12. Juifs et communistes dan la guerre: de la mémoire à l'histoire |
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12.1 L'enjeu d'un débat*S'agissant des Juifs et de la seconde guerre mondiale, de surcroît, des communistes, le chemin de la mémoire à l'histoire est probablement le plus encombré. Il n’y a pas seulement les phénomènes habituels de reconstruction de la mémoire individuelle, ni même les métamorphoses successives de la mémoire collective dans sa représentation du passé. Cette dialectique inhérente au rapport du temps présent à l’histoire se complique ici d’une querelle historiographique. Depuis les années quatre-vingts, les historiens prennent le relais des disputes de la mémoire. A ce niveau toutefois, le débat sur la présence communiste veut s’inscrire dans le “cadre d'une problématique scientifique” et des “règles de travail pour une histoire de la résistance juive”[1]. L’enjeu n’en est pas moins -
comme dans le débat de mémoires des années précédentes - l'“exclusion” des résistants juifs et communistes de son histoire[2]. En 1984, lors
d'un colloque sur ce sujet dont un historien considérant l'état de
la question a pu dire qu'il l'a traitée en termes de “polémiques”[3],
le directeur du Monde juif disait crûment la chose. Dans le propos de Georges
Wellers, ces communistes “n'avaient
rien de la ‘résistance
juive’ ... si ce n'est le fait que beaucoup de leurs membres étaient
d'origine juive”. Une telle lecture fait l'impasse sur le repère
juif pour définir une résistance juive. Ces Juifs de Cette contestation qui écarte de la résistance juive toute dimension communiste est essentiellement française. Confinée à l'Hexagone, elle ne vérifie, en dehors de son périmètre, la validité de sa grille de lecture. Le débat historiographique gagnerait cependant à pratiquer cette approche comparative, notamment en se tournant vers la petite Belgique toute voisine. Le cas ‘belge’, comme on n'a pas manqué de l'apercevoir, “se rapproche” du cas ‘français’ et, “avec ses ombres et ses lumières”, “ramène à des débats qui ont cours” dans ce pays[5]. Il révoque justement toute définition qui, privilégiant le “salut des Juifs”, ne prendrait pas en compte les dispositions idéologiques et politiques des résistants juifs. En cette matière, l'historien ne saurait cependant adopter d'autre '“unité de mesure”[6]. Ce qui importe, c'est, pour reprendre l'excellente formule de Michaël Marrus, ce qu'à l'époque, les résistants juifs “étaient prêts à accepter”. A cet égard, le cas ‘belge’
est tout à fait remarquable. Ici, c'est bel et bien à l'initiative
des communistes que se constitue la “défense”
juive, et ce dès 1942. Appliqué à Le propos de cette communication est, en présentant ce cas de figure d'une résistance juive constituée à l'initiative et sous l'impulsion des communistes, de mettre à l'épreuve le critère du salut des Juifs qui en France sert à les exclure de sa représentation. On examinera ce modèle ‘belge’ en resituant un tel critère dans le temps de l'histoire et tel que le concevaient alors ses acteurs juifs et communistes. Dans ce retour à l'histoire, il s'imposera, plus encore qu'en France, de se défaire des reconstructions de la mémoire. En France, on le verra, le débat
des mémoires oblige les historiens à retourner aux sources et
reprendre le sujet pour en réécrire l'histoire. En Belgique, les
contestations n'ont pas cette fécondité. Dans ce petit pays, il n'y
a, en guise de débat, qu'une sourde querelle sur les personnes et sur
leur place dans la commémoration du passé[7].
Si d'aventure, elle trouve une plume, l'ouvrage s'en tient, sans
rigueur critique, à une mise en forme des revendications de la mémoire[8].
La publication de mémoires se prête mieux encore aux règlements de
compte avec l'histoire et ... la critique historique. Une plume inspirée
peut, pour sa propre cause, y infléchir un témoignage authentique
et, forçant le ressentiment du témoin, le monter en réquisitoire
accusateur[9].
En Belgique, où on écrit peu, cette manipulation est exceptionnelle.
C'est aussi la seule occasion qui ait donné lieu à l'ébauche d'un débat
public sur la résistance juive et, en l'occurrence, communiste[10].
Cette ’affaire’ qui fait les
titres de la presse française en 1985 se répète en 1991 dans une
version belge, sur un mode mineur et caricatural. Dans les deux
‘affaires’, la même accusation impute au Parti communiste du
temps de l’occupation la responsabilité d’une razzia policière
sur ses combattants armés, entre autres juifs. En France, ils
constituaient dans la capitale l’organisation des Francs-Tireurs
Partisans de Dans le cas belge, en 1943, c'est
autour de la formation M.O.I. - mieux implantée dans sa base juive -
que se regroupent les forces partisanes décimées. Les rescapés du
Corps mobile recomposent, après l’été 1943, le cadre d’un
nouveau Corps de Bruxelles. A Paris, le regroupement se réalise à
l’intérieur des détachements F.T.P.-M.O.I. peu avant le coup fatal
que la police française assène à la formation armée du parti
communiste, en novembre Ce parallélisme dans l'histoire
se poursuit dans la mémoire. A travers ses métamorphoses, il produit
le même type de dérive au point qu'à propos du cas belge, on peut
parler d'un véritable syndrome Manouchian. En France, l'“affaire Manouchian” éclate, en 1885, avec la projection d'un documentaire de télévision “des ‘terroristes’ à la retraite”. De bonne foi, ces anciens résistants armés accusent le Parti communiste d'avoir livré à la police son organisation parisienne des F.T.P.-M.O.I. Ce procès de la mémoire tombe à pic dans les années quatre-vingts. Il dépouille un P.C.F. marginalisé de ses lauriers du temps de la résistance. Le titre de “parti des fusillés” dont il tire toujours gloire date précisément de l'exécution de Missik Manouchian et de ses 22 camarades[11]. Il l’oppose alors aux services de propagande du gouvernement de Vichy. Jouant sur la xénophobie, l’antisémitisme et l'anticommunisme, l’“affiche rouge” officielle dénonce sur les murs de France “l'armée du crime” avec les photos de Manouchian et de ses camarades. L'Arménien Missik Manouchian
qui, dans la mémoire de la guerre, donne, avec sa vie, son nom au
groupe est le responsable militaire régional des F.T.P. - M.O.I à
Paris. Son “groupe” tombe dans un vaste coup de filet où L'ouvrage de S. Courtois, D.
Peschanski et A. Rayski, Le sang
de l'étranger, les immigrés de Ici, c'est la sortie d'un recueil de témoignages de Partisans armés juifs[14] qui est l'occasion, pour l'un d'entre eux, d’un règlement de compte avec son parti du temps de la résistance. Les autres témoignages publiés servent de faire valoir à ce réquisitoire qui occupe le tiers du livre. De cette mémoire égarée de la résistance juive s'empare aussitôt le Belgisch Israelitisch Weekblad. L'hebdomadaire juif d'Anvers titre, le 7 juin 1991, en grasses et sur quatre colonnes : “des partisans juifs ont-ils été trahis par certains dirigeants du Front de l'Indépendance et du Parti communiste ?”[15]. Le titre accrocheur en forme de question insinue “qu'un certain nombre de chefs du Front de l'Indépendance et du Parti communiste ont la mort de résistants juifs sur la conscience”. En outre, cette "trahison" du parti communiste se solderait, selon le journal, par l'“arrestation de 90 partisans - principalement juifs- , au début de 1944". La cascade d'arrestations à l'origine de cette affaire Manouchian à la belge n'a pas l'ampleur que la mémoire persiste à lui donner. A la différence de l'affaire Manouchian française, la recherche historique a établi les faits avant la publication de ces témoignages. Le lecteur avisé savait que du 29 mars au 5 avril 1944, ce sont 28 partisans - et non 90 - que les policiers SS ont capturés et que la moitié - exactement 14 - sont juifs [16]. On savait aussi que cette chute du Corps de Bruxelles débute avec une arrestation inopinée d'un partisan qui, exploitée, permet, en remontant la chaîne des rendez-vous quotidiens, d'opérer cette razzia sur les partisans de la capitale belge. On savait enfin - et ceci
explique les ressentiments de la mémoire partisane - que ces
arrestations surviennent après des sanctions disciplinaires. Au
printemps 1944, le Commandant national des partisans vient, en
concertation avec le responsable national des cadres du parti
communiste, de déplacer en province une partie des partisans
bruxellois, dont plusieurs commandants juifs. Du point de vue du
commandement, cette dispersion sanctionne un relâchement de la
discipline et de l'observance des règles de sécurité. Le commandant
juif du premier bataillon a refusé d'infliger un blâme à ses
commandants de compagnie tous juifs également. Ils avaient passé
le réveillon de Le propre vécu du témoin ne l’habilite pas à porter un tel témoignage accusateur. Son arrestation n’est précisément pas le résultat d’un complot interne contre les partisans juifs. Si les policiers allemands le prennent dans le Brabant wallon où le commandant national des partisans a ordonné son déplacement, c'est parce qu'ils découvrent sa cachette en arrêtant l’un des “Bruxellois” déplacés qui n'a pas rompu le contact avec la capitale. Le défaut de cloisonnement entre les clandestins, ce “relâchement des mesures de sécurité” si ravageur en France, explique aussi l'extension de la razzia au-delà du Corps de Bruxelles[18]. Les suites de cette cascade d’arrestations invalident tout autant les allégations de l’ancien partisan. Outre qu'il n'est pas compétent pour en témoigner - étant alors arrêté - , ce qu’il en dit dans ses mémoires n’est même pas un témoignage au second degré, un ouï dire recueilli après son retour du camp de concentration et qu'il révélerait seulement après 46 ans de silence. A l'époque des faits, ses camarades échappés au coup de filet n'y lisent aucunement le résultat d'un “plan” perfide du parti communiste[19]. Une pièce des archives de la clandestinité révèle que ces partisans restés en liberté pensent à la présence d’un “mouchard” infiltré au National. Ils se trompent, en l'occurrence. La vague d'arrestations ne remonte pas jusqu'au “centre” où aurait opéré le “mouchard” imaginaire[20]. Le commandant national et des membres de son entourage - cibles de choix - ne tombent pas dans la foulée de la razzia du printemps 1944, mais au début de juillet dans une autre casse. Toujours est-il qu'abusés par les soupçons de cette clandestinité traquée, les “Bruxellois” refusent désormais les contacts avec le commandant national. De fait, ils entrent alors en dissidence. Elle s'institue après l'ouverture du deuxième front à l'Ouest. Préparant le soulèvement national, le commandement national entreprend de reconstituer dans la capitale une formation armée à ses ordres et, dans la tension entre les partisans des deux obédiences, se décide à prononcer l'exclusion des chefs de la ”dissidence”, avec l’accord du Parti communiste. Les avis publiés dans la presse clandestine intiment aux partisans, restés longtemps dans l'ignorance de la rupture des chefs, l'ordre de rompre avec ces derniers en cherchant le contact avec le “centre”. Des trois chefs, deux sont juifs.
Le commandant national qui les exclue l'est également. Son communiqué
qui les dénonce dans Le
Partisan les désigne nommément, non sous leur identité légale,
mais sous leur pseudonyme de guerre. Cette trace est la dernière que
laisse l'un d'entre eux dans l'histoire, le chef non-juif de la
dissidence. Il disparaît. Disparaît également un partisan déplacé
avec lui en province avant la razzia sur le Corps de Bruxelles et avec
qui il a rejoint la dissidence à Bruxelles. C'est le frère d'un de
ses chefs juifs. Cette double disparition reste une énigme. Elle coïncide
certes avec la rupture. Mais aucune source documentaire d'époque
n'autorise à l'imputer à un quelconque “ordre
de certains responsables”[21].
Même les sources immédiatement postérieures à la guerre ne
laissent pas supposer une telle hypothèse. Le frère du disparu ne
porte pas cette grave accusation devant la commission d'enquête
qu'institue en C'est seulement dans les remous de la mémoire des années quatre-vingts que cette disparition argumente un réquisitoire contre le Parti communiste. Le discours s'y pare des vertus du témoignage pour étayer avec ces “exécutions” de partisans ses allégations d'un “plan de liquidation systématique”. Dans les fantasmes de cette mémoire, leur mort s'inscrit dans les “mesures prises contre [les partisans bruxellois] par le centre: reproches et sanctions, dispersion en province, accusations graves”[23]. De ce “plan” dont la “décision n'était pas du ressort de l'un ou l'autre dirigeant”, le ‘témoin’ ne peut dire “d'où venaient les ordres”. Dans son délire interprétatif et sélectif, il y lit cependant un tel acharnement contre ses camarades qu'il donne à accroire - alors qu'il a lui-même survécu au camp de concentration nazi - que “c'est sans doute [...] leur arrestation qui les a sauvés”! A la différence de l'affaire Manouchian, cette diabolisation du parti communiste belge ne s'accorde à aucun enjeu de la société belge des années quatre-vingts. L'état du parti belge ne justifie pas que se développe un débat sur son histoire dans la résistance. Ce parti n'a même plus alors de représentation parlementaire. Les accusations de l'ancien partisan tourneraient à vide sans le relais complaisant du Belgische Israelitische Weekblad. La presse belge, pour autant qu'elle évoque l'affaire des “partisans armés juifs trahis”[24], ne suit pourtant pas le journal juif d'Anvers dans son questionnement inquisitorial sur le parti communiste. Après enquête et “en conclusion provisoire”, un grand quotidien avertit que “l'antisémitisme est bien assez actif pour que son virus soit cherché là où il n'est pas”. L'enjeu, s'il ne concerne pas le parti communiste dans la société belge, intéresse la mémoire juive. Certes l'accusation est trop grossière pour qu'elle l'avalise. Mais ce complot contre les partisans juifs qui excite la complaisante curiosité d'un journal juif a l'avantage d'offrir, à un demi-siècle de distance, une image acceptable de ces Juifs de la résistance mobilisés dans une formation armée dépendant du Parti Communiste[25]. Ravi de l'aubaine, le Belgische Israelitische Weekblad s'empresse de les présenter comme de “pauvres travailleurs” dont, insiste-t-on, une “petite partie [...] étaient membres du Parti communiste”. Ils y auraient adhéré “peut-être par conviction, mais parce qu'ils s'imaginaient que cela les aiderait à se sortir de leur misère”. Communistes malgré eux, ces Juifs de la résistance armée se seraient fourvoyés dans une organisation où ils n'étaient vraiment pas à leur place et où on ne s'est pas privé de le leur montrer. Le ‘témoignage’ induit en filigrane une telle lecture. Réquisitoire, il a sa logique. Il lui faut justifier la présence paradoxale de partisans juifs dans une structure qui complote leur “liquidation systématique”. Le biais est d'opposer leurs “motivations” à “l’indifférence” de leurs chefs. Ces dirigeants machiavéliques, affirme le témoin du ressentiment, n'éprouvaient pas la moindre “compréhension, même superficielle de [leurs] motivations“, mais ils “tenaient les fils de [leur] existence”[26]. Ce schéma est ici construit sur un mode diabolique. En France, le débat
historiographique sur la résistance juive oppose également les “motivations”
des résistants juifs à “l’indifférence”,
non plus des chefs, mais du parti communiste en tant que tel. La
dualité juive et communiste s'y traite obligatoirement en terme
d'incompatibilité et exclue, en conséquence, toute dimension
communiste de cette résistance. Dans cette lecture, les anciens résistants
juifs et communistes, orphelins de leur histoire, restent sur le
carreau de la mémoire. L'affaire Manouchian, focalisée sur la
‘trahison’ du parti communiste français, a évacué cet autre
enjeu. Le téléfilm qui la fait éclater est cependant,
symptomatique. Ce sont les "terroristes"
à la retraite qui prennent la parole. Pour la plupart juifs, ils
témoignent non seulement de leurs exploits, mais aussi de leur
condition de Juifs pendant Dans le débat des historiens sur la résistance juive, Denis Peschanski, il est vrai, préfère se tourner vers les “acteurs” plutôt que de se perdre dans des définitions inopérantes[27]. Mais d'autres historiens, attachés à leur concept de résistance juive, en excluent justement ces militants juifs de la mouvance communiste engagés dans la lutte armée. Ainsi, en 1987, peu après
l'affaire Manouchian, 12.3 Les exclus de la résistance juiveA suivre Kaspi qui fait le point sur l'essor des recherches historiques en France dans les années quatre-vingts, le rapport des communistes juifs à la résistance juive ne serait pas une question d'histoire. Il ne s'établirait qu'en raison des métamorphoses de la mémoire et de son besoin de se recomposer une histoire acceptable. Dans son ambition de “donner un sens à la mémoire collective”[30] de son temps, l'historien refuse “patauger dans l’équivoque” avec celle des anciens communistes juifs[31]. En ce qui les concerne, Kaspi tient à “repousser l’ambiguïté de l’oecuménisme”. Eux, dit l'historien, se sont “trompés” d'histoire. Le disant, Kaspi n'envisage plus
le temps de Les
Juifs pendant l’occupation ne considère
donc pas que les Juifs et communistes aient leur place “au
sein des organisations juives”. Certes, et c'est là le paradoxe
des schémas théoriques de la résistance juive, l'historien,
traitant de cette période, ne peut les ignorer. En matière
d'histoire, les définitions, quelles qu'elles soient, se doivent d'être
“opératoires”, comme le dit Denis Peschansky[32].
En terme d'histoire, le passage obligé est de prendre en compte les
hommes et les femmes qui l'ont faite, comme ils l'ont faite, avec
leurs choix d'alors. En un mot, s'il s'agit de trouver la résistance,
il ne faut pas chercher “midi
à 14 heures”, pour reprendre un mot d’Annie Kriegel[33].
“La résistance juive”, remarque l'historienne - et ici, à bon droit -, “c’est
d’abord Face
à la persécution, les organisations juives à Paris de 1940 à 1944
s’étudient bel et bien en termes
d’histoire politique et sociale. Cette thèse de doctorat de Celle des communistes contraste
avec la stratégie du judaïsme officiel incarné dans le Consistoire
central israélite de France et fondé sur un légalisme dont il ne
parvint jamais à se départir complètement. Dès 1941, cette stratégie
de la légalité l'implique dans l'Union Générale des Israélites de
France, l'U.G.I.F., clef de voûte de la politique antijuive de l'“État
français” comme des autorités allemandes. Quant aux organisations
d'immigrés non communistes, elles maintiennent, quoiqu'incorporées
dans l'U.G.I.F., un “double
lien avec la façade officielle et avec le travail clandestin caractérisant
pratiquement toutes les organisations juives”, comme le constate
en Dans Les
Juifs pendant l’occupation, Kaspi
résout le problème de cette différence, en inscrivant dans “le
temps des autres” ces Juifs et communistes qu'ils écartent des
“organisations juives”.
La formule vient des mémoires d' L’ancien militant politique s’est reconverti, avec une passion égale, à celle de l’histoire. Ses recherches aboutissent en 1992 à un maître-ouvrage: Le Choix des Juifs sous Vichy, entre soumission et résistance. L'auteur, comme l'écrit son préfacier, François Bédarida - le directeur de l’Institut d’Histoire du Temps Présent - appartient “à cette catégorie rare et précieuse des témoins devenus historiens [...] se conformant scrupuleusement aux règles et aux canons de la méthode historique”[38]. Avec ce double regard, Rayski insère
le choix des organisations
juives communistes dans le contexte global et pluriel du Choix des Juifs. Celui des communistes ne les relègue nullement
dans “le temps des autres”.
Ils étaient juifs et, comme le remarque l’historien du parti
communiste français dans la guerre, “on
le leur a bien fait comprendre”[39].Dans
son intervention au colloque sur la résistance juive, Stéphane
Courtois objecte cette “donnée
de base” irréductible à toute lecture qui en exclurait les
communistes juifs. C'est avec ce jeune historien que Rayski publie, dès
1987, le Qui savait quoi?
sur l'extermination des Juifs[40]
dont justement les principales sources
documentaires proviennent des publications clandestines de Historien formé sur le tas,
l'ancien responsable communiste juif démonte ainsi “le
véritable procès qui a été intenté, rétroactivement aux
organisations juives de Composée par un témoin particulièrement avisé, cette histoire où la résistance est l'un des choix des Juifs n'a pas le défaut des écrits du début des années septante. Au regard critique de l'historien, cette littérature livrait “une description latérale, tronquée, sans démarche historique”[43]. Ses auteurs sont le plus souvent certes comme Rayski d’anciens résistants, mais leur préoccupation est autre. Elle tient plus du témoignage que de l'histoire et plus encore de l'hommage. Leur enquête recompose un environnement qui signifie leur vécu personnel et surtout celui de leurs camarades, de ceux qui ont disparu dans la tourmente et dont il importe de garder la mémoire. Telle quelle, cette historiographie est la réplique des anciens résistants au “complexe du mouton”[44]. Il s'agit, pour ces auteurs comme le dit l'un d'eux, d'opposer “à l’image du peuple martyr qui pendant des siècles s’est laissé massacrer sans se défendre [...une] autre image : celle du Juif résistant”[45]. Jusqu'à la fin des années
soixante, l’imaginaire collectif se fixe sur la figure pitoyable
d’une victime passive et soumise face au bourreau nazi. Cette représentation
ne laisse guère d’espace à la résistance juive. Ses “épisodes
[...] n’offrent que
l’aspect d’exception qui confirment la règle”, estime même
Le bréviaire de la haine de Léon Poliakov en 1951[46].
L'ouvrage, longtemps référence obligée en langue française,
s'interroge plutôt sur la passivité des Juifs qui se sont laissé
“mener à l’abattoir sans s’unir pour une défense acharnée, sans
choisir, [leur] sort étant scellé, ‘perdu pour perdu’, de mourir
en combattant”. Cette “question
irritante certes pour la sensibilité juive” trouve une réponse,
dix ans plus tard, au procès
d’Eichmann à Jérusalem. En ce début des années soixante, la mémoire
collective se focalise sur un diptyque d’Auschwitz à Israël. Le défilé
des témoins juifs devant le tribunal israélien s'organise comme une
leçon d’histoire. Hanna Arendt en fait la remarque avec
impertinence dans son compte rendu. Leur interrogatoire tend à
montrer que les Juifs de Dès 1970, La
révolte des justes revendique
cependant sa place. Ces Justes
ne sont alors pas ceux auxquels Lucien Lazare consacre, en 1993, un Livre
pour faire l'“histoire
du sauvetage des juifs par des non juifs en France”[48].
Dans le sursaut de la mémoire des années septante, les ‘justes’
sont ... les
Juifs contre Hitler. Dressant un panorama européen, l’historien français Lucien
Steinberg montre qu'ils lui “ont
fait front”, qu'“ils
l’ont combattu” et qu'“ils
se sont battus de manière diverse et pour des raisons diverses”[49]. Également
en 1970, La résistance
juive en France d’Anny Latour s'inspire plutôt de “l’enseignement
de la bible, de la morale et de la spiritualité juive”[50]. En 1971, Les
Juifs dans C'est cette revendication d’une résistance tout à la fois juive et communiste qui déclenche, dès 1973, la virulente polémique dont le débat historien des années quatre-vingts-nonante prend le relais. A cette résistance qui revendique son titre juif, on reproche aussitôt de n'être “pas née d’une prise de conscience de la détresse et de la solitude juive”[54]! Désormais, le débat change d'objet. “Il ne s’agit plus de faire référence aux adhérents, aux membres et aux personnes, mais aux motivations, et plus encore aux objectifs qui sont ceux des résistants juifs”, expliquera André Kaspi quand les historiens s'appliqueront à définir le critère de résistance juive[55]. 12.4 Le critère du salut des JuifsCette “Résistance
juive” se définirait, selon la formule d’Annie Kriegel en
1984, comme une “Résistance
qui a, dans ses motivations et dans la finition de ses cibles
prioritaires, tenu pour le critère majeur et urgent le salut des
Juifs”[56].
La définition lui assigne, chez Asher Cohen, “le
rôle [...] d’assurer que, dans l'Europe libérée, il y aura encore
des Juifs vivants”[57].
A son estime, “un mouvement de
Résistance juive doit donc avoir un objectif clair et précis: empêcher,
ou au moins tenter de réduire les effets de la politique
d'extermination dirigée contre la population juive”. Ce schéma
théorique articule aussi A suivre ce dernier, “les chefs des organisations juives parvinrent à mettre en place des dispositifs de sauvetage” parce qu’ils étaient “bien informés’” et que ‘plusieurs des leurs interpréta[ient] lucidement la signification réelle des mesures appliquées contre les Juifs étrangers”, et ce dès 1942[58]. Dans Les Juifs pendant l’occupation d’André Kaspi, ces organisations juives - dont ne font pas partie, selon cet historien, celles des communistes juifs - sont “naturellement investies” d'une “lourde responsabilité”. Elles “ont, chacune, suivant ses possibilités et ses inclinations, mené une résistance aux multiples facettes, et il est inutile”, de l'avis de l'historien, “de privilégier exagérément la lutte armée ou de disséquer à l'infini les objectifs que les unes et les autres ont poursuivis”[59]. Kaspi n’opte pourtant pas pour
“le flou des clivages”[60].
A la différence de Le point est effectivement capital. Quelle que soit la définition de la résistance juive, le passage obligé est ce comportement de refus qui s’organise au sein de la population juive, soit à travers ses structures associatives habituelles ou dans des formes plus appropriées à l’action illégale et clandestine. Le refus de l'ordre légal et son organisation dans l’illégalité sont au principe même de toute résistance. Il y a là, inscrit dans l'événement qu'il a constitué, un critère objectif d'interprétation et d'analyse des comportements. Il fournit une grille de lecture qui restitue les actes et les attitudes en évitant le piège d'une reconstruction téléologique et anachronique en fonction d'un “salut des Juifs” advenu. Car le critère qu'on veut rendre déterminant pose, en fait, l'histoire accomplie, les questions du présent, et non celles du passé. C'est évidemment, comme il l'écrit, en “sachant ce que l'on sait aujourd'hui” qu'André Kaspi s'attache à établir si “les Juifs d'il y a cinquante ans ont [...] été suffisamment perspicaces sur leur avenir”[63]. Un tel questionnement sur Les Juifs pendant l'occupation. tend certes à “donner un sens à la mémoire collective”, mais un sens métahistorique. Il n'est pas opératoire pour traiter les questions que se posaient les Juifs d'alors. Une lecture des comportements
d’époque à travers la grille du “salut”
dont on veut faire le paramètre de la résistance juive est “plus facile à dire qu’à faire”, comme l'admet Annie Kriegel[64].
Elle conduit, et Asher Cohen le remarque à bon droit, au paradoxe de
devoir considérer “dans cette
optique”, que “ Au demeurant, cette '“information” qui justifierait rétrospectivement la lecture de la résistance juive en fonction du “salut” ne lève jamais, pendant l'événement, toute l'’“incertitude” et l'’“ambiguïté” qui accompagnent, surtout à l'Ouest, le déroulement de la “solution finale”. Au surplus, l'information n'a pas pour vertu de “déclencher une action efficace”[67]. Même initiés au sens réel de l’histoire en cours, les Juifs de l'époque n'y ont pas pour autant découvert les voies de ce “salut”. Le critère suppose que la conscience historique aurait la faculté intrinsèque sinon d'annuler, du moins de surdéterminer les dispositions idéologiques et politiques des uns et des autres et, en conséquence, de dicter au-delà de ces différences plurielles, les attitudes singulières les plus appropriées. Il n'en est rien! L'information passe toujours par un filtre. Quel que soit le groupe - au sens sociologique et politique du terme -, il use de ce qu'il peut savoir du génocide en cours en fonction de sa propre stratégie de défense. Aussi, d'un groupe à l'autre, la même information articulera des politiques différentes, voire contradictoires. Ainsi, en est-il de la diffusion
à l'Ouest des toutes premières informations sur l'extension du génocide
- entamé dans les territoires soviétiques occupés - aux Juifs du
Gouvernement général de Pologne au printemps 1942. Elles proviennent
du ghetto de Varsovie où le groupe de résistance Oneg
Shabbat s'employait à les recueillir. Entendant que Pourtant, “Ringelbum
avait tort”, observe l'historien
Michaël Marrus, cinquante-deux ans après. Son holocauste dans l'histoire - remarquable
synthèse des problématiques de la question juive pendant L'exemple signale combien,
s'agissant de la résistance juive, “l'élément
clef [...] est de comprendre comment les résistants envisageaient
leur action - ce qui demande parfois une imagination considérable”.
Il faut, en effet, se replacer dans le mode de penser de l'époque,
s'impliquer par empathie dans les options des acteurs pour saisir
l'usage qu'ils font de l'information. En ce sens, au contraire de
l'interprétation trop instrumentale de l'historien En France, le Consistoire central
israélite se réfère, le 24 août, à ces “informations
précises et concordantes[72]
que plusieurs centaines de milliers d'Israélites ont été massacrés
en Europe orientale”[73].
Le Front de l'Indépendance belge, plus précis, force même les
chiffres annoncés de ces “exécutions
des Juifs de Pologne où 7 à 800.000 personnes ont été froidement
assassinées”. L'institution israélite en France y lit, quant
à elle, la confirmation du “programme
d'extermination” qu'annonce publiquement le Chancelier du Reich.
De son côté, le mouvement de résistance belge - alors la principale
organisation clandestine du pays - avertit, au moment où “ Du Consistoire israélite de France au Front de l'Indépendance en Belgique, la même révélation londonienne contribue à une prise de conscience de l'événement en cours, mais justement elle n'argumente pas des comportements politiques analogues. Les stratégies poursuivies de part et d'autre sont tout à fait différentes. Le 25 août 1942, alors que 22.000 Juifs viennent d'être déportés de France “dans l'intention bien arrêtée de les exterminer impitoyablement et méthodiquement”, le Consistoire qui ”ne peut”, dit-il, “avoir aucun doute sur le sort final qui [les] attend”, s'adresse au gouvernement français dont la police les livre aux SS allemands. Certes, il proteste “de toute son énergie”, mais pour “demande[r] au moins, pour le cas où il ne serait pas possible d'obtenir la révocation de l'ensemble de ces mesures, de maintenir la totalité des exceptions qui avaient été appliquées aux premiers convois [...][74]”. Et, il prie le vice-président du conseil “de décider que les parents d'enfants âgés de moins de 3 ans ne soient pas déportés, ainsi que toutes les femmes enceintes”. Adressant cette protestation et ces suppliques, l'institution légale du judaïsme français leur donne certes une certaine publicité: le texte israélite est diffusé à ... une cinquante d'exemplaires à des personnalités, juives et non-juives[75]. Le Consistoire - rompant pour la première fois avec sa discrétion coutumière - ne sort néanmoins pas de son rôle légal. Institution religieuse que l'Etat français, tout antisémite qu'il soit, se garde d'interdire, il persiste sur le terrain de cette légalité française et cherche à y aménager, en guise de défense juive face aux déportations, une politique de moindre mal qui consisterait à sauver ce qui pourrait l'être[76]. Tout autre est la portée du texte belge. Le Bulletin intérieur du Front de l'Indépendance le publie[77]. Certes, lui aussi se diffuse en un nombre limité d'exemplaires. Il s'agit effectivement d'un organe interne réservé aux cadres du mouvement de résistance. Mais justement il leur communique, sous le titre “La question juive”, un plan de "mesures pratiques d'aide à la population juive" à mettre en oeuvre pour l'aider à se cacher. Le catalogue, très détaillé, comporte un volet politique. On y invite les militants à “faire connaître partout les crimes commis contre les Juifs” afin de “provoquer [l'] indignation [du peuple]” que “l'occupant craint”. Le Bulletin leur propose de reproduire et d'adapter aux conditions locales un projet de tract “Aux armes, la gestapo” qui s'articule autour des “déclarations bouleversantes [du chef du gouvernement polonais Sikorski] sur les exécutions des Juifs en Pologne”. Référant le sauvetage des Juifs à cette menace de “mort effrayante” à laquelle ils “sont exposés”, ce programme d'action émane d'une “section de défense des Juifs”. Comme le rappelle son comité à la fin de 1943, c'est à l'initiative du “mouvement belge de résistance” auquel il a adhéré qu'il s'est constitué[78]. “Quelques Juifs représentant tous les milieux de la population juive de Bruxelles, de l'extrême gauche jusqu'à la bourgeoisie” l'ont fondée, expose ce document tardif, pour “organis[er] la résistance de [cette] population [...] contre les mesures inqualifiables prises à son égard”. De prime abord, ce Comité de Défense des Juifs, nom qui lui est resté dans l'histoire, serait donc l'illustration par excellence de cette résistance juive dont “le critère majeur et urgent” aurait effectivement été “le salut des Juifs”[79]. “Le temps presse”, disait même l'appel à la “solidarité avec les victimes juives de la barbarie hitlérienne” pour “aide[r] les Juifs à se cacher”. Dans cette urgence, la petite
Belgique aurait donc élaboré ce modèle de résistance juive auquel
réfléchissent ses historiens dans le cas de Un historien français,
anticipant sur cette théorisation, fait cette lecture, en 1973.
D'anciens résistants juifs, les Amis
du Comité de Défense des Juifs (C.D.J.) l'ont invité à écrire
leur histoire. Eux ne parviennent pas à s'accorder sur leur
historique. Dans ce débat interne, transparaît en filigrane, au-delà
de la problématique de la collaboration et la résistance juives qui
les divise, la tension entre anciens résistants juifs communistes et
non-communistes[80].
Les uns et les autres acceptent de s'en remettre à la compétence de
Lucien Steinberg qui vient de publier sa Révolte
des Juifs. Son enquête sur Le comité de défense des Juifs en Belgique 1942- 12.5 Un modèle ‘belge’?Les témoignages, principale source de cette première investigation de la résistance juive en Belgique, portent à une telle lecture au demeurant conforme aux représentations des années soixante et, dans le cas belge, des années septante. Y compris le témoignage du principal témoin du C.D.J., son initiateur Ghert Jospa, décédé avant l'enquête de l'historien français. Ce témoignage, recueilli sur
l'initiative de A Le témoignage n'est cependant guère explicite sur cette prescience qui détermine le témoin à assumer le rôle éminent qui est le sien dans la défense juive sous l'occupation nazie. Tout au plus, Jospa se réfère-t-il au “travail mené au sein des organisations antifascistes [qui lui] avait donné, dès avant la guerre, un visage vivant de l'Allemagne hitlérienne”. Mais, l'interviewer ne s'impose de l'interroger sur ce “travail” et ses circonstances. Il ne s'intéresse pas non plus à l'itinéraire qui conduit de cet antisfacisme d'avant-guerre à la résistance juive pendant l'occupation nazie. Il n'interroge pas plus Jospa pourtant connu comme communiste sur ses rapports avec son parti dans son activité au sein du C.D.J. Le communisme est totalement absent de cette mémoire orale des années de la guerre froide. Même le mot n'y figure pas. En revanche, dans cette version de sa résistance, Jospa n'évacue pas la référence politique d'organisations et de personnalités, entre autres sionistes, contactées pour former le comité clandestin. Il évoque aussi une “‘Solidarité Juive’, passée en bloc dans la clandestinité” et qui lui a apporté l'appui de ses militants, mais il n'en dit pas plus. A la lecture du témoignage, l'historien n'apprend rien de ses rapports privilégiés avec cette organisation si impliquée dans la défense des Juifs. Tout autant que celui de Jospa, le témoignage recueilli dans les mêmes circonstances d'un des responsables, Maggy Volman, installe également cette Solidarité juive dans une Résistance non autrement caractérisée. Ces représentations unanimistes
de la résistance juive et communiste, du temps de la guerre froide,
ne résistent pas à la confrontation avec les archives
‘clandestines’ de Pendant l'occupation, les
archives de C'est leur modèle réalisé d'une société où “tous les êtres humains, quelles que soient son origine, sa nationalité ou sa religion, [...] jouissent des mêmes droits” et où ”chaque peuple peut librement développer sa culture nationale”. Communistes et juifs, ils retiennent expressément que “les Juifs y jouissent de tous les droits de citoyens de l'U.R.S.S. et ne connaissent pas les affres de la persécution. C'est pourquoi, insiste ce discours communiste, ils défendent le sol de leur patrie avec le même dévouement que les autres peuples de la grande famille soviétique. C'est pourquoi ils luttent héroïquement dans les premiers rangs de l'armée rouge pour la défense de la culture et la libération de l'Europe de la barbarie hitlérienne”. Le moment se prête tout à fait
ce panégyrique communiste et juif. Il se publie, un mois après “la victoire de Stalingrad” où “l’armée
rouge a vengé De telles “Nouvelles de l'U.R.S.S.” se lisent, en mars 1943, dans le tout premier numéro l'organe de la “section de défense des Juifs du Front de l'Indépendance”, Le Flambeau. Le discours juif et communiste se présente, en l'occurrence, comme un discours de résistance juive, une résistance dont l'expression politique porte l'empreinte de cette extrême gauche juive qui en a été l'assise. L'“Historique
du C.D.J.” qu'“Yvonne”
adresse, en juillet 1944, au responsable des cadres de Ce Joseph n'est autre que Ghert Jospa et le pseudonyme qu'il s'est choisi est probablement une autre manière d'affirmer son attachement au communisme et à l'Union soviétique. Joseph n'est pas une sorte d'anagramme de Jospa. Dans cette réticence des clandestins à se dépouiller de leur identité véritable, Jospa s'est donné le patronyme de Jaspar. Le pseudo-prénom de Joseph se réfère vraisemblablement à un autre Joseph - modèle des communistes -, le camarade Staline. Il n'y a, en tout cas, chez Jospa aucune tension entre ses motivations juives et communistes. Elles constituent une seule et même identité. C'est en communiste que Jospa rappelle, dans son rapport sur “la question juive en Belgique” ses efforts personnels en vue de “la création d'un large front antifasciste parmi les Juifs sous la direction des communistes”. “Encore, en 1941“, signale-t-il, j'ai plusieurs fois attiré l'attention du parti sur [la] situation objectivement favorable” qu'il apercevait, quant à lui, parmi les Juifs. 12.6 Le “front antifasciste” de Jospa!“Au début”, note Jospa dans ce mémoire d'après-guerre, “le parti sous-estimait l'importance de ce mouvement aussi bien pour les masses juives comme pour des larges masses belges sympathisant avec les Juifs dans leur malheur”. Déjà, en 1938-1939, les “organes centraux du parti com[muniste] n'encourageaient pas suffisamment le travail dans le milieu juif”. A cette époque, Jospa, naturalisé belge, militait surtout, d'après ce rapport, à la “ Ligue belge pour la lutte contre le racisme” où il veillait, avec d'autres dirigeants, parfois d'anciens catholiques devenus “communiste“ ou “sympathisant du communisme”, qu'elle soit “dirigée par les communistes”. Mais, à son jugement d'après guerre, le parti ne désignait pas au travail juif “une ligne d'action juste et exacte” susceptible de lever l'obstacle du “sectarisme et [d'un] manque de souplesse de la part de nombreux camarades juifs”. Le parti s'intéressait au “travail juif” surtout pour y prélever des cadres. “Plusieurs communistes juifs et les meilleurs”, signale Jospa, “passaient sur les instances du parti com[muniste] belge au travail dans le milieu belge”. Lui-même, semble-t-il d'après ce document, prendrait part au “travail” ‘belge’ pendant les premières années de l'occupation. En 1942, il participerait à la constitution du Front de l'Indépendance, au plan national. Ce Comité National se crée en mars 1942 et Jospa, d'après “La question juive en Belgique”, en serait alors membre. Le document précise que c'est “en étant membre du Comité National du F.I. qu[{il a] agi en son nom” pour former le C.D.J. Jospa a pu convaincre “le parti [d']accept[er son] plan”. Il "m'a désigné comme responsable pour tout le pays d'organisation de sauvetage des Juifs et de leur résistance contre l'ennemi”, écrit l'auteur anonyme de ce rapport. Jospa date ce moment du “début de 1942, quand les Allemands [sont] passé[s] à l'anéantissement systématique des Juifs” et ont pris “les premières mesures économiques”. Les premières ordonnances économiques datent, en fait, du printemps 1941, mais, formant un cadre, elles sortent leur plein effet à la fin du printemps 1942. De nouvelles ordonnances portent alors directement atteinte aux conditions matérielles d'existence. Plus encore, au mois de mai, l'occupant procède à la liquidation des entreprises juives, forcée ou volontaire suivant l'importance du chiffre d'affaires. Dans son plan nazi, cette phase précipitée au printemps 1942 prépare l'expulsion imminente des Juifs du pays, leur “évacuation” pour reprendre le jargon nazi. Dans sa lecture de l'histoire,
“la question juive en Belgique”
reconstruit ces ‘étapes’ comme la réalisation progressive d'un
“programme de Nuremberg”
et suppose ainsi une continuité linéaire de la législation raciale
de 1935 au génocide de 1941-1942. “Petit
à petit”, écrit Jospa à propos de la “situation
des Juifs pendant l'occupation”,
“les Allemands commençaient à réaliser le programme de Nuremberg:
l'anéantissement des Juifs. Tout d'abord, des mesures économiques
tendant à l'exclusion complète des Juifs de la vie du pays. Ensuite,
commença leur déportation dans les camps de concentration [sic[87]]
principalement à Auschwitz (Haute-Silésie), c.a.d. leur anéantissement
au plein sens du mot”. Dans cette interprétation de
l'histoire advenue, “il est
clair”, pour Jospa, “qu'en
pareille situation, toute l'activité de la vie politique juive devait
se concentrer dans la lutte contre l'occupant et dans une défense
organisée systématiquement. Les communistes, voulant se mettre à la
tête des masses juives, devaient mobiliser toutes leurs forces pour
cette activité, organiser le sauvetage systématique des masses, et
tout d'abord des enfants. En devenant créateur d['un] plan semblable,
les communistes avaient la possibilité de former autour de leur
programme antifasciste un front unique, beaucoup plus large que parmi
des masses belges. Étant donné que l'hitlérisme présentait la
menace de mort pour tous les Juifs sans distinction, ce front unique
pouvait enserrer toutes les classes de la population juive, y inclus
la bourgeoisie réactionnaire, en y excluant seulement des fascistes
et des traîtres juifs, collaborateurs de l'ennemi”. Encore “fallait”-il,
explique Jospa en bon léniniste, “faire
dans ce but une analyse exacte de la situation, établir un plan
d'action clair et trouver le chaînon qui, lorsqu'on s'en saisit,
permet d'entraîner toute la chaîne. Il fallait jeter dans la lutte
toutes les forces pour réaliser ce programme”.
D'après “La question juive en
Belgique”, Jospa tiendrait ce “chaînon”,
dès “mars L'“Historique
du C.D.J.” d'Yvonne Jospa,
qui date encore de l'occupation, donne une autre chronologie. Dans ce
document de la clandestinité, c'est, “en
juillet L'“Historique”
d'Yvonne révèle encore qu'au sein même du comité clandestin, au
fur à mesure qu'il s'élargit, l'influence communiste gagne du
terrain en ralliant, ici, tel “sans-parti”,
là, tel autre socialiste. Elle entraînera des frictions, après
l'arrestation de Jospa, le 21 juin 1943, “une
lutte ouverte”, dit même l'“Historique”.
Bien que son épouse ait été la cible de cette “lutte”
intestine, Ghert Jospa ne l'évoque nullement dans sa “Question juive en Belgique”. Non pas en raison de cette réserve
qui le porte, dans ses propos, à en écarter les aspects personnels
et à privilégier, même dans les passages à la première personne,
la dimension politique. Yvonne est
tout aussi discrète dans son “Historique”.
Elle ne laisse apparaître aucune émotion quand elle évoque Joseph et le lecteur qui l'ignorerait ne pourrait deviner qu'elle
relate l'activité de son propre mari, alors détenu à Buchenwald. Il
n'empêche que s'agissant de cette “lutte
ouverte” dont sa position personnelle dans le C.D.J. est
l'enjeu, elle en informe le responsable des cadres de L'évolution du C.D.J. après son arrestation ou, tout au moins, celle des alliés sionistes entame pourtant la ‘puissance’ du “front unique” qu'il a voulu fonder sur la base du “programme antifasciste” du parti communiste. Dans cette “lutte ouverte” dont parle Yvonne, les sionistes, toutes tendances confondues et finalement regroupés en novembre 1943 en une “Fédération sioniste”, s'efforcent, au printemps suivant, de “ravir l'initiative aux communistes” dans le domaine du placement des enfants juifs où ils jugent l'“influence communiste exclusive”[89]. Ils sont alors engagés dans l'opération des certificats d'échange germano-palestinien et prétendent déplacer les enfants cachés par l'organisation clandestine dans des “foyers sionistes” bénéficiant d'une protection diplomatique contre le risque d'une déportation immédiate[90]. Les sionistes tablent sur cette immunité des “vétérans sionistes” agréés par l'autorité allemande et inclinent, même dans le sauvetage des enfants juifs, à rompre avec le principe d'illégalité. Leur but, expliquent-ils, est de “s'occuper ainsi à la fois de (leur) bien-être physique et moral" et surtout d'assurer leur éducation “dans un esprit national juif, laïc ou religieux”[91]. S'ils échouent dans leur tentative de prendre le contrôle des 2.500 enfants cachés qu'administre alors la section Enfance, l'option légale des certificats d'échange germano-palestinien est une autre signe d'une dérive qui préoccupe le C.D.J.. Au moment où, en novembre 1943, les sionistes reconstituent leur fédération en marge du comité clandestin, ce dernier en réunion nationale avec les délégués des comités locaux rappelle avec force ses objectifs initiaux. Il tient à “donner fermement expression” - pour reprendre ses termes - “que le Comité soit en premier lieu une organisation de lutte et de résistance et que le travail social important dont on s'occupe devra toujours dégénérer en simple travail de bienfaisance”[92]. De même, dans le rapport qu’il adresse, peu après, en Suisse pour justifier ses demandes pressantes de fonds auprès du représentant de l'American Jewish Joint Distribution Committee, le C. D.J. rappelle la dualité du “but principal de ce comité” à sa constitution. Il se proposait de “mener la lutte contre l'occupant dans le cadre du mouvement belge de résistance, en participant à l'activité de résistance sur le plan national belge et en organisant” la défense juive. Or, tout autant qu'au sein de ce comité unitaire, communistes et sionistes se disputent sur la manière de pratiquer celle-ci, en particulier dans le cas des enfants, ils ne s'accordent pas sur les modalités de “la lutte contre l'occupant”. Certes, dans cette question,
l'extrême gauche sioniste reste proche des communistes, mais il n'empêche
qu’après le débarquement de Normandie, elle opte pour
l'attentisme. Elle reste “pour
le moment” , explique son organe Unzer
Wort en juin 1944, “sur
ses positions cachées” et n'appelle ses “masses
juives” qu'à attendre “le
signal au moment voulu de se jeter dans le combat contre les barbares
nazis pour la liberté et l'indépendance” du pays occupé.
L'enjeu juif du combat à venir est certes, selon les “ouvriers
sionistes de gauche”, de “venger
nos parents, frères et soeurs, vieillards et enfants sauvagement
assassinés par les nazis”, mais ce devoir de vengeance juive
n'implique aucune participation à des actions immédiates qualifiées
d'“avant-garde”. A son
point de vue, il s'agit de se préparer aux combats de Ces “groupes
de combat” sionistes de Plus encore, cette “résistance des Juifs” dont Le Flambeau vante les mérites du temps de Joseph, reste pendant l'occupation l'apanage des communistes juifs et de leurs sympathisants. Au demeurant, “les Juifs qui n’ont pas voulu se laisser prendre et qui ont trouvé la mort” n'étaient pas aussi “nombreux'” que l'organe de la “section de défense des Juifs du Front de l'Indépendance” le prétendait, en mars 1943. Et, surtout, aucun n'a été abattu “dans [cette] lutte armée contre les agents de la gestapo” dont le journal clandestin voudrait convaincre ces lecteurs. Mais appelant à une telle rébellion, le porte-parole du C.D.J y réfère l'entrée en résistance de ceux qui “ont rejoint les rangs du Front de l’Indépendance ou des Partisans et luttent avec les patriotes belges contre l’envahisseur”[95]. Ce discours tendait à faire du comité ce qu'il n'a jamais été, un mouvement structuré de résistance juive. Il est demeuré un comité de rencontre - donc, aussi un champ clos d'affrontement -. Les services sociaux qu'il a installés dans la clandestinité ont été l'essentiel de son activité et de sa réussite dans le sauvetage des Juifs. Cette défense juive que chaque tendance interprétait selon ses options idéologiques et politiques a certes été leur plus grand commun dénominateur, mais, en tant quel tel, il n’a pas suffi à constituer ses structures. Il faut, pour en prendre la bonne
mesure en histoire, bien apercevoir le moment chronologique où
aboutit enfin l'initiative de Joseph.
Si ce militant communiste entreprend de former le C.D.J. “en
juillet 12.7 Le “défense juive” dans le temps de l'histoireLe C.D.J. entame son histoire
seulement au “début de
septembre Or, les fameuses “déclarations bouleversantes”
du gouvernement polonais de Londres auxquelles ce document se réfère
pour justifier l'urgence de l'action de sauvetage des Juifs de
Belgique sont alors vieilles de cinq mois! Les milieux juifs concernés
n'ont donc pas été bouleversés au point de hâter la formation de
leur Comité de Défense. C’est seulement quatre longs mois après
l’émission de Ce rapport ‘suisse’ du CDJ ne contredit pas la chronologie de sa création dans l'Historique du C.D.J. rédigé pour l’information du P.C. Des premiers contacts de Jospa “en juillet” jusqu’à cette réunion du “début de septembre” où “la bourgeoisie” s’associe à “l’extrême gauche” pour une défense juive clandestine, l’écart situe toute la distance entre l'histoire réelle et la perception divergente par ses acteurs de ses enjeux. Pendant que le C.D.J. tarde ainsi à se constituer, tout se joue pour les Juifs de Belgique. L'été 1942 est crucial, à tous égards. Avant la fin de l'été, 10 convois auront acheminé 10.038 des 24.906 Juifs déportés à Auschwitz jusqu’à la fin de l'occupation. Le premier convoi de la solution finale quitte Malines, le 4 août. Le 10e, justement le 15 septembre, quand le C.D.J. entame la comptabilité de ses dépenses. Certes, à l'Ouest, on ne sait pas ce qu'il advient des déportés. On ignore que les 10 premiers convois ont, dès leur arrivée, livré 6.274 déportés aux chambres à gaz d'Auschwitz. Mais surtout, on ne parvient pas à concevoir cet assassinat systématique des déportés juifs dès leur sortie du convoi, en dépit de ce qu'on apprend des massacres perpétrés en Pologne et quoi qu'on en dise pour “provoquer [l'] indignation” du peuple belge. Du sort des déportés de Malines, on peut seulement parler, comme le premier numéro du Flambeau en mars 1943, de cet “‘Est’ mystérieux dont personne ne revient”[96]. Huit mois plus tard, et alors que les informations parviennent maintenant de toutes parts sur “l'extermination des Juifs” qui “dure” depuis “deux ans”, Le Flambeau est toujours aussi perplexe quant au sort des “vingt-deux transports de Juifs” partis de Belgique. “Que sont devenus ces milliers de malheureux ? Personne“, estime l'organe de la défense juive, “ne saura répondre à cette question angoissante”[97]. Le rapport que le comité clandestin rédige peu après sur son activité depuis sa fondation est tout aussi indécis. Écrit à d'autres fins que de propagande, le document déclare “inqualifiables” les mesures prises contre les Juifs au cours de l'été 1942 et explique qu'alors “on se rendit compte qu'il ne s'agissait pas du travail obligatoire mais bel et bien de déportations vers l'inconnu dans de telles conditions que le pire était à craindre“. Ces craintes et, en tout état de cause, le sentiment d'une menace de déportation massive de la population juive ne datent pourtant pas de la fin de l'été 1942. Dès les derniers jours de juillet, les Juifs convoqués au camp de rassemblement de Malines ne pensent pas, pour la plupart, que l'occupant les réquisitionne pour le travail obligatoire. Comme ils ne se présentent pas en nombre suffisant à la caserne Dossin, les officier SS des affaires juives imposent à l'Association des Juifs en Belgique - l'A.J.B. - créée sur ordre de l'occupant - de les rassurer et de les inviter à obéir. Le 1er août, l'institution officielle dont les employés distribuent les convocations à domicile y joint un appel en ce sens du grand rabbin et des présidents des institutions israélites, la plupart membres de son comité directeur. Les dirigeants juifs officiels transmettent “les assurances données par l'Autorité occupante, [qu']il s'agit effectivement d'une prestation de travail, et non d'une mesure de déportation”[98]. Craignant les rafles aveugles et anonymes, les présidents du judaïsme officiel s'emploient à persuader les convoqués que “la non-observance de l'ordre de travail pourrait entraîner de fâcheuses conséquences, tant pour les membres de (leur) famille que pour la population juive toute entière”. L'appel n'a pas l'effet escompté.
Dès la mi-août, les SS de la solution finale comprennent qu'ils ne
parviendront pas à remplir les convois sans recourir à la contrainte
policière. Ils procèdent alors, les 15-16 et 28-29 août, à deux
razzias nocturnes sur le quartier juif à Anvers, en se servant de la
police belge disponible. Ces rafles ont l'importante, toute
proposition gardée, de la rafle du Vélodrome d'Hiver, dans la
capitale française un mois plus tôt. Dans la capitale belge, les
officiers SS risquent un incident politique en réquisitionnant la
police nationale. Aussi, attendent-ils la nuit du 3 au 4 septembre
pour opérer avec les forces de police allemande et leurs supplétifs
de C'est, en effet, cet événement
bruxellois du début de septembre qui précipite la fondation du comité
clandestin, après plus d'un mois de tractations entre Jospa et ses
interlocuteurs. Les contraintes de sécurité conspirative ne rendent
pas compte de la lenteur des contacts entre “l’extrême
gauche” et la “bourgeoisie”.
Jospa, comme il le laisse entendre après coup, n'a pas rencontré de
difficultés à l'extrême gauche. Le rapprochement entre les
communistes de Le problème dans cette longue gestation du comité, ce sont les tergiversations du côté de la “bourgeoise”. Cette difficulté n'apparaît guère dans le compte rendu qu'en fait Jospa, dans l'immédiat après-guerre. Lui parle d'un réussite “assez“ facile. “Malgré que dans les milieux juifs, on savait que [le] F.I. était dirigé par les communistes”, expose-t-il dans “La question juive en Belgique”, “j'ai réussi assez facilement à convaincre les représentants de toutes les importantes tendances politiques juifs et notamment: des Juifs assimilateurs, des sionistes, des Poale-Sion de gauche, des Juifs orthodoxes et des communistes”. En fait, - et Jospa n'évoque pas cette circonstance - pratiquement tous ses interlocuteurs sont alors des personnalités engagées ... dans l'A.J.B., mais mal à l'aise devant le rôle de ses dirigeants pendant l'été. Le rapport ‘suisse’ du C.D.J. y fait allusion, en situant justement la création du comité au “moment tragique de l'existence de la population juive abandonnée à son sort par l'A.J.B”. Mais, ce faisant, ces notables de la “bourgeoisie” ne rompent pas pour autant avec l'institution juive légale. Eux demeurent à leur domicile officiel du statut des Juifs dont, au même moment, sort, en masse toute une population alertée par la grande razzia du début de septembre et qu'il faut aider à franchir le pas de l'illégalité. Surtout, du fait de son alliance avec “l'extrême gauche” - en particulier sa fraction communiste - cette “bourgeoisie” doit non seulement s'engager dans une activité illégale, mais aussi à entrer en résistance et sous l'égide d'un Front de l’Indépendance où elle redoute l'emprise de communistes. C'est que ce comité unitaire de
défense juive ne se fixe pas, du moins à son départ, au temps de
“Joseph”, un objectif exclusivement juif. Le salut des Juifs s’y
inscrit dans une résistance qui est totale. Il ne se conçoit pas
autrement, du point de vue communiste. C'est le sens, en octobre 1942,
de l'appel “Aux armes contre
les Gestapo” : le modèle de tract du “bulletin intérieur”
du F.I. adjure les Juifs de “sauve[r
leur] vie en [se] cachant” ou, à défaut, de “résiste[r] par la force [...] [d']arrache[r] les armes aux brutes
de Deux mois plus tôt, devant “l’ignominieuse
persécution des Juifs”, Le
Drapeau Rouge appelait déjà la population belge à “aid[er] les israélites à résister à leurs bourreaux !’.
Les communistes signalaient la “résistance
grandissant” parmi les Juifs menacés de déportation et,
anticipant sur les mots d'ordre d'octobre 12.8 Le salut de la violence physiqueLa stratégie générale du P.C.
dans l’occupation commande ces exhortations à la violence.
Politique, elle détermine les militants juifs à recruter dans leur
milieu des éléments pour l’action directe et armée. A l'occasion,
ils ne manqueront pas, à mesure que l'information sur le génocide en
cours se multiplie, d'en tirer argument pour cette “guerre
totale”. Dans la conscience du “désastre
polonais”, de l'“immense
tragédie” de “l'extermination
sadique du plus grand yishuv [la communauté] juif d'Europe”,
l'un d'eux, - publiant en langue yiddish un organe au titre révélateur,
Unzer Kampf - lance, en
juin 1943 de Charleroi, l'appel le plus véhément à la lutte armée.
“Nous autres Juifs”,
proclame-t-il, n'avons rien à
perdre! Plutôt que de risquer d'être pris dans quelque rafle et expédiés
à Oschwitz [sic], mieux vaut combattre sur place, combattre ici,
armes en mains”! Sous la plume enflammée
de ce militant communiste, on ne conçoit pas d'autre alternative à “la
destruction du judaïsme polonais” que d'“éveiller
[la] conscience, [d'y] allumer [...] le feu du combat, le feu de la
vengeance”. Juif, cet appel à la lutte armée est pourtant
essentiellement un discours communiste. Le parti, s'adressant non plus
aux Juifs, mais à toute la population du pays, tient le même langage
‘juif’ - certes avec moins d'a-propos - quand il dénonce
l'attentisme comme un consentement “à
se laisser exterminer dans la peur et la lâcheté”, comme une
acceptation que “des dizaines
de milliers de Belges soient massacrés inutilement”[99].
Dans son discours, le parti ne conçoit pas d'autre “’alternative [...] inéluctable” que d'“attendre et [de] se laisser massacrer comme les moutons que l’on
conduit, bêlants, à l’abattoir, ou [de] prendre les armes”. Pour cette lutte armée, il peut,
tout particulièrement dans la capitale du pays occupé, compter sur
son yiddishland de A suivre la recomposition de cette mémoire, ce ne serait donc pas la politique du parti et ses choix stratégiques qui auraient déterminé la mobilisation des partisans. Le témoignage inverse, pour les besoins du réquisitoire, le rapport du parti communiste et de ses partisans à la lutte armée. Aussi, comme par une génération spontanée, ”une tendance favorable au déclenchement de la lutte armée apparaissait dans divers milieux et prenait consistance”[100]. “Avec d'autres camarades”, le témoin du ressentiment partisan aurait “insisté et enfin, les premiers pas furent franchis à Anvers” où il demeura jusqu'à la fin du printemps 1942. Dans ce récit invérifiable sur ce point précis, cette première expérience armée se situerait peu avant la fuite du témoin de cette ville dangereuse pour les Juifs de la solution finale. Cela étant, le témoignage qui institue une expérience personnelle en histoire collective est remarquablement étriqué. Même à Anvers, les premiers pas sont bien antérieurs à l'action qu'évoque l'ancien partisan juif et qui sert son réquisitoire. Dès décembre 1941, ces “premiers pas” ont déjà conduit devant le peloton d’exécution trois militants du parti - non-juifs en l’occurrence - arrêtés en septembre en préparant un attentat[101]. Asservi aux fantasmes de sa mémoire, l'”ex-commandant des partisans armés de Belgique” - titre dont s'affuble l'ancien partisan juif dans ses interventions publiques[102] - laisse ignorer qu’il a été, en vérité, un combattant de la deuxième, sinon de la troisième vague. La première date justement du dernier trimestre de 1941[103]. Comme l'établit si bien Du rouge au tricolore de José Gotovitch, le parti fait alors parler “la poudre” contre les biens les installations de l'armée allemande, non sans éprouver de “grandes difficultés à convaincre ses membres de la pertinence de ce choix ainsi qu'à susciter des volontaires”[104]. La mémoire courte de l’histoire orale masque le pas suivant, de “la poudre aux balles”. Le parti amène ses militants à franchir celui-ci, après la sanglante répression du début de l’hiver 1941-42. Cette escalade de la terreur nazie - générale en Europe occupée - s'applique dans le cas ‘belge’ avec une relative retenue. Elle se concrétise principalement avec les “assassinats judiciaires” pour reprendre l’excellente formule de José Gotovitch qualifiant les condamnations à mort alors prononcées dans les conseils de guerre allemands. Le parti communiste tire argument de cette répression accrue dans sa pédagogie de la lutte armée. Il décide ses adeptes, comme le leur enseigne le guide du militant, à “régler les comptes avec les bourreaux, les hitlériens et les traîtres”[105]. En d'autres termes, il engage ses partisans armés à passer à la violence physique, aux attentats personnalisés, aux meurtres politiques. Jusqu’aux déportations de 1942, les communistes juifs n’ont guère d’autres “comptes” à régler. En Belgique, pendant les deux premières années de l’occupation, la persécution antisémite s'installe, également avec une relative circonspection et évite autant que faire se peut toute mesure susceptible de provoquer dans la population du pays un mouvement en faveur des Juifs. Les déportations juives de l’été de 1942 ouvrent brutalement d'autre “comptes”, du point de vue communiste. Invitant les Juifs à cette “riposte”, Le Drapeau Rouge insiste sur “le hardi coup de main effectué par quelques hommes armés qui entrent de force à l'Association juive, enfermèrent les employés dans une chambre et brûlèrent les fiches confectionnées sur ordre de la Gestapo”[106]. L'incendie du fichier juif “montre la voie”, selon l'organe central du parti communiste. L’attentat a lieu, le 25 juillet, deux jours avant l'ouverture du camp de rassemblement à la caserne Dossin à Malines. “L'Association juive” - en fait l'A.J.B - a accepté d’établir le fichier en vue de la déportation imminente[107]. La destruction des fiches - les copies seulement, car, par une dérision de l'histoire, l'officier SS des affaires juives vient, le jour même, de recevoir le fichier commandé - se veut un acte de sabotage. Mais, sa violence a une portée politique. Elle concerne ... les notables juifs empêtrés dans leur politique de présence et acculés à un moindre mal de plus en plus étriqué. Sous la menace d'un revolver, les notables et leurs employés présents dans l'immeuble de l'A.J.B. s’entendent accuser, selon leur relation de “'l'incident‘, de travailler, “non pas dans l'intérêt des Juifs, mais contre leur intérêt et [d’]aid[er] à leur déportation massive en Pologne en confectionnant les fiches individuelles”[108]. La résistance aux déportations de l'été 1942 se pose ainsi en une résistance à la politique des notables juifs. Et, cette résistance qui se veut une résistance dans “l'intérêt des Juifs”, est une résistance de Juifs, de Juifs communistes en l'occurrence. Disposant depuis la fin du
printemps 1942 d'un Corps mobile dans la capitale, l'ancien secrétaire
politique de L'intervention des partisans juifs dans le secteur juif ne se limite pas à la “leçon de morale” du 25 juillet 1942, pour reprendre l'expression significative qu'emploie le rapport de l'A.J.B. sur l'incendie du fichier. L'écoutant, les notables ne l'ont pas entendue. Non seulement, ils entreprennent de faire distribuer les convocations que leur délégué livrant le fichier achevé rapporte de sa visite à Kurt Asche, l'officier SS des affaires juives. Mais encore, ils lancent, le 1er août, cet appel à l'obéissance que l'extrême gauche sioniste qualifiera, encore au printemps 1944, de “signe de Caïn”[109]. Pendant ce mois d'août 1942, les communistes, juifs et non juifs, suivent avec beaucoup d'attention le comportement d'insoumission des convoqués. Le Drapeau Rouge sait que cette tentative de rassembler les déportés dans l'ordre et le calme n'a “pas donné aux négriers nazis [sic[110]] les résultats escomptés”. L'organe communiste se réjouit de ce que “le nombre de personnes ne répondant pas aux convocations n'a cessé de croître”. De fait, à peine 40% des 10.000 Juifs convoqués se présentent personnellement au rassemblement de Malines, du 27 juillet au 3 septembre. Mais, essentiellement dans les toutes premières semaines. La première grande razzia sur le quarter juif d'Anvers indique, le 15 août, que les convoqués présents à Malines ne suffisent plus à remplir les convois prévus. Le parti, dont l'analyse politique prend cependant en compte cette évolution, attend jusqu'au 29 août pour faire intervenir ses partisans juifs, une nouvelle fois[111]. Alors que dans la nuit du 28 au 29, la deuxième razzia d'Anvers vient signifier définitivement que le temps des convocations est bel et bien révolu, c'est à Bruxelles qu’“un bras vengeur”, pour reprendre l'expression du Drapeau Rouge, abat “en rue”, non pas l’officier SS qui les avait fait distribuer, mais le chef juif de la “mise au travail” dont les employés juifs avaient porté l’ordre de réquisition au domicile des 10.000 Juifs convoqués à Malines. 12.9 Le “bras vengeur”Il “n'avait pas hésité”, explique le journal communiste, “à coopérer avec l'occupant pour martyriser ses concitoyens juifs”[112]. La cible nazie, tout aussi accessible que le ’traître‘ juif, n'entre pas dans le champ de tir des partisans juifs. Il n'y a pas de paradoxe dans le fait que le SS qui déporte les Juifs à Auschwitz reste en vie ! La ligne du parti n'autorise pas encore, à cette date, la terreur partisane à s'exercer sur les officiers et sous-officiers allemands. En Belgique, la chasse aux Allemands est bien plus tardive qu'en France. Ici, elle répond à une nouvelle escalade de la répression nazie. Il s’agit, en réplique à “l’assassinat des ‘otages terroristes’” décrété à la toute fin de 1942, d’“opérations punitives contre les bandits hitlériens”, de contre-représailles des partisans[113], annonce leur Commandant national après les premières fusillades de leurs camarades[114]. Etablissant ces listes d'“otages terroristes” à fusiller sur ordre du Commandant militaire
pour Les policiers SS ignorent tout de
leur activité. Pris dans un contrôle d'identité, le 5 décembre
1942, ils n'ont rien avoué à leurs tortionnaires. “Vladek”
est pourtant une proie de choix. Il est l'ancien secrétaire politique
de la section juive de Cet attentat procède d'une autre
logique politique que la chasse aux Allemands dans les rues de la
capitale belge, à la nuit tombante, au tout début de l'hiver
1942-1943. Pendant l'été des déportations juives, la violence
partisane a pour cible, comme le réclame Le
Drapeau Rouge, les “complices”
des “bourreaux antisémites”, même s'ils sont juifs. L'objectif -
politique - est de faire le vide autour de l'occupant, dans le secteur
juif comme dans les autres. Le ressort de cette violence physique est
de terroriser quiconque collabore. Aussi, le jour de l'enterrement de
leur collègue abattu en rue, des menaces de mort arrivent chez les
autres notables juifs. Les billets les accusent, comme le note l'un
d'eux, “de livrer [leurs]
coreligionnaires aux ennemis avec beaucoup de précipitation”[115].
Eux ne comprennent pas ces
critiques puisqu’ils essayent - c'est une autre stratégie de défense
- de “sauv[er] quelques
personnes qui, de toute évidence, doivent être remplacées par
d’autres”[116]. “Impuissants”
face aux exigences allemandes, ils considèrent qu’il n’y a pas
d’autre alternative que leur politique de moindre mal pour sauver ce
qui peut l'être. Pourtant, s'ils n'acceptent pas la leçon du 29 août,
ils ne se “sen[ent] pas très en sécurité”. C'est l'aveu que confie à son
journal l'un des directeurs de l'A.J.B. Le notable juif livre cette
confidence après un autre attentat qui, de prime abord, n'aurait
aucune relation immédiate avec le drame juif. Le Corps mobile, sa
compagnie balkanique vient, le 6 septembre, de faire exploser une
bombe au cinéma Marivaux où l’organisation nazie flamande, L'attentat qui n'est pas
directement dirigé contre les déportations juives n'est pourtant pas
“neutre”. Les nazis flamands ne le sont nullement dans la question
juive. Ils constituent, dans ce pays, les auxiliaires les plus zélés
de sa “solution finale".
Tant à Anvers qu’à Bruxelles, les SS allemands ne sauraient
organiser la traque des clandestins qui commence en cette fin de l'été
1942 sans les forces supplétives de Il n'empêche dans ces circonstances historiques où tout s'enchevêtre que l’explosion de cette bombe artisanale dans leur assemblée à Bruxelles retentit sur la problématique juive. Elle fait revenir le notable juif sur la mort toute récente de son collègue. S'il exprime alors quelque inquiétude pour sa propre “sécurité”, l'explosion du Marivaux ne donne pas pour autant un nouvel impact au “bras vengeur” juif qui a frappé au coeur du dispositif juif mis en place pour la déportation des Juifs. En dépit de “tous ces attentats stupides”, le notable juif reste “absolument certain de n’avoir aucune chose à [se] reprocher que celle d’avoir sauvé quelques personnes” et il ne s'interroge pas sur le bien-fondé de la politique de présence et de moindre mal qu'il pratique avec les autres membres du Comité Directeur. Seul leur président se résout, quatre jours après la grande rafle de Bruxelles, à y renoncer sans concevoir d'autre alternative. “Etant donné que les événements de ces dernières semaines ne lui permettraient plus d'exercer ses fonctions à la satisfaction des autorités supérieures”, le Grand Rabbin “les prie poliment de lui permettre de se retirer” de la présidence de l'A.J.B.[118]. Les autres directeurs cherchent au contraire à renouer le contact avec les autorités allemandes[119]. Ils sont perplexes. La mort de leur délégué auprès de la police de sécurité a “momentanément” suspendu leur “liaison avec cet 'organisme”[120]. Dans l'attente d'une invitation, ils tentent d'apprendre de l'administration militaire si “l'A.J.B. a encore une raison d'être”[121]. Le “bras
vengeur” escomptait un autre résultat. Après l'attentat du 29
août, Le Drapeau Rouge crut pouvoir annoncer que “ Eux ne se considèrent pas comme des traîtres. Ils ne comprennent pas qu'il a “payé sa trahison” comme l'annonce l'organe central du parti communiste. A leurs yeux, “cet homme plein de santé et de dévouement a été lâchement assassiné”. Ce “brave homme qui avait pris sur lui le service des interventions dans la question de la mise au travail des Juifs [...] n’accomplissait là qu’une besogne des plus louables, puisqu'il essayait de faire exempter des gens malades, etc.” [...]”. Sans doute, ses interventions “ne changeai[en]t rien à la situation générale”, mais, conscients de l'impasse, les notables juifs ne concevaient pas d'autre politique possible. Pour eux, l'attentat n'est pas politique. “Dieu sait”, écrit-il, après les menaces de mort qu'il a reçues, ainsi que ses collègues, ”nous nous sommes dévoués pour empêcher ces déportations, mais on ne veut pas comprendre ou ce sont des gens pour qui on n’a pu intervenir qui ont instigué le crime”. Le parti communiste, ses
militants juifs ont une tout autre perception de l'enjeu. La violence
dont ils usent - l'attentat du “bras
vengeur”, les menaces de mort - doit persuader les notables
juifs d'abandonner leurs postes[122].
Il s'agit de les amener à rompre avec la légalité. Cette rupture
est au principe même de la stratégie communiste, y compris dans la
question juive. Dès que l'A.J.B. se constitue, les militants
communistes la dénoncent à la population et appellent les Juifs à
lui résister. “Il fallut”,
explique en juin 1942 le rapport de Le document M.O.I. ne dit pas si
ces “valets” d'Hitler
sont seulement les collaborateurs d'ordre nouveau, voire les autorités
belges ou également les directeurs de l'institution juive créée sur
ordre de l'occupant. A Bruxelles, l'organe des intellectuels
communistes où milite G. Jospa n'a aucun doute à ce sujet. Dès la
publication de l'ordonnance allemande, Les Temps nouveaux évoque “la
trop célèbre communauté juive d'Allemagne[124]
[qui] a servi d'instrument (d')exécution de plusieurs mesures
d'exception prises contre les juifs dans le Reich“.
Bien avertis des problèmes juifs, ces intellectuels communistes espèrent
encore à cette date que “cette
communauté sera sabotée par les citoyens juifs et, entre autres, que
les autorités israélites refuseront d'y apporter leur concours”[125].
L'espoir déçu, Les Temps
Nouveaux ne se prive pas, au printemps 1942, d'accuser
l'institution juive “de faire
le jeu des nazis” [126].
A Anvers, dans l'activité de De manière plus significative
que les communistes, le Parti ouvrier sioniste de gauche prend
justement la “parole” au
lendemain de l'ordonnance allemande créant - en novembre 1941 -
l'A.J.B. Dès décembre, il publie le premier numéro de son organe Unzer
Wort et cette “parole”
de résistance en langue yiddish appelle, dans la clandestinité, “le peuple juif” à défendre son “honneur
humain et national” et à refuser, en conséquence, ”la mission traîtresse d'aider l'occupant en organisant la communauté
obligatoire”[127].
A son point de vue aussi, les notables institués ne peuvent “pas compter sur l'aide des masses juives”[128].
L'A.J.B - cette extrême-gauche sioniste le répète encore en juin
1942 - est l'“instrument de
notre ennemi le plus sanglant”[129].
Dans sa véhémence lyrique, le tract que le parti sioniste diffuse,
le 10 mai, pour le deuxième anniversaire de l'invasion allemande flétrit
l'institution comme “le
marteau forgé de notre sang et de notre chair qui, manoeuvré par les
nazis, assène des coups aux ouvriers et masses juives”[130].
En un mot, “l'AJB est l'exécuteur
direct de Au moment où cette A.J.B. distribue les convocations pour la déportation, cette contestation véhémente de la politique des notables juifs prend chez les communistes juifs la forme la plus violente. Au delà des mots de l'histoire, les gestes de cette résistance juive et communiste obligent à prendre acte qu'il n'y a aucun flou dans les clivages chez les Juifs de la solution finale. Au contraire des représentations unanimistes de la mémoire collective, ces Juifs du temps du génocide ne conçoivent pas une stratégie unique de défense dans cette tragédie commune. La guerre, l'occupation, la persécution antisémite, la déportation des Juifs et même leur extermination ne constituent pas, à cet égard, une césure. Ces circonstances n'annulent aucunement les modèles socio-politiques et culturels d'avant-guerre. Ils s'adaptent aux conditions nouvelles et à leurs contraintes, sans pour autant évacuer leurs différences. On s'interdit de saisir cette dynamique de l'histoire réelle en excluant de sa mémoire les Juifs et communistes des premières années quarante. C'est leur comportement d'alors qui oblige à se poser les questions de l'histoire. *
Publié dans Hertz
Jospa, Juif, résistant, communiste,
MRAX-EVO, Bruxelles, 1997. [1].
Annie Kriegel au colloque la résistance
juive, in Le Monde juif,
n°118, avril-juin 1985, p.53. Le colloque organisé est organisé
par le Centre de Documentation Juive Contemporaine de Paris
en
collaboration avec l'Amicale de Liaison des Anciens Résistants
Juifs. |