5. Le silence de l'église et les actes des chrétiens face à la solution finale |
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5.1 Question de perspective*“Chaque Église”, insistait René Rémond lors d’un colloque sur l'Allemagne nazie et le génocide juif, est “une société composite qui demande à être considérée dans sa totalité”[1]. Dans l'historiographie, “le silence du Vicaire” a cessé d'être la question centrale. Si le retentissement de la pièce de Rolf Hochhuth a pu, dans les années soixante, focaliser l'attention sur les attitudes pontificales, “les Églises et la persécution des Juifs pendant la seconde guerre mondiale” sont désormais étudiées dans une approche globale. A cette fin, le professeur de l'Université de Nanterre suggérait un modèle de lecture, un “schéma” permettant de saisir les comportements. Cette grille d'interprétation serait, en somme, bipolaire. Le “problème” chrétien était, selon l'historien français, de “concilier l'action de témoignage dénonçant le crime et l'action de sauvetage visant d'abord à soustraire à la mort le plus grand nombre d'innocentes victimes”[2]. Le modèle, construit à partir du cas français et susceptible d'“ajustements”, se vérifie, insiste-t-on, dans le cas hollandais. “Toutes les modalités s[’y] sont trouvées expérimentées”. Ce cas remarquable, estime l'historien catholique, présente “le plus vif intérêt pour qui réfléchit aujourd'hui sur ce qui était possible et s'interroge sur ce que les Églises eussent dû faire, pas seulement pour être fidèles à leur mission, mais pour que leur intervention fût efficace et préserve les Juifs”. Cette réflexion, toute légitime qu'elle soit d’un point de vue éthique, comporte le risque d'instrumentaliser les attitudes du passé. Elle institue ce qui est advenu en norme de ce qui devait advenir. Le critère objectif d'appréciation ne se réfère pas à “ce qui était possible” selon une norme chrétienne de l'après-Auschwitz. Cette problématique est métahistorique et ses termes évoluent au demeurant selon les enjeux d’un présent inconstant dans son rapport au passé. Elle pose les questions, non de l’histoire, mais de la mémoire, avec inévitablement leur part de refoulement, voire de mensonges[3]. Le problème historiographique est de rendre compte des comportements dans l'événement, pendant qu’il s'accomplit et, le plus souvent, dans l’ignorance où se trouvent ses acteurs du sens réel de cet accomplissement. A cet égard, la référence obligée s’inscrit dans les sociétés dont les Églises sont aussi une composante et d'où les services du IIIe Reich éliminent, ‘extirpent’ les Juifs. Dans cette lecture, le schéma de Rémond intervient comme l’une des variables parmi d’autres d'un modèle plus large et applicable à tout le corps social. Le cas belge conduit à poser la problématique de l'Église en ces termes. C'est qu'en Belgique, le schéma de Rémond est trop réducteur pour restituer tout le comportement de l'Église catholique, de l’institution comme de ses fidèles. Dans ce pays, à la différence de ses voisins du Nord et du Sud, il n'y eut ni en français, ni en néerlandais la moindre protestation publique de l'Église contre la persécution raciale. Les
seules paroles prononcées en chaire de vérité sont des “prières
pour la conversion des juifs”[4].
Selon la police de sécurité allemande, elles “n'étaient pas rares tant en Flandre qu'en Wallonie” pendant
l’hiver 1942/1943. Le service allemand y découvre une preuve supplémentaire
de “la propagande hostile
pratiquée par le clergé”. 5.2 La “barbarie” nazieCe témoignage chrétien contre le “crime”, enregistré dans les archives nazies, n'est pas à lire rétrospectivement. Si la rumeur du génocide perpétré à l'Est parvient effectivement en Europe occidentale, la plupart des témoins occidentaux des “horreurs infligées” aux persécutés ne conçoivent nullement combien elles sont minimes en regard du sort des déportés assassinés dès l'arrivée des convois[5]. Cette “barbarie nazie“ que dénonce l'opinion clandestine désigne seulement la mise en route des trains de la solution finale. L'“horreur” dont parle, le 20 juillet 1942, “l'épiscopat catholique, de concert avec la plupart des ministres des communautés réformées de Hollande”, c'est justement d'avoir “appris (...) la nouvelle des déportations massives de familles juives tout entières : hommes, femmes et enfants, vers les territoires du Reich”. Cet appel chrétien à l'opinion publique s'emploie à “prévenir si possible l'exécution” de “mesures (qui) vont à l'encontre du sens moral du peuple hollandais et, qui plus est, s'opposent aux commandements de Dieu”[6]. Quant aux “scènes épouvantables” qui décident, en France, l'archevêque de Toulouse à dire publiquement son sentiment à ses fidèles, le 26 août, ce n'est rien de plus que le “triste spectacle” dont il est le témoin dans son propre diocèse - en zone non-occupée - où “des enfants, des femmes, des hommes, des pères et des mères sont traités comme un vil troupeau”[7]. ”Ces
mesures”, ajoute le cardinal Van Roey en
ce qui concerne Les
“prières pour la conversion
des juifs”, dont
s’inquiète le détachement de 5.3 “Cela est peu charitable” !Un
journal liégeois auquel collaborent des prêtres du diocèse le
regrette, en juin 1942, dés que le port obligatoire de l'étoile
jaune révèle la persécution raciale à un public stupéfait, sinon
scandalisé. “Nous avons
entendu des catholiques fervents, ardents patriotes dire”, déplore
Churchill-Gazette, “que tout en désavouant les mesures antijuives,
ils ne parvenaient pas à plaindre les Juifs”. Et l'organe
patriotique d'expliquer à ces fidèles “peu
charitable(s)” qu'”ils
ne doivent pas perdre de vue cependant que si leur manque de sympathie
pour les Juifs trouve son origine dans la mort du Christ, Celui-ci
leur a donné le meilleur exemple. Ne s'est-il pas contenté de
pleurer sur les bourreaux et par Les militants d'ordre nouveau les plus radicaux, tout hostiles qu'ils soient au catholicisme “politique”, procèdent à une autre lecture de l'enseignement chrétien. Le Pays réel - l'organe du mouvement rexiste qui se souvient de ses origines lointaines dans la droite catholique des années trente - s'attache, dans une version positive, à persuader “les esprits sincèrement religieux”: “ne doivent-ils pas considérer notre tâche comme un effort sincère de retrouver dans la réalité créée le plan providentiel de Dieu”[9]. Dans cette lecture, “Dieu a fait de notre race, de la communauté populaire à laquelle nous appartenons l'instrument de ses bienfaits”. L'Ami
du Peuple - organe d'une Ligue pour L'évangile selon Matthieu et sa damnation du déicide ne sauraient pourtant intimider le chrétien de la résistance. Le christianisme lui offre d’autres références théologiques pour refuser les persécutions antisémites. À défaut d'un magister approprié de l'épiscopat belge[10], Churchill Gazette se tourne vers les “récentes paroles de l'archevêque de Montréal: il m'est impossible d'approuver les mesures prises dans certains pays contre les juifs parce que je ne dois pas oublier que le Christ est Juif d'origine et de ce fait, que je suis moi, Juif spirituellement”. Au demeurant, dans cette question juive du temps de l’occupation allemande, il n'est nullement question de religion[11]. “Nous ne voulons pas discuter de la religion, si elle a du bon ou du mauvais”, avertit Churchill Gazette. “Nous le répétons, nous ne prenons pas la défense des juifs au point de vue religieux. Ces discussions ne sont pas de mise actuellement”. 5.4 Faire “enrager le boche”!Le
“point de vue” adopté
est résolument patriotique. Et cette option patriotique fait écran
à l'antisémitisme d'importation allemande, quelle que soit la résonance
de ses leitmotive dans les couches moyennes du pays. Le slogan que
lance Cet organe, de sensibilité chrétienne, est l'un des plus importants de la presse clandestine et il est significatif qu'après les premières déportations, c’est ce journal tirant des milliers d’exemplaires imprimés qui explique, et précisément dans cet esprit chrétien, “pourquoi le problème juif doit être à l'avant-plan de(s...) préoccupations” belges. Il doit l’être parce qu’il n'est “qu'un aspect de l'attitude des états totalitaires à l'égard de tout mouvement qui reconnaît, au delà de l'État, une solidarité internationale quelconque. Le sort des juifs aujourd'hui guette demain les maçons, après-demain les chrétiens”. L'organe ne dit rien des communistes! La solidarité qu'il recommande envers les Juifs persécutés n'en est que plus remarquable, même si son argumentaire témoigne d’une incompréhension des enjeux de l’antisémitisme dans racisme nazi. Organe
de résistance, Pour Churchill-Gazette, c'est même aux autorités du pays - entre autres, à “notre clergé” - à qui il incombe de “protester énergiquement”. Dans cette attente d’une parole autorisée, l'organe liégeois se trouve “réconfort(é) d'apprendre par les radios anglaises et neutres que, dans un sermon qui fera époque, l'archevêque de Toulouse s'est solennellement élevé en chaire de vérité contre les persécutions organisées en France”. Le journal a même découvert “une protestation [sic] du Pape auprès du gouvernement” français[13]. “Ce sera l'honneur de l'Église catholique”, est-il trop heureux d'annoncer, “d'avoir été les premiers à protester officiellement. Nous espérons, nous souhaitons que cette protestation s'amplifiera”. Elle s'amplifie effectivement, mais toujours en France où les voix les plus autorisées de l'Église, cessant d’acquiescer par leur silence aux persécutions antijuives de l’“État français”, disent plus que la protestation d’une “France chevaleresque et généreuse” dans “la tradition du respect de la personne humaine”[14]. Elles posent un acte politique qui imprime sa marque à l'événement en cours! Il s’agit, en l’occurrence d’une “résistance sans pareille de la part de l'Église”[15] et un tel acte posé par l’un des piliers du régime du Maréchal Pétain contraint, en effet, le gouvernement de Vichy, tout désireux qu’il soit “de régler la question juive”, à cesser d’acquiescer à l’engagement systématique de ses polices dans l'arrestation des Juifs, comme le comprennent bon gré mal gré ses interlocuteurs de la police nazie dès le 2 septembre. Les
“paroles” de cette Église
inspirent à un autre journal clandestin belge, 5.5 Une “parole” de Malines ?Dans
ce pays, le chrétien n'est cependant pas autorisé à invoquer
l’autorité de son Église pour justifier sa résistance! Ni le
cardinal Van Roey, ni les évêques - pas même celui du diocèse de
Liège Mgr. Kerkhofs pourtant le plus engagé - ne font entendre cette
autorisation face à ce que En dépit de son silence, la plus haute autorité de l'Église belge partage certes le sentiment public. Le jour même où le premier convoi quitte le pays, - le 4 août 1942 -, le Primat de Belgique informe le Vatican qu'“actuellement, les traitements qu'on fait subir aux Juifs sont vraiment inhumains et excitent la commisération et l'indignation générales”[17]. Un geste du cardinal Van Roey a même signifié son sentiment personnel. Comme le Consistoire Central Israélite l'en remercie, le 12 août, avec une “profonde gratitude”, il lui a manifesté sa “bienveillance et (sa) sympathie (...) à l'occasion des pénibles épreuves que subit en ce moment la population juive”. Il l'a fait sous la forme d'une entrevue accordée au Grand Rabbin Salomon Ullmann. Ce dernier, suivant les avis des notables belges dont le cardinal, préside la communauté obligatoire depuis sa création sur ordre de l'occupant à la fin de 1941. Cette Association des Juifs en Belgique venait, le 22 juillet, d'être requise de distribuer à ses membres les ordres individuels de se présenter au camp de rassemblement. Résigné à leur distribution, le Grand Rabbin alerte les autorités belges et recherche leur aval. Sa
démarche auprès du cardinal ne laisse aucune trace dans les archives
allemandes. L'audience est d'une grande discrétion, mais elle ne
reste pas sans écho. Il n’en est rien. Un instant, le cardinal a sans doute songé à répondre à cette attente diffuse. “Son Éminence s'est posé la question de savoir s'il convenait de faire une protestation contre le sort fait aux juifs”[18]. Un témoin bien informé le rapporte in tempore non suspecto, si l'on ose dire. L'avocat Max-Albert Van den Berg, directeur des Colonies Scolaires catholiques de la province de Liège, n'a pas survécu au camp de concentration où la police SS l’avait transféré parce qu’“il avait accepté dans les maisons d'enfants qui étaient sous sa direction des enfants juifs et les a soustraits aux mesures contre les Juifs”. Au moment d'entreprendre le sauvetage des enfants juifs qui lui vaudra de perdre la vie, il se rend à l'archevêché de Malines pour connaître les dispositions de l'Église. Il n'a pas vu le cardinal, mais son interlocuteur Mgr. Van Eynden, vicaire général de l'archidiocèse, a toute autorité pour connaître la doctrine officielle en la matière. Malines n'ignore rien du drame juif en train de s'accomplir, en cette fin de l'été 1942. Le chanoine Leclef, le secrétaire du cardinal, ne vit jamais, selon son témoignage d’après guerre, “rien de plus pitoyable, ni de plus révoltant que ce long cortège d'hommes et de femmes, de jeunes gens et de jeunes filles, emmenés vers un destin épouvantable”. Il y avait aussi des enfants en bas âge et des vieillards, et ce, dans ce pays, dès les premiers transports vers Auschwitz. Ce dont justement le chanoine Leclef n'a pas gardé le souvenir dans son témoignage d'après guerre. Il était pourtant un observateur privilégié. La caserne Dossin où la police nazie avait installé son camp de rassemblement pour la déportation des Juifs est à peu de distance de l'archevêché de Malines. Dans Le Cardinal Van Roey et l'occupation allemande en Belgique que le chanoine publie, en 1945, il avance aussi, à propos de l'attitude de l'Église, une autre explication que celle recueillie à l'époque par l'avocat liégeois. Au nom du cardinal, son secrétaire personnel est intervenu auprès d'autorités allemands en faveur de Juifs catholiques requis de se présenter à la caserne Dossin, aussi de femmes enceintes qui avaient fait appel au chef de l'Église “lui demandant aide et protection”. Ces
démarches pour “obtenir des mitigations” furent vaines, expose le Primat de
Belgique au cardinal Maglione, le 4 août 1942! “J'étais indigné”, se souvient pour sa part, le chanoine
Leclef. Il garde en mémoire un entretien avec un officier allemand à
qui “délibérément”,
il cria son indignation. “Je
ne puis comprendre que des officiers comme vous couvrent et excusent
les illégalités, les injustices et les crimes perpétrés par La relation que le directeur des Colonies scolaires catholiques adresse, le 21 septembre 1942, à l'évêque de Liège, Mgr. Kerkhofs, n'impute pas le silence du cardinal à ces précédents décevants. C'est d'une manière générale que Van Roey aurait jugé sa protestation inopportune face à l'occupant. A Van den Berg, on a expliqué qu'“il est démontré, par les protestations antérieures, que l'autorité occupante n'y a aucun égard, en sorte qu'une protestation aurait toute chance d'être aussi vaine que les protestations antérieures relatives à d'autres sujets”[20] Ce
sentiment d'impuissance n'empêche pas le chef de l'Eglise belge de se
prononcer publiquement sur d'autres sujets graves. La raison
principale du silence de l'Eglise belge face à la déportation juive
relève d'une autre attitude. Le Primat de Belgique sensible à
l'attente chrétienne d'une protestation autorisée “a
décidé de n'en rien faire” parce que, note Van den Berg en
premier lieu, “les Allemands
ont déclaré ne vouloir s'occuper que des Juifs allemands, visant par
ce terme les Juifs de 5.6 Le paradoxe xénophobe[21]Dans cette acceptation surprenante des prétentions de la puissance occupante en Europe centrale et orientale, l'autorité religieuse, rassurée sur le sort de ses compatriotes israélites, ne réagit pas autrement à la tragédie juive du terrible été 1942 que les autres autorités nationales[22]. Le 15 septembre, le chef de l'administration militaire allemande se montre fort satisfait de ce que l'“Action Est”, confiée à la police SS, “ne fit pas trop de sensation dans l'opinion publique”. Avec soulagement, l'adjoint le plus important du Général Alexander von Falkenhausen note que “les représentants du ministère de la justice belge et des autres institutions belges ont toujours déclaré qu'ils ne voulaient s'occuper que des juifs de nationalité belge”[23]. Avec
un sens très fin des opportunités, Eggert Reeder, chef de son
administration militaire, a prévu, dès qu'il a appris que Général
SS à titre honorifique, mais non pas l'homme de Cette politique de moindre mal - pratique constante des autorités belges de l'occupation - s’avère, dans la question juive, particulièrement étriquée. Elle n'en suscite pas moins des réticences du côté allemand. A la veille des déportations de 1942, le représentant d'un service impliqué dans l'opération, s'inquiète de “la raison pour laquelle on épargnait les Juifs de nationalité belge”. On fait comprendre à l'impatient que “des 50.000 juifs de Belgique environ vivant actuellement [dans le pays], 10 % seulement étaient de nationalité belge de sorte que par cette action imminente, la grande partie des juifs vivant ici serait atteinte”[27]. La part des ‘privilégiés’ dans la population juive est encore moindre que l'évalue l'autorité allemande: à peine de 6 % de Belges parmi les 56.000 Juifs de la cartothèque de la police nazie. La ‘protection’ dont ils bénéficient pendant une longue année se traduit, dans le bilan global de la solution finale en Belgique occupée, par un paradoxe statistique. Il convient de le qualifier de xénophobe à défaut d'une caractérisation mieux appropriée. Le racisme antijuif, totalitaire dans son principe, n'affecte pas, en effet, de manière égale tous les Juifs du pays. Dans cette démographie macabre, la différence va du simple au double selon leur statut national. Si 23 % des citoyens juifs ont finalement emprunté l'itinéraire fatal d'Auschwitz, la proportion s'élève à 45 % chez les Juifs étrangers résidant dans ce pays. De toute évidence, les ressortissants étrangers d'origine juive, la plupart des immigrés récents et, pour un cinquième, des réfugiés du Grand Reich allemand arrivés à la veille de la guerre, ont été - et tragiquement - les plus vulnérables. 5.7 Variations “belges”Cette vulnérabilité renvoie à la politique de moindre mal des autorités belges. Leur attitude a varié selon que l'occupant s'attaque à leurs compatriotes israélites ou aux Juifs étrangers. Le paradoxe xénophobe dans la solution finale ressort de la manière singulière dont les responsables belges ont respecté le prescrit constitutionnel. Les autorités nationales ont réservé la protection des personnes aux seuls citoyens israélites et, dans la dérive du possible conçu par le pouvoir d'occupation, elles lui ont épargné cette crise politique que la déportation massive des Juifs étrangers par sa police politique lui faisait redouter. En Belgique, les autorités autochtones ne les ont pas livrés aux services allemands. L'appareil d'Etat n'y était pas comme en France rallié à l'Ordre Nouveau. Dans ce pays, le recours à la police nationale pour rassembler les déportés se fait à l'insu des autorités administratives. Il est, au demeurant, absolument exceptionnel. Le constat n'enlève rien à la gravité de l'événement: toutes proportions gardées, les razzias d'Anvers, dans les nuits des 15/16 et 28/29 août 1942 reproduisent dans un tout autre contexte politique la grande rafle du Vel' d'Hiver à Paris, les 15 et 16 juillet. Les ravages sont identiques: les policiers anversois arrêtent de cinq à sept fois moins de personnes que leurs collègues parisiens dans une population juive cinq à sept fois moins nombreuse. Ce qui, en revanche, n'est pas comparable, c'est qu'ici, l'autorité d'occupation, toujours attentive aux “conséquences extrêmement fâcheuses au point de vue politique” des initiatives inconsidérées de la police de sécurité, se voit dans l'obligation politique de lui rappeler les conventions passées excluant les polices belges des “opérations d'envergure” contre les Juifs[28]. Dans
ce pays, si la police nationale met seulement 15 % des Juifs déportés
à la disposition des agents de Abandonnés, ils ne sont cependant pas restés longtemps à la merci des services allemands et de leurs auxiliaires belges d'ordre nouveau. Les grandes rafles de la fin de l'été 1942 leur ont appris douloureusement que la soumission à la légalité de l'occupation, y compris aux lois belges, ne leur laisse pas d'autre alternative que d'être, à leur tour, déportés. La terrible leçon leur fut salutaire. Dès l'automne, ils font en masse la rupture et cette plongée dans le monde souterrain de l'occupation brise, dans ce pays, définitivement l'élan de la solution finale . Mais alors que les services allemands perdent irrémédiablement la maîtrise de l'événement juif, les autorités belges ne sont pas moins pusillanimes que pendant la “mise au travail” de l'été 1942. Même l'institution catholique évite d’engager sa responsabilité: ménagée par l'occupant dans ses oeuvres et ses mouvements d'action, elle ne prend pas l'initiative d’y aménager un espace clandestin pour l’asile aux fugitifs juifs. L'initiative en vient de cette base chrétienne chez qui la défense des valeurs l'emporte sur tout autre considération d'opportunité, y compris le souci de préserver les institutions catholiques. Tel est du moins l’argumentaire de Churchill Gazette à Liège: appelant les autorités à protester énergiquement, le journal clandestin sait par avance la vanité de ses appels et il s’adresse plutôt aux “hommes de bonne volonté”, les “vrais Belges, les patriotes qui savent eux (sic) que la domination boche n'est que passagère”: ils “doivent, quand ils le peuvent, donner aide et assistance aux persécutés. L'asile est dû aux opprimés. Il faut les cacher, les héberger chaque fois que c'est possible. Il ne manque pas de moyens pour atténuer leurs souffrances. Il faut les soustraire au sort affreux qui les guette”. L'inspiration est ici pleinement chrétienne: “Comme le dit l'archevêque de Toulouse”, explique l'organe liégeois, “les Juifs sont des hommes comme nous. Leurs malheurs actuels doivent nous les faire aimer. Ne nous contentons plus demain de saluer les porteurs d'étoile jaune. Nous devons maintenant les aider à ne plus la porter afin qu'on ne les remarque plus dans la foule anonyme”. Et, l'organe chrétien d'énoncer alors cette vérité profonde que l'histoire authentifie: “l'aide maximum aux Juifs, nous le répétons est une belle forme de résistance” . 5.8 Un “droit d'asile” clandestinEn première ligne, dans les quartiers ‘juifs’, des prêtres, des religieuses, des militants sociaux sont personnellement confrontés à cette nouvelle pratique du droit d'asile. Sur le point d'enlever leur étoile, des parents, souvent des réfugiés allemands dépourvus d'attache dans ce pays d'exil, se tournent vers les paroisses voisines pour leur confier leurs enfants. De son côté, le Front de l'Indépendance - le principal mouvement de résistance sous l'occupation où précisément des chrétiens côtoient les communistes - fournit à sa section de défense des Juifs une assistante sociale catholique: elle aura la charge de prospecter les établissements de cette obédience disposés à recevoir ses “enfants” dotés de noms d'emprunt. Généralement, le responsable de l'institution complice de cette solidarité clandestine s'y engage sans se référer à une autorité supérieure. Dans le diocèse de Liège - remarquable à bien d'autres égards[29] -, c’est par contre l'évêque qui précède les fantassins! A la différence des autres évêques, Louis-Joseph Kerkhofs en personne donne l'impulsion de départ. Le comité clandestin de défense juive rappelle, à la fin de 1943, qu'“à Liège, surtout les milieux ecclésiastiques ont, dès le début des déportations, organisé très activement le sauvetage des enfants et des adultes”[30]. La visite du directeur des colonies scolaires de Liège à l'archevêché de Malines s'inscrit, à l'automne 1942, dans ces initiatives patronnées par son évêque. Les “renseignements (...) recueillis”, lui rapporte-t-il, concernent uniquement “les enfants israélites” admis “dans les orphelinats et les colonies” au titre d'“enfants abandonnés”. Max-Albert Van den Berg apprend que “certains supérieurs ayant demandé si l'autorité religieuse ne prenait la responsabilité de l'admission, il leur a été répondu négativement et donné le conseil que s'il leur était reproché de n'avoir pas consulté les autorités religieuses, il convenait de répliquer que celles-ci s'étaient bornées à faire savoir qu'il n'y avait aucune nouvelle directive eu égard à la situation”[31]. L'Église restait en retrait, elle laissait faire ses fidèles, mais ne couvrait pas leurs actes. Les témoignages d'après-guerre laissent une autre impression. Les militants chrétiens du sauvetage tendent après coup à impliquer toute l’Église dans leur action. Ainsi Soeur Marie-Aurélie - Eugénie Leloup dans le siècle – “répond[…] au voeu de son Éminence le Cardinal-Archevêque Van Roey, Primat de Belgique qui fut toujours plein de sollicitude pour les enfants juifs” en faisant connaître comment son couvent des Soeurs Gardes-Malades du Très Saint Sacré-Coeur, dans le quartier “juif” d'Anderlecht, était devenu un refuge pour une dizaine de petites juives. “Ne
voulant prendre aucune décision de mon propre chef”,
témoigne Publiant les Actes et documents de l'archevêque de Malines face à l'occupation du pays, son secrétaire donne aussi à entendre que “par tous sortes de moyens, le Cardinal s'efforçait de venir en aide aux Juifs traqués, aux enfants privés de leurs parents, aux vieillards dénués de ressources. Que de couvents cachaient les enfants dont les parents avaient été exilés (sic) ou avaient dû prendre le maquis”, ajoute même le chanoine Leclef, en 1945[33]! Ce bilan rétrospectif n'avait pas cette netteté au moment où s'ouvrit la perspective. L'archevêché de Malines, très circonspect, ne s'était pas impliqué dans les agissements auxquels la charité chrétienne conduirait ses fidèles. 5.9 Les “circonstances aggravantes”Il ne s'agissait pas seulement d'admettre des enfants juifs dans les établissements catholiques! Ce droit d’asile devait s’organiser clandestinement. Très vite, les militants chrétiens de l’hébergement clandestin seraient contraints de franchir le pas des pratiques illégales comme ce vicaire de Charneux incarcéré dès le 17 novembre 1942 pour avoir “soustrait des juifs (...) à la police de sécurité” : Paul Nolens avait lui-même falsifié leurs pièces d'identité. Le conseil de guerre condamnant ce prêtre à 18 mois de prison considérait comme “circonstances aggravantes” le fait que “l'accusé a(it) secouru les Juifs de Belgique par pitié comme il l'affirme afin de donner à ces derniers la possibilité d'échapper aux ordonnances du commandant militaire”. Il n’y a pas d’échappatoire à cette logique de la résistance. Les petites ‘protégées” de Soeur Marie-Aurélie furent elles aussi pourvues de fausses identités. Dès novembre 1942, les carnets secrets de la défense juive mentionnent le couvent sous le code 412 et inscrivent un montant de pension mensuelle de 800 frs pour les fillettes les plus âgées. Cette clandestinité n'était jamais sûre. Le 20 mai 1943, les traqueurs des “affaires juives” font leur descente à l'avenue Clémenceau. Soeur Marie-Aurélie obtient qu'ils n'emmènent les petites juives que le lendemain. Alerté, le vicaire de la paroisse Notre-Dame de l'Immaculée Conception, l'abbé Bruylandts “se rendit immédiatement à Malines où il sollicita une entrevue avec le cardinal”, relate Eugénie Leloup[34]. Le prélat qui l'avait encouragée à héberger les fillettes jugea son intercession inopportune. “Cela ne pourrait qu'aggraver la situation”, aurait-il estimé. Le soir, des résistants juifs et non-juifs simulent un rapt armé avec la complicité du curé de la paroisse et des soeurs du couvent et enlèvent les enfants à la grande colère de la police de sécurité et de son officier SS en charge des affaires juives. Si, dans le temps où la déportation des Juifs atteint son paroxysme, l'Eglise n’engage pas sa responsabilité dans ce droit d'asile qu’elle laisse s'organiser dans son enceinte, elle a néanmoins le souci du “scandale” de cette présence juive dans les établissements religieux. Il lui importe que “le nombre des enfants non-catholiques ne soit pas tel qu'ils deviennent une occasion de scandale pour les enfants catholiques”. Elle recommande aussi qu'ils suivent “tous les exercices du culte catholique”. Ce qui d'ailleurs s'impose pour des raisons de sécurité! Cela étant, Malines ne formule pas d'objection à cette présence juive. “Ce faisant”, apprend Max-Albert Van den Berg rassuré, “les institutions ne font qu'agir conformément à l'esprit de l'Eglise qui est avant tout charité: les enfants qui nous sont confiés ou qui viennent à Elle sont, en définitive, des enfants à sauver”[35] . 5.10 Les conversions ?D'aucuns conçoivent ce sauvetage dans l'esprit de prosélytisme traditionnel. “Il y eut”, reconnaît après coup Dom Bruno Reynders, dont le réseau d'hébergement clandestin s'étendait sur tout le pays, “de la part de certains logeurs catholiques, des maladresses dues à l'ignorance, l'excès de zèle, la ferveur mal comprise et l'étroitesse d'esprit”[36]. De tels “écarts” ont néanmoins été l'exception. Les conversions, quand elles survenaient, correspondaient à une “expérience” personnelle réellement vécue qui n'eût certes pas eu “lieu sans le malheur de la persécution”, concède volontiers le moine bénédictin de l'abbaye de Mont César, à Louvain. Sous l'occupation, le comité de défense des Juifs, responsable de plus de 2.000 enfants clandestins, estimait déjà “les cas connus de conversion (...) relativement fort peu nombreux”. Néanmoins, notait-il à la fin de 1943, “dans certains milieux juifs, on s'inquiète (...)”. L'“âme” des enfants n’est cependant pas une source de tensions avec les chrétiens de l'aide clandestine. Elle l’est au sein même du comité juif clandestin où les sionistes disputent aux communistes le contrôle de la section enfance. Le problème des conversions ne se pose pas moins dans les établissements catholiques, d'autant qu'il ne concerne pas les seuls enfants juifs hébergés en ces temps troublés. Le 2 mai 1944, les recommandations épiscopales invitent les aumôniers des colonies scolaires et des séjours de vacances à ne baptiser les enfants ayant atteint l'âge de raison qu'avec le consentement de l'ordinaire et après s'être informés auprès du curé des parents. Si la problématique des conversions n’est pas le facteur déterminant, le militantisme chrétien n’entend pas moins conserver son autonomie. Les prêtres les plus engagés, le Père Joseph André à Namur, l'abbé Antoine de Breucker à St-Josse, l'abbé Jan Bruylandts à Anderlecht, ainsi que Dom Bruno, de Louvain, mobilisent leurs propres équipes de paroissiens et leurs relations. Dans cette action, ils coopèrent certes étroitement avec le comité juif clandestin, mais ils ne franchissent pas le pas de leur intégration dans cette structure comme acceptent de le faire d'autres militants non-juifs tout aussi importants. L'enjeu, aggravé par les dangers de la répression, est le contrôle des enfants qui leur ont été confiés directement par les parents ou par d'autres canaux que la résistance juive. Au-delà se profilent les enjeux de l'immédiat après-guerre. Ils n'étaient pas encore ceux de l'après-Auschwitz. 5.11 Histoire et MémoireL’après-Auschwitz ne s’ancre dans la mémoire collective qu’autour des années soixante. Les questions que pose ce deuxième temps de la mémoire invitent le plus souvent à une lecture rétrospective des comportements de l’histoire, sur base d’un paramètre qui n’a justement pas déterminé les actions de la plupart de ses acteurs. Certes, en amenant la question du silence de Pie XII, son interpellation est vraie: à l’époque, le Vatican n’ignorait rien du génocide en cours à l’Est de l’Europe. Mais pas plus que cette connaissance n’a déterminé l’attitude, ceux à qui parvenaient l’information ou encore qui la diffusaient ne s’engageaient pas sur cette base. La conscience historique n’a pas cette faculté qu’on se plaît à lui prêter, sinon d'annuler, du moins de surdéterminer les dispositions idéologiques et politiques et, au-delà, de dicter les attitudes les plus appropriées aux enjeux réels de l’histoire en cours[37]. Quoi qu’il en soit, la question ne se pose même pas dans le cas de l’Église catholique en Belgique: cette rumeur du génocide qui parvient dans le pays occupé ne trouve pas de relais dans les milieux chrétiens de la résistance, même engagés dans l’aide clandestine aux Juifs. On l’a dit, les chrétiens qui s’expriment jugent de la ‘barbarie nazie’ au vu des persécutions dont ils sont les témoins sur place, dans le pays. S’ils appellent à cette “belle forme de résistance" qu’est, à leurs yeux, “l’aide aux opprimés”, c’est qu’ils refusent de se faire “les complices, même passifs d’une politique cynique, d’injustice”, pour reprendre les termes de Churchill Gazette au plus fort de la grande vague des déportations juives de l’été 1942. Ce
discours d’époque inscrit dans l’événement un critère d’appréciation
qui n’est nullement anachronique. “L’aide
maximum aux Juifs” se conçoit comme un banc d’épreuve. Il
s’agit, espère Churchill
Gazette, “qu’après la
présente guerre, on puisse dire que Après
coup, les multiples complicités dont ont bénéficié les Juifs pour
échapper à la déportation donne la mesure de cette Belgique “secourable”.
Effectivement dans ce pays, plus de la moitié des Juifs ont survécu
à la solution finale, grâce à. l’aide qu’ils ont trouvée dans
la population belge et notamment grâce à un réel activisme chrétien.
Cette Belgique “secourable” n’est cependant pas toute Il ne suffit pas ici de pointer dans la société belge, ces milieux, très minoritaires, qui ont opté pour l'Ordre nouveau et où les policiers SS ont pu recruter les effectifs qui leur faisaient défaut pour rassembler les déportés juifs. La contribution nullement négligeable de la police anversoise ne relève pas de l’adhésion à l’extrême droite. Tout exceptionnelle qu’elle ait été, elle dérive de l’attitude d’“exécution passive” des autorités administratives nationales et locales face aux ordres de l’occupant dans la question juive. Version administrative de la politique de présence et de moindre mal, elle lui a permis d’installer et de déployer son processus d’exclusion des Juifs avec le concours des services de l’état belge. Et cette même politique de moindre mal piège, dans sa version xénophobe, les autorités du pays qui, persuadées d’avoir protégé leurs compatriotes israélites, laissent l’occupant déporter la masse des Juifs étrangers sans provoquer cette crise politique que celui-ci redoute. L’historien peut tout au plus constater dans ses archives d’époque les traces de cette préoccupation constante du pouvoir d’occupation d’éviter de compromettre la participation des autorités belges à l’administration du pays occupé. Il n’a pas, comme le scientifique, la possibilité de vérifier ce qui se serait passé si les autorités belges, tant les autorités administratives et judiciaires que morales – les Universités et l’Église – avaient protesté ouvertement, dès les premiers pas de la législation antijuive et tout au long de son déploiement, jusqu’à ses conséquences ultimes, les déportations[40]. Le fait est qu’elles ne l’ont pas fait. Et, que ne le faisant pas, elles ont laissé à l’occupant la pleine maîtrise de sa politique antijuive. S’il a cependant fini par la perdre, c’est seulement en raison de l’insoumission croissante de la population juive rescapée des rafles de la fin de l’été 1942. Abandonnés à leur sort et restés sans défense, ces Juifs ont, en masse, cherché leur salut dans l’illégalité. Et ils se sont d’abord sauvés eux-mêmes. Les concours indispensables à leur sécurité dans la clandestinité, ils ne les ont trouvés qu’en faisant eux-mêmes la rupture avec la légalité. Cette “belle forme de résistance” qu’ils ont rencontrée dans la population belge n’autorise pas à reporter en Belgique, telle quelle, la conclusion qu’un historien britannique dégage de l’analyse de l’opinion publique dans l’Allemagne nazie face à la question juive. “Si elle fut le fruit de la haine”, constate Ian Kershaw, “la route d’Auschwitz est pavée d’indifférence”[41]. Il n’en reste pas moins que l’occupant n’a pas cessé, dans son traitement de la question juive, de tabler précisément sur cette “indifférence” d’une “population” dont il s’aperçoit qu’elle est “non intéressée” par les mesures qu’il prend contre les Juifs et qu’elle se tient “à l’écart” de ceux-ci[42]. Non pas que, dans le cas belge, les instances nazies aient eu le moindre doute sur les réactions négatives de cette population face à une persécution par trop brutale des Juifs. Sollicité au printemps 1942 d’instaurer le port obligatoire de l’étoile jaune, l’administration militaire s’abstient de le faire “pour le moment […] étant donné qu’on doit supposer que ceci provoquerait un mouvement de pitié en faveur des Juifs”. L’imposition du port de l’étoile quelques semaines avant leur déportation provoquera effectivement un véritable choc dans l’opinion en rendant leur persécution visible, mais il n’aura aucune conséquence politique, les autorités belges ne relayant pas le mouvement en protestant ouvertement et publiquement. Tout au plus, les services allemands prendront-ils en compte et uniquement dans le cas de la capitale, le refus des bourgmestres bruxellois de prêter le concours de leurs administrations à la distribution des étoiles jaunes et, donc, de s’“associer à une prescription qui porte une atteinte aussi directe à la dignité de tout homme quel qu'il soit”[43]. Le geste des bourgmestres de la capitale – certes discret et sans éclat, mais pourtant dénoncé dans la presse d’Ordre nouveau comme une “résistance passive”[44] – dissuadera les officiers SS des affaires juives de recourir à la police bruxelloise pour opérer les rafles. Ce cas unique donne quelque consistance à l’hypothèse qu’il existait bel et bien dans la situation en Belgique occupée un espace pour une autre politique des autorités belges face à la “question juive”, de 1940 à 1942. Pour l’historien, une telle histoire-fiction a l’avantage, en envisageant ce qui ne s’est pas passé, de serrer au plus près ce qui est advenu. Il ne lui appartient pas de dire ce qui aurait dû se passer. Ce questionnement ne relève plus de l’histoire, mais d’une conscience citoyenne. Après
1945, Le propre de la mémoire est d’évoluer au gré des générations qui se succèdent depuis un demi-siècle. Et; il n’est pas sûr qu’à son tour, la catholicité belge n’en arrive pas, comme l’Église de France en 1997, à “se demander si des gestes de charité et d’entraide suffisent à honorer les exigences de la justice et le respect des droits de la personne humaine”[45] *
texte révisé d’une communication
à l'International Conférence
Remembering for the Future : The Impact of the Holocaust and
Genocide on Jews and Christians, Oxford, 10-14 juillet l988. [1]
R. REMOND, “Les Églises et la persécution des Juifs pendant |