannecker appelle les choses par leur nom, ce qui dans les autres documents se laisse seulement deviner entre les lignes". Ce commentaire est de la Cour d'assises de Cologne. Les documents Dannecker l'intéressaient au plus haut point. C'est elle qui condamna l'un des officiers SS à qui ces pièces étaient nommément destinées[286]. Dans l'affaire du chargé des affaires de Bruxelles, il est aussi apparu "clairement de l'observation faite par Dannecker, le 13 mai 1942 que les Juifs étaient exterminés". Le tribunal de Kiel a pu "déduire des formulations employées qu'il s'était engagé pleinement et de toute sa personne dans les actions et qu'il parlait du but véritable de la déportation (malgré le secret universellement de rigueur) avec les membres d'autres bureaux qui n'y participaient pas directement. Dannecker exerçait la même fonction que Asche. Il venait aussi du service de sûreté et disposait des mêmes sources d'information, ce qui laisse entendre qu'il avait les mêmes informations que lui (...)". Dans le verdict le condamnant pour avoir agi en connaissance de cause dans la déportation des Juifs de Belgique, il est "évi­dent que Asche fut informé au plus tard durant l'entretien chez Eichmann", le 11 juin 1942 à Berlin, date fatale dans la solution finale à l'Ouest de l'Europe. Cette évidence judiciaire est une autre manière d'appeler les choses par leur nom dans le massacre des Juifs d'Europe occidentale à leur arrivée à Auschwitz.
   

Le témoin Kremer après son arrestation
Le journal du médecin SS. Kremer
Les matricules attribués au VIIIe convoie de Belgique
Le témoignage du journal de Kremer sur "le coup de l'extermination"
Fiche d'Akiwra Frûhauf à Auschwitz
Le témoin Krmer à son procès à Cracovie
Le témoin Kremer à son procès à Cracovie
 L"s "travaux" d'Auschwitz: l'un des nouveaux crématoires

  
Chapitre
VI
  
Appeler les choses par leur nom

    6.1. "L'extermination totale"
    6.2. Les 100% de l'officier SS
    6.3. En raison du secret
    6.4. L'anéantissement revue et corrigé
    6.5. L'action spéciale du témoin oculaire
    6.6. Le fait capital

6.1 "L'extermination totale"

Les documents Dannecker occupent la toute première place dans la série macabre des sources documentaires nazies les plus explicites sur le massacre des Juifs ouest-européens. Le journal du médecin SS d'Auschwitz est daté du lieu de "l'extermination" et le télex d'avril l943 accompagne sa réputation "inquiétante" jusqu'à l'Ouest. C'est ce circuit sinistre dont Dannecker à Paris annonçait l'ouverture fatale au printemps 1942. L'officier SS en charge de la déportation juive y dévoile son sens réel: sans les précautions de langage habituelles, la lettre du texte parle en clair de "l'extermination totale", en allemand "restelose Vernichtung". Cette pièce d'archives datée du 15 mai 1942 fait état de l'entretien du chargé de Dannecker, le 13, avec le lieutenant-général Kohl. Pendant une heure et quart, le SS a exposé à cet officier supérieur de la Werhmacht "une vue d'ensemble sur la question juive et la politique concernant les Juifs en France". Très satisfait, le policier nazi de Paris a "pu constater qu'il est un adversaire sans compromis des Juifs et qu'il approuve à 100 % une solution finale de la question juive ayant pour but l'extermination totale de l'adversaire"[287]. Le propos est tout-à-fait remarquable. Joseph Billig, l'analysant dans La solution finale, essai sur ses principes dans le IIIème Reich et en France sous l'occupation souligne combien "la conclusion que le général [Kohl] a tirée des longues explications de Dannecker (...) est sans équivoque. Le principe de l'anéantissement sans reste (restlose Vernichtung) de la population juive est posé et les déportations à l'Est sont organisées précisément pour cette extermination totale, "sans reste"". Si, ajoute l'historien français, "les moyens d'extermination ne sont pas précisés (...), l'expression en question ne laisse place à aucune équivoque. Celui qui dit qu'une armée ennemie a été anéantie, détruite, n'affirme pas forcément, du même coup, que tous les hommes qui la composaient ont été tués. Sans conclure à une telle éventualité, il entend exprimer seulement que la troupe ennemie a été liquidée en tant qu'organisation de combat. Mais l'expression "la destruction de l'ennemi sans reste" n'offre pas cette liberté d'interprétation. Elle précise bien qu'il n'y a pas survivants dans l'armée détruite en tant que telle"[288].

L'analyse de Billig est pertinente, mais datant de 1977, elle sera, onze ans après, démentie sur un seul point. C'est qu'on peut fort bien, dans un discours sur l'histoire, s'accorder la liberté d'interpréter tout autrement la déclaration du militaire allemand. "Ce général est pour l'anéantissement de l'ennemi", il n'y là pour Faurisson en 1988 "rien que de banal"[289]. Dans sa négation des exterminations, il lui a aussi fallu répondre à l'objection Dannecker. Le "révisionnisme" n'y lit rien qui l'obligerait à réviser ses négations. Dans cette relecture, Faurisson a découvert "une très grave troncation" dans la citation du document de l'officier SS de Paris. D'innocents points de suspension y laisseraient "croire que le Général Kohl était un partisan d'un anéantissement physique des Juifs alors qu'il s'agissait d'un anéantissement de leur influence "comme de celui des églises politiques""[290]. Les guillemets "révisionnistes" sont, en l'occurrence moins innocents que les points de suspension. Ils n'authentifient aucunement la propre citation de Faurisson. Dans le texte de Dannecker, le lieutenant-général Kohl n'a jamais comparé l'"extermination" (Vernichtung) "de l'adversaire" juif avec l'anéantissement de l'influence politique des Eglises. Tout heureux de l'excellente compréhension du militaire allemand, l'officier SS avait seulement noté qu'"il se montre aussi un adversaire des églises politiques". C'est que, dans ses confidences, le chargé des affaires juifs avait informé son interlocuteur étranger aux affaires de police politique des autres activités de la section dont il relevait. Dans la police nazie, il n'y avait pas à proprement parler une section "juive". La côte "IV J" qui identifie les rapports de Dannecker signifie qu'il était, dans la section "IV" du service parisien de la Sécurité du Reich, le réferendaire compétent pour les questions juives. Le "IV J" d'usage à Paris correspondait, à Berlin, au "IV B 4" de Eichmann. Cette côte figure sur le compte rendu, contresigné par Dannecker, de son entretien avec Eichmann à Paris le ler juillet 1942 sur l'"imminente évacuation de France"[291]. A l'Office central de la sécurité du Reich comme dans ses détachements opérant à l'Ouest, le "B" designait les "adversaires idéologiques". Chacun avait son référendaire qualifié, à l'exception des communistes relevant de la section IV A. Dans la IV B, le chargé des affaires juives formait équipe avec les officier SS compétents, l'un pour "les Eglises et sectes", l'autre pour la "Franc-Maçonnerie"[292]. Cette cohabitation n'impliquait pas qu'ils poursuivaient, chacun dans son secteur d'activités, un objectif identique. Des explications de Dannecker sur le combat contre les Eglises politiques, le lieutenant-général Kohl n'avait absolument pas pu conclure le 13 mai que celui contre le judaïsme aboutirait au même résultat. Dannecker ne lui avait demandé aucun train pour déporter les adeptes des Eglises politiques!

Le propos que l'officier SS prête au lieutenant-général Kohl est à situer dans le contexte de la déportation. Le document qui rapporte l'entretien a pour "objet": l"'affectation de matériel roulant pour les transports juifs". L'officier supérieur de l'armée n'est pas un général qui livrerait des combats sur les champs de bataille. Son état-major s'occupe des chemins de fer, et ce, en dehors de toute opération dans la zone de guerre. L'attribution de trains pour déporter hors programme un contingent de 5.000 Juifs dépendait du chef de l'unité des transports ferroviaires du Reich installée à Paris. Le 13 mai, Eichmann n'avait pas encore réuni les chargés des affaires juives de l'Ouest pour leur communiquer la décision d'entamer la déportation dans leur ressort territorial respectif. Berlin avait autorisé Paris à anticiper le mouvement avec un premier contingent, pour autant que Dannecker réglât sur place la question des trains. Cette nécessité où il s'est trouvé de négocier avec le lieutenant-général Kohl rend compte de l'originalité du compte rendu rédigé après l'entretien: pour lever les obstacles bureaucratiques, Dannecker a sondé ses dispositions et le sentant réceptif, lui a délibérément dévoilé le but réel des déportations. Ce militaire de haut rang était si compréhensif qu'il devançait la modeste requête du SS. Selon Dannecker, il lui "a déclaré littéralement (...): "si vous me dites, je veux transporter 10.000 ou 20.000 Juifs à l'Est, vous pouvez comptez dans tous les cas que je mettrai à la disposition le matériel roulant nécessaire et les locomotives". Le concours que cet officier supérieur de l'armée était prêt à apporter à la "solution finale" atteste bien jusqu'à quel point l'homme était cet "adversaire sans compromis des Juifs". Il l'était tout autant que l'officier SS. A travers ce compte rendu, Dannecker lui prête ses propres dispositions. Vieux routier de l'action antijuive, le SS en poste à Paris était dans son zêle bureaucratique, un fanatique "à 100%".

6.2 Les 100% de l'officier SS

L'antisémitisme frénétique de Dannecker invite à lire ses textes avec prudence. Ses compte rendu ne sont pas les plus fidèles. Son fanatisme ne l'incline pas seulement à rompre les consignes de secret dans ses écarts de langage. Cet officier SS manipule aussi les décisions pour s'attribuer le rôle principal dans l'action antijuive. Selon son texte, la réunion du 11 juin chez Eichmann aurait fixé la première vague de déportation vers le "KL Auschwitz" à 100.000 Juifs de l'Ouest. Dans le détail, le gros du travail revenait ... à la France. Dannecker laissait une part incongrue à son collègue de La Haye. Dans ses comptes, Zoepf n'avait à déporter que 10.000 Juifs, soit le contingent attribué au chargé des affaires juives de Bruxelles. Les chiffres d'Eichmann établissaient pourtant une tout autre répartition des tâches. Le nombre de Juifs des trois pays à acheminer à Auschwitz était fixé à 90.000 et les 2 référendaires "juifs" en compétition avaient obtenu une part égale: 40.000 pour Zoepf et tout autant pour l'impatient officier SS "français"[293]. Dannecker s'était, dès 1941, préparé avec empressement à ce "temps utile" de la déportation où il allait enfin pouvoir, selon ses propres termes, "agir avec une efficacité à 100 %"[294]. Membre depuis 1937 du service de sécurité de la SS où il avait été le collègue d'Eichmann dans les affaires juives, l'homme anticipait toujours les décisions. Dans son acharnement antijuif, le nombre exact à déporter n'avait pas d'importance[295]. Ce qui comptait, à ses yeux - comme à ceux d'Eichmann non moins empressé -, c'était que les trains roulent et livrent leur contingent aux camps d'extermination. Dans sa conception raciste, l'"adversaire" juif à détruire n'était pas une idéologie. Le racisme nazi ne fait pas la différence entre les Juifs et le judaïsme. Pour cet officier SS, c'était des êtres physiques, biologiques, des personnes qui étaient les sujets de l'"extermination totale". Dannecker a exprimé cette radicale volonté de génocide dans un autre document. L'officier SS y parle à nouveau de la "restelose Vernichtung" sans plus faire la moindre référence à la lutte contre le catholicisme "politique". Les termes utilisés sont ici on ne peut plus univoques. Dannecker était si imprégné de sa résolution meurtrière qu'il s'imaginait que tout un chacun devait immédiatement la décrypter dans les mesures pratiques prises en France. Trois jours après le début - le 17 juillet 1942 -  de la grande vague de déportation de ce pays, Dannecker exposait au colonel Knochen que "le judaïsme mondial se rend clairement compte que les Juifs qui se trouvent dans les zones de domination allemande s'acheminent vers leur extermination totale", en allemand "ihrer restlosen Vernichtung"[296].

Le commentaire de Billig sur "l'extermination sans reste de l'adversaire" cite également cet autre document du 20 juillet. La référence s'imposait à un historien scrupuleux. L'acharnement de Dannecker rend compte de la conclusion sinistre que le lieutenant-général Kohl avait tirée de son exposé, le 13 mai. A l'inverse, la référence à l'hostilité de ce dernier aux "Eglises politiques" n'ajoute rien à son adhésion totale à l'extermination des Juifs. A bon droit, Billig avait jugé tout a fait incongru de l'introduire dans une expertise sur la connaissance du sens réel de la "solution finale" par l'un des inculpés du procès de Cologne. Comme il se doit, il signalait l'omission des "Eglises politiques" par le signe typographique conventionnel. Dans son obsession démystificatrice, la lecture "révisionniste" s'est emparé des points de suspension. Ils se prêtaient, en faisant abstraction du contexte historique, à insinuer le soupçon d'une "très grave troncation"[297]. Sur sa lancée, Faurisson a voulu laisser croire à son lecteur que du côté des historiens de la solution finale, "chacun a pu ainsi dire: "voilà enfin une preuve de la volonté d'extermination. La seule preuve à vrai dire"". L'érudition plus que sélective de l'universitaire "révisionniste" fait l'impasse - et sciemment -  sur le deuxième document de Dannecker. Faurisson ne l'ignorait pas. Billig s'y référait exactement 25 lignes après ces "points de suspension" si suspects au regard borgne du "révisionnisme". Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France de Serge Klarsfeld publiait, quant à lui, les deux extraits sur la même page. Son cas était plus "grave" car selon Faurisson, "la troncation est d'autant plus consciente qu'avant de publier Le Mémorial, Klarsfeld avait publié pour la justice allemande ayant à juger Lischka: Deutsche Dokumente 1941- 1944), Die Endlösung der Judenfrage in Frankreich". Le document y est, en effet, intégralement reproduit. Le plus sérieusement du monde, Faurisson a découvert une raison à ce paradoxe. "Dans cet ouvrage", écrit-il, "il était impossible de faire tout à coup apparaître trois points au beau milieu d'une lettre de Dannecker"! L'argument du professeur d'université ne s'avance pas au-delà. Le verdict du procès de Cologne n'est surtout pas à examiner. C'est que le jugement allemand reproduit lui aussi tout le document et, qui plus est, il a fondé - pour une part - son argumentation sur le but réel de la déportation juive tel que l'exprimait ce témoignage d'époque. Et les juges allemands, établissant les responsabilités criminelles des officiers SS impliqués dans le massacre des Juifs n'ont prété la moindre attention à "l'anéantissement de (l') influence des Eglise politiques" si utile à la dénaturation du document d'époque.

Ces procès de la solution finale à l'Ouest de l'Europe ne conviennent pas au discours du "révisionnisme". Ils n'entrent pas dans le schéma qu'il applique aux procès d'après 1945. Faurisson s'est ému du "drame de ce type d'accusés allemands"[298]. Il l'a volontiers comparé "à celui des sorciers et des sorcières du Moyen Age". On accusait les sorcières d'avoir eu commerce avec un diable qui n'existait pas. "La plupart du temps", explique Faurisson, elles "ne pouvaient pas croire aux faits qui leur étaient reprochés, mais elles partageaient ou affectaient de partager avec les juges-accusateurs la croyance au diable". Des procès médiévaux aux procès des SS, le "révisionnisme" saute allégrement le pas. Avec ses guillemets d'inexistence, la "chambre à gaz" vient y relayer le mythe diabolique. Et comme dans les procès de sorcellerie, "l'accusé allemand, lui, s'efforce de démontrer qu'il n'avait rien à voir avec les "chambres à gaz"". L'argument "révisionniste" ne fonctionne pas avec les anciens officiers SS en poste à l'Ouest. Poursuivis pour complicité d'assassinat, ils sont tout penauds. Ils n'ont pas à ruser, comme les sorcières pathétiques de Faurisson avec la "façon" diabolique d'Auschwitz. Dans les procès "occidentaux", l'assassinat des déportés par le gaz définit seulement le caractère "abject", "perfide" et "cruel" du crime dont les complicités sont jugées. Le verdict de Kiel déclarant l'ancien lieutenant SS de Bruxelles "coupable d'avoir contribué au meurtre d'au moins 10.000 Juifs" a estimé que "le massacre des Juifs dans les chambres à gaz d'Auschwitz, planifié et exécuté par les dirigeants nazis pour des raisons de haine raciale fanatique, au mépris de tout principe d'humanité, a été effectué pour des motifs abjects". Et d'ajouter que "la mise à mort des Juifs dans les chambres à gaz était horriblement sournoise et cruelle. Dans la mesure où ils n'étaient pas sélectionnés pour le travail, les juifs arrivant dans des trains de marchandises, étaient conduits dans les chambres à gaz; les nazis abusant de leur confiance et du fait qu'ils étaient sans défense, les faisaient mourir à la suite d'horribles souffrances provoquées par l'absorption de gaz toxiques. Cette manière de tuer dictée par un système inhumain, brutal et impitoyable n'en était que plus cruelle"[299]. Cela dit, la Cour d'assises allemande n'a pas condamné Kurt Asche comme auteur du crime abject, cruel et perfide. Dans l'épiloque judiciaire de la solution finale à l'Ouest, l'ancien officier SS qui acheminait les convois vers Auschwitz passe en jugement pour autant qu'"il y (ait) suffisamment d'éléments pour considérer qu'(il) a compté avec la possibilité qu'une grande partie des déportés serait mise à mort"[300]. Il n'est même pas requis de démontrer que l'inculpé était "informé en détail sur l'exécution technique". Dans la décision contre Ehlers, le tribunal supérieur du Schleswig-Holstein a constaté qu'"il manque des données concrètes pour affirmer qu'il savait que les déportés étaient pour la plupart tués au gaz toxique à Auschwitz. Cependant, cela n'exclut pas que les mises à mort étaient perfides et cruelles. La perfide", explique la décision judiciaire, "ressort sans aucun doute du télex déja cité à plusieurs reprises de (l'Office Central de la Sécurité du Reich) du 29 avril l943 par lequel il était à nouveau insisté auprès du service d'(Ehlers) qu'il y avait lieu de faire en sorte que les victimes arrivant à Auschwitz ne se doutent de rien et soient sans défense. La cruauté de la mise à mort ressortait déjà de la façon dont les Juifs furent déportés vers l'Ouest"[301]. Cette lecture judiciaire du télex d'avril l943 s'attachait à ce que la pièce d'archives révélait de la notoriété sinistre d'Auschwitz parmi les policiers SS impliqués à l'Ouest dans le processus d'extermination. La référence aux "travaux urgents" du camp et leur relation avec la "répartition ultérieure" des déportés n'apportait rien de décisif à la cause. La "façon" d'opérer à Auschwitz n'y était pas dévoilée. Une lecture historique des sources documentaires relatives au massacre des déportés de l'Ouest ne saurait, quant à elle, ignorer leur discrétion à ce sujet. Le silence est aussi un témoignage en histoire. Et ce, d'autant plus que les archives nazies les plus autorisées dévoilent, quant à elles, la "raison du secret"

6.3 En raison du secret

Les SS affectés aux camps d'extermination étaient dûment informés que "les faits et circonstances relatifs au transfert de la population juive constituent un secret d'Etat"[302]. Ils s'engageaient - et par écrit - à ne "faire, en aucune circonstance, de communication (...) sur le cours, la réalisation et les circonstances du transfert de la population juive, que ce soit par écrit ou oralement". Peu avant l'arrivée du docteur Kremer à Auschwitz, c'était le cas aux camps de Treblinka, Sobibor et Belzec. Ils n'étaient pas situés comme Auschwitz dans la partie de la Pologne incorporée au Reich. Ils relevaient du Chef supérieur de la SS et de la Police du district de Lublin, Odilo Globocnik. Ces camps sont comme Auschwitz des camps d'extermination. "On y emploie un procédé assez barbare", actait le 27 mars 1942 Goebbels dans son journal intime  et ce dirigeant du IIIème Reich n'osait en confier le "détail" même à ce confident[303]. Le procédé, lit-on dans cette note, n'était "pas (à) décrire en détail". Le Reichsleiter de la propagande nazie actait pour mémoire que "les Juifs du Gouvernement général sont refoulés vers l'Est, à partir de Lublin" et qu'avec le "procédé assez barbare" utilisé, "il ne reste pas grand chose des Juifs. En gros 6O % doivent être liquidés et 4O % peuvent être utilisés à des travaux". Le ministre de la propagande et de l'information du IIIème Reich notait encore que Globocnik, "l'ancien Gauleiter de Vienne qui dirige cette action le fait avec assez de circonspection et en employant des procédés qui n'attirent pas trop l'attention".

Goebbels n'en disait pas plus sur la "méthode Brack" utilisée dans les  camps du Gouvernement Général en Pologne. Le Général SS Brack attaché au personnel de Hitler avait "depuis déjà longtemps" et "sur instructions du Reichsleiter Bouhler", le chef de la chancellerie du Führer, "mis une partie de (ses) hommes à la disposition du Général de Brigade Globocnik pour l'exécution d(e cette) mission spéciale". Victor Brack le rappelle à Himmler, le 23 juin 1942, en lui signalant qu'il venait encore de "détacher d'autres effectifs en réponse à une nouvelle demande de sa part. A cette occasion", insiste Brack, "le général de brigade Globocnik a souligné qu'il fallait exécuter le plus vite possible toute l'opération juive afin qu'on ne reste pas embourbé au milieu de l'opération si quelque difficulté venait à en rendre l'arrêt nécessaire". Brack insistant sur ce risque, se souvenait de ses propres déboires dans l'action T4. Il avait fallu interrompre le massacre euthanasique des malades mentaux suite aux remous provoqués par la plainte de l'évêque de Munster auprès du procureur de la république du Tribunal régional. Dans son sermon en l'Elise Saint Lamberti à Munster, Clemens von Galen avait, le 3 août 1941, rappelé aux "Allemands et Allemandes le paragraphe 211 du code pénal (...) toujours en vigueur" dans le IIIème Reich nazi. Il stipulait que "celui qui tue un homme avec préméditation sera puni de la peine de mort". Selon l'évêque, "c'est probablement pour protéger de l'application de cette loi ceux qui tuent avec préméditation que l'on déporte au loin ces pauvres gens (...) destinés à la mort" et que "les cadavres sont immédiatement incinérés"[304]. Les services SS appliquant désormais la "méthode Brack" aux Juifs n'avaient pas manqué de tirer les leçons de l'expérience. Dans sa lettre à Himmler, Bracke signale précisément que le Reichsführer SS en personne avait "déjà exprimé en son temps", écrit-il, "la nécessité de travailler aussi vite que possible en raison du secret"[305].

Tous les SS impliqués dans la "mission spéciale" dont parlait le père de la "méthode Brack" étaient soumis à cette double contrainte. A Auschwitz aussi, ils recevaient, dès leur affectation, "des instructions à caractère très secret". Le journal du sous-lieutenant SS Kremer le signale le jour de son arrivée. Sa note du 3O août n'en dit pas plus[306]. Les autres notes ne dérogent pas à cette discipline du secret. Sa chronique des "actions spéciales" et les rares commentaires sinistres qui la ponctuent ne dévoilent jamais la "façon" d'Auschwitz. Les confidences du médecin SS ne vont pas au-delà du "camp de l'extermination". Cette note du 2 septembre - on le sait - confirme que le secret n'était pas toujours respecté. A Auschwitz, la direction du camp n'ignorait pas de tels manquements. Le télex d'avril l943 en porte témoignage. Cette pièce émanant de la Sécurité du Reich indique bien que c'est "le camp d'Auschwitz" qui "réitére sa demande de ne pas faire (...) la moindre révélation inquiétante". Les "instructions à caractère très secret" que le capitaine SS Kurt Ulhenbrock communique à Kremer, dès son arrivée, témoignent tout autant de cette préoccupation. Le contenu exact n'en est pas connu. Les lacunes des archives n'autorisent toutefois pas à conclure à la manière de Faurisson qu'"il n'y a lieu de spéculer (sic) sur des instructions "très secrètes" dans quelque armée que ce soit et surtout à Auschwitz dont toutes les activités devaient être en principe tenues secrètes à cause notamment de son importance pour l'industrie de guerre et pour la recherche scientifique"[307]. Au demeurant, ces "instructions à caractère très secret" du journal ne seraient pas si secrètes dans la "révision" des notes de Kremer. Dans sa lecture de la première "action spéciale" du médecin SS, Faurisson les réduit à quelque conseil d'ordre professionnel de son collègue le capitaine-médecin SS Uhlenbrock. Ce 2 septembre 1942, écrit-il, "le Dr. Kremer se rappelle ce qu'on lui avait dit de ce camp. On lui avait dit, soit quand il a reçu son affectation (...), soit quand il est arrivé, soit quand le médecin de la garnison (Dr. Uhlenbrock) lui avaient remis ses instructions, qu'Auschwitz était appelé "le camp de l'anéantissement"(sic)". Et Faurisson pour qui "il n'y a lieu de spéculer" n'avance pas moins que "si on lui avait dit cela, c'était probablement à la fois pour le prévenir de la tâche qui l'attendait et pour le mettre personnellement en garde contre les dangers qu'y courrait sa propre santé". En passant, cette relecture du témoignage nazi sur Auschwitz en a évacué tout à la fois l'extermination et son caractère très secret. "Le camp de l'anéantissement" du journal de Kremer n'a pas dans la traduction du professeur de lettres de l'Université de Lyon II le sens que lui donnent les historiens.

6.4 L'anéantissement revu et corrige

Tout comme Faurisson dont l'interprétation est, à son estime et  pour s'en tenir au seul aspect philologique, un "contresens", Pierre Vidal-Naquet lit également "le camp de l'anéantissement" dans la note du 2 septembre[308]. Le texte de l'édition en langue française du Musée d'Oswiecim traduit "Vernichtung" par "extermination". La traduction est tout a fait appropriée. Le terme est d'époque. Il n'y a pas lieu dans  la lecture du fait historique d'avoir le moindre scrupule moral à utiliser le terme en usage chez les SS[309]. Historiquement, les camps de la solution finale sont des camps d'extermination. Le traducteur du musée d'Oswiecim, Georges Tchegloff a toutefois commis l'erreur d'introduire le concept historique dans le texte du médecin SS d'Auschwitz. Le das Lager der Vernichtung du 2 septembre est devenu sous sa plume le camp d'extermination. L'absence du der laissait un bel espace typographique sur lequel Faurisson s'est précipité. Dans l'espace vierge, il a aperçu un sombre complot. Comme si le Musée d'Oswiecim n'avait pas également publié une version allemande conforme au manuscrit, le philologue a protesté avec véhémence jamais Kremer n'avait écrit qu'Auschwitz était un Vernichtungslager, c'est-à-dire, selon la terminologie inventée par les Alliés après la guerre, un camp d'extermination, un camp d'extermination, (entendez par là\: un camp doté d'une chambre à gaz)[310]!"

Sommé de s'expliquer sur "l'anéantissement" auquel il réduit le témoignage de Kremer, le philologue a convenu que ce sens de "Vernichtung" n'est pas strictement étymologique[311]. Le "mot peut signifier, selon le contexte, soit "extermination" (ou, plutôt d'ailleurs: "destruction"), soit "anéantissement"". Dans le premier cas, explique Faurisson, le terme "désigne une action ou le résultat  d'une action", mais ce sens-là qui fait l'histoire, le "révisionnisme" se garde de l'explorer jusqu'au départ des convois vers Auschwitz et s'il lui est opposé, un autre détail typographique lui suffit à évacuer tout le contexte occidental de l'"extermination totale" des Juifs. Le seul sens qui convienne à la "révision" du journal de Kremer est celui d'un "état"[312]. "Au sens étymologique du terme", avait écrit Faurisson dès son premier commentaire sur le "Lager der Vernichtung", "le typhus anéantit ceux qu'il frappe". Donc, si Kremer "parle des horreurs d'Auschwitz, c'est par allusion aux horreurs de l'épidémie de typhus de septembre-octobre 1942. Le 3 octobre, (le médecin) écrira: "A Auschwitz, des rues entières sont anéanties[313] par le typhus(...)"". De ce point de vue tronqué, "une lecture tant soit peu attentive du texte et du contexte (de la note du 2 septembre 1942) impose le sens d'"anéantissement""[314]. Cela posé, avance que "le tri des malades et des bien-portants, c'était la "sélection" ou l'une des formes de l'"action spéciale" du médecin. Ce tri se faisait soit à l'intérieur des bâtiments, soit à l'extérieur"[315].

Cette interprétation de l'"action spéciale" est tout sauf historique. Elle ignore délibérément le fait des convois arrivant à Auschwitz les jours où Kremer renseigne sa participation. La coïncidence répétée quatorze fois et documentée neuf fois est évacuée de la lecture "révisioniste". Tout au plus, Faurisson concède-t-il, à propos de la première, qu'"on dit parfois que cette action spéciale concernait l'arrivée d'un convoi de Drancy à Auschwitz, le 2 septembre. Ce n'est pas impossible. Il faudrait vérifier l'heure d'arrivée". Dans sa deuxième relecture, cette vérification n'est plus nécessaire. Cette fois, Faurisson "n'a pas de peine à imaginer cette arrivée de gens non atteints d'épidémie dans un camp en proie au typhus. La tâche du médecin n'est pas seulement de trier les aptes et les inaptes au travail. Elle est aussi de réceptionner les "sanitaires" des wagons dits "sanitaires""[316]. Enfin, il y a, chez Faurisson, une troisième version à l'"action spéciale". La "Sonderaktion aus Holland" du 5 septembre revue et corrigée suggère qu "il s'agissait du nettoyage des wagons, soit de 3ème classe, soit surtout de marchandises dans lesquels les déportés venaient d'arriver"[317]. Le sort des 677 déportés de Westerbork disparus ce 5 septembre à l'arrivée du convoi n° XVI n'est pas pris en compte dans cette manipulation du journal de Kremer. Le fait que le médecin SS inscrive toutes ses "actions spéciales" dans une seule et même série débutant avec la révélation de "l'extermination" n'est pas plus pris en considération. Faurisson tient tout aussi peu compte, dans ses lectures successives de la note du 2 septembre, du nombre des déportés immatriculés qui entrent effectivement dans le camp. Au départ de Drancy, le 31 août, le convoi n°XXVI comptait 1.000 personnes. A l'arrêt de Kosel, au plus 220 déportés masculins âgés de 15 à 50 ans y descendirent. Quel que fût le nombre des déportés restés dans le train, la sélection à Auschwitz leur attribua seulement 39 matricules. Il n'y eut donc pas plus de 12 hommes et de 27 femmes qui entrèrent dans le camp. Faurisson, professeur de littérature qui s'est hasardé par "révisionnisme" sur le terrain de l'histoire, lui, il va "loger tous ces arrivants dans les différents blocs du camp. Or, partout ou presque partout, il y a sur place des malades ou des mourants (victimes du typhus-MS). Il faut imaginer la promiscuité. Assister à cela pendant des heures, soit en pleine nuit, soit à l'aube, soit en plein jour, cela doit être dantesque. On imagine l'angoisse affreuse des déportés arrivant dans cet enfer"[318].

Ce que le journal de Kremer autorise à imaginer, ce n'est pas l'angoisse de ces 39 déportés du convoi XXVI à répartir "pendant des heures", ce 2 septembre, dans l'enfer typhique. Le témoin qui parle de "l'enfer" dantesque, c'est le SS Kremer, dans sa note de ce jour. Et le médecin d'Auschwitz ne vient pas, à cette date, de faire l'expérience des ravages du typhus. Il est sur place depuis quatre fois vingt-quatre heures. Dès le 30 août, son journal a signalé la "quarantaine au camp à cause de nombreuses maladies infectieuses (typhus exanthématique, malaria, dysentrie)". Le lendemain a été notée sa "première vaccination contre le typhus exanthématique". Le 1er septembre, à la veille de découvrir la fonction d'Auschwitz dans "l'extermination", le médecin a, dans l'exercice de ses fonctions, assisté "à la désinfection d'un bloc pour le débarrasser des poux au moyen d'un gaz, le cyclone B"[319]. Très significativement, le journal de Kremer ne qualifie pas cette activité d'"action spéciale". La note n'est pas codée. Son sens littéral dit sa signification réelle. Et, tout autant, dans les archives du camp, l'autorisation du 22 juillet pour "le voyage d'Auschwitz, à Dessau (où une filiale de la D.E.G.E.S.C.H fournissait le gaz en cristaux), aller et retour d'un camion de cinq tonnes afin d'aller prendre livraison du nécessaire au gazage du camp pour combattre l'épidémie qui s'est déclarée"[320]. C'était plus d'un mois avant l'affectation de Kremer. Quatre jours avant son arrivée, une autre "autorisation de transport pour un camion allant chercher à Dessau des produits pour traitement spéc." parvenait à Auschwitz. Ce que signifiait le "traitement spécial" pratiqué au moyen du cyclone B n'était pas précisé. Un autre document daté cette fois du temps de Kremer autorise, le 12 septembre, le "transport immédiat des camions alloués vers le camp de concentration d'Auschwitz: ces véhicules devant être immédiatement utilisés pour des actions spéciales"[321]. Le 2 octobre - toujours pendant la mission de Kremer - une autre autorisation de voyage indique encore qu'Auschwitz obtenait de Dessau les "produits nécessaires à la transplantation des Juifs"[322]. A tout le moins, le Cyclone B servait aussi à d'autres fins qu'à combattre l'épidémie. Kremer, notant cet usage le 1er septembre, ne mentionne jamais dans son journal les autres emplois. Le silence de ses notes à ce sujet est significatif.

Kremer n'a rompu avec les consignes "à caractère très secret" qu'après coup pour sa propre défense devant la justice polonaise. Non pas qu'il ait pu, du fait de ses révélations, espérer de ses juges un traitement de faveur - si l'on ose encore utiliser un terme si connoté de son sens nazi. C'est son système de défense qui le faisait apparaître en témoin oculaire des exterminations d'Auschwitz. Il lui fallait, pour masquer sa propre responsabilité criminelle, se présenter comme l'observateur pour ainsi dire fortuit du processus de mise à mort des déportés à leur arrivée.

6.5 L'action spéciale du témoin oculaire

Confronté à son journal, l'ancien médecin SS d'Auschwitz veut bien dire que "tous les médecins SS exerçant leur service au camp participaient à tour de rôle dans cette mise à mort par le gaz". Mais cela dit, son propre rôle s'est réduit à la seule fonction ... d'assistance médicale. "Ma participation, en tant que médecin, dans ces mises à mort par le gaz, appelées les "actions spéciales" consistait à me tenir prêt sur place, près du bunker", a-t-il expliqué. "On m'y amenait en voiture. J'étais assis près du chauffeur en arrière, il y avait un infirmier SS muni d'un appareil avec de l'oxygène destiné à ranimer les SS employés au gazage, au cas où l'un d'eux aurait été empoisonné"[323]. Au procès de Francfort, un des chauffeurs a donné une tout autre version de la présence d'infirmiers dans le véhicule. Sur question du procureur, Karl Höblinger, confirmant qu'il conduisait aussi la nuit "quand arrivaient les transports de Juifs sur la rampe à Birkenau"[324], a ajouté: "alors, je devais conduire les infirmiers et les médecins à la rampe. Ensuite, nous roulions jusqu'aux chambres à gaz. Là, les infirmiers sont montés sur les échelles, munis de leur masque à gaz et ont vidé les boîtes (de Cyclone B)"[325].

Cette déposition portant plutôt sur la période postérieure au temps de Kremer n'infirme pas ses explications sur la présence d'un médecin mandaté pour secourir au besoin les SS chargés du gazage des Juifs. L'assassinat de masse au moyen du gaz, le "procédé employé n'(était) pas sans présenter quelque danger" pour ceux qui l'utilisaient. L'inventeur de la méthode, "Brack (l'avait) fait remarquer", en octobre 1941, quand on envisagea dans les services chargés des affaires juives, de "liquider, selon la méthode Brack, les juifs inaptes au travail"[326]. L'avertissement de ce "chef supérieur de la chancellerie du Führer" confère toute sa vraisemblance au témoignage du médecin SS d'Auschwitz, d'autant que dans ce camp, on utilisait un gaz plus toxique que le monoxyde de carbone[327]. Le cyclone B - acide cyanhydrique dit aussi acide prussique - est trente-quatre fois plus efficace. "Dans le cas d'intoxication par acide cyanhydrique, la mort survient beaucoup plus vite qu'après l'empoisonnement par le monoxyde de carbone", explique Georges Wellers, également maître de recherche honoraire au CNRS en physiologie et biochimie[328]. Cette foudroyante efficacité du Cyclone B rend plausible l'affectation spéciale d'un médecin SS auprès des tueurs SS, à "l'instant fatidique"[329] où ils ouvraient les boîtes fatales pour les déverser dans les "bunkers": en effet, un médecin "aurait eu éventuellement à intervenir" en cas de fausses manoeuvres. Le journal de Kremer signale sa présence lorsqu'on utilisait l'acide cyanhydrique aux fins auxquelles le fabricant de Francfort l'avait commercialisé comme agent de désinfection. Son témoignage judiciaire sur son rôle pendant la mise à mort des déportés est, à cet égard, tout à fait plausible. Il l'est moins pour ce qui des faits survenant à la rampe de débarquement des déportés. 

Médecin devant les "bunkers", l'accusé Kremer cessait de l'être à cet endroit du processus d'extermination. Du moins d'après ses dépositions! Par la force des choses, son rôle s'y serait réduit à n'être que celui d'un témoin passif. C'est qu'il y arrivait en retard! L'ancien professeur de l'Université de Munster insista sur ce point devant la cour d'assises de sa ville: il n'avait pas trouvé à se loger à proximité du camp et il lui avait fallu prendre une chambre à l'hôtel de la gare, la chambre 26, d'après son journal[330]. Ce point de la déposition judiciaire de Kremer n'invalide pas - en regard de l'histoire - son témoignage sur les faits eux-mêmes. Son journal l'habilite pleinement à en témoigner pour la recherche historique: la note du  5 septembre 1942 le montre "de service aujourd'hui et demain"[331]. On n'est donc pas allé chercher l'hôte de la chambre 26 pour l"'action spéciale" du "midi" et surtout celle du "soir, à huit heures". En tout état de cause, ce jour-là, Kremer était présent à l'arrivée "des gens en provenance de Hollande", à savoir le convoi XVI des Pays-Bas. Le témoin Kremer parle d'expérience. La mise en forme judiciaire de sa déposition relate qu'"au moment de l'arrivée à l'embranchement de la voie ferrée du camp d'un convoi avec les gens destinés à être gazés, les officiers SS (sic) choisissaient parmi les nouveaux venus les personnes aptes au travail, aussi bien hommes que femmes et tout le reste - parmi eux les vieillards, tous les enfants, les femmes portant les petits enfants dans leurs bras, ainsi que d'autres personnes incapables de travailler - était chargé sur des camions et transporté dans les chambres à gaz". L'accusé Kremer reste fort discret sur les compétences médicales de ces "officiers" capables de jauger à l'allure du déporté s'il s'adapterait à la condition de forçat concentrationnaire. Quelle que soit la part personnelle de l'"officier" Kremer dans le choix des personnes destinées à l'"action spéciale", lui aussi, il "suivai[t] un tel convoi jusqu'au bunker. Là, on faisait d'abord entrer les prisonniers dans les baraques. Les victimes s'y déshabillaient et ensuite allaient nues, dans la chambre à gaz. Le plus souvent, tout se passait dans le calme, car les SS tranquillisaient les gens en leur disant qu'ils allaient, aux bains et à l'épouillage. Quand ils étaient déjà tous dans la chambre à gaz, on en fermait la porte, et ensuite, un SS protégé par un masque, lançait le contenu d'une boîte de cyclone par une ouverture dans le mur. Par cet orifice, on entendait, de la chambre à gaz, les cris des victimes, on entendait que ces gens luttaient pour vivre. On n'entendait ces cris que pendant un court laps de temps. Je dirais quelques minutes, mais il m'est impossible de le définir d'une façon plus précise". L'accusé de Cracovie retrouve, dans cette déposition, l'impassibilité clinique dont ses notes de guerre portent témoignage. 

Au procès de Francfort, le chauffeur Höblinger dont les phares éclairaient les "bunkers" la nuit, a témoigné, pour sa part, du "cri de terreur" qu'"on entendait", "quand le gaz entrait" dans le bunker. A son estime, c'est "après sept minutes (que) tout était calme". Un collègue de Höblinger, Bock, l'a "une fois" accompagné, "le soir". "Un transport de Hollande était arrivé", précise-t-il. Selon lui, "les gens ont crié pendant dix minutes"[332]. A ce grand procès d'Auschwitz, le témoin Kremer - il était alors âgé de 80 ans - se souviendra seulement de la passivité des victimes: "seuls quelque-uns ont résisté, ceux-là ont été pris à part et abattus", ajouta-t-il. Dans sa mémoire de vieillard, l'homme garde le souvenir pénible de ce qui à l'époque l'avait tant affecté. Le président de la cour, lui, en veut davantage. Il lui pose la question des "cris"; Kremer en avait parlé dix-sept ans auparavant, à Cracovie. "Oui", répond le témoin, "c'était la peur de mourir. Ils donnaient des coups de pied contre la porte". Et d'ajouter: "je suis assis dans la voiture"[333]. Ce détail serait capital!

6.6 Le fait capital

De l'"aveu" du médecin, il ressort un fait "capital", selon Faurisson. C'est que "le Dr. Kremer était assis dans sa voiture près du chauffeur!"[334]. A son procès à Munster, l'ancien médecin d'Auschwitz l'avait affirmé et le parquet n'avait pu établir le contraire. Le doute profitant à l'accusé, le verdict lui en accorde le bénéfice: "qu'il soit sorti de sa voiture et qu'il ait pris une part active à l'action meurtrière n'a pas pu être prouvé", y lit-on[335]. A Francfort, comparaissant comme témoin à charge, Kremer "n'allait" toutefois "pas (...) renoncer" à ce système de défense. S'il n'a plus le même souci de ses intérêts, il se garde bien d'avouer quoi que ce soit qui contredise ses dépositions antérieures[336]. Paradoxalement, la lecture "révisionniste" du témoignage judicaire interprête ce point capital de sa défense comme "aveu". Le glissement conduit à la conclusion que Kremer "n'était pas sur place", qu'"il ne peut décrire la "chambre à gaz"", qu'"il ne décrit rien du processus proprement dit"[337]. Ce qu'en a dit le témoin oculaire n'est jamais assez[338]. En revanche, les pièces d'archives sur la "Vergasungskeller" et la "gaskammer" d'Auschwitz en disent toujours trop[339]. Ces tours de passe-passe escamotent le fait capital du témoignage judiciaire de Kremer sur la mise à mort par les gaz des déportés à leur arrivée. Lisant son journal de guerre devant les tribunaux, l'ancien médecin SS d'Auschwitz y déchiffre ces "actions spéciales" où la critique historique repère la dernière trace d'au moins 6.732 déportés d'Europe occidentale. Cette lecture de Kremer par Kremer dévoile le chiffre du secret. Une telle lecture s'authentifie dans d'autres sources nazies. 
  

Chapitre VII
  
Le chiffre du secret

    7.1. Le traitement special d'Auschwitz
    7.2. Les chiffres du camouflage
    7.3. La confusion des morts
    7.4. Les morts de l'extermination

7.1 Le traitement special d'Auschwitz

 Le dévoilement des "actions spéciales" mentionnées dans le journal du médecin SS d'Auschwitz n'est pas immédiatement praticable. Les archives d'Auschwitz relatives à sa période au camp ne renseignent pas le nombre des Juifs qui "sont allés au service du travail" et celui des "hommes" et des "femmes et enfants" qui "ont été traités spécialement" à l'arrivée des transports d'Europe occidentale[340]. On ne dispose pas de "mes­sage téléphoné" du lieutenant SS Heinrich Schwarz: c'est lui qui, en sa fonction de chef de la section "mise au travail" III-a, communiquait ces données statistiques à la centrale des camps de concentration à Orianenburg. La centrale qui auto­risait "le transport (...) des produits nécessaires pour le traitement spéc(ial)" saisissait le sens exact de la comp­tabilité "spéciale" du lieu­tenant d'Auschwitz. L'administra­tion du camp, pour sa part, se perdait en acrobatie statistique quand le traitement spécial s'appliquait, non plus aux déportés jugés inaptes au travail et non immatriculés, mais à des déte­nus dûment enregistrés. Le "traitement spécial" s'appliquait, non plus aux déportés jugés inaptes au travail et non immatriculés, mais à des détenus dûment enregistrés. L'état des effectifs de Birkenau relevé journelle­ment les avait comptabilisés dans les "entrées". Il fallait donc désormais les décompter comme autant de "sorties", mais sans dévoiler le secret. Dans ce tour de passe-passe, le "t(raitement) s(pécial)" qui n'était ni une "mort naturelle", ni "un trans­fert", ni une "libération" di­minuait au même titre que ces "sorties"-là l'effectif des internés[341].

Le "traitement spécial" imposa le même exercice d'esca­motage au très savant inspecteur de la statistique de la SS, Richard Korherr. Son rapport statistique portait sur la solu­tion finale de la question juive en Europe au 31 décembre 1942. Himmler l'avait commandé à l'intention du Führer. A la ré­flexion, le Reichsführer SS n'y apprécia pas la référence par trop expli­cite au "traitement spécial". Son chef d'état-major, R. Brandt avertit le statisticien du désir d'Himmler "que dans aucun passage, il ne soit ques­tion de traitement spécial des Juifs", en allemand "Sonderbehandlung". Il avait "interdit d'em­ployer une autre formulation" que "transportation des Juifs des provinces de l'Est dans l'Est russe"[342]. Ses spécialistes de la so­lution finale utilisaient les deux formules indifférem­ment. Dans ses auto­risations de voyage d'Auschwitz à Dessau pour prendre livraison du gaz Cyclone B, Orianenburg parlait du matériel indispensable tantôt à l'une, tantôt à l'autre. Code de camouflage, le "Sonderbehandlung" est la clef de lecture du document Korherr comme la "Sonderaktion" l'est du document Kre­mer. Tout autant, un Faurisson "comprend fort bien que Himmler, au reçu du travail de son statisticien Korherr, ait fait dire à ce dernier que (...) il devait remplacer le mot de "Sonderbehandlung" par celui de "transportierung"". C'est que, selon cette lecture "révisionniste", "Sonderbehandlung pouvait éventuellement signifier "à exécuter"[343]. A l'estime de Fau­ris­son, cette définition ne serait pas appropriée[344]: dans sa lecture des sources do­cumentaires de la solution finale, "l'expression la plus adéquate serait "à isoler""[345].

Dans la correspondance d'Himmler relative à la solution finale, la lecture du "traitement spécial" dans le sens d'"ex­écuter" n'a nullement un caractère exceptionnel et incertain.  Dans une seule lettre - celle où le gauleiter du Wartheland lui demandait le 1er mai 1942 l'autorisation d'utiliser le "com­mando spécial" de Chelmno pour assassiner 35.000 tuberculeux polonais - l'éventualité du sens macabre du "Sonderbehandlung" appli­qué aux Juifs ne se répéte pas moins de 100.000 fois dans son seul district[346]. A force d'être utilisé, le cryptogramme était usé. A la réflexion, Himmler jugea que le "traitement spécial" était un mauvais camouflage. Avant d'imposer sa censure au document Korherr sur ce point précis, le Reichsführer SS avait, d'emblée, considéré tout le travail de son statisticien "comme très bon, en tant que documentation éventuellement pour les temps futurs, à savoir dans le but de camouflage". Il ne devait toutefois, "ni être publié, ni communiqué". "Pour moi", ajoutait-il, "l'essentiel reste toujours que les Juifs soient emmenés à l'Est dans toute la mesure de l'humainement possible"[347]. Son état-major comprenait que cet "humainement possible" mesurait le zêle de ses services.

7.2 Les chiffres du camouflage

Le rapport statistique avait présenté au Reichsführer SS un aperçu partiel de "l'évacuation des territoires russes, y compris les anciens Pays Baltes depuis le début de la campagne de l'Est": 633.300 Juifs selon les "indications" de la Sécurité du Reich communiquées à Korherr. Ce chiffre était en deça de la réalité. Korherr ne l'ignorait pas. Ses conclusion sur "la dé­croissance du judaïsme en Europe" avertissent que son calcul "n'englobe que partiellement les décès des Juifs dans les ré­gions occupées de l'Est, tandis que les décès dans le restant de la Russie et dans la zone du front n'y sont pas compris du tout". Korherr ne disposait évidemment pas des données sta­tistiques relatives aux "émigrations des Juifs soit en Rus­sie vers sa partie asiatique, soit dans les pays d'Europe non soumis à l'influence allemande vers l'outre-mer". Néanmoins, en l'absence de ces chiffres, le statisticien du Reichsführer SS était capable de calculer l'état d'avancement de la solution finale. La prouesse tenait moins à ses aptitudes mathématiques qu'à son "bon" talent de "camouflage". Dans une formule con­tournée, Korherr concluait que "le judaïsme a perdu à peu près la moitié de ses effectifs. A peu près la moitié de cette perte, c'est-à-dire un quart de la population juive totale de 1937 a probablement afflué dans les autres continents". Le conclusion restait silencieuse sur ce qui était advenu de l'autre moitié. Au lecteur averti des impératifs du "camou­flage" de calculer la "perte" d'après les chiffres du rapport. A cette date, elle s'élevait à plus de 2 millions comptabilisés - et, ce sans avoir émigré en  dehors de l'Europe nazie - comme diminuant d'autant les effectifs du ju­daïsme européen. Dans cette prestidigitation statistique, le "total de l'évacuation (y compris [...[348]] le traitement spécial)" était compté pour 1.786.356. Les 633.300 "évacués" des territoires soviétiques occupés s'ajoutant, le total de la "perte" passe à plus de deux millions quatre cents mille Juifs à la date du 31 décembre 1942.

La rumeur du génocide en cours situait alors son ampleur en deçà de la statistique SS. Le 1er mars 1943, le tract an­tifasciste dont le journal de Kremer conserve la trace lui apprit que les nazis - "nous avions", écri­vait-il - avaient "déjà liquidé 2 millions de Juifs par balle ou par gaz"[349]. Il n'a pas discuté le chiffre. L'expérience du témoin d'Auschwitz est limitée. Même s'il avait oeuvré au plus fort de "l'évacuation" des Juifs d'Europe occidentale, la chronique personnelle de ses "actions spé­ciales" ne livre qu'un pâle reflet du "camp de l'extermination". Pendant son séjour à Auschwitz, la chronologie de la déportation occidentale com­porte, outre les 9 convois arrivés de l'Ouest aux dates de ses "actions spéciales", 41 autres convois: 15 de France, 17 aussi des Pays-Bas et 9 de Belgique. Pour cette première année du génocide "occidental", les comptes du statisticien de la SS donnent 97.368 personnes pour ces trois pays[350]. Toutes sont inscrites au titre de "l'évacuation  [...] y compris le traite­ment spécial". Dans ses contorsions statistiques, Korherr ne comptabilisait pas "les résidants des ghettos et des camps de concentration"[351]. Au regard de "la solution finale de la question juive européenne" et de sa statis­tique, tous les déportés d'Europe occidentale acheminés à Auschwitz depuis l'été ne relevaient pas de la comptabilité concentrationnaire. D'emblée, toutes ces personnes étaient comptées dans "la décroissance du judaïsme", y compris les déportés immatriculés à Auschwitz et encore en vie en décembre 1942.

Cette lecture statistique de la déportation occidentale correspon­dait aux vues des officiers supérieurs SS chargés des affaires juives en Europe: Korherr avait compilé les chiffres qu'ils lui avaient fournis. Ils n'avaient pas jugé bon de lui communiquer le décompte des déportés retenus dans le camp de concentration d'Auschwitz au titre de la "mise au tra­vail"[352]. A leur point de vue, il n'était pas statistiquement signifiant. Mathématiquement, leur nombre n'est pourtant pas négligeable: en moyenne, la sélection pour le travail à Auschwitz excluait du "traitement spécial" un tiers des déportés de l'Ouest[353]. Des 9 convois du journal de Kremer, 31 % des déportés n'avaient pas été gazés à l'arrivée. En ne communiquant pas ces données au statisticien d'Himmler, les services SS anticipaient sur le bilan prévisible. Dès la conférence de Wannsee, il était convenu, dans le programme de "la solution finale", "qu'une gran­de partie d(es Juifs va­lides) s'éliminera tout na­turellement par son état de déficience physique" et que "le résidu qui subsisterait en fin de compte et qu'il faut considé­rer comme la partie la plus résistante  devra être traitée en consé­quence"[354].

A la première lecture, le bilan définitif de la dépor­tation occiden­tale confirmerait l'anticipation statistique du document Korherr. La plu­part des déportés de l'Ouest im­matriculés à Auschwitz, également ceux qui étaient descendus à Kosel en 1942 moururent pendant leur captivité. Les survivants de la déportation sont relativement moins rares dans les con­vois de 1943 et de 1944. Au total, à peine 4.356 déportés ra­ciaux survécurent, soit 2,27 % des 191.417 Juifs de France, de Belgique et des Pays-Bas qui furent "évacués" de 1942 à 1944 vers les camps réservés à la solution fi­nale à l'Est. 40.000 environ avaient été déportés à Sobibor, 150.000 à Au­schwitz qui, historiquement parlant, fut pour la plupart des déportés ouest-européens, "le camp de l'extermination"[355]. Ce bilan macabre, si tra­gique fût-il, masque toutefois ce qui fait la spécifité du génocide juif dans les massacres perpétrés par les SS. La statistique fausse la perspec­tive historique. Elle ne fait pas la différence, elle globalise, totalisant les morts du système concentrationnaire avec ceux de la solution finale. Et, dans cette confusion des morts, elle confond les choses.

7.3 La confusion des morts

Auschwitz, camp d'extermination pour la masse des déportés, fut aussi - comme Buchenwald ou Ravensbrück - un camp de la mort pour les internés, et l'un des plus grands, sinon le plus grand[356]. Tout le système concentrationnaire nazi fonctionnait sur le principe de l'"extermination par le tra­vail"[357]. Les forçats juifs n'en étaient les seules cibles. "Tous les internés étaient des maudits, ce qui les rapprochait de la race globa­lement condamnée", écrit l'historien Joseph Billig[358]. Quant aux concentra­tionnaires juifs, "immatriculés, même avec le tatouage, (ils) échappent donc au processus immédiat de la solution finale pour entrer dans le cycle concentrationnaire et", souligne l'historienne Olga Wormser, pour "y mourir en fin de course, de la même manière que les concentrationnaires non-juifs épuisés, mais dans la chambre à gaz au lieu de la carrière, de la balle dans la nuque ou de la mort naturelle au Revier (à l'infirmerie), bien qu'elle se produise aussi pour eux"[359].

La statistique comparative permet d'évaluer la part de cette mort concentrationnaire dans le génocide juif et de rendre compte en chiffres de la singularité de ce dernier dans la répression nazie. Le cas "belge" s'y prête en raison de la structure socioculturelle particulière de la popula­tion juive dans ce pays[360]. Le bilan de la répression nazie en Belgique oc­cupée peut être statistiquement approché grâce aux dossiers individuels de l'administration belge des victimes de la guerre. Ses derniers chiffres da­tent de 1984. Ils concer­nent les trois principales dimensions de la répres­sion: les "pri­sonniers politiques", les "déportés au travail" obligatoire et les déportés raciaux. Cette statistique s'ad­ditionne[361]: le total donne 113.469 personnes arrêtées pendant l'occupation nazie. 40.690 sont mortes des suites de cette arrestation. Cette mortalité de 35,8 % varie selon les caté­gories répressives. Les moins vulnérables ont été les 46.755  "déportés au travail"[362]. Il s'agissait de travailleurs obli­gatoires assignés à rési­dence dans des camps qui n'apparte­naient au système concentrationnaire. Leur mortalité a été fort basse: 5,5 %. 2.592 seulement y ont perdu la vie. Le camp de la mort laisse, en revanche, une empreinte profonde sur la sta­tistique des "politiques": sur les 41.257 "prisonniers" incar­cérés dans les prisons ou déportés dans les camps de concen­tration, 13.958 sont morts[363]. Leur mortalité s'élève à 33,8 %. Pour élevée que fût cette morta­lité, deux "politiques" sur trois n'en ont pas moins survécu à la répres­sion nazie. Avec les déportés raciaux dirigés vers un camp d'extermination, le phénomène statistique prend une toute autre allure. Ici, moins d'un dé­porté racial sur dix a survécu. S'ils représentaient seulement 22,4 % des habitants du pays détenus par l'occupant, ils comptent pour 59,3 % dans les décès dus à la répression nazie.

Le retournement statistique porte la marque du génocide juif. Il donne, après coup, la mesure mathématique de cette "déportation vers l'Est " dont le pouvoir d'occupation disait, à l'époque, qu'elle "est une mesure d'un autre caractère et plus sévère que le transfert habituel dans un camp de concentration"[364]. Le poids respectif des morts au bilan final signifie, en chiffres, que l'acheminement des déportés raciaux vers Auschwitz n'a ef­fectivement pas été un phénomène du même ordre que la déportation dans un camp de concentration, une prison ou un camp de travail du IIIème Reich. Si 16.550 détenus non juifs sur 88.012 - soit 18,8 %. - n'ont pas survécu à la captivité, les morts sont au nombre de 24.140 chez les dépor­tés raciaux et ils y représentent les 94,7% du total. Le génocide juif n'est pas un fait de témoignage. C'est un fait matériel, statistiquement mesurable qui se marque par un solde négatif dans la démographie du pays occupé.

Les chiffres de l'administration belge des victimes de la guerre sont les plus sûrs. Ses enquêtes administratives ont été menées à l'étranger, avec l'aide du Service International de Recherches de la Croix-Rouge, à Arolsen (en République Fédérale Allemande)[365]; toutes les archives "belges" de la déportation raciale et de la répression nazie ont été systé­matiquement dé­pouillées. Le service de documentation et de recherche a iden­tifié chaque personne, constituant un dossier individuel avec copie des pièces d'archives qui la concernent. Ce travail ad­ministratif remarquable et apparemment unique en Europe oc­cidentale[366] a permis de réviser les chiffres avancés en 1947 dans le rapport sur La persécution antisémitique en Belgique de la commission des crimes de guerre près du ministère de la justice. Le tableau statistique publié renseignait 25.437 dé­portés, 1.261 survivants en Belgique et 15 autres à l'étran­ger[367]. Trente-sept ans plus tard, la marge d'erreur a été in­signifiante: 1,46 % sur le nombre de dépor­tés et 1,O9 % sur celui des survivants. Des personnes inscrites sur les transportlist du camp de rassemblement avaient été comptées comme de dépor­tés alors qu'elles n'avaient pas quitté le pays occupé: il s'agissait le plus souvent d'évadés des convois non repris ultérieurement. Dans ses re­cherches, l'administration belge des victimes de la guerre est parvenue à les identifier. Les derniers chiffres, d'une sûreté remarquable, ne sont guère plus susceptibles de varier qu'au rang des unités. La rigueur des re­cherches administratives belges explique probablement pourquoi, au plan de la statistique, le nombre des survivants de la déportation raciale est, dans le cas belge, proportion­nellement moins bas que dans les cas français et néerlandais[368]. Les chiffres belges n'en sont pas moins macabres[369]. Ils fixent le bilan de la déportation du camp de rassemblement juif de Malines vers Auschwitz à 25.257 personnes. Les survivants ne sont pas plus de 1.205 (dont 12 tziganes sur 351 déportés)! Ces rescapés de la déportation raciale ne sont cependant pas des "survivants" de l'"extermination"!

7.4 Les morts de l'extermination

L'itinéraire concentrationnaire des rescapés signale où se situe la singularité du génocide juif. Le fait ressort à l'évidence du périple de deux petits convois numérotés "Z" qui, partis du camp de rassemblement de Malines, n'ont pas été dirigés sur Auschwitz. Ils étaient formés de 132 ressortissants juifs de Hongrie, pays ami du Grand Reich. Par opportunité diplomatique, ces Juifs hongrois ont été détournés du circuit de la solu­tion finale. Ils ont été acheminés dans des camps de concentration dépour­vus de chambres à gaz, les hommes à Buchenwald, les femmes et les enfants à Ravensbrück[370]. Internés, ils y ont subi les ravages de la mort concentra­tionnaire. Elle a frappé 47,2 % d'entre eux. De cette déportation qui a été raciale, mais qui n'aboutissait pas aux chambres à gaz d'Auschwitz, 52,2 % ont survécu[371]

Les déportés raciaux, qui en avaient été, quant à eux,  détournés pour les besoins de l'économie de guerre à leur arrivée à Auschwitz ou en­core à l'arrêt de Kozel, n'ont pas survécu dans la même proportion. Les 1.205 "rescapés" de 1945 représentent 13,15 % des 9.157 déportés ayant échappé aux chambres à gaz à leur arrivée à destination. 8.299 avaient été immatriculés à Auschwitz et 858 au plus étaient descendus à Kozel. Leur mortalité est particulièrement élevée. Les con­centrationnaires juifs du camp de femmes de Ravensbrück ou du camp des hommes de Buchenwald n'ont pas été aussi éprouvés. La différence n'implique pas que le "KonzentrationsLa­ger Aus­chwitz" et les commandos de travail de Haute-Silésie aient constitué un complexe d'un autre type dans le système con­centrationnaire. C'est, pour une large part, la durée de la captivité qui rend compte des variations du taux de mortalité. La plupart des immatriculés d'Auschwitz - 4.591 sur 8.299 - et tous les "Kozéliens" - 858 - avaient été déportés en 1942. Ces vétérans de la déportation raciale sont seulement au nombre de 255 parmi les rescapés de 1945. Leur taux de survie n'atteint même pas les 5 %, très exactement 4,6 %. Par contre, chez les immatriculés arrivés de 1943/1944, il s'élève à 25,6 % avec 950 survivants sur 3.708 déportés enregistrés à Auschwitz. Les conditions catastrophiques de l'évacuation, en particulier les "marches de la mort" de janvier 1945 ont certes pesé gravement sur le bilan macabre de la déportation raciale, mais elles ne suffisent pas à ex­pliquer ces variations du taux de mortalité des "Belges" selon la durée de leur internement  dans les camps de la mort du complexe concentrationnaire d'Auschwitz. 

Cette statistique "concentrationaire" ne concerne toutefois pas le génocide juif. Elle ne s'applique à la masse des déportés raciaux acheminés à Auschwitz. A s'en tenir aux 21 convois "belges" qui ne sont pas arrêtés à Kosel, 61,5 % de l'effectif dirigé sur ce "camp de l'extermination" n'ont pas été immatriculés dans les régistres du "KonzentrationsLager Auschwitz". Sur les 19.232 personnes, hommes, femmes et enfants présents dans ces transports, 7.403 seulement ont été repris dans la comptabilité concentra­tionnaire. Des 11.829 qui n'ont pas été reconnues aptes au travail, aucune n'est re­venue[372]. Le retour toujours exceptionnel est le rare privilège des déportés admis à entrer à Auschwitz. La dernière trace que l'histoire conserve des autres personnes déportées est leur identité sur la transport­list du camp de départ. Toute la singularité du génocide juif réside dans cette disparition des déportés parvenus à leur destination: sortis de l'histoire à Auschwitz, ils sont comptés comme autant de "pertes" au der­nier cacul du bilan de la solution finale.

Le génocide, phénomène statistique, se mesure dans les comptes néga­tifs de la démographie de la guerre. Il n'y relève pas du témoignage, qu'il soit d'après guerre ou d'époque. Les 21 convois dont l'analyse statistique chiffre la singularité du génocide n'ont laissé dans les archives aucun té­moignage relatif à la disparition de leurs déportés. Le VIIIè convoi "belge", arrivé à Auschwitz le jour où, dans son journal, le médecin SS Jo­hann-Paul Kremer date sa participation à une "action spéciale" n'appartient pas à la série. L'incertitude sur le nombre d'hommes âgés de 15 à 50 ans effectivement descendus des 6 autres convois juifs à l'arrêt de Kosel[373]  en­tâcherait la rigueur mathématique du calcul. Le chiffre de 11.829 disparus à l'arrivée est un fait attesté d'une évidence flagrante dans le cas des 21 convois qui n'ont pas laissé descendre les déportés avant Auschwitz. Fixer ce nombre à 16.100 au plus pour l'ensemble de la déportation raciale de Belgique[374] est une manière d'estimer l'ampleur de l'extermination. L'estimation est certes fort proche de la réalité, elle la cerne avec plus de rigueur que le bilan global de la déportation vers Auschwitz où la mort concentrationnaire occulte la spécifité du génocide juif, mais elle conserve une zone d'ombre.

A cet égard, la valeur documentaire des notes du SS Johan Paul Kre­mer est fort médiocre: le témoignage oculaire d'époque ne vient nullement corriger l'évaluation du nombre de personnes subissant le "traitement spé­cial" d'Auschwitz. Ce qui fait sa valeur documentaire, c'est de dater cette disparition du jour de l'arrivée. Avec sa chronologie des "actions spé­ciales", l'officier SS  témoignait d'une histoire dont, acteur parmi d'autres, il ne connaissait qu'une dimension, celle précisé­ment où il in­tervenait dans le rôle dont ses notes quoti­diennes conservent la trace. Elles sont, pour les déportés disparus dès leur arrivée au camp d'extermination autant d'actes de déces collectifs. Avec la documentation relative à la solution finale dans les pays d'où ils provenaient, ces notes d'Auschwitz au quotidien viennent inscrire leur mort sur cette page d'histoire dont on prétendait déjà au temps des SS, qu'elle ne serait jamais écrite.
  

Conclusion
   
Une 'Page" d'histoire "jamais écrite"?

Par un paradoxe sur lequel il faut s'interroger pour conclure, il n'a pratiquement pas été question de ces Juifs d'Europe occidentale dispa­rus au cours des "actions spéciales" du médecin SS d'Auschwitz, lors de la polémique sur l'inexistence des chambres à gaz. L'"explication personnelle mais tout à fait gratuite" de Faurisson - pour reprendre les termes des ma­gistrats de Paris en 1983 - a fait la notoriété du document Kremer. Le pu­blic en a saisi la portée, mais il a ignoré sa signification historique. Il ne l'a pas découvert comme la source documentaire obligée d'un événement qui pour­tant concernait directement l'histoire de l'occupation nazie à l'Ouest de l'Europe. Le fait très réel et nullement négligeable du massacre de quelque 7.000 personnes arrivées justement de France, de Belgique et des Pays­Bas lui a échappé!. Qu'est-ce à dire, sinon que la référence au docu­ment d'histoire dans cette controverse n'avait pas pour objet d'y lire le fait historique?

Les chimères de la négation "révisionniste" n'appelaient pas un débat sur le génocide, mais sur sa représentation dans la conscience contempo­raine. C'est très significativement que la "révision" des notes person­nelles de l'officier SS s'est attaquée à l'image d'Auschwitz qu'elles lais­saient au lecteur des années quatre-vingts. Tout aussi significativement, l'at­tention s'est focalisée, face à la tentative de la dénaturer, sur l'horreur du camp d'extermination dont le journal du mé­decin SS d'Auschwitz conservait la trace. Ces confidences sur "le comble de l'horreur" et ses "scènes épouvantables" avaient été, on l'a vu, bridées par le secret de ri­gueur. Dans leur retenue, elles n'avaient pas décrit toute l'horreur de "l'ex­termination" et, assurément, elles n'en ont pas dit autant que le lec­teur appelé à se prononcer sur la perversion de leur sens. Lui, il a été enclin à y lire plus qu'elles ne rappor­taient. L'officier SS, on s'en sou­vient, s'était trompé dans le compte de ses "actions spéciales". Quarante ans après, les magistrats de Paris se trompaient dans leur lecture. Elles ne sont précisément pas "mentionnées à quinze reprises avec hor­reur dans le journal du médecin Kremer". L'erreur porte cette fois sur l'horreur et elle est tout aussi instructive. La Cour d'appel, confirmant la condamnation de Faurisson en première instance pour manquement aux devoirs de l'objectivité et de l'imparialité intellectuelle, n'intervenait pas dans un débat d'histoire. L'arrêt de 1983 a eu soin de reconnaître l'in­compétence des tribunaux en cette matière. En l'occurrence, l'institution judiciaire s'est prononçée - ce sont ses termes - sur des "assertions d'ordre général qui ne présentent plus aucun caractère scientifique et relèvent de la pure polémi­que". Les magistrats visaient les allégations injurieuses de Faurisson sur le "mensonge historique". Très exactement, ils lui reprochaient d'être "sorti du domaine de la recherche historique". 

Le tribunal avait élevé ses deux articles dans Le Monde et un Mémoire en défense au rang "des travaux historiques que les chercheurs soumettent au public". Les "historiens à contro­verse" - le mot est de Paul Veyne - n'ont eu pas cette in­dulgence. Monté au créneau, son collègue Pierre Vidal-Naquet récusant une discussion "impossible" s'est employé, en guise de "ré­ponse", à "démonter pièce à pièce les arguments pour en démasquer le faux-semblant"[375]. La prétention scientifique de cette "révision" de l'histoire n'était le moins abusif de sa panoplie. "Sa perfidie est précisément", ex­pliquait l'histo­rien, "d'apparaître pour ce qu'elle n'est pas, un effort pour écrire et penser l'histoire". "Ce faisant", renchérit Nadine Fresco, on cherche à "bénéficier par amalgame des qualités de sérieux et de respec­tabilité intellectuelle attachée à la no­tion d'école historique"[376]. En de­hors de l'Hexagone, la "peine" que s'y sont donnée Faurisson et ses adeptes de la prétendue "école révisionniste" pour faire valoir "le sérieux de leur travail" a été observée sans la passion qui caractérise le débat d'idées en France. Dans cette distanciation, l'examen n'a pas été moins inflexible. La méthode d'investigation mise en oeuvre dans les "écrits révisionnistes" a suffi à les dis­qualifier. "Il est clair", constatent deux historiens con­temporanéistes de l'Université de Gand dans leur enquête sur Les chambres à gaz disparues, "qu'on ne doit guère attacher de valeur scientifique au ré­visionnisme"[377]. Sa "méthode favorite" consiste à "s'attaquer à un document isolé, donc détaché de son contexte, et à le jeter au panier sur base de contra­dictions réelles ou supposées". En revanche, notent Bart Brinckmann et Bruno de Wever non sans quelque irritation, "les autres documents "acca­blants" laissent ces pédants muets comme une carpe". Les auteurs "révision­nistes" n'ont pas eu meil­leure presse auprès de Jean Stengers: ils "écri­vent une his­toire exécrable"[378] et "fausse"[379]. Ce professeur d'histoire con­temporaine à l'Université libre de Bruxelles a voulu examiner avec sérénité la "valeurs des arguments eux-mêmes, quelle que soit la qualification des hommes qui les présen­tent". Ils n'ont pas résisté à l'épreuve. L'examen a révélé, dans leurs écrits, l'"oubli systématique du contexte et des élé­ments écrasants présents dans le contexte", les "interprétations inte­nables, confinant parfois à l'absurde, de certains té­moignages" et, enfin, les "erreurs fondamentales de raison­nement"[380]. Avec sa lecture du journal de Kremer, Faurisson présente "l'exemple le plus remarquable" d'une interpré­tation "absolument intenable". C'est "une interprétation proprement déli­rante", ajoute J. Stengers[381]. L'historien belge ne retient pas les accusa­tions de malhonnêteté et de falsification dont Faurisson a été l'objet. Son "cas" est "psychologique": "il appartient", écrit Stenger, "à la catégorie des savants fous"[382]. Selon son "diagnostic personnel, la fêlure se manifeste par deux traits: d'une part, par un délire inter­prétatif et d'autre part, par une forme de folie obsession­nelle, c'est-à-dire d'idée fixe"[383]

En France aussi, Paul Veyne a parlé d'un "délire d'inter­prétation systématisé" chez Faurisson, mais le professeur au Collège de France ne l'exonère pas, comme le professeur belge, de l'accusation de malhonnêteté intellectuelle[384]. Veyne n'a que mépris pour ses "opérations qui dans le jargon des historiens à controverse s'appelaient falsification de la vérité histo­rique"[385]. Mais l'auteur des  Grecs ont­-ils cru à leurs mythes?  ne lui accorde pas le titre de "faussaire". Veyne y explique que le "faussaire" est l'"homme qui s'est trompé de siècle" et qui "suit des méthodes qui ne sont plus au programme". Fau­risson ne relèverait pas de cette catégorie. "Le paradoxe du faussaire passe très au-dessus de sa tête", estime l'historien français. Avec son "doute hyperbolique", il serait tout au plus un "personnage dont il vaut mieux rire que pleurer"[386]. Dans la controverse qu'il a provoquée, son "seul tort" aurait été "de s'être placé sur le ter­rain de ses adversaires". Il "relevait", note Veyne, "de la vérité mythique plutôt que de la vérité historique", mais il a laissé croire à ses "lec­teurs" qu'ils étaient avec "son livre" sur le "même programme qu'avec les autres livres sur Auschwitz". En somme, avec son "doute hyperbolique à sens unique", Faurisson "voulait avoir raison contre ses adversaires et comme eux". "C'était donner le bâton pour se faire battre", note Veyne.

Son essai sur les Grecs et leurs Mythes, réflexion sur l'histoire et ses historiens, pose le principe que "la dis­cussion des faits se passe tou­jours à l'intérieur d'un programme". "Il est clair", écrit-il, "que l'existence ou la non-existence de Thésée et des chambres à gaz en un point de l'espace et du temps a une réalité matérielle qui ne doit rien à notre imagination. Mais cette réalité ou irréalité est aperçue ou méconnue, est interprétée d'une manière ou d'une autre, selon le programme en vigueur; elle ne s'impose pas d'elle-même, les choses ne nous sautent pas aux yeux". En un mot, "la matérialité des chambres à gaz n'entraîne pas la connais­sance qu'on peut en avoir". Sa saisie serait, selon Veyne, tributaire du programme de vérité, "car", à son point de vue, "le matter of facts n'est connaissable que dans une interprétation"[387].

Le cas Faurisson infirmerait plutôt cette épistémologie. Son "scep­ticisme" n'a en aucune manière fonctionné "à vide" dans la "révision" des archives nazies relatives aux "travaux urgents" du printemps 1943 à Ausch­witz. Le spécialiste uni­versitaire de la critique de textes littéraires avait bel et bien un "programme de vérité" en s'attaquant aux sources his­toriques du génocide juif. Il lui interdisait précisément d'appréhender "la matérialité des chambres à gaz" à travers ses traces écrites[388]. Elles s'imposent à tout historien, quelle que soit par ailleurs son interpréta­tion des faits et sa grille de lecture de l'histoire. Elles ne s'imposaient pas à un Faurisson déterminé à proclamer la "bonne nouvelle" de "l'inexistence des chambres à gaz". Les "gaskamer" et "ver­gasungskeller" du texte nazi cessent d'être lisibles dès lors qu'il s'agit à tout prix de nier les exterminations d'Aus­chwitz. Tout autant son Mémoire en défense contre ceux qui (l') accusent de falsifier l'histoire s'est évertué à ne pas lire "le camp de l'extermination" dans le journal de Kremer. Il ne par­vient pas plus à lire, chez Himmler "la grave déci­sion de faire disparaître ce peuple de la terre". Reprenant à son compte la thématique de la belligé­rance juive, Faurisson s'acharne à réduire les massacres du texte nazi à une "guerre des partisans". "Une guerre", écrit-il, "menée aussi sauva­gement de part et d'autre" et, dans ce discours bel et bien idéologique sur l'histoire, le "révisionnisme" use de l'alibi de "maintes pages" des Dis­cours "dits"(sic) secrets du chef des SS[389]. Les "faurissonnades"[390] sur l'inexistence du génocide juif ne s'expliquent jamais sur leur connivence, sinon leur concordance et à tout le moins leur coïncidence avec cette fa­meuse "page" du discours himmlérien "qui n'a jamais été écrite et ne le sera jamais"[391]. Cette singulière rencontre de l'écrit "révisionniste" avec le "camouflage" de la vérité que pratiquaient les services SS au temps de "l'extermination" appelle pourtant une mise au point.

La question a été posée à Faurisson. La revue italienne Storia illustrata lui a demandé, en 1979, s'il était conscient que ses "affirmations aussi tranchantes qu'incroyables" pou­vaient "contribuer ainsi à une espèce de "réhabilitation" du nazisme"[392]. Se posant en chercheur indépendant, il s'est dé­claré animé du seul "souci de réhabiliter ou de rétablir" la seule "vérité" et d'oeuvrer à une "histoire véridique de la Seconde Guerre Mon­diale". Cette contribution annoncée ne s'est pas concrétisée. Le seul texte qui ait l'apparence d'un récit historique est resté le Mémoire en défense où il lui a fallu décrire sur 50 pages le professeur de médecine Johann Paul Kremer devant les horreurs du typhus à Auschwitz en septembre-octobre 1942. Si personne ne s'était penché aussi longuement sur cette pièce d'archives, "l'apport" de sa relecture "à nos connaissances se place au ni­veau de la correction, dans un long texte, de quelques coquilles"[393]. Fau­risson, on l'a vu, illustre jusqu'à la caricature cette appréciation de Vi­dal-Naquet sur la littérature "révisionniste". Dans son cas, la traque ty­pographique s'attaque au moindre espace - ici, l'omission d'un article, là des points de suspension - pourvu qu'il se prête à insinuer le scepticisme et préserve, de la sorte, le "camouflage" de la vérité en usage à l'époque des faits. Pourtant, à l'entendre, le temps d'"os(er) la pro­clamer" serait enfin advenue en 1978[394]. La "bonne nouvelle" est d'abord parue dans la re­vue d'extrême-droite, La Défense de l'Occident. Les lecteurs du Monde n'ont pas eu la primeur du problème des "chambres à gaz". Ils ne furent les pre­miers à apprendre que "le nazisme est mort et bien mort avec son Führer"[395]. Le professeur d'université - esprit libre - aurait volontiers approuvé l'"ancien nazi" qui, ajoutait-il en 1979, serait venu lui "dire que les prétendues "chambre à gaz" et le prétendu "génocide" des Juifs forment un seul et même mensonge historique". "Cela n'irait pas plus loin", disait ce chercheur indépendant[396]!

Cela a été bien plus loin! Une telle rencontre marque "le début de (cette) épidémie culturelle, nourrie de mensonges, de faux semblants qui a profité de l'impact des médias, des ré­actions adverses inadéquates et d'une sensibilité à fleur de peau de la mémoire juive"[397]. Dressant le diagnostic du Syndrome de Vichy en 1987, Henri Rousso situe "l'enchaînement diabo­lique" à la publication dans L'Express de l'interview de l'ancien Commis­saire Général aux Questions Juives du Maréchal Pétain. Louis Darquier dit de Pellepoix, réfugié en Espagne, y déclarait qu'"à Auschwitz, on n'a gazé que des poux"[398]. L'ancien nazi français y présentait le génocide comme "une invention pure et simple, une invention juive". Quatre jours après, le 1er novembre 1978, Faurisson espérait, dans une lettre au journal Le Matin, que ces "propos (...) améneront enfin le grand public à découvrir que les pré­tendus massacres en "chambres à gaz" et le prétendu "génocide" sont un seul et même mensonge"[399]. Cette découverte ravit des nazis nullement anciens. Ils vinrent dire leur admiration au providentiel "professeur" qui "peut dé­monter tous les mensonges"[400]. A les écouter, il leur avait fallu "attendre un Français, le pro­fesseur Faurisson pour apprendre ce que les Allemands n'ont pas fait". Au retour d'une visite au prophète du nouvel évangile, la cheville-ouvrière d'un groupuscule hollandais s'extasiait sur sa vertu re­trouvée[401]. "Pourquoi", s'étonne-t-elle avec une feinte ingénuité en 1987, "moi et les autres nationaux-socialistes, nous devrions encore éprouver mainte­nant un sentiment de culpabilité"? Son camarade de parti, plus jeune, est le chef d'une milice paramilitaire d'extrême-droite flamande[402]. Il avait été membre des Jeunesses hitlériennes de Flandre, à l'époque du géno­cide juif. Bien sûr, lui aussi, il ne croit évidemment "pas à ce mythe". L'homme n'a pas répudié le nazisme. Hitler est plus que jamais un prophète de son temps. Les révisionnismes aidant, il acceptait désormais de s'en re­vendiquer ouvertement et publiquement, quoique dans une version angélique. Les camps nazis? Mais, réplique le nazi nostalgique à l'objection du jour­naliste qui l'interviewait, "le judaïsme inter­national a déclaré la guerre à l'Allemagne nationale-socialiste en l934. Il est tout de même normal qu'Hitler ait enfermé les opposants dans des camps pour les neutraliser"!  Et l'admiratrice néerlandaise de Faurisson se référant au "professeur" d'expliquer au journaliste stupéfait qu'"il y a bien eu des Juifs qui ont été enfermés, mais pas tués. Hitler ne pouvait rien faire d'autre : les Juifs lui avaient déclaré la guerre".

"Il y a eu beaucoup de morts", préféra dire peu après le président du Front National en France, "des centaines de mil­liers, peut-être des mil­lions de morts, juifs et aussi de gens qui n'étaient pas juifs"[403]. Dans ce crescendo de confusion, Jean-Marie Le Pen, crédité alors d'une audience électorale de 10 à 12 %, tentait de rattraper le faux-pas qu'il venait de commettre. Invité à l'émission télévisée le Grand Jury-Le Monde-RTL, il avait été provoqué, ce 13 septembre 1987, à s'expliquer sur les "thèses des historiens révisionnistes". Les bouleversantes images du procès de l'ancien chef de la gestapo de Lyon étaient encore dans les mémoires. Evénément mé­diatique, le procès K. Barbie  avait, au printemps, rappelé les horreurs du nazisme, une leçon d'histoire qui s'avérait, aux dires du procureur général Pierre Truche, "nécessaire pour empêcher qu'on essaie de falsifier l'Histoire, en niant, com­me certains, l'existence des chambres à gaz, comme s'il s'agissait de pouvoir de la sorte, faire retenir l'idée d'une doctrine nazie acceptable, présentable"[404]. Interrogé sur cette négation, Le Pen ra­valait la question à un "point de détail de l'histoire de la deuxième guerre mondiale". Il ne disait "pas que les chambres à gaz n'ont pas existé". Il n'avait "pas pu (lui)-même en voir" et, avec ce gros bon sens, il se posait "un certain nombre de questions". Lui, Le Pen, il n'avait "pas étudié spécialement la question". Mais, "il y a", prétendait le chef de l'opposition nationale en France, "des historiens qui débattent de ces questions"[405]. L'originalité française de l'idéologie "révisionniste" tient dans cette référence aux spécialistes. Un Faurisson, dont les amitiés à l'extrême-droite étaient peu visibles, a pu, en sa qualité de chargé de cours dans une université, faire accroire qu'il ne s'agissait pas d'une en­treprise idéologique[406].

Le scandale du "point de détail" dans la France en proie à la pous­sée d'extrême-droite a levé cette ambiguïté. Il a aussi permis d'évaluer la réceptivité du public aux "thèses des" prétendus "historiens révision­nistes" grâce à un sondage Sofres, réalisé un mois après l'émission du Grand Jury RTL-Le Monde. Neuf ans après l'affaire Faurisson, l'avancée du "ré­visionnisme" dans la mémoire historique des Français restait médiocre. A peine deux ou trois sur cent ne pensaient pas ou doutaient que les nazis les aient utilisées[407]. L'impact des assassins de la mémoire[408] n'avait pas une "ampleur" aussi "inquiétante" que leur entreprise. Vidal-Naquet avait exprimé cette préoccupation, un mois avant le "point de détail", dans le recueil de ses analyses du phénomène "révisionniste". Dès son Eichmann de papier, il avait averti qu'il "concerne, pour l'essentiel, non l'histoire de la guerre 1939-1945, mais l'é­tude des mentalités contemporaines"[409]. La percée médiatique d'un Faurisson "dans notre société de représentation et de spectacle" lui était apparue comme "une tentative d'extermi­nation sur le papier qui relaie l'extermination réelle". A la différence d'un Eichmann, "Faurisson n'a(vait) pas de trains à sa disposition, mais il a(vait) des papiers"[410]. Dans ces écrits contre la mémoire, remarquait Vidal-Naquet, "on res­suscite des morts pour mieux atteindre les vivants". Observant au fil des ans le parcours du ressentiment de ces redresseurs des morts, Nadine Fresco souligne, en 1988, combien leur entreprise s'attaque à une "va­riante" du problème qui s'était posé aux nazis pendant la solution finale: dans leur cas, il s'agit, en effet, de "se débarrasser de ces millions de juifs morts qui continuent d'encombrer la conscience occidentale" et de "le faire assez bruyamment pour que la publicité donnée à l'entreprise pallie son insuffisance en effectifs"[411].

Phénomène marginal, cette négation obstinée des exter­minations d'Auschwitz renseigne, dans sa forme paradoxale, sur leur prégnance dans la conscience contemporaine, "tant il est vrai", comme le note Nadine Fresco, "que les divers mécanismes par lesquels individus et groupes manifestent leur refus du poids et de l'empreinte d'un événement sont aussi une preuve supplémentaire de cette em­preinte et de ce poids"[412]. A cet égard, le "révi­sionnisme" est, quelle que soit l'idéologie qui l'articule, l'expression caricaturale de la mémoire d'une époque. L'historien des mentalités étu­diant "l'empreinte laissée par le génocide des juifs sur le monde occiden­tal durant la deuxième moitié du XXème siècle"[413] reconnaîtra dans l'hérésie "révisionniste" la fille de cette "religion (...) de l'"Holocauste" des Juifs". Dans son obsession, un Faurisson la dénonce[414]. Et si l'Allemand Stä­glich a pu écrire, à la fin des années septante, contre Le Mythe d'Auschwitz, c'est qu'ef­fectivement, l'imaginaire collectif de son temps s'est forgé une représentation mythique des horreurs nazies.

Ces distorsions de la conscience historique ne surprennent pas l'historien du génocide juif. Il les a déjà rencontrés dans l'événement. Elles invitent même à concevoir "une histoire du crime nazi" qui intégre­rait "la ou plutôt les mémoires" et rendrait compte de ses "transforma­tions". "Entre la mémoire et l'histoire, il peut y avoir tension, voire op­position", avertit Vidal-Naquet dans Les assassins de la mémoire[415]. En tant qu'écriture, l'histoire procède systémati­quement à cette confrontation cri­tique. C'est ce qui explique que "dans le cas de l'extermination, les rapports entre l'historien et le non-historien ne sont apparemment guère fa­ciles à orchestrer". Olivier Mongin, qui, lui, n'est évidemment pas historien a bien voulu le reconnaître[416]. Le philosophe n'écrit pas l'histoire avec son discours sur "l'apocalypse d'Auschwitz"[417]. Il prétend en dire l'essence, encore qu'il ne cesse de s'interroger, depuis Théodore Adorno, sur la possibilité de "penser après Auschwitz"[418]. Le théolo­gien lui dispute le territoire de "l'holocauste comme châtiment et comme signe", mais, lui aussi, il s'y perd car le "sens théologique" de l'événement serait plutôt dans son "nonsens" et dans le "silence de Dieu". Plus prosaïque, le sio­nisme y a lu une légitimation d'Israël puisqu'une Europe immanquablement hostile aux Juifs les aurait laissés sans défense face à la guerre d'extermination que leur livrait Hitler. Si riche d'images, l'holocauste a aussi produit, dans ce siècle de spectacle, sa caricature hollywoodienne: Marvin Chomski n'a pas intitulé autrement ce feuilleton télévisé d'un "gé­nocide à l'eau de rose"[419] qui, de droit, s'achève sur le départ du seul rescapé de la famille Weiss vers la terre promise. L'événement médiatique bouleversa, en 1978, le public allemand déjà en proie aux traumatismes de ce "passé qui ne veut pas passer" et que d'aucuns, y compris des histo­riens, s'emploient à banaliser pour des raisons idéologiques[420]. L'onde de choc de Holocauste atteignit l'année suivante, la France aux prises, quant à elle, avec le Syndrome de Vichy. L'effet, comme un retour de manivelle, fit le lit de la fièvre "révisionniste": la "démarche négationniste" jouait à mer­veille sur les failles d'un mode de représentation de l'histoire"[421].

Le terme de "holocauste" consacre, on ne peut mieux, les dérapages de l'imaginaire. Les historiens - ils n'échappent pas aux pressions de leur temps - ont trop longtemps donné leur caution à une représentation aussi aberrante du génocide juif. Ces millions de cadavres n'ont pas été brûlés pour sanctifier le nom de quelque dieu que ce soit! La relève de "shoah" ne nomme pas mieux la chose. On se refuse absolument à traduire le terme hé­braïque comme si l'interprétation du génocide juif en termes d'histoire de l'Allemagne nazie et des sociétés soumises à sa domination altérait sa sin­gularité. Pour  préserver sa spécifité de toute confusion avec les autres génocides, le mot se complaît à la banaliser dans la durée millénaire. Il inscrit la déportation babylonienne au départ de la "solution finale" et la destruction du temple antique dans la perspective "catastrophique" de l'extermina­tion des déportés ! "Auschwitz" ne fixe pas mieux la chose dans la mémoire des atrocités nazies. La position centrale du symbole dans la conscience contemporaine est relativement récente. La mémoire historique de l'après 1945 avait retenu l'image - très réelle - que les correspondants de guerre alliés avaient saisie à Buchenwald, Bergen-Belsen ou Dachau, lors de la libération des camps nazis. L'image symbolique d'Auschwitz n'a prévalu qu'au tournant des années soixante. En ce temps où Eichmann venait d'être jugé à Jérusalem, ce fut le procès de Francfort qui institua cette repré­sentation. Son ambiguïté se marqua d'emblée, en 1965, dans L'instruction de Peter Weiss. Le dramaturge conçut son oratorio à partir des minutes du pro­cès de Francfort toujours en cours[422]. Construit sur le modèle de cet "enfer de Dante" que le journal du témoin Kremer y avait évoqué, le document-théâtre gomma dans la représentation d'Auschwitz l'identité juive des vic­times. Le discours sur le totalitarisme inscrit au programme de ce temps les voulait anonymes pour consacrer l'universelle banalité du mal[423].

L'ambiguïté ne procédait pas seulement du regard de l'époque sur le système concentrationnaire. Auschwitz y a été effectivement un camp de la mort parmi d'autres. Sa spécifi­cité dans l'extermination se situait - pour reprendre le témoignage de Kremer - à l'"extérieur", là où arrivaient les contingents juifs destinés aux installations "spéciales" du camp. Au col­loque de 1982 sur L'Allemagne nazie et le génocide juif, Vidal-Naquet s'est à bon droit interrogé sur la perti­nence du symbole d'Auschwitz. "Le lieu de la négativité ab­solue", estime-t-il - encore qu'il doute qu'un tel concept ait un sens pour l'historien -, "ce serait plutôt Treblinka ou Belzec". Avec la ronde infernale de ses camions à gaz, Chelmno conviendrait mieux: le château du Wartheland où les victimes entraient pour se déshabiller évoque tout à la fois l'exter­mination des convois dans les camps de la so­lution finale et les massacres perpétrés à la sortie des villes et villages de l'Est soviétique occupé.

Cette géographie historique du génocide juif ne se laisse pas saisir en une seule représentation. Les images masquent toujours l'une ou l'autre dimension de l'événement et l'ima­ginaire, avide de clichés aux légendes simples, s'embarrasse moins encore de ces détails qui font la complexité de l'histoire. Dans la mémoire collective, Auschwitz capitalise tout génocide. "Ici", dit la plaque commémorative qui y est apposée, "de 1940 à 1945, 4 millions d'hommes, de femmes et d'enfants ont été torturés et assassinés par les génocides hitlériens". Avec ses archives, l'historien, lui, y dé­nombre  seulement quelques centaines de milliers de morts, juifs ou non, d'un des plus grands camps du système concentrationnaire nazi et guère plus d'un million victimes de l'extermination des convois juifs à leur arrivée[424]. L'histoire - à moins de se vouloir apologétique ou, à l'inverse, réquisitoriale - est toujours iconoclaste. Les images de la mémoire se bri­sent dans ce retour critique aux sources d'époque. En revanche, la conscience historique y gagne une meilleure connaissance des faits qui pré­serve la mémoire des manipulations idéologiques du temps présent.

Une pièce comme le journal du médecin SS d'Auschwitz méritait ce travail de tâcheron. Le document n'avait pas seulement été l'objet de la perversion "révisionniste". Il n'avait surtout pas livré tout son témoignage sur le massacre des Juifs d'Europe occidentale, à leur arrivée au camp d'extermination..
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[1]   Discours d'Himmler aux généraux SS à Posen, le 4 octobre 1943, d'après F.BAYLE, Psychologie et ethique du national-socialisme, P.U.F.,Paris, 1953, pp.438-439
[2]   Doc.Nuremberg NO 316O, Le chef de la police de sécurité et du service de sécurité, compte rendu des événements URSS n°124, Berlin, le 25 octobre 1941, p.2 et p.6. Autre traduction dans H. MON­NERAY,La per­sécution des Juifs dans les pays de l'Est, présentée au procès de Nu­remberg, Paris, 1949, pp.299-300.
[3]   Doc. Nuremberg URSS-57, rapport du Groupe d'action A pour la période du 1O octobre 1941 au 31 janvier 1942, Ibidem, p. 51
[4]   Himmler devant les Reichsleiter et les Gauleiter, à Posen, le 6.1O.1943 dans H. HIMMLER, Discours se­crets, Paris, 1978, p.167-168
[5]   Voir le journal de Kremer, dans Auschwitz vu par les SS, Hösz, Kremer, Broad, Musée d'Etat, Oswiecim, 1974. (cité dé­sormais Journal de Kremer)
[6]   R. FAURISSON, Mémoire en défense contre ceux qui m'ac­cu­sent de falsi­fier l'his­toire, Paris, 1980, p.229
[7]   Voir Le Monde, 29 décembre 1978.
[8]   Le Monde, 16 février 1979.
[9]   Le Monde, 21 février 1979
[10] Le 17 décembre 1980 sur les ondes d'Europe n°1, Faurisson avait déclaré que "les prétendues chambres à gaz hitlériennes et le prétendu génocide forment un seul et même mensonge historique qui a permis une gigantesque escroquerie politico-financière dont les principaux bénéficiaires sont l'Etat d'Israël et le sionisme international et les principales victimes le peuple allemand - non ses dirigeants - et le peuple palestinien tout entier".  Propos qui lui valurent d'être condamné, devant la 17 ème chambre correctionnelle de Paris pour provocation à la discrimination, à la diffamation, à la haine et à la violence raciales. Cette déclaration déter­mina aussi le verdict de la Cour d'appel de Paris. Faurisson s'y était pourvu contre le tribunal civil qui l'avait condamné pour manquements aux devoirs de l'objectivité et de l'impartialité intel­lectuelles. Pour le juge d'appel aussi, "Faurisson se prévaut abusivement de son travail critique pour tenter de justifier sous son couvert, mais en dépassant largement son objet, des assertions d'ordre général qui ne présentent plus aucun c­ractère scientifique. Il est délibérément sorti de la recherche historique et a franchi un pas que rien, dans ses tr­vaux antérieurs n'autorisait (...)". (Voir sur l'affaire Fau­risson entre autres, S.KALISZ, Le révisionnisme ou la négation des chambres à gaz, étude du phénomène et de son impact médiatique, mémoire de licence en journalisme, Université Libre de Bruxelles, 1986-1987)
[11]  Le nouvel ordre juif. Ce que les Juifs exigent pour eux-mêmes, dans Stür­mer, 4 novembre 1943.
[12] Voir l'analyse de la "fonctionalisation d'un antisémitisme ca­ricatural" dans l'affaire Fauris­son, par I.HA­LEVI, Hy­po­cri­sies: du bon usage du révi­sionnisme, dans Revue d'études pa­lestiennes, n°26, Hi­ver 1988, pp.9-11.(Ilan Halevi, d'origine juive, est le représen­tant de l'O.L.P. auprès de l'In­ter­na­tionale so­cialiste).
[13] N. FRESCO, Les redresseurs de morts, comment on revise l'histoire, dans Les Temps Modernes, n° 4O7, juin 198O, p. 2182.
[14] voir P. VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, "Un Eichmann de pa­pier" et autres essais sur le révisionnisme, Paris, 1987, p. 73
[15] R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet, deuxième édition, augmentée, Pa­ris, 1982.
[16] "Les tribunaux", explique le juge d'appel, "ne sont ni compétents, ni qua­lifiés pour porter un jugement sur la valeur des travaux historiques que les cher­cheurs soumettent au public et pour trancher les controverses ou les contestations que ces mêmes travaux manquent rarement de susci­ter".
[17] Voir l'exploitation "révisionniste" du jugement de la Cour d'appel de Pa­ris par P.GUILLAUME, A ce dont l'esprit se con­ten­te on mesure l'ampleur de sa perte, dans Annales d'histoire révisionniste, n°2, été 1987, p.155; voir aussi la lecture du jugement et la discus­sion du point de "révi­sionniste" à ce su­jet dans G.WELLERS, Qui est Robert Fau­ris­son?, dans Le Monde juif,n° 127, juillet-septembre 1987, p.­96.
[18] L'erreur de la Cour d'appel est significative. Elle sera prises en compte dans les conclusions.
[19] S. KLARSFELD, Mémorial de la déportation des Juifs de France, Pa­ris, 1978, non paginé.
[20] L. DE JONG, Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede We­reldoorlog, Ge­vangenen en gedeporteerden, s'Gravenhage, 1978,  tome 8, vol.2
[21] M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, 1942-1944, Edi­tions Vie Ou­vrière, Bruxelles, l987, t III, vol I, p.247.
[22] Doc. CDJC XXVb-87, IV-J, Paris, le 2O.7.1942, concerne: Voyage en zone non-occupée - inspection des camps juifs, signé: Dannecker, capitaine SS, pu­blié dans S. KLARSFELD, Deutsche Dokumente 1941- 1944, Die End­lösung der Ju­denfrage in Frankreich, herausgegeben von Serge Klars­feld, Pa­ris, 1977, p. 95. Voir aussi doc CDJC XXV b-2O, IV J. Paris, le 13 mai l942, concerne: af­fectation du matériel ferroviaire pour les transports de Juifs, signé: Danne­cker, capi­taine SS, ibidem, p. 56.
[23] Major Guenther, Berlin, le 29.4.33 au  commandant de la SIPO et SD pour le territoire néerlandais occupé, Major Zoepf, La Haye, au commandant de la SIPO et SD, Colonel Dr. Knochen, Paris, au Délégué du Chef de la SIPO et SD Major SS Ehlers, Bruxelles, concerne: évacuation des Juifs, dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, The Beate Klarsfeld Foundation, New-York-Paris,(1980) p.64.
[24] Journal de Kremer, p. 231.
[25] Ibidem, p. 228.
[26] Ibidem, p.226.
[27] Ibidem, p. 230.
[28] Ibidem, p. 231.
[28b]Sur les quinze "actions speciales", le journam mentionne cinq fois la provenance des personnes. Dans quatre cas, il s'agit de déportés arrivés à Auschwitz. Dans deux cas (y compris l'action double du 7 octobre), des détenues du camp des femmes. L'identification historique des quinze "actions spéciales" rélève qu'une sule à peine ne vise ps des arrivants au camps.
[29] R. Faurisson traduit "draussen" par "dehors", et non "à l'ex­térieur". Et, dans cette lecture immédiate, il se com­plaît à insi­nuer qu'"historiens et ma­gistrats suppriment tra­di­tion­nel­­lement le mot "de­hors" (draus­sen) pour faire dire à Kremer que cette action se dérou­lait dans une "cham­bre à gaz""(voir Une lettre de M. Faurisson, dans Le Monde, 16 janvier l979. Le manque de ri­gueur dans la réfé­rence aux do­cuments d'histoire nour­rit ces in­sinuations abusives. A cet égard, on utilisera avec la plus extrême prudence les ex­tra­its du jour­nal de Kre­mer publié dans Justiz und NS Ver­bre­chen, Coll.Ur­teiten Sa­men­­lungen, University Press of Am­sterdam, 1977, vol. 17, p. 500-7 et sui­vantes. Re­pris au dos­sier de l'affaire Kre­mer à Muns­ter, le texte com­porte plu­sieurs erreurs dont, à la date du 2 sep­tem­bre, préci­sément l'omission de "draussen". Le 6 septembre néan­moins, la "Sonde­raktion draussen" est publiée correcte­ment.       
[30] Les "musulmanes" ruinent l'interprétation que J.G Cohn-Ben­dit, "ré­visionniste" mo­déré, avance dans son Analyse du jour­­nal de Kre­mer. De l'exploitation dans les camps à l'ex­ploi­­ta­tion des camps, une mise au point de la Guerre So­ci­a­le, Pa­ris, 1981, oppose sa lec­ture aux "spécula­tions de Wel­lers, de Vidal-Naquet, ainsi qu('à) celles de Fau­ris­son"(p.16). Cohn-Ben­dit exploite le "aus" des "Son­der­ak­tion". Dans "Son­der­ak­tion aus Holland", il n'y a pas - et dans au­cun cas, a lu Cohn­­-Bendit - une relation grammati­cale entre des per­sonnes et Son­­derak­tion. Il ne s'agirait donc pas d'une ac­tion exercée di­recte­ment sur des per­sonnes. "Se­lon la structure grammati­cale", écrit-il, "c'est bien la Son­de­r­aktion qui est en prove­nan­ce de Hol­lande". Kre­mer par­le­rait donc chaque fois de l'ar­ri­vée ou du départ d'un trans­port. En suivant Cohn-Bendit et en l'absence du "aus", le lecteur fe­rait par­tir les "musul­ma­nes" avec des "gens de l'ex­térieur" arrivant au camp, lors de la "Son­deraktion" uni­que du 7 octobre 1942!
[31] R. Faurisson, spécialiste de la critique des textes lit­té­rai­­­res passé à celle des docu­ments d'histoire, estime quant à lui que "cette note est claire. Le Dr. Kremer a ici af­fai­re à des femmes dites "musul­manes"" (voir R. FAURISSON, Mé­moi­re en dé­fense, p. 32). Ce qu'elles étaient ne ressort pas du do­cu­ment Kremer. Pour en lire le sens, il lui faut éga­le­ment re­cou­rir à d'autres sources. En histoire, il ne peut pas cher­cher "midi à midi". "Je cherche midi à midi", avait dit Fau­ris­­son avant d'être connu comme "historien ré­vi­sion­niste" (dans Les Nouvelles Litté­raires, 1O-17 février l977). "Les tex­tes", expliquait-il dans cette interview, "n'ont qu'un sens ou bien il n'y a pas de sens du tout". (Cité d'après N. FRESCO, Les redresseurs de morts dans Les Temps Mo­dernes, n° 407, juin 198O, p. 2154.)
[32] Journal de Kremer, p. 228, n.53.
[33]
cité dans H. LANGBEIN, Hommes et femmes à Auschwitz, Fayard, Pa­ris, 1975, p.93.
[34] Ibidem, p. 331.
[35] Ibidem, p.91-92.
[36] Ibidem, p. 9O.
[37] Ni le témoignage des médecins anciens détenus ni celui de l'an­cien méde­cin SS Kremer ne portent sur des femmes atteintes de typhus. Fauris­son, utili­sant la déposition de Kre­mer sur ces "musulmanes" s'autorise néanmoins à af­firmer qu'elles étaient "atteintes de la mala­die (...). Le typhus était passé par là" (R. FAURIS­SON, Mémoire en dé­fense,p. 32)
[38] Journal de Kremer, p. 236.
[39] La provenance du convoi du 7 octobre 1942 n'est pas connue. Non plus le nombre de per­sonnes arrivées au camp. L'"action spéciale" à la­quelle elles sont soumises laisse en­trer au camp 98 hommes et femmes qui y sont immatricu­lés( Voir le Journal de Kremer, n.77, p. 236.)
[40] Le journal de Kremer, n 71, p. 234.
[41] Ainsi, le 8 novembre, Kremer note même trois "actions spéciales", dans sa numérotation: les 12 ème et 13ème "cette nuit", et "dans l'après-midi, donc la 14ème".( Voir Journal de Kremer, p. 244) 
[42] A ce stade de la découverte du journal de Kremer, on s'abstient pro­visoirement de parler de sélection pour l'"ac­tion spéciale", mais on n'oubliera pas cette indication que l'auteur du document ne les confond pas.
[42b] Journal de Kremer, p. 231.
[43] La 14ème "action spéciale" de Kremer, le 8 novembre 1942, pourrait éven­tuellement faire exception. Le journal ne men­tion­ne rien sur la pro­venance des personnes qui en sont l'objet. Aucune source ne recoupe le document. Da­nuta Czeh ne reprend pas cette "action spéciale" dans le "Calendrier" d'Aus­chwitz. L'édition critique du journal (n.98, p.244) ne l'identifie pas non plus. Comme l'"action spéciale" s'était déroulée "cette nuit" selon le Journal de Kremer, il pour­rait s'agir  d'un convoi du Ghetto de Ciechanow arrivé le 7. C'était le cas de l'"action" du 12 octobre "la nuit" contre un convoi arrivé la veille, mais ici, la note même de Kremer identifiait l'origine du convoi, la  "Hollande"
[44] Quelques feuilles de la liste chronologique de l'en­re­gis­tre­­ment par sé­ries de matricules de détenus à Auschwitz sont reproduites dans Hefte von Au­schwitz, n° 3/1960, pp.113-114. Les séries de matricules cor­respondant à la période de Kremer sont publiées dans D. CZECH, Kalendarium der Erei­gnis­se in Konzentra­tionslager Auschwitz-Birke­nau (Le ca­len­drier des évé­nements), dans Hefte von Ausch­witz,  n°3, 1960. Les pages 85-102 couvrent la période de Kre­mer à Auschwitz. La liste des ma­tricules pour cette pé­riode a été vérifiée sur les pho­to­gra­phies du document original qu'a consulté Chris­tian Dupont. Historien de formation et journaliste à la Radio-Télévi­sion Bel­ge Franco­phone, il a rap­porté de son enquête en Po­logne tou­te une documen­tation filmée par son équipe à partir des pièces d'archives originales en vue de l'émission du ser­vice historique sur Auschwitz ou la mé­moire qui re­vient. Voir éga­le­ment Ministère de la Santé Publique (Bel­gique),Rap.429 Tr 178.165/39, le 23.4.1963. Nu­mmer­beset­zung im Konzentrationsla­ger,liste établie par le Ser­vice In­ter­national de Recherche de la Croix-Rouge, à Arol­sen sur ba­se de ses archives et de la documen­tation et des travaux du Musée d'Auschwitz; à ce pro­pos, le "calendrier" qui fait ré­férence au journal de Kremer comporte, tout remarquable que soit ce travail, des inexacti­tu­des pour ce qui est de la dé­portation "occidentale". La no­tice technique de S. KLARS­FELD, dans Le Mémorial de la déportation des Juifs de France les a redressées pour la France; la présente étude en recti­fie d'autres pour la Belgique et les Pays-Bas, dans ce cas grâce aux re­cherches les plus ré­centes de G. Hir­schfeld com­muniquées à l'auteur.
[45] Aucun homme du convoi XVI de Westerbork n'a été immatriculé.
[46] US-War Refugee Board: German Extermination Camps -Auschwitz and Birke­nau, executive Office of the President, Washington, D.C.,novembre 1944.
[47] Voir le Rapport sur les camps de concentration d'Auschwitz, Bir­kenau et Maïdanek rédigé par Rudolf Vrba et Fred Wetzler, le 25 avril 1944 , publié dans R. VRBA et A. BESTIC, Je me suis évadé d'Auschwitz, Paris, 1988, pp.361-362.( Rudolf Vrba s'appelait Walter Rosenberg).
[48] L'auteur "révisionniste" W. Stäglich n'en écrit pas moins que "le degré de "précision" éveille la mé­fiance. Il n'est pas imaginable qu'un détenu, en admettant même qu'il ait fait partie de la hiérarchie du camp ait pu obtenir toutes ces précisions. Et je fais abstraction ici du facteur res­ti­tu­tion de tous ces chiffres qui aurait exigé une mé­moire hors du commun".(Voir W. STA­GLICH, Le Mythe d'Aus­ch­witz , p. 125).
[49] Le tableau chronologique des convois de déportation de S. Klarsfeld donne 928 personnes, mais la notice sur le convoi VII signale 1.000 per­sonnes. Voir S.KLARSFELD, Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France
[50] Ont aussi été immatriculées 64 femmes dans la série de 19.295 à 19.358.
[51] Le plus souvent, la cartothèque nazie du camp d'Auschwitz est tout aussi lacu­naire que celle des autres camps de concentration. Si 8.299 matri­cules ont été attribués à Ausch­witz aux 28 convois de Belgique, les archives de la cap­tivité permettent d'identifier seule­ment 3.O83 déportés raciaux.
[52] Archives du Musée d'Auschwitz, fiche d'Akiwa Frühauf, ma­tri­cule 63.227
[53] Ministère de la Santé Publique et de la Famille. Ad­mi­nistration des vic­times de la guerre. Service docu­mentation et recherche, Transport VIII. Voir quelques pages de la liste originale, de la page 53 à la page 58, dans S.KLARSFELD et M.STEINBERG, Mémorial de la déporta­tion des Juifs de Bel­gique.
[54] Voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, 1942, les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, Vie Ouvrière, Bruxelles, 1984, t II p.211[55] Si son épouse et sa fille n'ont pas survécu à l'arrivée à Auschwitz, Akiwa Frühauf, lui, n'a pas survécu à la captivité.

[56] Pour les Pays-Bas, voir Auschwitz, Ed. Het Nederlandsche Rood Kruis, 's Graven­hage, vol 1, 1945 et, sous le même titre, les 4 fa­scicules, publiés en 1947, 1948, 1952 et 1953. Sur l'histoire de la dé­portation "néer­landaise", voir L. DEJONG, Het Koninkrijk der Neder­landen in de Tweede Wereldoor­log, Ge­vangenen en gedeporteer­den, 1978, tome 8, vol. 1 et 2 par­tie, p. 7O8. Une étude de G. HIRSCHFELD, Die Opfer der national­so­zia­lis­tischen Endlösung in den besetzten Nie­derlanden sera pu­bliée dans Die Zahl der jüdi­schen Opfer des Na­tional­so­zia­lismus, hrsg. Wolfgang Benz que pré­pare l'Institut d'His­toire Contemporaine de Mu­nich. Les chiffres des convois "hollan­dais" qui identi­fient ici les "actions spé­ciales" du journal de Kremer sont de G. Hirschfeld.

[57] Pour la Belgique, le document de base est la liste al­pha­bé­ti­que des per­sonnes arrêtées par l'autorité occupante en tant qu'israélite ou tziganes et déportées par les convois par­tis du camp de rassemble­ment de Malines, entre le 4 aout 1942 et le 31 juillet l944, do­cument multi­graphié du Ministère de la Santé Publique et de la Famille, Administra­tion des victimes de la guerre; voir aussi Tableau ré­ca­pitulatif des Israélites et Tziganes dépor­tés du camp de ras­semblement de Malines vers les camps d'extermination de Haute-Si­lésie, constitué sur base de la do­cumentation en possession du Ministère de la Santé Publique et de la Fa­mille, à la date du 1er  septembre 1979. La liste alpha­bétique, ainsi que les statis­tiques et leur in­ter­prétation ont été publiées par S. KLARSFELD ET M. STEINBERG, Le Mé­mo­rial de la Déportation des Juifs de Bel­gique, Bruxelles-New York, 1982.

[58] S. KLARSFELD, Introduction dans Le Mémorial de la Déporta­tion des Juifs de France. Le titre de son ouvrage n'est nul­le­ment "tendancieux". Ce "n'est" pas "qu'une liste de Juifs qui ont été embar­qués dans les trains de la déporta­tion", comme le laisse croire la Réponse à Pierre Vidal-Na­quet de R.Faurisson (p.22). S'“il ne s'agit" en ef­fet "pas d'une lis­te de morts comme on le donne sou­vent à entendre" selon Fau­risson, c'est qu'el­le comporte moins de 3 % de sur­vi­vants! L'avocat S.Klars­feld, historien de for­mation, n'a pu, faute de disposer du résultat de recherches ad­mi­nis­tratives d'un quel­conque orga­nisme officiel ou ministériel, iden­tifier sur les listes de déportation les personnes dis­pa­rues. Dans Le Mémorial de la Dépor­tation des Juifs de Bel­gique, Klarsfeld qui s'est chargé de la re­production de la liste alphabétique of­ficielle des dé­portés, a pu préci­sément, grâce au matériel documentaire dis­ponible, indiquer nommément ceux qui avaient été rapatriés, à peine 4,77 % en l'occurrence.
[59] Voir R. VRBA et A. BESTIC, Je me suis évadé d'Auschwitz, p.388.  Une note de la traduction française s'autorise à pré­ten­dre - et ce encore en 1988 - qu'à l'exception du chiffre rectifié par Le mémorial de la dépor­tation des Juifs de France, "aucun autre des chiffres cités par Wetzler et Vrba n'a été contesté". L'estimation du nombre de Juifs ga­zés mention­nait "50.000" dépor­tés de "Belgique" et "100.000" de "Hollande". Ces chiffres du rapport Rosen­berg-Wetzler ne sont pas seulement contestables. Ils sont tout aussi erronés que l'at­tribution des séries de matricules aux déportés d'Europe occidentale.
[60] Une autre répartition n'est pas à exclure, soit 5 de France, 2 des Pays-Bas et 3 de Belgique. La "Sonde­raktion aus Holland (1600 perso­nen)" du 12 octobre pose, en effet, un problème d'identification. Convient-il de se fier à l'in­di­ca­tion de Kremer sur l'origine "hollandaise" de ces déportés? Le convoi XXVI des Pays-Bas -  1703 personnes au départ - n'est pas arrivé, le 12, mais le jour précédent, le 11. Le 12 arrivent des déportés de Belgique: ils étaient au nombre de 1.574 quand les convois XII et XIII, par­tis de Malines le 10, ont passé la frontière germano-belge. Ces deux convois, pro­ba­ble­ment regroupés en un seul transport au cours de leur tra­ver­sée de l'Allemagne, s'arrêtent à Ko­zel: le convoi XII de 999 déportés comportait 202 hommes âgés de 15 à 50 ans, le convoi XIII de 675 déportés en comptait 156. Au plus arrivent à Auschwitz 1.216 déportés dont 28 hommes et 88 femmes sont immatri­culés dans la même série de numéros. 1.100 déportés disparaissent, ce 12 oc­tobre. L'"ac­tion spéciale" de Kremer a eu lieu "la nuit". S'agit-il de la nuit du 11 au 12 octobre, auquel cas, comme il l'écrit, l'"action" s'appliquerait bien au convoi "hollandais" dont les déportés ont été immatriculés le 11. Mais la note de Kremer débute par la mention de sa deuxième vac­cination qui a provoqué une forte fièvre. "Malgré cela", il participe "la nuit" à une "Son­deraktion". Serait-ce alors dans la nuit du 12 au 13 sur le convoi "belge" arrivés le 12? C'est peu pro­bable: Kremer l'aurait notée, à la date du 13, et non du 12. Le problème reste entier car c'est le 12  que sa "deuxième vaccination (...) a provoqué une forte réaction générale dans la soirée (fièvre)", écrit-il. Le fait que le 12 octobre soit un lundi fournit peut-être la solution du problème. Le 11 aurait été un jour férié pour le commando du SS Hössler opérant aux chambres à gaz et la mise à mort des déportés" hollandais", arrivés le 11, aurait été effectuée le 12 avant le gazage des "Belges".
[61] Deux témoignages vivants sur les abattoirs de Pologne, un avertissement, un appel à la vigilance, à la résistance, à la lutte, dans Notre Voix, 1er août 1943, reproduit dans S. COURTOIS et A. RAYSKI, Qui savait quoi? L'extermination des Juifs 1941-1945, Paris, 1987, pp. 201-203.
[62] Ministère de la Santé Publique-Belgique, dossier de Honig, Ignacy, né le 23 juillet 1904. Déclarations d'Ignacy
Honig, de Chaïm Salomon, né le 18 mai 19O6
.
[63] Voir la notice sur le convoi n° 29 en date du 7 septembre 1942, citant le télex adressé par H. Röthke, le chargé des affaires juives à Berlin, à Orianenburg et à Auschwitz, dans S. KLARSFELD, Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France.
[64] Journal de Kremer, p. 231. La note 62 du Musée d'Oswiecim renseigne, à cette date, l'arrivée d'un convoi de Wes­terbork, parvenu en fait, le jour précédent. Cette erreur d'identification fausse également, du moins pour un convoi, la lecture d'une première version de cette étude publiée sous le titre Les yeux du témoin et le regard du borgne. lecture critique d'un génocide au quotidien, dans Cahiers du Centre de Recherches et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre mondiale, 12, mai 1989, pp. 31-84.  
[65] Sur les évadés de Haute-Silésie, voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, vol 1, pp. 250-254
[66] Ministère de la Santé Publique-Belgique, dossier de Honig, Ignacy, né le 23 juillet 1904. Déclaration non datée d'I.Ho­nig.
[67] Lettre de Joseph Jakubowicz à l'auteur, Bruxelles, le 12.1O.1987.
[68] Archives du Musée d'Auschwitz, fiche de Koplewicz, Henri, matricule 63.234. Koplé­wicz est né le 21 décembre 1913
[69] Voir S. KLARSFELD et M. STEINBERG, Le Mémorial de la Déportation des Juifs de Bel­gique (non paginé).
[70] La Réponse à Pierre Vidal-Naquet (p.44) de Faurisson ac­cepte néanmoins l'argument purement rhétorique de son édi­teur, P. Guillaume, que les dépor­tés non en­registrés à Ausch­witz, "allaient" à "Kielce", à Ko­sel, corrige l'expert en "révisionnisme". (voir P.VIDAL-NAQUET, Les Assassins de la Mé­moire, p.64 n.89).

[71] Serge Klarsfeld a estimé la sélection pour le travail à 4.000, sur la base des âges. Le 1er avril l944, 3.056,
rattachés au com­plexe d'Auschwitz, y étaient immatriculés.
[72] Dans les procédures judiciaires contre Kremer, il n'a pas été tenu compte de la sé­lection de Kosel. Jerzy Rawicz, auteur de la tra­duction polonaise du document Kremer origi­nal et préfacier de l'édition scienti­fique du Musée d'Os­wiecim, a écrit qu'"au cours de son bref sé­jour à Auschwitz, (le médecin SS) a réussi à envoyer 10.717 hommes, femmes et en­fants sur 12.291 à la chambre à gaz" (Journal de Kremer, p. 29). En 1960, le minis­tère public de Munster a impliqué la responsa­bi­lité personnelle de l'ancien médecin SS dans la mort d'au moins 7.735  per­sonnes (Justiz und NS Verbrechen, vol. 17, p.21). Le chiffre de Muns­ter plus proche des 6.732 de cette étude est le moins bien éta­bli. La copie  du jour­nal dont s'est servi le parquet ne com­porte pas les "bonnes" dates.  Dans cette ver­sion Munster, 10 "ac­tions spé­ciales" de Kremer con­cernaient des convois d'Europe occiden­tale: 5 de France, 2 seu­lement des Pays-Bas et 3 ou 4 de Belgique. La vérification sur le ma­nuscrit original de Kremer établit l'erreur du par­quet de Munster.
[73] La note de Kremer n'est pas pour autant la plus sûre. Le XXVIe  convoi parti des Pays-Bas, le 9 octobre, achemina plus de déportés qu'il ne le si­gnalait : ils étaient au départ 1703.
[74] Voir Le journal de Kremer, p. 237.
[75] W. STAGLICH, Le Mythe d'Auschwitz. Etude critique, Pa­ris, 1986, p. 20.
[76] Stäglich vise la documentation sur Auschwitz publiée en vue du pro­cès. En particu­lier, le recueil Wir haten es getan dont un chapitre était consacré à Un pro­fesseur à Auschwitz.
[77] L'édition en langue française de Auschwitz  vu par les SS date de l'année sui­vante.
[78] Si Stäglich ignore délibérément ce travail, R. Faurisson le ra­vale à des "notes qui nous disent comment il faut déchiffrer le texte du pro­fesseur Kre­mer selon la grille de lec­ture communiste ou extermination­niste"(voir R. FAURISSON, Mémoire en défense, p. 1O6).
[79] W. STAGLICH, op. cit, p.121.
[80] Ibidem, p. 8-9.
[81] Journal de Kremer, p.23O
[82] Ibidem, p. 226.
[83] Ibidem, p. 227.
[84] M. GHEUDE, Lecture, dans P. WEISS, L'Instruction, oratorio en onze chants, traduit de l'allemand par Jean
Baudrillard
, Ed. Labor, Bruxelles, 1988, p. 362.   
[85] Ibidem, p.228.
[86] Voir sur ce type d'analyse psychologique, Bruno BETTELHEIM, L'ho­­lo­caus­te, une gé­nération plus tard, dans son recueil Sur­vivre, Paris,  1979, p. 114.
[87] Le journal de Kremer, n. 53, p. 228.
[88] A. KEPINSKI, Le Rythme de la Vie cité d'après Mieczyslaw Kieta,  dans son avant-propos à W. KIELAR, Anus Mundi, cinq ans à Aus­chwitz, préface de David Rousset, Lafont Pa­ris, 198O, p. 21.
[89] Voir G.DE CROP, Anus Mundi, dans Le Monde juif, n° 130, avril-juin 1988, pp.77-78.  Ti­tulaire d'un diplôme de l'Ecole des Etudes en Sciences Sociales de Grenoble sur Le génocide des Juifs pendant la se­conde guerre mondiale et le projet national-socialiste: l'événement, la mé­moire et la conscience, G. De Crop considère "si cela ne paraissait pas sa­crilège" qu'"il fau­drait rer­mercier Faurisson dont l'aveuglement ar­rive à point nom­mé pour que se cris­tallisent les lambeaux du message", à sa­voir "le souvenir de l'indicible".
[90] "Pour (sa) part", Faurisson n'a "rien noté de "nazi" dans le jour­nal in­time de ce vieux garçon pro­longé" (voir R. FAURISSON, Mémoire en dé­fense, p. 29).
[91] Le journal de Kremer, p.218.
[92] NO-6OO, Lettre de Grawitz à Himmler, le 4 mars 1942, citée dans R. HIL­BERG, La destruction des Juifs d'Europe, Paris, 1988, p. 283.
[93] Le journal de Kremer, p.234.
[94] bidem, p.230
[95] Ibidem, p.249.
[96] Ibidem, p.296.
[97] Ibidem, le 30 janvier l943, p.249.
[98] Ibidem, p.250.
[99] Ibidem, p.249.
[100] Selon Faurisson,"le vrai travail du professeur de mé­decine Jo­hann Paul Kremer à Au­schwitz est de se li­vrer à des re­cher­ches de labo­ratoire sur toutes sortes de maladie, et notamment le typhus" (Voir R. FAU­RISSON, Ré­ponse à Pierre Vidal-Naquet, p. 31.)
[101] Journal de Kremer, pp. 231-232. Voir aussi p.226.Le 29 août, Kremer a cru qu'il venait remplacer un collègue malade.
[102]  C'est seulement, à la date du 3 octobre que le journal de Kre­­mer mentionne pour la première fois le pré­lévement de "ma­ti­è­re vi­vante". Il l'aura noté cinq fois alors que sont mention­nées 15 "ac­tions spéciales" dont la première a lieu dès le qua­trième jour de la présence du médecin à Auschwitz.
[103] Ibidem, note 74 de la p. 235.
[104] Ibidem, entrée du 3.1O.1942, p. 235; du 1O.1O., p. 236;  du 15.1O et du 17.1O., p. 238, du 13.11. p. 244.
[105] P. Vidal-Naquet a insisté , quant à lui, sur le fait que le ton du jour­nal "ne change que dans une seule série de cir­con­stances, pour prendre alors par­fois (pas toujours) une al­lure émotive tout à fait re­marquable".(P. VIDAL-NAQUET, Les as­sas­sins de la mémoire, "Un Eichmann de papier" et autres essais sur le révisionnisme, p.68).
[106] Journal de Kremer, p. 23O.
[107] Ibidem, p. 229.
[108] Au procès de Francfort, le témoin Kremer explique que "c'é­tait humaine­ment tout-à-fait compréhensible. C'était la guerre, il y avait peu de ci­garettes et d'alcool. Si quelqu'un dé­pendait de la cigarette ..., on col­lectionnait les bons et puis on allait avec la bou­teille à la cantine" (Voir H. LANGBEIN, Der Au­schwitz-Process, Eine Dokumenta­tion, t, 1, p.72.)
[109] Le propos est du Commissaire de la Ruthénie blanche, Wilhelm Kube. Il est rapporté dans une lettre du lieutenant-colonel SS Strauch. L'extrait utilisé ici - le document sera encore ex­ploité plus loin - porte: "on nous repro­chait con­ti­nuel­lement, à mes hommes et à moi, d'être des sauvages et des sa­diques,  alors que je ne faisais que mon devoir. Même le simple fait que des médecins-dentistes aient enlevé des plombages en or aux Juifs desti­nés au traitement spécial - conformément aux ordres - a été le pré­texte à re­proche. Kube rétor­qua que notre façon de procéder était in­digne de l'Allemagne de Kant et de Goethe. Si l'Allemagne était per­due de réputa­tion dans le monde entier, c'était notre faute. Par ail­leurs, c'était un fait que mes hommes jouis­saient lubriquement de ces exécu­tions".(Lettre du comman­dant de la SIPO-SD en Ruthé­nie blanche à l'état-major personnel du R.F.SS, signé lieutenant-co­lonel Strauch, Minsk, le 2O juillet l943, ci­tée d'après W. HOFER, Le na­tional-so­cialisme par les textes, Plon, 1963, pp. 268-298.
[110] Journal de Kremer, p.249.
[111] Ibidem, p. 236.
[112] Ibidem, p. 238.
[113] Ibidem, p. 238.
[114] Voir Le Monde, 16 février 1979.
[115] Voir Journal de Kremer, p.238 note 83.
[116] L'arrestation de "sécurité", - "Sicherheitshaft"- était au­to­risée par le pouvoir d'occupation. Celle dite de "protection" - "Shutzhaft"- l'était par l'office central de la Sécurité du Reich. Voir à ce propos, M. STEINBERG, Le dossier Bruxelles-Auschwitz,la po­lice SS et l'extermination des Juifs de Bel­gique, Bruxelles, 1980, pp.33-35.
[117] Voir, pour la France, S. KLARSFELD, Le livre des Otages, Paris, 1979. Pour la Belgique, M. STEINBERG, L'Etoile et le Fu­sil, t II, Les cent jours de la déporta­tion, pp.218-219, et t III, vol.2., La Traque des Juifs, pp.54-55 et p.120-125.
[118] Voir le cas du pseudo Léon Silberstein, de son vrai nom, Léon Kutnowski, dans M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, t III, vol.2.,p. 73.
[119] Ministère de la Santé Publique-Belgique, dossier de Rakower, Moszek Aron, né le 12 mars 19O7 et fusillé le 6 janvier 1943. (voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil. 1942, les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, t II, p.219.
[120] Voir les Conclusions dans M. STEINBERG, L'Etoile et le Fu­sil, La Traque des Juifs, t III, vol.2.,pp.254-255.
[121] CDJC/CDXCVI Le commandant militaire en Belgique et dans le Nord de la France, chef de l'administration militaire, groupe: pol., Bruxelles, le 27 octobre 1942, aux Ober- et Feldkommandantures, concerne: procédure de trans­fert dans le Reich et de déporta­tion dans le territoire de l'Est, re­produit dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Do­kumente, Die Endlösung der Juden­frage in Belgien, heraus­gegeben von Serge Klarsfeld und Maxime Stein­berg, New York-Pa­ris, (1980), p.51.
[122] L. DEJONG, Het Koninkrijk der Nederlan­den in de Tweede We­reldoorlog, Gevan­genen en gedeporteerden, t. 8, Vol.2, p.755, note 1.
[123] Message téléphoné du lieutenant SS Schwartz, (au) service cen­tral de l'administration économique, service D II à Ora­ni­en­burg, daté du 8.3.43, d'après G. WELLERS, Les chambres à gaz ont existé,p. 43.
[124] Journal de Kremer, p. 234, entrée du 3 octobre 1942.
[125] R. FAURISSON, dans Le Monde, 16 février 1979. La réfé­rence était la note 85 page 238 de Ausch­witz vu par les SS, à savoir la déposi­tion judiciaire de Kremer sur l'épisode des trois hol­lan­daises. C'est cette référence abusive qui a été le point de dé­part, sur le plan judi­ciaire, de l'affaire Faurisson.
[126] L. DEJONG, Het Koninkrijk der Nederlan­den in de Tweede We­reldoorlog, Ge­vangenen en gedeporteerden, tome 8, vol..2, p. 812.
[127] Journal de Kremer, n. 53, p.228.
[128] Le témoin Kremer confirme ici ce que son journal révèle de l'"ac­tion spé­ciale", à savoir une action sur des personnes venant de l'extérieur ou du camp même, et non la sélection de ces personnes.
[129] Journal de Kremer, n.52, p. 227.
[130] R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet, pp. 48-49.
[131] H. LANGBEIN, Der Auschwitz-Processs, Eine Dokumenta­tion t.1, p. 72.
[132] Voir le chapitre Auschwitz de G. WELLERS dans E. KOGON, H. LANG­BEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, se­cret d'E­tat, pp.186-191. Voir aussi D. CZECH, Kon­zen­tra­tions­lager Aus­chwitz, précis d'histoire et F. PIPER, Ex­termination, dans Aus­chwitz, camp hitlérien d'extermination, Varsovie, 1978.
[133] Auschwitz vu par les SS, Hösz, Kremer, Broad, p. 115.
[134] idem, p.115, note 4.
[135] idem, p. 120 et note 21 p. 120.
[136] ibidem, p. 185-186.
[137] Ibidem, p. 119.
[138] cité d'après G.WELLERS, dans E. KOGON, H. LANG­BEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret d'Etat, p.191. Voir aussi sur la question, l'exposé de U.D.ADAM, Les chambres à gaz dans L'Allemagne nazie et le gé­nocide juif, actes du colloque de l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences So­ciales, Paris, 1985, pp.-236-261.
[139] cité d'après G.WELLERS, dans E. KOGON, H. LANG­BEIN, A. RUCKERL, op.cit., p.190.
[140] N°12, 115/42 - EP-HA Article 2, concerne: fabrication de deux fours cré­matoires tripes pour chacun des "bains pour buts spéciaux"(sic), si­gné: Sous-lieutenant SS (S), Oswiezim (sic) , 21 août l942", note pu­bliée dans Procès des Grands Criminels de Guerre devant le Tribunal Internatio­nal, Nuremberg, 14 novembre-1er octobre 1946, Nuremberg, 1949, T XXXIX, p. 244. Les guillemets de "Baeder fuer besondere Zwecke" comme la mention d'Auschwitz en polonais figurent dans le texte publié. De toute évidence, il ne s'agit pas de sa version originale. Le texte reproduit ne comporte toute­fois pas la mention expresse de "Badanstalt für Son­deraktion" (ins­tallation de bain pour action spéciale) comme l'écrit J.C. Pressac pour qui cette pièce dé­signerait les chambres à gaz du Crématoire IV. Il ajoute néanmoins qu'"en réalité, le terme de "Badanstalt" s'applique aux (2) bunkers" de 1942. Le fait que la note du 21 août propose d'utiliser les fours créma­toires déjà prêts "pour Mogilew" suggère qu'Auschwitz pressé par l'accumulation des ca­davres cherchait une solution pratique et immédiate sans attendre jusqu'à ce que les projets de construction des nouveaux créma­toires aboutissent. Ce qui autorise à lire la note en comme une référence aux deux maisons pay­sannes.(voir J.- C. PRESSAC, Les Krematorien IV et V de Birke­nau-Auschwitz et leurs chambres à gaz, dans Le Monde juif,n° 107, juil­let-sep­tembre 1982, repris dans Mémoire du Gé­nocide, Paris, 1987, p. 626 note 9).
[141] L'original de la pièce ne se trouve pas au Musée d'Os­wie­cim. J.C. Pressac écrit qu'"en dépit de (ses) de­man­des ré­pétées", il n'a pu en ob­tenir communi­cation (Voir J.- C. PRESSAC, Ibidem, p. 626 note 9). Il est probable, comme dans le cas du journal de Kremer en Pologne, que le document soit à rechercher dans les ar­chives de la commission soviétique d'enquête sur les crimes commis par les fascistes alle­mands et leurs auxiliaires à Auschwitz. L'actuelle "transparence" qui ouvre aux chercheurs des ar­chives historiques en URSS per­mettra peut-être d'autres découvertes utiles aux his­to­riens de l'Allemagne nazie et du génocide juif. 
[142] Major Guenther, Berlin, le 29.4.33 au  commandant de la SIPO et SD pour le territoire néerlandais oc­cupé, Major Zoepf, La Haye, au comman­dant de la SIPO et SD, Colonel Dr. Knochen, Paris, au Délégué du Chef de la SIPO et SD Major SS Ehlers, Bruxelles, concerne: évacuation des Juifs, dans S.KLARSFELD et M. STEIN­BERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, The Beate Klarsfeld Foundation, New-York-Pa­ris,(1980) p.64.
[143] Le chef de la direction centrale de la construction des Waffen SS et de la Police d'Auschwitz à l'office centrale de l'administration écono­mique de la SS, signé:major SS Karl Bischoff, le 28 juin 1943, cité d'après G. Wel­lers, dans E. KOGON, H. LANG­BEIN, A. RUCKERL, op.cit., p. 197.
[144] Les crématoires II et III comportaient, chacun, 5 fours à trois moufles; les crématoires IV et V, un four à 8 moufles. Voir Doc. CDJC, rapport d'inspection de l'Ingénieur Prüfer, à la direction centrale de la construc­tion de la Waffen SS et de la Police à Auschwitz, le 29 janvier l943.  
[145] En 636 jours, le crématoire I pouvait brûler, à raison de 34O corps par 24 heures, 216.514 cadavres, soit le nombre des détenus immatriculés qui n'ont pas été évacués d'Auschwitz (141.765 évacués sur 358.279 déte­nus immatricu­lés).
[146] L'évacuation d'Auschwitz, entamée en mai 1944, n'a pas signifié l'arrêt des déportations à Auschwitz. De la fin d'avril au début de juil­let 1944, 429.028 Juifs de Hongrie y ont été acheminés.
[147] Soit 75.745 évacués du 18 mai 1944 au 17 janvier 1945. Des 66.020 dé­tenus présents à cette date du der­nier appel, environ 7.000 incapables de marcher sont restés au camp, évitant les catastrophiques "marches de la mort" de l'évacuation d'Auschwitz.  Voir G. WELLERS, Essai de dé­ter­mi­na­tion du nombre de morts au camp d'Auschwitz, dans Le Monde juif,n° 112, oc­tobre-dé­cembre 1983, p. 154-156.
[148] G. WELLERS, Ibidem, p. 141
[149] G. WELLERS, Ibidem, p. 142.
[150] Le nombre de prisonniers transférés d'Auschwitz, voire libérés n'est pas connu.
[151] Les archives du Musée d'Oswiecim conserve un plan n° 1678 d'une ins­tallation d'incinération  daté du 14.8.42 (le futur Krematorium IV).
[152] Archives du procès Hösz, t 11, annexe 2, Le chef de la Direction cen­trale des constructions de la Waffen SS et de la Police d'Auschwitz,  si­gné : major SS Bischoff, 3O janvier 1943, cité d'après J.- C. PRESSAC, op. cit., p. 621.
[153] Le chef de la Direction Centrale pour Constructions de la Waffen-SS et de la Police à Auschwitz, capi­taine SS au chef de l'office du groupe C, Géné­ral de brigade SS et Général-major de la Waffen-SS, Dr. Ing. Kammler à Ber­lin-Liechterfelde-Ouest, le 29 janvier 1943, commande objet: créma­toire II, Etat du bâtiment, cité d'après G. WELLERS, Les chambres à gaz ont existé, p. 85.
[154] Voir la reproduction, ibidem pp.136/137.
[155] Voir Le Monde, le 16 janvier 1979.
[156] Voir Le Monde, le 29 décembre 1978.  Malgré sa "révision" du 16 jan­vier suivant, Faurisson maintiendra par la suite cette version qu'"il s'agit, en effet, non pas d'une chambre à gaz homicide, mais d'une chambre froide aux dimensions caractéristiques (3O m x 7 m) semi-enterrée afin d'être protégée de la cha­leur"(voir R. FAURISSON, Exposition de la déportation 1933-1944 , dans Supplément à la revue trimestrielle Les Amis de Paul Rassinier, n° 1, juin 1982).
[157]  G. WELLERS, Qui est Robert Faurisson, dans Le Monde juif, n° 27, juillet-septembre 1987,p.1O9.
[158] G. WELLERS, Les chambres à gaz ont existé, p. 87.
[159] R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet, p.4O.
[160]  Interview de Robert Faurisson, dans Storia illustrata, août l979, n° 261, réédition La Vieille Taupe, p. 15.
[161] A. HITLER, Mein Kampf, p.677-679.
[162] E. JACKEL, L'élimination des Juifs dans le programme de Hitler, dans L'Al­lemagne nazie et le génocide juif, p.11O.
[163] Ch. R. BROWNING, La décision concernant la solution finale, ibidem, p. 194.
[164] J. FEST, Hitler, jeunesse et conquête du pouvoir, Paris, 1973, p. 81.
[165] Le mot est de R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet, p.4O.
[166] Doc PS-5O1. Dr. Becker sous-lieutenant SS au lieutenant-colonel SS Rauf à Berlin, Kiev, le 16 mai l942, reproduit dans MONNERAY, H., La persécu­tion des Juifs dans les pays de l'Est, pp.148-15O.
[167] II D, Note du lieutenant-colonel SS Rauf, Berlin, le 5 juin 1942, repro­duite dans E. KOGON, H. LANG­BEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret d'Etat, illustration III.
[168] Lettre d'Arthur Greiser,gauleiter du Warthegau, à Himmler, le ler
mai l942, ibidem, p.14.
[169] W.Riedel et Fils, Béton armé et construction, Bielitz, rapport du jour, le 23.2.1943, Installation d'incinération 4, ouvrages journaliers, reproduit dans J.- C. PRESSAC, op. cit. p.631
[170] W.Riedel et Fils, Béton armé et construction, Bielitz, rapport du jour, le 2.3.1943, Installation d'incinération 4, ouvrages journaliers, reproduit ibidem, p.631
[171] Le chef de la Direction Centrale pour Constructions de la Waffen-SS et de la Police à Auschwitz, Major SS à Entreprise Usines d'équipements alle­mands, S.a.r.l., Usine d'Auschwitz/ H(aute) S(ilésie), le 31 mars 1943, citée d'après G. WELLERS, Les chambres à gaz ont existé, p. 89. La lettre indique, pour les 3 portes à gaz du crématoire II "turmgaz" (co­lonnes étanches au gaz), probablement une erreur ( voir J.- C. PRESSAC, ibidem, p. 639)
[172] Voir J.C. PRESSAC, ibidem, p.627.
[173] Ibidem, p. 635.
[174] Ibidem, p. 640.
[175] Voir le télex du 29.4.1943 dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Doku­mente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, p.64.
[176] Ministère de la Santé Publique-Belgique. Dossier de Livchitz, Georges, né le 3O septembre 1917. Annexe à la lettre du commandant militaire à l'oberfeldkommandantur 687, Bruxelles, le 15 février 1944.
[177] Voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs ,t III, vol. 2, p. 69.
[178] Ibidem, p.72
[179] Le Flambeau, octobre 1943, ibidem, p.72.
[180] La sélection avait toutefois été moins restrictive qu'à l'accoutumée.  Dans l'évacuation "belge" de 1943, ce convoi du 19 avril présente la singula­rité d'avoir le taux de sélection le plus élevé. Il a aussi au bi­lan final un taux de survie absolument exceptionnel pour un transport de 1943: il est de 10,7%. Il n'est que de 2,7 % dans les autres convois "belges" de l'année.
[181] Voir Tribunal Supérieur du Schelswig-Holstein, décision dans l'affaire pénale contre E. Ehlers, C. Cana­ris, K. Asche et K. Fielitz, le 8 mars 1977, dans  M.STEINBERG,  Dos­sier Bruxelles-Auschwitz, p.197. Le do­cument y est intégralement traduit. Le texte allemand, dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Bel­gien, p.116 et suivantes.
[182] E. EHLERS, Inexactitudes dans Flensburg T, le 29.5.1975, ibi­dem, p. 103. 
183] E. EHLERS, Inexactitudes dans Flensburg T, le 29.5.1975, ibi­dem, p. 103. 
[184] En Belgique, 75 Allemands furent condamnés pour crimes de guerre dont 10 à mort. Aux Pays-Bas, autre pe­tit pays, ils furent 204 dont 19 à mort. En France, 2.107 dont 104 à mort, selon A. RUCKERL, Die Strafverfolgung von NS-Verbrechen 1945-l978. Eine dokumentation, p. 3O et p. 32
[185] Royaume de Belgique, ministère de la justice, commission des crimes de guerre, Les crimes de guerres commis sous l'occupation de la Belgique, 1940-1945,La persécution an­tisémitique en Belgique , Liège 1947, pp. 39-40.
[186] Breendonck était un camp de la police de sécurité établi à mi-chemin entre Bruxelles et Anvers. L'expression "enfer de Breendonck" est reprise aux cri­tiques de l'administration militaire sur la ges­tion du camp. Voir CDJC CDXC-3 Compte rendu de l'entretien entre le chef de l'administration militaire Reeder et le major SS Canaris, le 17 septembre 1941, daté du 22 septembre 1941, p. 2. Voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, 1942, les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, pp.53-56.
[187] Voir le point des "obs­tacles à la procédure" dans la décision de juger, dans M.STEINBERG, Dos­sier Bruxelles-Auschwitz , pp. 188-189.
[188] La persécution an­tisémitique en Belgique , p.34.
[189] Ibidem, p.41.
[190] voir dans M.STEINBERG, Dos­sier Bruxelles-Auschwitz , p.188. Un qua­trième ancien officier SS, Karl Fie­litz qui avait dirigé l'antenne anversoise de la police de sécurité était accusé dans cette affaire Ehlers. La décision de juger le disculpe.
[191] Voir A. RUCKERL, Die Strafverfolgung von NS-Verbrechen 1945-l978. Eine dokumentation, Karlsruhe, 1979. L'auteur Adalbert Rückerl, procureur gé­néral, était alors le directeur du Centre des administrations judiciaires concernant les crimes nazis, à Ludwigsburg.
[192] dans M.STEINBERG, Dos­sier Bruxelles-Auschwitz,p. 203-2O4.
[193] Ibidem, p.197.
[194] Ibidem, p.198.
[195] cité d'après L. POLIAKOV, Bréviaire de la haine. Le IIIè Reich et les Juifs, Paris, 1953, p.35.
[196] Sur l'interprétation du discours du 30 janvier 1939, voir M.R. MARRUS, The History of the Holocaust: a survey of recent literatur, dans Journal of Modern History, 59, mars 1987, p. 121.
[197] Voir l'analyse du discours "prophétique" du Führer, chez L.S. DAWIDOWICZ, The War against the Jews, Lon­don, (1975), pp.110-111. Voir aussi J. BILLIG, La Solution finale de la question juive, essai sur ses prin­cipes dans le IIIème Reich et en France sous l'occupation , Paris, 1977, p. 53.
[198] Directive de Otto Dietrich, chef du service de press du Reich et du parti, datée du 5 février 1943, ci­tée d'après J. BILLIG, ibidem, p. 81.
[199] Le journal du Dr. Goebbels, Paris, 1949, p. 246.
[200] voir Interview de Robert Faurisson, dans Storia illustrata, août l979, n° 261, réédition La Vieille Taupe, pp. 15-17. Bien qu'il ne soit "pas un spécialiste de ces questions", Faurisson n'explique pas moins toutes les mesures prises à l'encontre des Juifs en Europe par des "raisons de sécu­rité". Le discours "révisionniste" sur l'histoire de cette période con­siste à prétendre qu'"Hitler a traité les civils juifs comme les représentants d'une minorité belligerante ennemi". "En bonne logique gue­rrière", selon cette lec­ture, "Hitler aurait été conduit à interner tous les Juifs tombés sous sa coupe. Il est très loin de l'avoir fait, non sans doute pour des raisons hu­manitaires mais pour des motifs d'ordre pratique".(pp. 16-17). Tout autant Faurisson affirme que "jamais Hitler n'a ordonné, ni admis que quiconque fût tué en raison de sa race ou de sa religion". Sans doute, ce "révisionnisme" concède-t-il qu'il "connaî(t) mal Hitler", mais il saisit assez le discours hitlérien sur "l'ex­ter­mination de la race juive en Europe" pour y lire un té­moignage d'époque sur "la guerre inexpiable" qu'"il y a eu entre Hitler et les Juifs". "Il est évident", au regard de Faurisson, "que chacun ren­voie sur l'autre la responsabilité de ce conflit"( p.15)
[201] Doc. NG-5O92 CXXVII-57, télégramme signé: Dr. Best, Copenhague, le 18 octobre 1943, cité d'après J. SA­BILLE, Comment furent sauvés les Juifs du Danemark, dans Mémoire du Génocide, p.172.
[202] Voir E. NOLTE, Légende historique ou révisionnisme. Comment voit-on le IIIème en 1980?, dans Devant l'Histoire, Les do­cu­ments de la contro­verse sur la singularité de l'ex­ter­mination des Juifs par le ré­gime nazi, p.15. L'argument de la bélligérance fondé sur une déclaration de Chaïm Weiz­mann de sep­tembre 1939 constitue le seul apport du "ré­vi­sion­nisme" aux débats autrement sérieux qui agitent cette fois les historiens du nazisme et de la solution finale. L'his­torien allemand Ernst Nolte l'a décou­verte dans les écrits "ré­visionnistes". Il se "reproche de l'avoir ignoré(e) (...) bien qu'elle soit de nature à étayer (cette) thèse, non né­gligeable", selon lui.
[203] Sur le statut des Juifs palestiniens, ressortissants bri­tan­nique, voir à propos de l'"échange germano-palestinien", dans M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, 1942-1944, T III, vol, I, pp. 183-189.
[204] Voir doc. EG-183 Le chef de la police de sécurité et du service de sécu­rité, IV B 4 a, au Ministère des Affaires Etrangères, conseiller de légation Rademacher, Berlin, le 22 juin l941,dans S.KLARSFELD et M. STEIN­BERG,Dokumente. Die Endlösung der Juden­frage in Belgien ,p.28-29.
[205] Le chef supérieur de la SS et de la police, note de procès-verbal, objet: convention de langage au sujet de la déportation à l'Est des Juifs de zone non-occupée, Paris, le 4 septembre 1942, reproduit dans D. PESCHANSKI, Que savait Vichy? dans S.COURTOIS et A.RAYSKI,Qui savait quoi? L'ex­ter­mination des Juifs 1941-1945, Paris, 1987. p. 64. Peschanski cite ce document pour conclure qu'à tout le moins, "Laval n'a pas voulu savoir". Son analyse de l'at­ti­tude de chef du gou­vernement français est très fine: "la vo­lonté d'exclure les Juifs étrangers, quitte à les livrer aux Allemands si ces derniers le demandent, surdétermine l'occultation dès lors nécessaire de toute interrogation sur le sort des victimes" (p.62).
[206] CDJC XXVI-29, IV J - SA 24, Paris, le 15 juin l942, concerne: pro­chains transports de Juifs de France, signé: Dannecker, capitaine SS , re­produit dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, pp. 25-26.
[207] Procès von Falkenhausen - P 2412 Ministère de la Justice, Gaston Schuind, secrétaire général au conseil­ler général Thedick, Bruxelles, le 14 avril 1943
[208] Voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, 1942, les cent jours de la déportation des Juifs de Belgique, t II, p.68.
[209] Procès von Falkenhausen - P 2413 Ministère de la Justice, Gaston Schuind, secrétaire général au conseil­ler général Thedick, Bruxelles, le 14 avril 1943
[210] La proportion des enfants était plus élévée dans les convois de 1942: 22,29 %.
[211] Voir sur cette problématique, M. STEINBERG,  L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs  ,t III, vol. 2, pp.229-233.
[212] Dans les territoires administrés par l'armée - la France et la Belgique -, les homes d'enfants et asiles de vieillards juifs constituaient, en 1943, un ersatz de la "protection" des citoyens d'origine juive arrivée à son terme. Il n'y a dans ces modalités de la solution finale aucun "étrange phénomène à concilier avec une prétendue politique d'extermination", pour reprendre en un autre sens l'expression de R.Faurisson. La démarche "révi­sion­niste" est si étrangère à toute compréhension historique que dans sa Réponse à Pierre Vidal-Naquet, p.30, il n'a pu saisir pourquoi les ra­va­ges de la solution finale dans la population juive de France s'élèvent seulement à 20 ou 25 %. Dans sa lecture abusive, il n'hésite pas à conclure "que les trois quarts des Juifs établis (sic) en France n'ont pas été dépor­tés". A moins de considérer, d'un point de vue xénophobe, sinon antisémite, que les Juifs, quelle que soit leur nationalité, sont toujours des étrangers, ceux qui s'étaient "établis" dans la France d'avant 1940 – c’est-à-dire les immigrés et les réfugiés du Grand Reich Allemand arrivés à la veille de la guerre - ont été déportés dans une plus grande proportion que les citoyens français d'origine juive. Chez ces derniers, le rapport est d'un à six ou sept. La proportion des Juifs étran­gers déportés s'élève à près d'un sur deux. Selon les chiffres publiés par J. Billig, Le Commissariat Général aux Questions Juives 1941-1944 , Pa­ris, 1957, t II, p. 209  et S. KLARSFELD, Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France, sur les 259.717 Juifs dont la nationalité est éta­blie, il y avait 145.008 ci­toyens français, soit 55, 8 %. Sur les 75.721 dé­portés juifs, les Français seraient approximativement 24.000, soit 16, 5 %. En Bel­gique, où la structure socioculturelle de la population jui­ve est toute différente - 94 % d'étrangers -, ces der­niers ont été aussi vulnérables qu'en Belgique.(voir les con­clusions de M. STEINBERG, L'Etoile et le Fu­sil, La Traque des Juifs, 1942-1944, T III, vol, II, pp.250-251). Les Juifs des Pays-Bas ont été les plus vulnérables: 80 % ont été dé­por­tés, mais dans ce territoire placée sous une ad­mi­nis­tra­tion civile, les citoyens juifs - les trois quarts de la po­pu­la­tion juive-n'ont pas été immunisés en 1942.(voir à ce sujet la fort intéressante mise en perspective ouest-euro­pé­en­ne de J.C.H. BLOM, De vervolging van de joden in Ne­der­land in inter­nationaal vergelij­kend perspectief, dans  De Gids, n° 6/7, 1987, pp.494 à 507).
[213] Procès von Falkenhausen P 2395 Le chef de l'administration militaire au délégué du chef de la police de sécurité, Bruxelles, le 30 septembre 1942, objet: évacuation des Juifs, réf. entretien avec le major Ehlers en date du 25.9.1942, signé: Reeder
[214] Procès von Falkenhausen P 2393 Administration militaire, grou­pe poli­tique/pol aux Ober et Feldkommandan­turen, le 25 sep­tembre 1942
[215] M.STEINBERG, Dos­sier Bruxelles-Auschwitz , p.199.
[216] Voir R.M.W. KEMPNER, Edith Stein und Anne Frank, Zwei von Hundert­tausend. Die Enthüllungen über die NS-Verbrechen in Holland vor des Schwurge­richt in München, Frei­burg/Brels­gau, 1968.
[217] J. Billig a souligné, en 1968, combien "les aveux de Hars­ter et de Zoepf, la de­mande de pardon qu'ils ont adressée ré­troactivement à leurs victimes constituent un des traits ex­ceptionnels de ce procès". Voir J. BILLIG, La solution fi­na­le de la question juive en Hollande, Ro­bert Kempner sur Edith Stein et Anne Frank, dans Le Monde juif, n° 52, 1968.
[218] (S. KLARSFELD), Le Procès de Cologne, additif  au Mémorial de la Dé­portation des Juifs de France ,(sl.,sd) et Le ver­dict du procès de Co­logne, texte présenté par Serge Klars­feld , dans Le Monde Juif , n° 1O1, 1981.
[219] J(oseph). B(illig):Quelques réflexions sur les déclarations fon­damentales des accusés, dans Mémoire du Génocide,, p. 441-442.
[220] De Vrijschuter(Le Franc-Tireur), 2eme année, n° 8 [août 1942]
[221] Voir le chapitre La rumeur du génocide dans M. STEINBERG, L'Etoi­le et le Fusil, La Traque des Juifs, t III, vol. 1, pp.229-263.
[222] Les atrocités nazies dans les régions occupées soviétiques occupées, dans Le Drapeau Rouge,n°3, février 1942.
[223] Doc. Nuremberg R 1O2, compte rendu n° 6 sur l'activité et la situation des Groupes d'action de la Police de Sécurité et du Service de Sécurité en U.R.S.S., du 1er au 31 octobre 1941, dans H. MON­NERAY,La per­sécution des Juifs dans les pays de l'Est, p. 298.
[224] Fraternité, 8, juillet 1943 cité dans Qui savait quoi? L'ex­termination des Juifs 1941-1945, p. 196.
[225] J'accuse, 14, juin 1943, ibidem, p.192.
[226] J'accuse, 16, 26 juin 1943, ibidem, p.194
[227] Notre parole, mars 1943, ibidem p. 178.  Analysant, avec la publication de ces textes d'époque, ce qu'il appelle "une stra­té­gie de l'information", S.Courtois, pourtant un spé­cialiste du communisme n'a pas saisi com­bien elle était en réalité, une stratégie de la mobilisation. L'historien évacue cette pro­blématique du criblage de l'information sous prétexte qu'"il est évidemment impossible de dé­ter­miner l'im­pact exact de cette presse clandestine" communiste juive(p.14). La simple critique des seuls do­cuments pu­bliés ré­vèle déjà combien leurs auteurs ne parvenaient pas à se per­suader de la réalité du génocide en cours qu'ils dé­non­çaient. La question demeure ouverte de déterminer jusqu'à quel point "les milieux juifs (...) prennent alors cons­cien­ce que la persécution antisémite vise désormais à leur des­truc­tion", comme l'écrivent encore S. COURTOIS, D. PESCHANSKI et A. RAYSKI, dans Le sang de l'étranger, les immigrés de la M.O.I. dans la Résistance, Fayard, Paris, 1989, p. 159. 
[228] Voir à ce sujet W.LAQUEUR, Le terrifiant secret, la "so­Lu­tion finale" et l'information étoufée, Paris, 1981, notam­ment pp.266-276. Egalement R. POZNANSKI, Qui savait quoi dans le monde?, dans S.COURTOIS et A.RAYSKI, op. cit., p. 37.
[229] L'information sur ce point était fausse. La rumeur du génocide charriait aussi nombre d'erreurs, tels "les wagons pleins de chaux vive". Il est regrettable de les retrouver sous la plume d'un historien définissant la question qu'il pose. Voir S.COURTOIS et A.RAYSKI,ibidem,p.7. Cet ouvrage col­lectif porte malheureusement la marque de la pré­ci­pi­ta­tion. Toutes les communications ne traitent pas avec une éga­le rigueur critique la problématique de la conscience historique.
[230] Radio Moscou, 27 décembre 1942, voir la traduction du passage principal en allemand dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, pp. 57. 
[231] Doc. Nuremberg PS 3244, Mesures préparatoires pour la solution du problème juif en Europe, rumeurs au sujet de la situation des Juifs à l'Est, 9 octobre 1942, extrait des Ordonnances, réglements et avis de la chancellerie du parti national-socialiste, volume II, reproduit dans  H. MONNERAY, op. cit. , p.91-92
[232] Journal de Kremer , le 1er mars 1943, pp. 25O-251
[233] Voir dans  H. MONNERAY,op. cit., p.91-92.
[234] Le nouvel ordre juif. Ce que les Juifs exigent pour eux-mêmes , dans Sürmer, 4 novembre 1943.
[235] Voir dans  H. MONNERAY, op.cit., p.91-92.
[236] CDJC XXVI-29, IV J - SA 24, Paris, le 15 juin l942, concerne: pro­chains transports de Juifs de France, signé: Dannecker, capitaine SS, re­produit dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, pp. 25-26. Une erreur typographique s'est glissée dans le docu­ment repro­duit: "in das östliche Depor­ta­tions­gebiet" doit se lire "in das östliche Operationsgebiet", une seule lettre fait toute la dif­férence histo­rique entre "la déportation" et "l'ex­ter­mination".
[237] M.STEINBERG, Dos­sier Bruxelles-Auschwitz, pp. 2O1-2O2
[238] Doc. Nuremberg URSS-57, rapport du Groupe d'action A pour la période du 1O octobre 1941 au 31 janvier 1942, dans H. MONNERAY, La per­sécution des Juifs dans les pays de l'Est, p. 51
[239] doc L.180 Groupe d'Action A, compte rendu général jusqu'au 15 oc­tobre 1941, daté du 31 janvier 1942, ibidem, p.28O.
[240] Compte rendu URSS-57, rapport du Groupe d'action A pour la période du 1O octobre 1941 au 31 janvier 1942, ibidem, p. 51
[241] doc.Nuremberg NO-2825, RSHA IV-A 1 R 133, du 14 novembre 1941, cité dans R. HILBERG, La destruction des Juifs d'Europe, p. 256. 
[242] Doc.Nuremberg NO 2824,Le chef de la police de sécurité et du service de sécurité, compte rendu des évé­nements URSS n°148, Berlin, le 19 décembre 1941 , dans H. MONNERAY,op. cit., p. 3O3.
[243]  Doc.Nuremberg NO 316O, Le chef de la police de sécurité et du service de sécurité, compte rendu des événements URSS n°124, Berlin, le 25 octobre 1941, p.2 et p.6. Autre traduction dans H. MON­NERAY, ibi­dem, pp.299-300.
[244] Doc. Nuremberg URSS-57, rapport du Groupe d'action A pour la période du 1O octobre 1941 au 31 janvier 1942, ibidem, p. 51
[245] Ministère du Reich pour les territoires occupés de l'Est, projet de lettre  signé:  Wetzel, Berlin, le 25 octobre l941, objet: solution de la question juive, dans P. JOFFROY ET K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann, texte établi par Pierre Joffroy et Karin Königseder, Paris, 1970, p.162-163.
[246] Doc. Nuremberg PS 3257 Inspection de l'Armement  en  Ukrai­ne, au  chef  du Bureau de l'Economie et de l'Armement au­près du Haut Commandement de l'Armée,le général d'Infanterie Tho­mas à Berlin , le 2 dé­cembre l941, dans H. MON­NERAY, op.cit, p. 111
[247] Auschwitz vu par les SS, Hösz, Kremer, Broad, p. 108.
[248] doc. Nuremberg PS 11O4. Le commissaire du territoire de Sluzk, Carl au commissaire général à Minsk, Sluzk le 30 oc­to­bre 1941, objet: opération contre les Juifs, dans H. MON­NERAY, op. cit., p. 137.
[249]  doc. Nuremberg PS 11O4. Le commissaire général pour la Ruthénie blanche, au Gauleiter Heinrich Lohse, commissaire du Reich pour les territoires de l'Est à Riga, Minsk le 1er novembre 1941, personnel, si­gné: Kube, ibidem, p.134.
[250] Dans ses Libres propos sur la la guerre et la paix (Paris, 1954, t I, p.137), Hitler exprime à plusieurs reprises son mécontentement devant les réactions négatives que suscitent, dans le Reich, la déporta­tion des Juifs allemands vers l'Est. "Notre bourgeoisie en est toute malheureuse", dit-il le 25 jan­vier l942, en présence d'Himmler."Que va-t-il leur arriver?". Et d'ajouter: "il faut agir radicale­ment. Quand on ar­rache une dent, on l'arrache d'un coup et la douleur tarde à disparaître (...) Moi, je me borne à leur dire [aux Juifs] qu'ils doivent s'en aller. S'ils cassent leur pipe en route, je n'y puis rien. Mais s'ils refusent de partir volontairement, je ne vois pas d'autre solution que l'extermination.  Pourquoi ne considérais-je un juif avec d'autres yeux qu'un prisonnier russe ? Dans les camps de prisonniers, nombreux sont ceux qui meurent. Ce n'est pas ma faute. je n'ai voulu,ni la guerre, ni les camps de prison­niers. Pourquoi le juif a-t-il fomenté cette guerre ? Il se passera bien trois cents à quatre cents ans avant que les juifs reprennent pied en Eu­rope".
[251] Ministère du Reich pour les territoires occupés de l'Est, projet de lettre  signé:  Wetzel, Berlin, le 25 octobre l941, objet: solution de la question juive, dans P. JOFFROY ET K. KONIGSEDER, Eichmann par Eichmann, texte établi par Pierre Joffroy et Karin Königseder, Paris, 1970, p.162-163.
[252] Voir Y. TERNON et S. HELMAN, Le massacre des aliénés, des théoriciens nazis aux praticiens, Ed. Caster­man, Paris.
[253] Wetzel écrivait:"à l'heure actuelle, on évacue des juifs de  l'ancien  Reich pour les envoyer à Litz­mannstadt [Lodz dans le Warthegau], et d'autres camps encore, d'où ils partiront vers l'Est, et, s'ils sont aptes au travail, dans les camps de travail".
[254] CDJC/CDXCVI Le commandant militaire en Belgique et dans le Nord de la France, chef de l'administration militaire, groupe: pol., Bruxelles, le 27 octobre 1942, aux Ober- et Feldkommandantures, concerne: procédure de trans­fert dans le Reich et de déportation dans le territoire de l'Est, dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Juden­frage in Belgien, p.51.
[255] Doc. PS 447, directive du Haut Commandement de la Wehrmacht, signée: Kei­tel, le 13 mars 1941.
[256] M.STEINBERG, Dos­sier Bruxelles-Auschwitz, p.120
[257] Les ordres donnés à Pretszch semblent avoir été fort vagues. L'ordre d'assassiner également les femmes et les enfants serait intervenu une fois le massacre entamé. Au procès dit des "Einsatzgruppe" à Nu­remberg en 1947/1948, le général SS Erwin Schulz, également docteur en droit et présent à l'école de Pretszch en mai l941, apprit seulement - selon ses dires - le l0 août 1941 que les femmes et les en­fants devaient être tués comme les hommes. A sa de­mande, il fut relevé, le 25 septembre 1941, du com­mandement du commando d'action 5 dans le Groupe C. Voir F. BAYLE, Psychologie et éthique du national-socialisme, P.U.F., Paris, 1953, p. 99.
[258] Le cas le plus remarquable est celui du général de brigade SS Heinz Jost, docteur en droit comme Ehlers et son aîné de quatre ans. Il demanda  d'être relevé du commandement du Groupe A où il avait succèdé à Franz Stahlecker. Himmler et Heydrich lui laissèrent son grade de général de la police, mais il fut muté sur le front avec le grade de sergent dans la Waffen SS. Ibidem, p. 91.
[259] Doc PS 1919 Discours d'Himmler à Posen, devant les généraux SS, le 4 oc­tobre 1943, cité d'après MONNE­RAY, H., op. cit., p.66
[260] Discours de Himmler aux Reichsleiter et Gauleiter, à Posen, le 6.1O.1943, dans H. HIMMLER, Discours se­crets, Paris, 1978, p.167-168
[261] Discours d'Himmler aux généraux SS à Posen, le 4 octobre 1943, d'après F. BAYLE, op.cit. , pp.438-439
[262] lettre du comman­dant de la SIPO-SD en Ryuthénie blanche à l'état-major personnel du R.F.SS, signé lieu­tenant-co­lonel Strauch, Minsk, le 2O juillet l943, ci­tée d'après W. HOFER, Le na­tional-socialisme par les textes, pp. 297-298.
[263] Voir sur E. Strauch, A. DE JONGHE, La lutte Himmler-Reeder pour la nomi­nation d'un HSSPF à Bruxelles - Cinquième partie: Salzbourg avant et après - Evolution policière de septembre 1943 à la fin de l'occupation, dans Cahiers d'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale, Bruxelles, 8, octobre 1984, pp. 100-101.
[264] NO-4315 Lettre de Berger ( chef de l'Office central de la SS) à Brandt (état-major personnel de Himm­ler), 18 août 1943, cité d'après R. Hilberg, La Destruction des Juifs d'Europe, p. 335, n.81
[265] Cité d'après R. HILBERG, ibidem, p. 334 note 80.
[266] NO-6OO, Lettre de Grawitz à Himmler, le 4 mars 1942, citée dans R. HIL­BERG, ibidem, p. 283.
[267] Voir F. BAYLE, op. cit., p. 145.
[268] Procès-verbal de C. Canaris, le l8 juin 1946, cité d'après A. DE JONGHE, La lutte Himmler-Reeder dans Cahiers d'Histoire de la Seconde Guerre Mondiale, Bruxelles, 8, octobre 1984, pp. 101 note 4O3.
[269] Mémoire de E. Strauch, le 8 mai 1947, cité d'après A. DE JONGHE, ibidem, p. 101 note 4O3.
[270] Dans son étude du comportement des inculpés du procès des Grou­pes d'action  à Nuremberg, François Bayle constate que "des sanctions disciplinaires: dé­placements et re­tro­gra­da­tions, frappèrent les chefs de groupes ou de comman­dos qui refusèrent d'exécuter les ordres d'extermination" (F. BAYLE, op. cit. , p. 179)
[271] Himmler n'est pas parvenu à installer le général SS R. Junglaus comme chef supérieur de la SS et de la Police en Belgique et dans le Nord de la France au printemps 1942.
[272] J.BILLIG, Expertise sur la connaissance par le SS Oberstrurmbannführer Ehlers du sens réel de la dépor­tation des Juifs de Belgique, dans M.STEINBERG, Dos­sier Bruxelles-Auschwitz , pp. 2O1.
[273] Ibidem, p.201.
[274] Voir le compte rendu de l'audience du 29 juin l981, par L. De Lentde­cker, dans De Standaard, 3O juin 1981, reproduit dans S.KLARSFELD et M. STEIN­BERG, Le Mémorial de la dé­por­ta­tion des Juifs de Belgique. La fin du volume est con­sa­cré à cet épilogue judiciaire et le reconstitue à l'aide des cou­pu­res de presse.
[275] Voir le compte rendu de la dernière audience par J.P. C(olette), dans Le Soir, 3 juillet l941.  L'accusait ajou­tait qu'"il est donc faux d'affirmer que je n'ai pas de re­gret". Il répondait ainsi à la par­tie ci­vile. Elle avait dé­noncé son mutisme."Sans même avouer le rôle qui fut le sien", avait-elle déclaré, "il pou­vait tout au moins regretter les crimes que le service dont il était un agent a commis contre tant  d'êtres  humains, hommes, femmes, en­fants et vieil­lards".
[276] Les extraits les plus significatifs du verdict sont publiés dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Le Mémo­rial de la dé­por­ta­tion des Juifs de Belgique, non paginé.
[277] Le 29 juin 1981, dans ses préliminaires, le conseil de l'ac­cusé, an­cien bâtonnier de l'ordre des avocats de Kiel, déclarait volontiers: "Nous aussi, nous disons que Hitler voulait exterminer les Juifs et que sa vo­lonté fut exécutée en 1942". 
[278] Ces pièces d'archives ignorées du parquet et produites par la partie civile sont les compte rendu des en­tretiens de l'officier SS avec les délé­gués du conseil juif qui fonctionnait sous son contrôle per­sonnel.
[279] Ministère de la Santé Publique et de la Famille. Administration des Victimes de la Guerre. Procès-Ver­baux du Comité directeur de l'Association des Juifs en Belgique, compte rendu de l'entretien au siche­rheitsdienst, en date du 23.1O.1942 dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente. Die Endlösung ...in België, p. 53. Voir aussi M.STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, 1942, Les cent jours de la dé­portation des Juifs de Belgique, Bruxelles, 1984, T II, p. 16.
[280] Doc. Nuremberg, PS 1919, discours d'Himmler devant les généraux SS, à Posen, le 4 octobre l943.
[281] Voir M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs ,t III, vol. 1, p. 214 et suivantes
[282] Doc. Nuremberg NG-5219. AA. 17 nov. 1942, Service des Affaires étran­gères, Bruxelles, au Service des Affaires Etrangères, Berlin, Bruxelles le 11 novembre l942, concerne: Juifs en Belgique  signé: Bargen , publié dans S. KLARSFELD et M. STEIN­BERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien  pp. 54-55.
[283] Le chiffre de 20.000 personnes à déporter jusqu'en octobre 1942 correspond à celui que donne l'ancien commandant d'Auschwitz Rudolf Hösz. Revenant dans ses Mémoires sur ses pre­mières dépositions judi­ciaires quant au nombre de Juifs morts dans son camp, il "consi­dère le chiffre de deux millions et demi comme beaucoup trop élevé". Lui, il "ne (se) sou­vient(t) que des chiffres des "actions" plus im­portantes qui (lui) ont souvent été indiqués par Eichmann ou ses délégués" et ici, il citait le chiffre "belge" de 20.000 (Voir Ausch­witz  vu par les SS, pp. 132-133)
[284] J.B. Quelques réflexions sur les déclarations fondamentales des accusés, dans Mémoire du Génocide, p. 443.
[285] Dannecker, condamné à mort par contumace en France en 195O, est pré­sumé s'être pendu, le l0 décembre 1945, dans la prison américaine de Bade-Tolz.
[286] Doc. CDJC CDLXXXI- 5b Jugement du procès Lischka-Hagen-Heinrich­shon 23 octobre 1979-11 février 1980, p. 279.
[287] Doc CDJC XXV b-2O, IV J. Paris, le 13 mai l942, concerne: affectation du matériel ferroviaire pour les transports de Juifs, signé: Dannecker, capi­taine SS, dans S. KLARSFELD, Deut­sche Dokumente 1941- 1944, Die End­lösung der Judenfrage in Frankreich, herausgegeben von Serge Klars­feld, Pa­ris, 1977, p. 56.
[288] J. BILLIG, La Solution finale de la question juive,, p. 94.
[289] R. FAURISSON, Une enquête du Monde diplomatique sur les chambres à maz (mars 1988), dans Annales d'Histoires révisionnistes, 4, printemps 1988,  p. 144). Le numéro de mars 1988 du Monde diplomatique comportait une enquête d'Alexandre Szombati sur la mémoire sans dé­faillance des bour­reaux, les nazis parlent. Y était rapportée (p. 5) la "grande surprise" du juge d'instruction  des procès du camp de Tre­blinka, l'Allemand Kurt Schwedersky d'être "tombé" sur un document aussi explicite que le rapport Dannecker sur "le but de (la) déportation" en dépit de l'interdiction de "parler ouverte­ment de l'extermination des Juifs" dans le IIIème Reich.
[290] R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Na­quet, Paris, 1982, p. 29; voir aussi l'exposé sur le convoi n° 1 du 27 mars 1942, dans S.KLARSFELD, Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France, non paginé).
[291] O(ffice) C(entral de la) S(écurité du) R(eich), IV B 4, Paris, le 1.7.1942, concerne: conférence de ser­vice en vue de l'imminente évacuation de France, avec le capitaine SS Dan­necker, Paris, signé: Danne­cker, capitaine SS, Eichmann, lieutenant-colonel SS, dans S. KLARSFELD, Deutsche Do­ku­men­te, p. 71.
[292] Dannecker lui-même est un ancien de la section II du service de sécu­rité de la SS chargée des "adver­saires idéologiques" (voir le service des ques­tions juives au SD. Le II-112 sous le signe du sionisme­ dans J. BILLIG, La So­lu­tion finale de la question juive, pp.22 et sui­vantes). En Belgique, les af­faires juives relevèrent de la section II des "adversaires idéologiques" de la police de sécurité jusqu'au prin­temps 1943 (voir à ce sujet sur la Bel­gique le chapitre La mission an­tijuive de la police SS dans M. STEINBERG, Dossier Bruxelles-Ausch­witz, p. 16).
[293] Voir doc. EG-183 Le chef de la police de sécurité et du service de sécurité, IV B 4 a, au Ministère des Affaires Etrangères, conseiller de légation Rademacher, Berlin, le 22 juin l941 dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente. Die End­lösung der Judenfrage in Belgien, p. 28.
[294] CDJC V- 59 Mémoire de Dannecker sur l'office central juif, daté du 21 jan­vier 1941, cité d'après J. BIL­LIG, Le Com­mis­sa­­riat General aux Ques­tions Juives (1941-1944), Paris, 1955, T 1, p. 46.
[295] Avant même que les chargés des affaires juives à l'Ouest eussent atteint les quota fixé le ll juin, l'"aktion" de "transport des Juifs vers l'Est" prit, sur instruction de Berlin, "le caractère d'une évacuation générale", comme le si­­gnalait dès septembre l'autorité militaire d'occupation à Bru­xelles (voir Rapport d'activité n° 21 de l'ad­mi­nis­tration militaire en Belgique et au Nord de la France, le 15 sep­tem­bre 1942, p. A 38, dans S.KLARSFELD et M. STEINBERG, Dokumente, p. 44) 
[296] Doc. CDJC XXVb-87, IV-J, Paris, le 2O.7.1942, concerne: Voy­a­ge en zone non-occupée - inspection des camps juifs, signé: Dannecker, capitaine SS, pu­blié dans S. KLARSFELD, Deutsche Dokumente, p. 95.
[297] R. FAURISSON,Réponse à Pierre Vidal-Na­quet, p. 29; voir aussi l'exposé sur le convoi n° 1 du 27 mars 1942 , dans S.KLARSFELD, Le Mémorial de la Déportation des Juifs de France, non paginé).
[298] Interview de R. Faurisson à Storia illustrata, août 1979, n° 261, rééditée par La Vieille Taupe, p. 11.
[299] Voir l'extrait du verdict de Kiel publié, dans S.KLARSFELD et M. STEIN­BERG, Le Mémorial de la déporta­tion des Juifs de Bel­gique.
[300] Voir Tribunal Supérieur du Schelswig-Holstein, décision dans l'affaire pénale contre E.Ehlers, C.Cana­ris, K.Asche et K.Fielitz, le 8 mars 1977, dans M.STEINBERG, Dos­­sier Bru­xelles-Auschwitz, p.197.
[301] Ibidem, p.204
[302] Formulaire, daté du 18 juillet 1942, publié dans G. WEL­LERS, Les chambres à gaz ont existé, pp. 83-84.
[303] Le journal du Dr. Goebbels, Paris, 1949, p. 246.
[304] Sermon de l'évêque de Munster, Clemens von Galen en l'Eglise Saint Lamberti à Munster, le 3 août 1941, reproduit dans W. HOFER, Le National-Socialisme par les Textes, pp. 161-163
[305] Général SS Victor Brack à Heinrich Himmler, RFSS , Berlin le 23 juin l942, d'après E. KOGON, H. LANG­BEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret d'Etat p. 136-137. Au total, 92  hommes "de la chancelle­rie du Führer [participèrent à] l'exécution de l'opération Reinhard" sur les 45O que Globocnik eut sous ses ordres, jusqu'au 19 octobre l943. (Lettre du Général de Brigade SS Globocnik à la direction du personnel du R.S.H.A à Berlin, le l9 octobre l943, ibidem, p.135).
[306] Journal de Kremer ,p.226.
[307] R. FAURISSON, Mémoire en défense, p.31.
[308] P. VI­DAL-NAQUET,Les assassins de la mé­moire. p.68 et p.73.
[309] R. Hilberg a même exigé de son éditeur Fayard que le mot d'"extermination ne (soit) pas (...) utilisé dans son texte: on parlera donc, sous sa plume d'"opérations mobiles de tuerie" et de "camps de mise à mort"".(Voir l'avertissement de l'éditeur, dans R. HILBERG,La des­truction des Juifs d'Europe, p.7) Ce choix per­sonnel est malheureux. il multi­plie les im­passes dans la traduction des docu­ments (Voir au chapitre VIII, Les déportations, pp. 338, 341, 345 ...). Plus fondamentale­ment, l'option morale de Hilberg nourrit la confusion chez le lecteur entre les "camps de la mort" que sont les camps de concentration et les "camps d'extermination" qui n'immatriculent pas les déportés voués au massacre, dès leur ar­rivée. Voir le compte rendu de M. STEINBERG, dans Annales, Economies, Sociétés, Civilisa­tions , 43ème année, n° 3, mai-juin 1988, pp.666-669. (C'est cette revue scientifique que parodie les Annales d'histoire révisionniste dans sa quête d'une respectabilité).  
[310] Voir Une lettre de M. Faurisson, dans Le Monde, 16 janvier l979.
[311] En réponse à Faurisson, Vidal-Naquet souligne qu'avec cette note sur "le camp de l'extermination", Kre­mer "ne fait pas, c'est vrai, référence à un concept juri­dico-adminis­tratif qui ne figurait pas, c'est encore vrai, sur les tablettes officielles du IIIème  Reich, il parlait tout simplement de ce qu'il voyait".Dans la traduction de Vidal-Naquet toute­fois, "Kre­mer parle du camp de l'anéantissement").(voir P. VIDAL-NAQUET, Les as­sassins de la mémoire,, p.72-73.
[312] R. FAURIS­SON,Mémoire en défense, p.22.
[313] La note est citée dans la traduction d'Oswiecim (voir le Journal de Kremer, p.235). Pierre Vidal-Naquet remarque que "Fau­risson, si sou­cieux d'exactitude en matière de traduction, ne s'est pas aperçu que Kremer n'emploie pas, pour le typhus, le verbe Vernich­ten, il écrit le 3 octobre:"A Auschwitz, des rues entières sont abattues par le typhus"(In Auschwitz liegen ganze Strassenzüge an Typhus darnie­der)".(Voir P. VI­DAL-NAQUET,Les assassins de la mé­moire.p.71-72. Le recueil reprend Un Eichmann de papier, pu­blié dans Esprit, 9, septembre 1980.). Dans son Mémoire en défense sorti de presse en no­vembre de 198O, Faurisson rectifie, en traduisant par "étaient cou­chées, malades"(p.2O).
[314] R. FAURISSON, Mémoire en défense, p. 25.
[315] Une lettre de M. Faurisson, dans Le Monde, 16 janvier l979.
[316] R. FAURISSON, Mémoire en défense, p. 32.
[317] Ibidem, p. 34.
[318] Ibidem, p. 32
[319] Journal de Kremer , p. 226.
[320] télex de l'office central de l'administration économique de la SS, le 22 juillet 1942 , dans E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret d'Etat, p. 2O1.
[321] Lettre du 14 septembre l942, citée dans G. WELLERS, Qui est Ro­bert Faurisson, dans Le Monde juif, n° 27, juillet-sep­tembre 1987, p. 1O3.
[322] télex de l'office central de l'administration économique de la SS, le 26 août 1942  et idem, le 2 oc­tobre 1942 , dans E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret d'Etat, p. 2O1.
[323] Journal de Kremer, n.52, p. 227.
[324] Du temps de Kremer, la rampe n'était pas à Birkenau, mais à la gare de marchandises d'Auschwitz.
[325] H. LANGBEIN, Der Auschwitz-Processs, Eine Dokumenta­tion t. 1, p. 73.
[326] Voir le doc.NO-365,Ministère du Reich pour les territoires occu­pés de l'Est, pro­jet de lettre  signé: Wetzel,25 octobre 1941, repro­duit dans Eichmann par Eichmann, p.162-163.
[327] Sur le rôle de V. Brack dans l'exécution technique du génocide, voir R. HILBERG, op. cit., pp.757, 76O, et surtout pp. 776 et sui­vantes.   
[328] G. WELLERS, Les deux gaz toxiques, dans E. KOGON, H. LANG­BEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret d'Etat, p. 259.
[329] La formule est de R. Faurisson, dans son Mémoire en dé­fense, p. 48. Il ne l'utilise évidemment pas en relation avec le document Wet­zel du 31 octobre 1941. R. Fauris­son feint d'ignorer cette pièce du dos­sier des chambres et des camions à gaz. Il s'étonne d'autant plus facile­ment que Kre­mer "ne peut rien dire sur la façon de pénétrer dans la "chambre à gaz" pour en retirer les corps. C'est bien pourtant à cet ins­tant fatidique, dans ces heures cruciales de la manipulation de cen­taines de cadavres pénétrés de cya­nure qu'en tant que médecin, il au­rait eu éven­tuellement à intervenir". L'argument lui sert à invalider un té­moignage judiciaire où l'accusé - Kremer - rapporte la préoccupation de la vie des exé­cutants SS de l'extermination des Juifs.  
[330] Justiz und NS Verbrechen, vol. 17., p. 17.
[331] Journal de Kremer, p.229.
[332]  H. LANGBEIN, Der Auschwitz-Processs, Eine Dokumenta­tion t. 1, p. 74
[333] Ibidem, p. 72.
[334] R. FAURISSON,Mémoire en défense, pp. 48 et suivantes
[335] Ce bénéfice du doute que le verdict accorde à l'accusé ne décide pour autant Faurisson à réviser sa théorie des procès en sorcellerie  intentés aux criminels nazis. Idem, p.53.
[336] Ibidem, p. 55. Chez Faurisson, l'argument sert à prouver que Kre­mer, par crainte de la justice, continue "à réciter" la "leçon" apprise en Pologne. Selon lui, Kremer aurait opté, dans sa défense, pour le "sys­tème, adopté par tous les avocats de ce type de procès, (qui) consiste à ne remettre en cause au­cun tabou et à déclarer :"oui, sans doute, les ga­zages ont existé, mais personnellement, je n'y ai participé que de très loin et sur ordre"" ( Ibidem). La défense de Kremer fut bien diffé­rente de l'analyse "ré­vi­sion­niste": il ne plaida pas cou­pable.
[337] Ibidem, pp. 48 et suivantes
[338] Faurisson s'étonne des déclarations du témoin sur le geste du SS qui "lançait(!) le contenu d'une boîte de Zyklon B  par une ouverture dans le mur(!) et que par cet orifice (!) on entendait les cris des vic­times [...]". Et de s'in­ter­ro­ger. "Mais ce médecin, qu'a-t-il vu, de ses yeux vu, en fait de "chambre à gaz" ? Exactement rien", conclut-il.
[339] Voir au chapitre IV, la discussion sur "le gazage".
[340] message téléphoné du lieutenant SS Schwartz d'Auschwitz au service central de l'administration écono­mique, service D II à Oranienburg, daté du 8.3.43, dans G.WELLERS, Les Chambres à Gaz ont existé; des documents, des témoignages, des chif­fres", p.43
[341] L'état des effectifs de Birkenau, daté du 8 octobre l944 compte les 1.299 détenus soumis au "traitement spécial", le 7, parmi les 2.394 "sorties" dont 1.15O "transfert", dans  E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RU­CKERL, Les chambres à gaz, secret d'Etat, p.2O2.
[342] Le Reichsführer SS, état-major personnel, à l'inspecteur de la statistique camarade de parti Korherr, si­gné: lieutenant-colonel SS Brandt, le lO avril l943 , cité  G. WELLERS, La Solution finale et la mytho­manie néonazie, Paris-New-York, 1979, p.64.
[343] R. FAURISSON, Réponse à Vidal-Naquet, p. 24.
[344] Le "révisionnisme" fait grand cas de la déposition d'Ernst Kaltenbrunner au procès de Nuremberg sur le "traitement spécial" réservé à des détenus de marque internés dans des hôtels de luxe. Le contexte de cette citation est toujours ignoré. Kaltenbrunner y montrait que "l'expression tragique de "traitement spécial" est employée ici d'une façon abso­lument humoristique" (Procès de Nuremberg, t. XI, p.348 cité d'après G. WELLERS, Qui est Robert Faurisson, dans Le Monde juif, n° 27, juillet-septembre 1987, p.104.
[345] Dans sa réponse à Vidal-Naquet (p.24), Faurisson exhibe la lettre de l'auteur du rapport, Richard Ko­rherr au Spiegel, le 25.7.l977 reproduite par son collègue en "révisionnisme" W. STAGLICH, (Le mythe d'Auschwitz, n.58, p.4O7). "L'affirma­tion", y écrivait l'ancien nazi," selon laquelle j'aurais pu éta­blir que plus d'un million de juifs ont pu mourir dans les camps du gouvernement général de Pologne et des territoires de la Warthe, des suite d'un traitement spécial est ab­solument inexact. Il me faut pro­tester contre l'emploi du verbe "mourir" dans ce contexte. C'est justement le terme de "traitement spé­cial" qui m'incita à demander une explication par téléphone à l'Office central de la Sécurité du Reich. On me répondit que ce terme s'appliquait aux juifs qui devaient être établis en colonie dans le dis­trict de Lublin". Faurisson n'a pas reproduit la dernière phrase. C'est que Staglich en dit trop pour Faurisson. La référence à la réserve de Nisko - projet abandonné depuis l94O - ruine le sens d'"isoler" qu'il donne à "Sonderbehandlung". Korherr en dit aussi trop peu. Pourquoi, par surcroît de "camou­flage", Himmler interdirait-il, en 1943, cette référence à un projet abandonné depuis deux ou trois ans. Faurisson, si cri­tique pour les anciens nazis qui reconnaissent le fait de l'extermination, n'envisage pas un instant que Korherr ait un quelconque intérêt personnel, au temps des procès de "crimi­nels nazis", à préserver le "camouflage" qui l'exonère de toute complicité dans le génocide. 

[346] Lettre d'Arthur Greiser,gauleiter du Warthegau, à Himmler, le ler mai l942 dans  E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, Les chambres à gaz, secret d'Etat, p.14.
[347] Le Reichsfürher SS au chef de la SIPO-Sd, le 9 avril l943 , reproduite dans G. WELLERS, "La Solution fi­nale et la mythomanie néo-nazie", Paris-New York, 1979, p.64.
[348] Le rapport inscrit dans "l'évacuation" le "ghetto de vieillards" de Thérésienstadt dont il décompte, dans une sous-rubrique, les 87.193 personnes.
[349] Journal de Kremer, le 1er mars 1943, pp. 25O-251
[350] Respectivement 41.911, 38.571 et 16.886
[351] L'inspecteur de la statistique auprès du Reichsführer SS, La solution finale de la question juive euro­péenne, rapport statistique,[le 23 mars 1943] dans G. WELLERS, La Solution finale et la mythomanie néo-nazie, pp.72-73
[352] Au titre de "la mise au travail", Korherr retient 185.776 Juifs qui n'interviennent pas dans le calcul de la "décroissance". Ibidem,  p. 75
[353] G.Wellers a fait le calcul des immatriculés pour l'ensemble de la déportation à Auschwitz. D'après ses chiffres - et quoi qu'il y ait d'un chercheur à l'autre des variations dépour­vues de signification sta­tistique -, des 25.260 déportés de Belgique, 8.435 furent immatriculés (en fait, dans le dernier état de la statistique, 25.257 déportés et 8.299 im­matriculés, les 351 tziganes compris); des 69.030 dépor­tés de France, 27.220 furent immatriculés; et des 56.575 déportés des Pays-Bas, 38.305 le furent. Voir G. WEL­LERS, Essai de détermination du nombre de morts au camp d'Auschwitz, dans Le Monde juif, n° 112, octobre-dé­cembre 1983, p.153.
[354] Voir le doc.N-G. 2586-E, Protocole de conférence, [20 jan­vier 1942], p.8  (En allemand: "entsprechend be­handelt werden mussen)". On notera qu'Heydrich faisant cet exposé a aussi annoncé que "nous mettons dès maintenant à profit nos expériences pratiques, si indispensables à la solution finale du problême juif", car, "on ne saurait considérer cependant ces solutions [dans le contexte : "l'évacuation des Juifs vers l'Est, solution adoptée avec l'accord du Führer"] que comme des palliatifs".
[355] Les chiffres globaux se répartissent comme suit, en ce qui concerne uniquement la déportation des Juifs vers les camps d'extermination:
  a) de France: 73.853 dont il n'y eut que 2.190 survivants (S. KLARSFELD,Le Mémorial de la Dépor­tation des Juifs de France)
b) de Belgique: 25.475 dont il n'y eut que 1.335 survivants (sont compris dans les déportés, 351 tsiganes et 218 juifs partis vers Buchenwald, Ravensbrück, Bergen-Belsen et Vittel; voir S. KLARSFELD et M. STEINBERG,Le Mémorial de la Déportation des Juifs de Belgique, Bruxelles-New York, 1982. Voir aussi pour une analyse statistique plus fine le bilan de la solution en Belgique dans M. STEINBERG, L'Etoile et le Fusil, La Traque des Juifs, Bruxelles, l987, t III, vol II, p.259).
c) des Pays-Bas: 90.089 dont il n'y eut que 831 survivants (Voir L. DE JONG, Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede Wereldoorlog, Gevangenen en gedeporteerden, 1978,  tome 8, vol.2 partie, p. 708.
d) Les chiffres hollandais sont plus élevés, environ 107.000 dont environ 5.200 survivants, mais ils comprennent, en plus grand nombre que dans le cas belge et français  des déportés - 27.000 per­sonnes - vers les camps de Mauthausen, Buchenwald, Bergen-Belsen .... dans ces camps de la mort, la mortalité, tout élévée qu'elle soit, est qualitativement in­férieure à la mortalité des camps d'extermination. C'est pourquoi, faussant les chiffres globaux, ces déportés hors solution finale ne sont pas compris ici. Il importe historiquement de pas confondre les notions de "camp de la mort" et de "camp d'extermination". La singularité du géno­cide juif se dissout dans cette confusion où s'amalganent les disparus du camp d'extermination et les concentrationnaires juifs morts au camp comme leurs compa­gnons non-juifs.
[356] La mortalité des concentrationnaires n'y fut peut-être pas la plus élevée. D'après  G. Wellers (voir G. WELLERS, Essai de détermination du nombre de morts au camp d'Auschwitz, dans Le Monde juif, n° 112, oc­tobre-décembre 1983, p. 142), quelque  358.279  détenus - pour moitié des Juifs - furent immatriculés à Auschwitz (décompte fait des doubles emplois de matricule). A l'évacuation du camp - du 18 mai 1944 jusqu'aux marches de la mort de la fin janvier 1945 - il y avait à peine 141.765 "survivants", soit 39,5 %. Ce qui ne signifie pas que la mortalité, fort élevée, soit de 60,5 % (le chiffre des trans­ferts n'est pas connu). Selon  L. DE JONG, Het Koninkrijk der Nederlanden in de Tweede Wereld­oorlog, Ge­vangenen en gedeporteerden,  t. 8, vol. 1, p. 117), il y aurait eu 228.000 morts sur 400.000 détenus d'Auschwitz, soit une mortalité de 57 %. Elle est de 67 % au Stutthof, de 25 % à Buchenwald.
[357] La formule est reprise à l'accord entre Thierack, ministre de la justice du Reich et le Reichsführer SS Himmler, le 18 septembre 1942. L'article 2 prévoit "l'exclusion des élé­ments asociaux de l'administration de la justice générale et leur transfert au Reichsführer SS pour l'extermination par le travail" (doc. PS 6514)
[358] J. BILLIG, L'hitlérisme et le système concentrationnaire, 1967, p. 1O
[359] O. WORMSER, Le système concentrationnaire nazi, Paris, 1968, p. 16.
[360] A la différence de la France et plus encore des Pays-Bas, les citoyens belges n'étaient qu'une infime mi­norité dans la population juive en Belgique, à peine 6 %. Elle était formée, avant d'être ravagée par la solution finale, essentiellement d'étrangers, même d'immigrés, voire de réfugiés du Grand Reich al­lemand arrivés à la veille de la guerre.  Cette structure socioculturelle caractéristique permet de les distinguer, dans les statistiques de l'administration belge des victimes de la guerre. Elles sont rela­tives aux "pri­sonniers politiques" et aux "déportés au travail", les uns et les autres reconnus légale­ment, ainsi qu'aux déportés raciaux ("israélites" et "tziganes") bénéficiaires d'aucun statut légal. Les deux premières catégories de détenus comportent essentiellement des citoyens belges, alors qu'ils sont l'exception dans la troisième catégorie. Cette particularité "belge" autorise l'analyse compara­tive de leur sort respectif pendant la guerre.
[361] Cette approche des statistiques de l'administration des victimes de la guerre innove. Auparavant, les chiffres - faute d'avoir été analy­sés dans le détail - étaient au mieux jux­taposés. Dans son étude sur l'évacuation massive des prisons SS en Belgique: les convois des 8 et 23 mai 1944 à destination du camp de concentration de Buchenwald (Cahiers d'histoire de la seconde guerre mondiale, Bruxelles, n° 6, oc­tobre 198O, p. 142), Peter Scholliers avait aperçu le pro­blème sans pouvoir le résoudre. Il avait re­marqué la con­tradiction entre les chiffres communiqués par le Ministère de la Santé Publique et de la Famille et ceux relatifs aux Sta­tistique de la résistance et de la déportation publiés dans le Bulletin du Centre de Recherches et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre Mondiale, n° 8, mars 1978, p. 53.
[362] Les commissions d'agréation refusaient le statut de déporté au travail aux déportés raciaux qui le solli­citaient: ils avaient été déportés pour raison raciale. Les autorités d'occupations n'avançaient par cette raison à l'époque: les Juifs étaient déportés pour une "mise au travail", l'"Arbeiteinsatz".
[363] Ont été reconnus au titre légal de prisonniers politiques 26.535 citoyens belges et 764 ressortissants étrangers, soit  27.299. A ces chiffres s'ajoutent les reconnaissances à titre posthume qui s'élèvent à 13.781 citoyens belges et 177 ressortissants étrangers, soit 13.958. Le nombre d'étrangers - moins d'un millier - autorise à additionner les "politiques" avec les "déportés raciaux": sur 25.457 dépor­tés de Malines ( non compris les déportés "belges" de Drancy), les citoyens belges d'origine juive sont à peine 1.203. A remarquer toutefois que des déportés raciaux de nationalité belge ont pu obtenir le sta­tut de prisonnier politique; il en est de même des étrangers, mais tous les "prisonniers étrangers" ne sont pas juifs. Les 113.000 personnes qui ont été détenues en Belgique occupée au triple titre de la répression politique, raciale et "économique" (les déportés au travail) sont un ordre de grandeur. Seul un programme de recherche  mobilisant une équipe de chercheurs dotés de moyens modernes permettra de dresser un tableau correct de la répression: les sources sont disponibles, non les ressources.
[364] CDJC/CDXCVI Le commandant militaire en Belgique et dans le Nord de la France, chef de l'administration militaire, grou­pe: pol., Bruxelles, le 27 octobre 1942, aux Ober- et Feld­kommandanturen, concerne: pro­cédure de transfert dans le Reich et de déportation dans le territoire de l'Est, re­produit dans S.KLARSFELD et M.STEINBERG, Dokumente, Die Endlösung der Judenfrage in Belgien, p.51.
[365] Les recherches menées en France établissent que 5.034 Juifs de Belgique y avaient également été déportés à Auschwitz. La plupart étaient soit des réfugiés de l'exode de 194O, soit des réfugiés du Grand Reich allemand arrêtés sur ordre des autorités belges le 10 mai l940 et déportés dans le Sud de la France où le gouvernement de Vichy les livra à la police na­zie. Les fugitifs de Belgique occupée, inscrits dans la car­tothèque de la "section juive" de Bruxelles, sont au nombre de 1.242 parmi ces 5.034 déportés de France. S'ils n'ont pas été déportés de Belgique occupée, ils sont néanmoins comptés dans la démogra­phie de la répression nazie dans ce pays.
[366] En France, il a fallu le Mémorial de la déportation des Juifs de France de Serge Klarsfeld pour corriger et compléter les statistiques du Ministère des Anciens Combattants. Le travail remarquable de Klarsfeld a aussi rétabli plusieurs erreurs du calendrier d'Auschwitz concernant la déportation de France. Ce travail du musée d'Oswiecim date. Il est à re­voir en fonction des données disponibles en Belgique et aux Pays-Bas. Les statistiques relatives à la déportation "né­erlandaise" établies depuis 1945, grâce à la Croix-Rouge néerlandaise, ne livrent pas la répartition des survivants par convoi. En Belgique, l'administration des victimes de la guerre a eu l'avantage de disposer de la cartothèque de la "section juive" de la police de sécurité allemande: à la fin de l'occupation, elle comportait 56.186 fiches in­dividuelles et celles des déportés mentionnaient la date du départ et leur numéro dans le convoi. Ces informations, complétant les  listes de transport, retrouvées dans les archives du camp de rassemble­ment de Malines pour la plupart des convois, ont orienté à la recherche administrative vers un classe­ment alphabétique des survivants.
[367] Royaume de Belgique, ministère de la justice, commission des crimes de guerre, Les crimes de guerres com­mis sous l'occu­pation de la Belgique, 194O-1945, La persécution anti­sémitique en Belgique , Liège 1947, hors texte, pp.3O-31
[368] Le taux de survive des 73.853 déportés de France (en ce compris moins de 1000 déportés vers Kaunas-Reval et Buchen­wald) est de 2,9 %, soit 2190 survivants. Celui des 90.089 Juifs des Pays-Bas déportés à Au­schwitz et à Sobibor est de 0,92 % (831 personnes). Le taux de survie "belge" est de 5,24 % en considé­rant les 1.335 survivants des 25.475 déportés vers Auschwitz, Bergen-Belsen, Vittel, Ravensbrück et Bu­chenwald.
[369] La rigueur des recherches administratives belges permet d'établir un taux de mortalité des déportés ra­ciaux de Belgique de plus de 94 %. Le chiffre "français" en est fort proche: 97,1 %. Dans sa contesta­tion du génocide juif, Fau­risson s'est cru autoriser à dénoncer le "procédé stu­péfiant" qu'il impute à Serge Klarsfeld. Le Mémorial de la déportation des Juifs de France indiquait qu'était "admis comme nombre des survivants celui indiqué officieusement par le Ministère des Anciens Combattants auquel se sont présen­tés, en 1945, des survivants des déportés de France". Klarsfeld avait aussi poursuivi ses recherches en Belgique grâce à l'aide précieuse en l'occurrence de l'administration belge des victimes de la guerre.  Faurisson que "la vérité oblige à (le) dire", considère que Klarsfeld "a déclaré morts (souligné dans le texte) tous ceux qui n'avaient pas pris la peine d'aller se déclarer vivants au Mi­nistère des Anciens Combattants à la date ultime du 31 décembre 1945! Et cela alors que cette démarche n'avait, en plus de tout, rien d'obligatoire". "Klarsfeld", ajoute-t-il "ne s'est pas soucié de savoir combien de Juifs déportés de France, puis libérés, sont allés s'installer en Palestine, aux Etats-Unis, en Afrique du Sud, en Argentine, etc. Il n'a pas eu scrupule à compter comme morts" ceux qui ne sont pas présentés ( Le texte de Faurisson dit ici le contraire, mais il doit s'agir d'une erreur d'impression) (Voir R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet, p. 30). L'auteur "révisionniste" n'a, quant à lui, aucun scrupule - s'agissant de la mort d'êtres humains - à laisser entendre que les dis­parus se seraient "installés" à l'étranger, sans lui-même apporter la moindre preuve en ce sens. Le cas "belge" - avec une population juive où les étrangers étaient en bien plus grande proportion qu'en France montre que  ce retour des rescapés d'Auschwitz dans le pays d'origine est tout à fait exception­nel: dans les chiffres de 1947, les "déportés" rapatriés à l'étranger représentent 0,94 % du total (15 sur 1.276). (Le chiffre de 28.183 déportés raciaux que Faurisson "dévoile", ce nombre "qu'on nous cache depuis neuf ans"(Réponse à Pierre Vidal-Naquet, p.31) est "une escro­querie de plus" de sa part. Ré­férences à l'appui, Pierre Vidal-Naquet explique que le comité d'histoire de la seconde guerre mondiale "s'était rendu compte qu'il était parvenu à un chiffre absurde" (voir Les assassins de la mémoire,(note 29, p. 194).
[370] Sur les gazages pratiqués à Ravensbrück vers février 1945, voir E. KOGON, H. LANGBEIN, A. RUCKERL, pp. 232-238.
[371] Sur ces 132 Juifs hongrois, 69 ont survécu à la captivité.
[372] Les rescapés des 21 convois avaient, tous, été immatriculés.
[373] Les chiffres "belges" inviteraient à conclure que les déportés des convois dont la sélection pour le tra­vail a été d'abord faite à Kosel ont été gazés à leur arrivée en plus grand nombre. Pour les 6 convois s'étant arrêtés à Kosel, la sélection pour le travail ( y compris à Auschwitz) représente seulement 24 % de l'effectif (858 à Kosel et 545 matricules à Auschwitz). Les 11 autres convois de 1942 donnent un taux de sélection pour le travail à Auschwitz de 36 %.
[374] Sur les 25.257 déportés raciaux acheminés à Auschwitz, 858 au plus sont descendus à Kozel, 8.299 ont été immatriculés au camp et 16.000 ont disparus à l'arrivée.
[375] P. VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, p.13.
[376] N. FRESCO, Parcours du res­sen­ti­ment, dans Lignes, n° 2, février 1988, p. 32
[377] Voir B. BRINKMAN et B. DE WEVER, De verdwenen gaskamers, dans De Nieuwe Maand, n° 4, mai 1988, p. 10, p. 14
[378] J. STENGERS, Quelques libres propos sur "Faurisson, Roques et Cie", dans  Cahiers", Centre de Recherches et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre Mondiale, Bruxelles, 12, mai 1989, p.13. Il s'agit du texte de la conférence pré­sen­tée le 16 mars 1986 à un séminaire du Centre. Des passages de cette comunication, enregistrée à l'insu du Centre et tron­qués, ont été diffusés dans le but de servir la pro­pa­gan­de "révisionniste".
[379] Ibidem, p.17.
[380] Ibidem.
[381] Ibidem, p.25
[382] Ibidem, p.23.
[383] Ibidem.
384] P. VEYNE, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes? , pp.115-117.
[385] P. Veyne a signé la déclaration des historiens français sur la politique hitlérienne d'extermination publiée
pendant l'affaire Faurisson dans Le Monde, 21 février 1979.
[386] En quelques lignes savoureuses, Veyne renvoie à son "doute hy­perbolique" cet "être  mythique qui s'appelait Faurisson": "un imposteur avait pris sa place devant les tribunaux, ses li­vres avaient été écrits par d'autres et les prétendus té­moins oculaires de son existence étaient, soit partiaux,  soit victimes d'une hallucination collective".
[387] P. VEYNE, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes?, p.117.
[388] R. FAURISSON, dans Le Monde, 29 décembre 1978.
[389] R. FAURISSON, Réponse à Pierre Vidal-Naquet, pp. 22-25.
[390] Le mot est de H. ROUSSO, Le Syndrome de Vichy.1944-198..., Paris, 1987, p. 166.
[391] "Faurisson est trop intelligent pour s'abaisser à un jargon nazi et antisémite" écrivent B. BRINKMAN et B. DE WE­ER, (De verdwenen gaskamers, dans De Nieuwe Maand,n° 4, mai 1988, p. 14. Sur le phénomène "révisionniste" en Flandre, pp. 12-13).
[392] Interview de R. Faurisson, dans Storia Illustrata, août l979, de l'édi­tion de La Vieille Taupe, p.21.
[393] P. VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, p.9.
[394] Le Monde, 29 décembre 1978.
[395] R. FAURISSON,  Le problème des "chambres à gaz" dans La Défense de l'Occident, n°198, juin 1978.
[396] Interview de R. Faurisson, dans Storia Illustrata, août l979, de l'édition de La Vieille Taupe, p. 21
[397] H. ROUSSO, Le Syndrome de Vichy , p. 166.
[398] Ibidem, p. 155.
[399] Ibidem, p. 166.
[400] H. GJSELS, Humo sprak met Bert Erikson dans Humo, 23 avril l987, pp. 92 à lO2. Voir aussi M.STEINBERG, Bert Eriksson aan het woord, Faurisson als heraut van oude en nieuwe nazi's,  dans De Rode Vaan, 9 juil­let l987, p.1O.; également  M. STEINBERG, Oui, je suis  nazi, dans Regards, 9 juillet-22 août l987.
[401] Il s'agit de la "Veuve noire", Florrie Van Tonningen, épouse d'un nazi néerlandais qui, accusé de colla­borations, s'est suicidé en 1945.
[402] Bert Eriksson, président du V.M.O, l'Ordre des Militants Flamands.
[403]  Voir aussi P. JARREAU, Les explications de M. Le Pen sur les chambres à gaz. La nuit, tous les chats sont gris, dans Le Monde, 20-21 septembre 1987.
[404] Voir Le procès de Klaus Barbie, dans Le Monde, numéro spécial, juillet 1987, p 37.
[405]M.Jean-Marie Le Pen au Grand Jury RTL-Le Monde, les chambres à gaz? "Un point de détail", dans Le Monde, 15 septembre l987.
[406] Sur les relations de Faurisson avec l'extrême-droite, voir N. FRESCO, Parcours du ressentiment, dans Lignes, n° 2, février 1988, pp. 34-35.
[407] Sondage Sofres pour Le Monde-RTL, du 17 au 21 octobre l987, dans Le Monde, 4.11.1987. A été posée la question: "vous per­sonnellement, quel est votre senti­ment sur le débat con­cernant l'utilisation des chambres à gaz par les nazis au cours de la seconde guerre mondiale". Les sondés se sont répartis de la manière suivante: 
  89 % sont "sûrs que les nazis ont utilisé les chambres à gaz"
  8 % pensent "que leur utilisation par les nazis est très probable"
  1 % doutent "de leur utilisation par les nazis"
  2% pensent "qu'elles n'ont jamais été utilisées par les nazis"
[408] P. VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, p.7.
[409] Ibidem, p.31.
[410] Ibidem, p.40.
[411] N. FRESCO, Parcours du ressentiment, dans Lignes, n° 2, février 1988, p. 32.
[412] Ibidem, p. 29.
[413] Ibidem, p.72.
[414] R. FAURISSON, Mémoire en défense, p.3.
[415] P. VIDAL-NAQUET, Les assassins de la mémoire, p.8.
[416] O.MONGIN, Se souvenir de la Shoah, Histoire et fiction, dans Esprit, n°1, janvier 1988, p.92.[417] L'expression est de Philippe Lacoue-Labarthe, cité d'après O. MONGIN, ibidem, p.91.
[418] Voir P. VIDAL-NAQUET, thèses sur le révisionnisme, dans l'Allemagne nazie et le génocide juif, p.507. Voir aussi A. FUNKENSTEIN, Interprétation théologique de l'holocauste: un bilan, pp. 465-494. Egalement E. FA­CKENHEIM, Penser après Auschwitz, Les éditions du Cerf, Paris, 1986.
[419] Selon A. FINKIELKRAUT, L'Avenir d'une négation, réflexion sur la question du génocide, Paris, 1982, p. 81.
[420] E.NOLTE, Un passé qui ne veut pas passer, dans Devant l'histoire, les documents de la controverse sur la singularité
de l'extermination des Juifs par le régime nazi
, p. 29.
[421] H. ROUSSO, Le Syndrome de Vichy.1944-198..., p. 170.
[422] Voir le témoin n°2 dans le chant du phénol, dans P. WEISS, L'Instruction, p. 259
[423] H. ARENDT, Eichmann à Jérusalem, rapport sur la banalité du mal, Paris, 1966.
[424]
Georges Wellers, lui-même rescapé d'Auschwitz, attribue ce "chiffre exagéré (...) au traumatisme, au choc naturel, inévitable qui dominait le psychisme des survivants pendant les premières années après la fin de la guerre, après la fin de leur cauchemar"(G. WELLERS, Le nombre de morts au camp d'Auschwitz, dans Le Monde juif, n°112, octobre-décembre 1983, pp.138-139.

Annexes
Sources documentaires du massacre des juifs de l'Ouest à l'arrivée à Auschwitz

Le journal de J.-P. Kremer à Auschwitz
Le document Dannecker
Le télex du 29 avril 1943 
La méthode Brack 
La « vergasungskeller » d' Auschwitz
La « vergasung »