14.  Les dérives plurielles de la mémoire d'Auschwitz

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14.1 L'amalgame mythique
14.2 Le discours au présent de la mémoire d'Auschwitz
14.3 La mémoire  antifasciste d'Auschwitz  
14.4 Le message de la mémoire  
14.5 Ex-politiques ou anciens déportés juifs  
14.6 L'extermination singulière
14.7 La mort des Tziganes
14.8 L'assassinat des Juifs

14.1 L'amalgame mythique

” 50 ans après les grandes rafles de 1942” , il appartient moins que jamais à l'historien de dire “comment commémorer la shoah, comment en transmettre la mémoire”*[1]. Même si son champ de recherche est la solution finale, il n'a ni cette compétence, ni cette responsabilité. Pour rester dans son rôle, il ne saurait intervenir dans les débats de la mémoire qu'au stade de l'enquête préalable. Il lui incombe, comme il le fait pour élaborer le récit historique, de procéder à l'analyse critique du rapport au passé et d'en expurger les distorsions. La position est toujours inconfortable. L'historien bute sur les idées reçues de ses contemporains et leur méconnaissance navrante des résultats de la recherche historique. “Le problème concernant l'assassinat des Juifs est plutôt que [notre société] en sait fort peu de chose”[2]. L'historien allemand Ehrard Jäckel le déplorait, il y a quelques années. Il apercevait, jusque dans le discours le plus estimable, la confusion persistante du génocide perpétré par les nazis avec le phénomène concentrationnaire dans l'Etat hitlérien[3]. Cette déformation de la mémoire n'est pas spécifique à l'Allemagne des années ' 80. A l'”arrière-plan” de l'affaire du Carmel, l'historien israélien Yehuda Bauer observait la même “méconnaissance de tous côtés - y compris juif - de ce qui se passa réellement à Auschwitz”[4].

Dans son rapport aux horreurs de la période nazie, la mémoire du temps présent se fixe plutôt à “l'auréole mythique qui en est le parasite”, pour reprendre le mot de l’historien Michel de Boüard[5]. Son étude sur “la déportation entre l'histoire et le mythe” a dénoncé “l'amalgame qui estompe [l]es différences” entre le camp de concentration et le camp d'extermination. Le doyen honoraire de la faculté des lettres de Caen y lisait “une des formes du mythe, la principale sans doute et, en tout cas, la plus incompatible avec une vue historiquement correcte”[6]. L'article provoqua en son temps quelques remous dans les “groupements d'anciens dé­portés”. De Bouärd, rescapé du camp de Mauthausen, leur avait reproché d'avoir “généralement” cédé aux “tabous” de la mémoire que le mythe génère et qui constituent un “frein à la recherche historique”.

Cet aperçu sur les dérives plurielles de la mémoire d'Auschwitz traite d'une expression instrumentale du même mythe et d'une forme plus militante des mêmes “tabous”. La confusion du “camp de concentration et d'extermination” est organique dans le discours qui prétend constituer la “mémoire d'Auschwitz”. Elle consiste, dans cette indifférenciation délibérément entretenue, à vider le génocide de sa singularité historique: l'amalgame mythique d'Auschwitz lui multiplie des doubles - tzigane, slave... - et, normalisant l'événement juif dans ces génocides fictifs de la mémoire, il le projette dans un processus imaginaire qui ne différencie pas la mort génocidaire de la mort concentrationnaire. Très concrètement, cette “mémoire d'Auschwitz” interdit, cinquante ans après la mise en route à l'Ouest de l'Europe des trains de la solution finale, de lire un génocide singulier dans le massacre de la plupart des déportés juifs à leur arrivée à Auschwitz.

L'interdit invoque le “témoignage des survivants”[7] et convoque leurs “intellectuels organiques”[8] pour construire une mémoire présente où le judéocide ne se conçoit qu'au travers d'autres “crimes et génocides nazis”.

14.2 Le discours au présent de la mémoire d'Auschwitz

Cette rencontre s'opère, depuis 1981, à Bruxelles dans le cadre d'une Fondation Auschwitz. Comme il se doit dans ce dessein de normaliser les déportations juives, l'institution bruxelloise s'est établie en tant qu'un “centre d'études et de documentation sur l'univers concentrationnaire”. Ses études ne consistent pourtant pas en recherches historiques sur l'objet qui est son “univers”. L'ambition est uniquement d'en assurer “l'encadrement” pour leur conformité avec sa “mémoire d'Auschwitz”[9]. Érigée en conscience du temps présent, la Fondation s'assigne pour “but principal [...] d'informer le public et plus particulièrement les jeunes générations sur ce que fut le fascisme et son aboutissement pa­roxystique, la Seconde Guerre mondiale et les camps de concentration et d'extermination nazis”[10]. La fonction pédagogique est essentiellement militante. Il s'agit de “mettre en garde l'opinion publique contre les dangers [...de] recrudescence des mouvements néo-nazis, [de] montée du racisme et de la xénophobie”.

L'historien des années '80 qui datent ce programme pédagogique en remarquera la distance à l'égard des enjeux de ce temps. Le regard de la Fondation Auschwitz diffère de celui d'un M.R.A.X., Mouvement contre le Racisme, l'Antisémitisme et la Xénophobie. La Fondation, férue d'histoire nazie, néglige dans la lecture de son propre temps, précisément le phénomène qui en constitue l'originalité[11]. La résurgence de l'antisémitisme marque les années '80. Elles débutent avec l'attentat à la synagogue de la rue Copernic à Paris le 3 octobre 1980 et s'achèvent avec les profanations du cimetière israélite de Carpentras, le 10 mai 1990, cinquante ans après le début de l'invasion allemande de l'Europe occidentale. Avec ces sursauts de violence, l'antisémitisme a cessé d'être honteux dans cette décennie. La précédente avait préparé ce retour en articulant une nouvelle judéophobie sous le couvert d'antisionisme. Dans sa version des dernières années '70, le “révisionnisme” s'empara de l'argumentaire antisioniste pour nier les chambres à gaz du génocide. Sa percée médiatique dans les années '80 leva à l'extrême-droite le barrage du passé. Il devint un point de détail” [12] de l'histoire de la seconde guerre mondiale et avec cette banalisation de l'extermination des Juifs, l'antisémitisme retrouvait, après 1987, la légitimité d'un discours politiquement acceptable. Il n'était nullement, pour autant qu'il l'ait jamais été, un épiphénomène que le regard antifasciste pouvait se permettre de ravaler au mieux à une sous-catégorie du racisme.

Tout autant qu'elle sous-estime cet enjeu de son temps, la Fondation Auschwitz ne conçoit pas autrement son “rapport à l'histoire” [13]. Comme dans le présent, son regard antifasciste sur le passé n'est jamais “un simple rapport d'investigation du fait historique’, mais [... ] immanquablement et implacablement un rapport politique, c'est-à-dire toujours tributaire d[e son] point de vue sur l'histoire”. De militant, l'antifascisme s'érige, dans ce discours, en épistémologie. A croire la Fondation Auschwitz et son directeur, il n'y aurait pas de “lecture lucide à tous les niveaux du nazisme sans un point de vue antifasciste résolu et préalable”[14].

Fondation Auschwitz, l'institution passe néanmoins aux yeux du public pour “la fondation belge chargée du souvenir de la Shoah”[15]. Cet investissement de la mémoire d'aujourd'hui lui confère un “pouvoir” dont le chercheur indépendant a tout lieu de se plaindre[16] et qu'elle ne se prive pas d'exercer “auprès de toutes les instances politiques et administratives[17]. Il l'habilite à dicter sa vision des choses de l'histoire, y compris justement à ceux dont c'est le métier. En ne se conformant pas à ce “point de vue”, le travail historien ne serait qu'une chimérique “approche positiviste et empiriste en histoire” [18].

Au point de vue de la Fondation , les contraintes les plus élémentaires de ce métier sont autant de futilités. Son président et son directeur - ni l'un, ni l'autre ne sont évidemment historiens - n'ont que sarcasmes pour “la fragilité, voire la puérilité d'une démarche historique qui se voudrait de premier abord et exclusivement”, disent-ils, “une science desfaits et des documents historiques”[19]. Cette pratique historienne présentée comme de l'”empirisme” sombrerait dans la “fétichisation du document et commettrait le grave péché de ne concevoir qu'une “relation toujours asymptotique, voire incertaine entre faits et mé­morisation des faits”[20]. Ce “point de vue sur l'histoire” témoigne d'une méconnaissance du travail effectif des historiens, qu'ils soient de formation universitaire ou qu'ils apprennent le métier sur le tas. Aucune des sources de leur savoir ne leur livre une connaissance immédiate et directe de l'histoire. Il leur faut, dans chaque cas, toujours mesurer la distance au passé. C'est précisément ce rapport critique, sinon iconoclaste, aux images et aux idées reçues qui irrite la censure de la Fondation. Son “point de vue sur l'histoire” n'est qu'une tentative de préserver et les unes et les autres.

14.3 La mémoire  antifasciste d'Auschwitz

Comme toute chose relative à l'histoire, cette “mémoire” antifasciste porte la marque du temps et de l'espace. Occidentale, l'entreprise Fondation Auschwitz a les accents “polonais” du temps de la “démocratie populaire”. La Pologne d'alors a institué son camp d'Auschwitz en haut lieu d'une “politique de génocide de l'occupant hitlérien à l'égard des nations slaves considérées comme élément superflu et indésirable sur les territoires qu'elles habi­taient”[21]. Au besoin, le bilan de cette hypothétique “politique de génocide” mobilisait les “citoyens polonais d'origine juive” pour que les “Polonais” d'Auschwitz y demeurent “le groupe le plus nombreux”. La polonisation fonctionnelle des “quatre millions” [22] mythiques de victimes d'Auschwitz servait une lecture tout aussi fabriquée des camps de concentration comme “outil” de la “réalisation de la politique démographique et des plans d'extermination sur les territoires des pays occupés”[23]. Très officiellement, les victimes pléthoriques du “plus grand centre du génocide hitlérien” représentaient, dans le patrimoine mondial de la mémoire, rien de moins que toute l'humanité opprimée, “des gens de diverses convictions politiques et religieuses, des résistants, des habitants des villes et des campagnes, des prisonniers de guerre et des civils, des hommes, des femmes et des enfants, des ressortissants de 24 États”[24]. Dans l'énumération où figurent, entre autres “des Belges” [sic], les Juifs - bien qu'il n'ait existé à l'époque aucun Etat juif - arrivent en dernière position, mais “en quantité énorme”. Le texte polonaisde la mémoire d'Auschwitz n'occultait pas, à proprement parler, le génocide juif. Pour les besoins du mythe, c'est même à Auschwitz qu'il entendait concentrer “l'anéantissement de la popu­lation juive de toute l'Europe”[25]. L'événement “européen” y prenait logiquement place dans “l'activité exterminatrice” de ce camp du génocide slave.

Adaptant cette lecture “polonaise” à l'Europe occidentale moins sensible au nationalisme slave, la Fondation d'Auschwitz est tout aussi plurielle. Institution belge, elle récuse toute “affirmation”, dit-elle, “de l'implacable singularité du génocide juif”[26]. Ce point de vue génère, dans le cas, une mémoire parodique des déportations juives de Belgique. Le bloc belge du musée d'Oswiecim, inauguré en avril 1983, grâce au “centre d'études et de documentation sur l'univers concentrationnaire” de Bruxelles, est conçu “à la mémoire de 30.000 Belges”. La Fondation Auschwitz y a censuré - au sens propre du terme[27] - la référence à l'identité juive des déportés. Déjudaïsés, ils ont été naturalisés belgespour les besoins de l'”événementuniversel “d'Auschwitz”. Ce “mémorial belge”[28] de la “mémoire d'Auschwitz” consacre rien de moins qu'un double déni de l'histoire réelle. Non seulement, les convois partis de ce pays avaient acheminé à Auschwitz essentiellement[29] des Juifs; mais plus encore, c'était précisément parce qu'ils n'étaient pas des citoyens belges que l'occupant nazi était parvenu à les déporter en si grand nombre. Les autorités nationales soucieuses du seul sort de leurs compatriotes juifs avaient laissé sans défense la masse des autres, la plupart immigrés récents, sinon réfugiés. Au bilan final, près d'un Juif étranger sur deux a disparu, tandis que trois citoyens juifs sur quatre ont survécu. La crainte d'une crise politique avec les autorités belges avait limité les ravages de la solution finale parmi ces derniers. Pour détruire à 44 %. la population juive du pays, l'occupant, tout nazi qu'il fût, n'avait pas manqué d'exploiter le repli xénophobe de ses autorités.

Ces faits d'histoire dont la clef de lecture est tout autant la xénophobie que le racisme antijuif n'intéressent pas la Fondation Auschwitz , quoi qu'elle dise de son inquiétude devant la “montée du racisme et de la xénophobie” dans les années 80/90. Elle leur préfère le discours abstrait sur la “valeur irremplaçable d'Auschwitz en tant que négation absolue de l'Homme”[30]. A la manière du Carmel d'Auschwitz, autre discours sur l'universel, cette métaphysique renvoie la notion historique de singularité juive à la “mémoire privée d'un peuple”[31]. “Quand la mort a pris la proportion d'un génocide”, explique-t-on, cette “singularité” alors “absolue” serait “essentiellement privée”. Elle procéderait d'un “difficile, peut-être impossible travail de deuil [qui...] commande le plus grand respect”, concède-t-on, “mais duquel sont naturellement exclus”, ajoute-t-on, “ceux qui ne furent pas affligés personnellement par les pertes subies”. Cette “mémoire d'Auschwitz” qui ne s'afflige pas des pertes subies par d'autres ne récuse pas pour autant “la perspective des victimes”[32]. Revisitant la singularité historique de l'événement juif, elle la conçoit, au travers des “crimes contre l'humanité”, pour “toutes les victimes du nazisme”[33].

”Loin de négliger la singularité du génocide juif”, ce discours universaliste “prend”, proteste-t-il, “appui sur celle-ci pour faire valoir la signification et la portée universelle de l'événement d'Auschwitz”[34]. Le glissement - il serait plus correct de dire le gauchissement - s'opère ainsi du génocide juif à un “événement d'Auschwitz” qu'il ne suffit donc pas à constituer, mais dont il illustrerait l'universalité. La singularité du génocide des Juifs procéderait en conséquence de la spécificité de ses victimes. Dans leur cas, l'”événement” de la “mémoire d'Auschwitz” se lit comme, en fait se réduit à une “destruction massive des Juifs parce que juifs”[35]. Cette spécifité des victimes juives installe le fameux “camp d'extermination” de la mémoire dans son “univers concentrationnaire”. Juifs, les détenus du camp de concentration y périssent tout aussi spécifiquement juifs que les masses innombrables assassinées à leur arrivée à Auschwitz dès leur sortie des convois de la solution finale. Le génocide de la “mémoire d'Auschwitz” s'accomplit sans rupture de continuité historique dans un “camp de concentration et d'extermination”. Ses victimes spécifiques ne sont pas seulement les Juifs, “Massivement et systématiquement assassinés parce que juifs”, leur mort ne clôt pas “la singularité irréductible des exterminations nazies”. Cette “vérité élémentaire” ne “fait [jamais] oublier” à la Fondation Auschwitz “le massacre des aliénés et celui des tziganes qui participe - autre vérité incontestable - de la même idéologie meurtrière et négatrice de toute civilisation”.

”Mémoire des crimes et génocides nazis”, cette mémoire d'Auschwitz institue ses lieux en “témoins des génocides juifs, tziganes et slaves”[36], y compris, au besoin, du “massacre [...] des résistants de toute l'Europe”[37]. Celui des Juifs ramené à leur spécificité juive procède, comme les autres, du nazisme, de son idéologie en sorte que, s'agissant de la singularité, ne serait concevable qu'une “singularité inouïe des génocides nazis”. Si les recherches des historiens toujours iconoclastes mettent en lumière tout un événementiel qui ne cadre pas avec cette idéologisation de l'histoire, la “mémoire d'Auschwitz”, parfois secouée dans ses certitudes, ne se laisse pas démonter. “La mémoire devrait”, estime-t-elle, “se voir reconnaître un statut distinct de - quoique articulé avec - celui de l'histoire scientifique”. Ce privilège de subjectivité l'autoriserait à puiser dans le réel historique ce qui sert les “fonctions propres et importantes” qu'elle s'assigne[38]. Aussi se plaît-elle - “philosophiquement”, insiste-t-elle - “à relever le critère duquel les victimes furent condamnées”, à savoir, selon sa sélection de l'histoire, “le seul fait d'être né juif ou tzigane” [39].

C'est par ce biais d'un discours métahistorique sur l'idéologie que le “point de vue antifasciste résolu” se pose en “préalable” à tout examen des faits. Répudiant toute “holocaustisation” du singulier génocide de l'histoire, il lui fabrique son universalité. “Il [lui] faut” pour articuler ce discours sur l'histoire “qu'il puisse intégrer cette dimension irréductible du projet nazi, à savoir”, dans cette lecture sollicitée, “l'extermination de races nuisibles pour la domination des races supérieures[40].

14.4 Le message de la mémoire

Les voyages d'études de la Fondation Auschwitz à son “camp de concentration et d'extermination”, sont, à cet égard, les plus révélateurs. Ils illustrent sur le terrain comment cette pédagogie prend appui sur la singularité du génocide juif pour construire l'universalité de l'”événement d'Auschwitz” en y normalisant les exterminations juives. “L'accent a été mis”, note la synthèse d'un débat d'enseignants qui ont fait le voyage, “sur le fait que l'industrie de mort nazie visait à la fois les Juifs, les Tziganes, les prisonniers de guerres soviétiques, les peuples slaves, etc.”[41]. Avec cet “accent” universel, les sélections à l'arrivée des convois juifs à Auschwitz n'ont plus la singularité qui était la leur au temps de l'histoire. “Les uns”, apprend un autre voyageur de la mémoire, étaient “exterminés dans les chambres à gaz, les autres exécutés par arme à feu ou tués par les sévices (de la bru­talité meurtrière jusqu'au sadisme le plus poussé) ou enfin du fait de la dénutrition totale et de l'épuisement dû aux travaux forcés”[42]. “Finalement”, comprend ce visiteur venu “connaître le passé pour préserver l'avenir”, “les sélections à Auschwitz pour l'envoi à l'exter­mination dans les chambres à gaz visent indistinctement [sic] les juifs, les tziganes et les prisonniers politiques, dès lors que leur épuisement physique les rend incapables de travailler”. Cette norma­lisation des victimes juives fait l'impasse sur la “science des faits” tant décriée dans la “mémoire d'Aus­chwitz”. L'assassinat de près de neuf cent mille déportés juifs dans les chambres à gaz dès leur arrivée n'y fait pas l'événement colossal d'Auschwitz. Il lui faut absolument, pour accéder à l'universalité, l'appoint de la mise à mort par les gaz d'une dizaine de milliers de détenus non-juifs du camp de concentration parvenus à l'état cachectique au terme de leur histoire concentrationnaire[43]. Cette métahistoire qui tient lieu de “mémoire d'Auschwitz” perd, dans l'universel, tout sens des proportions historiques.

Le voyageur d'Auschwitz n'est pas en situation d'apercevoir combien cette “mémoire” évacue de l'histoire ce qui précisément distingue le lieu des autres camps de concentration nazis. Cette visite, note-t-il à son retour, a été “profondément bouleversante, surtout guidée et commentée par d'anciens détenus”. La présence si “bouleversante” de rescapés de la déportation juive accentue, de fait, la confusion des notions historiques dans l'esprit des visiteurs. Ils entendent leur témoignage sans s'interroger, comme se doit de le faire l'historien, sur le statut historique du témoin[44]. L'ancien concentrationnaire ne leur en laisse pas la possibilité. Déporté comme juif, il a survécu au camp de concentration et sa mémoire gère le paradoxe en inscrivant le génocide juif dans l'univers concentrationnaire. Rescapé de celui-ci, il se veut le témoin de celui-là auprès des voyageurs de la mémoire qu'il emmène sur les lieux de sa captivité. “On leur fait un petit peu ressentir”, insiste l'ancien déporté juif qui préside la Fondation Auschwitz , “ce que nous-mêmes avons ressenti: cette fameuse rampe, la sé­lection, les crématoires qui fumaient, les réflexions des Kapos et des SS qui nous recevaient et nous disaient que l'on ne sortait de ce camp que par la cheminée”[45]

Dans ce discours, le “message aux nouvelles générations” n'a cependant d'autre objet que la “mémoire” plurielle d'un “crime colossal contre l'humanité toute entière”[46]. Les guides de la “mémoire d'Auschwitz” refont annuellement le voyage, non pas au titre où ils le firent la toute première fois. Ils n'y retournent pas comme d'anciens déportés juifs. Le statut moral qu'ils revendiquent est celui de “survivants des génocides nazis]” [47]. Ils récusent celui - historique - de déporté racial[48] et, plus encore, l'identité de déporté juif. Depuis l'immédiat après-guerre, ils constituent une Amicale des Ex-Prisonniers politiques d'Auschwitz-Birkenau, Camps et Prisons de Silésie. La Fondation d'Auschwitz des années '80 est l'émanation de cette association et reproduit son discours sur l'histoire. S'adaptant à l'air du temps, il est resté inchangé dans son principe. Les préventions de ces ex-prisonniers politiques d'Auschwitz-Birkenau “contre le préjugé selon lequel Auschwitz était une entreprise exclusivement antijuive” datent de l'après-1945[49]. Ces rescapés d'Auschwitz tenaient alors à y lire “un crime colossal contre l'humanité tout entière”. Ils y comptabilisaient, dans un amalgame des morts, “à côté de centaines de milliers d'Israélites [...] disparu[s], dans les fours crématoires, des centaines de milliers d'êtres humains de toutes races, de toutes religions, de toutes conceptions philosophiques”.

Cette normalisation imaginaire du génocide juif consacrait l'impasse des “ex-prisonniers politiques” d'Auschwitz-Birkenau devant leur propre histoire.

14.5  Ex-politiques ou anciens déportés juifs

L'identité que revendiquent les “ex-prisonniers politiques” induit d'emblée un rapport tronqué. Il suggère que les convois partis de Malines auraient acheminé des “Juifs politiques” pour reprendre la terminologie d'époque. Le cas a été rarissime. Le plus souvent, ils échappaient au circuit de la solution finale. C'est le paradoxe du racisme nazi: les Juifs les plus dangereux, ceux qui résistaient et, parmi eux, les militants de l'action armée, restaient dans les prisons ou étaient transférés dans les camps de concentration, s'ils n'avaient pas été fusillés à titre d'”otage terroriste” ou comme condamnés à mort. Les “ex-prisonniers politiques” d'Auschwitz-Birkenau déportés du camp de rassemblement de Malines ne sont pas entrés en cette qualité dans l'histoire concentrationnaire. Ils tiennent ce titre de l'Etat belge. Il leur a été attribué en raison des attestations de mouvements de résistance reconnus après la guerre et qui à leur tour certifiaient qu'ils avaient eu une activité patriotique avant leur arrestation. Les avantages matériels et moraux de cette reconnaissance belge n'ont pas été accordé à la plupart des déportés juifs et de leurs ayant-droits, bien plus nombreux que les rescapés des déportations raciales. La mémoire de l'après-guerre les a laissés pour compte de l'occupation nazie. Dans son rapport à l'histoire, l'Etat belge des dernières années '40 ne se sentit pas plus concerné que les autorités belges du temps des nazis à l'égard de ceux qui ne s'intégraient dans la norme patriotique[50]. La constitution de l'Amicale “silésienne” d'Auschwitz-Birkenau confirmait l'opinion belge dans cette esquive des déportations juives.

Une autre mémoire déportée finit pourtant par se constituer au moment des réparations allemandes. La plupart des rescapés des déportations raciale se regroupèrent, en 1956 en une Union des Déportés Juifs et Ayants-Droit de Belgique pour la défense de leurs intérêts matériels et moraux négligés. Autre mémoire, l'Union représenta une autre légitimité qui porta ombrage à la celle de l'Amicale silésienne[51]. Comme cette dernière, elle aussi organise des voyages pédagogiques à Auschwitz dans les années '80. Leur objet est tout autre que les “crimes et génocides nazis” de la “mémoire” dite “d'Auschwitz”. “Notre Union”, explique son président, “met l'accent sur le génocide perpétré contre les Juifs, aspect que la Fondation oublie trop souvent”. La jeunesse qui l'accompagne se rend sur “les lieux mêmes de la Shoah ”. Au point de vue de cette autre mémoire d'Auschwitz, ils “sont suffi­samment parlants et émouvants pour [...laisser] une trace indélébile dans les mémoires” [52].

Ces lieux symboliques parlent néanmoins la langue de l'amalgame mythique. Après avoir tout vu avec les guides de l'Union des déportés juifs, l'étudiant - et il n'est pas juif, dans ce témoignage d'une mémoire tronquée - revient d'”un jour à Auschwitz”, convaincu que “des millions d'hommes, de femmes, d'enfants, parce qu'ils étaient juifs, y sont restés des mois, des années, pour toujours”[53]. Les organisateurs de cette journée lui avaient cependant tout montré, les “centaines de valises et de paires de chaussures, [l]es vêtements d'enfants, [l]es prothèses, [l]es béquilles”, et même, écrit-il, “le champ immense de cheveux”. Mais lui les a vus derrière les “murs barbelés et les miradors qui entourent les baraques” d'un camp de concentration. “Les larmes aux yeux et la rage au ventre” dans l'émotion qui le submergeait, il a fait, comme dans la mémoire tronquée de son temps, l'amalgame de la mort concentrationnaire et du génocide.

La singularité de l'extermination des Juifs - celle que saisit l'historien repérant les traces laissées par les déportés pendant l'événement - réside dans cette différence essentielle. La notion de “camp de concentration et d'extermination” est, à cet égard, des plus pernicieuses. Elle occulte, dans le discours de la mémoire, cette réalité de l'histoire qu'il prétend transmettre à ses héritiers du XXIe siècle.

14.6 L'extermination singulière

 Dans La destruction des Juifs d'Europe, Raul Hilberg qui, pour des raisons morales toujours inadéquates en histoire, refuse d'utiliser la notion historique d'”extermination” parle à juste titre néanmoins de “centre de mise à mort”. Les dits “camps d'extermination” de la mémoire n'ont été en réalité que des “camps sans détenus”! Ils n'ont jamais été des lieux d'enfermement concentrationnaire. La mémoire focalisée sur Auschwitz méconnaît le plus souvent la géographie du génocide. Elle ignore que Chelmno, Treblinka, Belzec, Sobibor ne relevaient pas de l'administration SS chargée des camps nazis. Sous l'autorité des représentants personnels d'Himmler, ces centres d'extermination avaient pour seule fonction d'exécuter la “grave décision” dont parlait le chef des SS “de faire disparaître ce peuple de la terre”[54].

Himmler n'avait pas de cette “chose la plus dure” que son organisation multiforme “ait connue” la conception que le discours métahistorique prête, après coup, au projet nazi. Dans le schéma himmlérien d'époque, l'hitlérisme ne laissait aucune place à des génocides pluriels. Il n'en concevait que deux dans la guerre mondiale[55]. Dans cette alternative bipolaire, elle ne pouvait avoir d'autre issue que l'extermination de “l'humanité aryenne” ou bien celle “de la race juive en Europe”[56]. Dans sa politique réelle comme dans ses fantasmes, le IIIe Reich accordait en revanche la plus grande attention à l'exploitation sans vergogne, la plus implacable et la plus meurtrière des peuples de races inférieures, et tout particulièrement des Slaves de “l'espace vital” germanique. La politique d'occupation en U.R.S.S. envisageait sciemment “la mort de millions d'hommes”[57]. Le racisme nazi était “absolument indifférent”, expliquait Himmler, aux “conditions [de vie de] ces peuples”[58]. Masse de réserve pour les “besoins d'esclaves” du IIIe Reich hitlérien, ils étaient traités, y compris les femmes et les enfants, comme des “bêtes humaines” voués à “creve[r] d'épuisement”. Quant aux officiers et soldats soviétiques, tombés aux mains des armées hitlériennes, ils ont disparu par millions: livrés par centaine de milliers aux tueurs SS pour être immédiatement assassinés, ils sont aussi “morts de faim par dizaines et centaines de milliers”[59] en captivité ou, en plus grand nombre, d'épuisement au travail forcé. La furie raciste du IIIe Reich n'a pas non plus épargné le peuple allemand: le régime nazi a décrété et organisé le massacre des malades mentaux dans ses propres rangs, dés le début de la guerre, et bien avant de livrer au génocide les Juifs du Grand Reich, tout aussi allemands du point de vue de l'histoire. Dans cette rage destructrice, l'Allemagne hitlérienne n'a toutefois décrété cette sentence à l'encontre d'aucune des autres ethnies soumises à la domination de son “sang” supérieur.

Dans ses confidences où il faisait partager aux dignitaires du parti la respon­sabilité des crimes commis par ses hommes, le chef des SS ne parlait de “la grave décision de faire disparaître [un] peuple” qu'en ce qui concerne les seuls Juifs. Il n'est nulle part question d'une telle décision pour les Tziganes. C'est dans la mémoire contemporaine que “l'incorporation des Tsiganes au génocide perpétré [...] à l'encontre des Juifs d'Europe a été progressivement admise comme un fait d'évidence sans que les fondements historiques en soient établis avec clarté”[60].

14.7 La mort des Tziganes

L'assimilation des deux histoires qui parfois s'entremêlent dérive de la persécution des plus meurtrières dont les Tziganes ont été les victimes dans l'Europe du national-socialiste: un sur quatre ou sur cinq a perdu la vie[61]. En masse, ils avaient été, enfants compris, internés à titre d'”asociaux” dans ces camps de la mort concentrationnaire. Himmler en donna l'ordre le 16 décembre 1942 et c'est précisément cet ordre qui différencie l'histoire de la mort des Tziganes de celle des Juifs. A Auschwitz où furent déportés seulement 20.000 d'entre eux à partir de février 1943, les Tziganes n'étaient pas conduits à la chambre à gaz dès leur arrivée comme les tueurs SS le pratiquaient avec les Juifs de la solution finale. Immatriculés - y compris les enfants -, ces Tziganes d'Auschwitz étaient internés dans un camp des familles à l'annexe de Birkenau. Les conditions d'existence concentrationnaire les condamnaient à la mort. En juillet 1944, à peine 6.000 étaient encore en vie et au début d'août, ce qui restait du camp des familles passa à la chambre à gaz. D'autres Tziganes, déportés à la fin de 1941 en même temps que les Juifs du Grand Reich, ont également été gazés. Ces 5.000 Tziganes avaient été enfermés dans le ghetto de Lodz avec les déportés juifs et, englobés dans le génocide, ils furent acheminés vers le centre d'extermination établis pour ces derniers à Chelmno.

14.8  L'assassinat des Juifs

Le génocide des Juifs a été tout autre chose que la mort d'un peuple laissée à l'improvisation de ses persécuteurs. Décidé, l'assassinat des Juifs a été systématiquement poursuivi. Les hommes d'Himmler n'ont pas pris “des mesures qui, d'une manière ou d'une autre, aboutir[aie]nt à leur extermination”[62]. De hauts dignitaires du parti, pressentant ces “événements gigantesques, uniques dans leur genre” n'envisageaient pas, comme la SS , qu'il était possible de “fusiller ou [d']empoisonner”, ces millions de Juifs. Les “services compétents” ont mis en place les structures appropriées au massacre génocidaire. Elles ne se trouvaient pas dans les camps de concentration. C'est en dehors de tout camp, que les escadrons mobiles de tueurs SS s'appliquaient à faire “disparaître” les Juifs, dès la sortie des villes et villages des territoires occupés de l'Est, tout spécialement en l'U.R.S.S.!  Babi Yar, autre lieu du génocide, n'est qu'un ravin où “les Juifs” de Kiev, “avec leur famille”, précise le compte rendu des SS du génocide, ont été fusillés au pistolet-mitrailleur à raison de 33.771 en deux jours, les 29 et 30 septembre 1941.

L'Auschwitz pléthorique de la “mémoire du camp de concentration et d'extermination” occulte toute cette géographie du judéocide et avec celle-ci, les trois quarts des victimes de l'extermination immédiate. Dans l'“arithmétique macabre” si indispensable à la compréhension correcte de l'événement juif et que récuse, pour cette raison, la “mémoire” instituée “d'Auschwitz” inquiète pour ses certitudes plurielles[63], le centre d'extermination dissimulé dans l'annexe de Birkenau du complexe concentrationnaire intervient pour un million de victimes. Ces déportés d'Auschwitz n'y ont jamais subi une histoire concentrationnaire. Du train qui les y avaient conduits, ils ont été dirigés, dès leur sortie des wagons, vers ses chambres à gaz.

C'est précisément dans le cas de la déportation occidentale que la recherche historique est parvenue en France, en Belgique et aux Pays-Bas à approcher avec le plus de rigueur le singulier massacre des déportés juifs de l'Ouest à leur arrivée à Auschwitz. Un rescapé de cette déportation, Georges Wellers, du Centre de Documentation Juive Contemporaine de Paris, a été, dès la fin des années ' 70, l 'un des pionniers de cette relecture critique du fantasme d'Auschwitz. Dans le cas belge, cette appropriation de l'histoire ne doit rien non plus au “centre” bruxellois “d'études et de documentation sur l'univers concentrationnaire”, ni à ses “collaborateurs scientifiques”. Les présupposés de leur “mémoire d'Auschwitz” n'auraient pas résisté à l'épreuve.

Il lui faudrait prendre en compte que les deux tiers des déportés - au moins 16.100 dans le cas belge - ont été assassinés dès leur arrivée sans prendre place dans l'univers concentrationnaire[64]. Il lui faudrait aussi, avec l'autre tiers, considérer que le “projet nazi” était plus attentif aux réalités de l'histoire que la mémoire dans sa propension à les idéologiser. Tout aussi “nuisibles”, ces déportés juifs n'ont pourtant pas été exterminés comme les autres[65]. Une raison d'opportunité économique les a tenus à l'écart du génocide[66]. Les SS leur firent “interrompre leur voyage et travailler à l'industrie de guerre”, selon la formule du lieutenant d'Himmler responsable des camps[67]. Ces forçats juifs du travail n'en périrent pas moins en captivité, tout comme les détenus non-juifs, mais en plus grande proportion, car la plupart avaient été déportés dès l'été 1942, et non dans les dernières années de l'occupation allemande.

Cinquante ans après, on se trompe - et volontairement - d'histoire en ne différenciant pas pour les besoins de son “point de vue” l'extermination tout à fait singulière de la masse juive déportée aux ravages de cette mort concentrationnaire. A l'époque, ces dizaines de milliers d'hommes et de femmes, surtout les enfants, ainsi que les vieillards, venus de l'Ouest avaient été interdits d'entrée à Auschwitz. Le paradoxe du discours “d'Auschwitz” est d'inscrire cinquante ans après leur mort dans l'univers concentrationnaire. Une telle lecture n'a plus aujourd'hui l'excuse de la découverte horrible des camps de la mort, au moment de l'effondrement et de l'écrasement du IIIe Reich nazi. Les charniers de dizaines de milliers cadavres squelettiques de Bergen-Belsen, Ohrdurf et autres camps libérés ont constitué, en 1945, l 'image très physique du “camp de concentration et d'extermination”. Le discours des survivants à leur retour de captivité, y compris les rescapés juifs d'Auschwitz, a articulé cette représentation de l'horreur nazie. Elle masquait une tout autre horreur que la recherche historique a depuis mis à jour.

Comme si ces millions de morts du génocide juif dérangeaient ses vérités, la mémoire n'a cessé de s'agiter devant l'irréductible singularité de l'événement. De négation en révision de toutes sortes, elle a multiplié, dans la dernière période de ses métamorphoses, les tentatives de diluer cette singularité rebelle dans son discours idéologique sur l'histoire. A cet égard, les dérives plurielles de la mémoire d'Auschwitz, si elles ne sont qu'un des avatars d'une telle instrumentalisation, n'en sont pas moins typiques. Faute de parvenir à nier la singularité de l'assassinat systématique des Juifs, ce discours d'Auschwitz s'applique, au nom d'un antifascisme à vocation universaliste, à la déconstruire dans une pluralité imaginaire de génocides nazis.


* Publié dans Points Critiques, n°50, décembre 1992, pp.16-27;  également dans Centrale, n°259, mars 1993, pp.6-9 et n°260, juin 1993, pp. 11-14.
[1]. Ce texte reprend la communication exposée sous une forme abrégée au Colloque 50 ans après les grandes rafles de 1942 convoqué par le CCLJ, l'Union des Anciens Déportés Juifs de Belgique -Filles et Fils de la Déportation et l'Association des Enfants cachés, à Bruxelles, le 18 juin 1992.
[2]. E. JÄCKEL, la misérable pratique des insinuations in Devant l'Histoire Les documents de la controverse sur la singularité de l'extermination des Juifs par le régime nazi, Cerf, 1988, p.98.
[3]. Le président de la République fédérale avait parlé, le 8 mai 1985, de “l'assassinat de six millions de Juifs dans les camps de concentration .
[4]. Y. BAUER, Mise au point. Attention aux mythes, in Regards, 23.11-6.12.89
[5]. M. DE BOÜARD, La déportation entre l'histoire et le mythe, in Historiens & Géographes, n° 231, décembre 1988, p. 49.
[6]. ibidem, p.52.
[7]. P. HALTER, Éditorial, Mémoire et oubli in Bulletin trimestriel de la Fondation Auschwitz , n°29, juillet-septembre 1991, p. 4. Cet éditorial du président de la Fondation illustre la force des “tabous”. Sans discuter ma communication au colloque du CCLJ sur le Carmel d'Auschwitz (voir M. STEINBERG, La symbolique d'Auschwitz ou l'impasse de la mémoire, in M. & N. WEINSTOCK, éd., Pourquoi le Carmel d'Auschwitz?, Revue de l'Université Libre de Bruxelles, 1990/3-4, pp. 47-62), P. Halter s'interroge rien moins que sur la nature de “la mouche venimeuse qui [m'] a piqué”. On y lit aussi que la critique du “témoignage des survivants [..] conforte Faurisson  et autres falsificateurs dans leurs arguments”.  Le lecteur appréciera la sûreté du jugement de la Fondation , à ce commentaire d'un J. Robyn réceptif au discours révisionniste, après avoir lu mon livre Les Yeux du témoin et le regard du borgne: “le plus intransigeant des révisionnistes ne pourra que se dire: il y a quand même eu quelque chose    (Voir J. R. Les Yeux du témoin et le regard du borgne, in Espace de Libertés, n° 186, décembre 1990).
[8]. Y.THANASS EKOS, Auschwitz  ou l'universalité contestée, in Bulletin .., n°24, avril-septembre 1990, p.9.
[9]. Selon le dépliant diffusé dans le public, la Fondation organise plus particulièrement [..] l'encadrement de travaux et de re­cherches scientifiques sur le système concentrationnaire nazi et ses questions connexes (histoire, économie, sociologie, poli­tique)” .
[10]. Imprimé de la Fondation Auschwitz .
[11]. L'insistance de la Fondation Auschwitz  sur les “génocides nazis” et l'absence de référence au seul génocide juif lui a valu d'être accusée d'un révisionnisme  plus dangereux que celui des négationnistes. Les mémoires d'Henri Sonnenbluck (J'avais 16 ans à Auschwitz, Ed. du Cercle d'Education Populaire, Bruxelles, 1989) s'achèvent sur cette critique véhémente. La critique a impressionné l'un des militants de la Fondation : Sonnenbluck “falsifie lâchement nos intentions en nous présentant quasiment - c'est à peine croyable! - comme des antisémite s!” , lui réplique Charles West, autre ancien d'Auschwitz (voir p.128; voir également les contradictions où se débat ce dernier, in Bulletin .., n°32-33, avril-septembre 1992, pp.49-79).
[12]. Provoqué à s'expliquer, le 13 septembre 1987, devant le Grand Jury RTL-Le Monde, J-M. Le Pen fait des chambres à gaz un “point de détail” . Il s'en explique, après le scandale qu'a provoqué son propos, dans sa conférence de presse le 18 septembre. Dans cette version bis, “les camps de concentration  où moururent par million, juifs, tsiganes, chrétiens et patriotes de toute l'Europe et les méthodes employées pour les mettre à mort : pendaisons, fusillades, piqûres, chambres à gaz (sic), traitements inhumains, privations”  deviennent “un chapitre, une partie, un détail de l'histoire de la seconde guerre mondiale comme en témoignent d'ailleurs tous les ouvrages généraux qui y furent consacrés”. (Voir P. JARREAU, Les explications de M. Le Pen sur les chambres à gaz, la nuit tous les chats sont gris, dans Le Monde, 20-21 septembre 1987). Faute de pouvoir, devant les réactions de l'opinion, nier le génocide juif, le chef du Front National choisit de le banaliser par le biais de la mort concentrationnaire.
[13]. P. HALTER et Y. THANASS EKOS, in Bulletin .. , n°6, décembre 1987-février 1988, p.7.
[14]. Y. Thanassekos au cours de la Table ronde, Antifascisme et singularité: l'avenir du Musée d'Auschwitz , ibidem, n°23, janvier-mars 1990, p. 49.
[15. C'est ainsi que Vincent Engel se représente la fonction de la Fondation. Voir V. ENGEL, Pourquoi parler d'Auschwitz , Les Éperonniers, Bruxelles, 1992, p. 48.
[16]. Voir une protestation contre cet abus, in G. VAN DEN BERG, De uitbuiting van de Holocaust, éd. Houtekiet, Antwerpen-Baarn, 1990, p. 12.
[17]. P. HALTER, Éditorial, Mémoire et oubli in Bulletin .., n°29, juillet-septembre 1991, p. 4.
[18]. Y. THANASS EKOS, Prolégomènes pour une études rigoureuse de la mé­moire des crimes et génocides nazis, in Bulletin .., n°31, jan­vier-mars 1992, p.18.
[19]. P. HALTER et Y. THANASS EKOS, C'en est assez. Pour en finir avec les falsificateurs, ibidem, n°6, décembre 1987-février 1988, p.7.
[20]. D'après P. Halter et Y. Thanassekos (ibidem), ces “faiblesses”  de “l'empirisme historique” feraient le lit des “falsificateurs” . L'argument est paradoxal. Dans leur analyse du phénomène révisionniste, les historiens considèrent au contraire qu'en n'ayant pas “fait leur boulot”  en matière d'histoire concentrationnaire, ils ont laissé le champ libre aux négateurs du génocide (Voir J. STENGERS, Quelques libres propos sur Faurisson , Roques et Cie, in Cahiers du Centre de Recherches et d'Etudes historiques de la Seconde Guerre mondiale, n° 12, mai 1989, p. 18, citant l'interview de P. Vidal-Naquet in Zéro, avril 1987).
[21]. Voir la préface de J. Buzko à Auschwitz , camp hitlérien d'extermination, Interpress, Varsovie , 1978, pp. 5-10
[22]. Désormais, même le Musée d'Oswiecim a rétabli enfin les droits de l'histoire sur sa mémoire tronquée. Voir F. PIPER, Estimating the number of deportees to and victims of Auschwitz -Birkenau  camp, in Yad Vashem Studies, Vol. XXI, Jérusalem, 1991.
[23]. Voir F. PIPER, Extermination, dans Auschwitz , camp hitlérien d'extermination, Interpress, Varsovie , 1978, pp. 93-95.
[24]. Organisation des Nations Unies pour l'Education, la Science et la Culture , convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel, et naturel, signée K. Pawlowski, Varsovie , le 2.5.1973, date de réception 6.6.78, reproduit in L'affaire du Carmel à Auschwitz , Ed. Les carrefours de la Cité , décembre 1989,  pp.43-51.
[25]. voir F. PIPER, ouvr. cit.
[26]. Selon Y. Thanassekos, cette “affirmation [..] doit verser dans une sorte holocaustisation” , in Bulletin .., n°23, janvier-mars 1990, p. 55
[27]. Un panneau de la salle belge du Musée d'Oswiécim reproduit la une du Mémorial de la Déportation des Juifs de Belgique , en y censurant la référence juive. Un rectangle blanc  y masque le titre qui identifiait les photos reproduites d'enfants déportés (Voir l'original in S KLARSFELD et M. STEINBERG, Mémorial de la Déporta ­tion des Juifs de Bel­giqu e, Bruxelles-New York, 1982).
[28]. Ce mémorial belge n'évoque en rien les déportés juifs dans le rapport du visiteur qui vient de Belgique  sous l'égide de la Fondation Auschwitz . Voir E. BASTIAENS, Auschwitz - Veel moois en veel afschuwelijks gezien (les bien horribles choses vues), in Bulletin .., n°6-7, septembre-décembre 1984, p.73.
[29]. Sur les 25.257 déportés de Belgique  à Auschwitz , 24.906 étaient juifs. Voir M. STEINBERG, La tragédie juive en Belgique: un ravage de la xénophobie, dans A. MORELLI, (dir.), Histoire des Etrangers et de l'Immigration en Belgique, de la préhistoire à nos jours, Éditions Vie Ou­vrière, Bruxelles, 1992, pp. 233-254.
[30]. Y.THANASS EKOS, Auschwitz  ou l'universalité contestée, in Bulle­tin .., n°24, avril-septembre 1990, p.8.
[31]. J.-M. CHAUMONT, La mémoire d'Auschwitz , in Revue nouvelle, n°1, t. XCV - janvier 1992, p. 76.
[32]. J.-M. CHAUMONT, “Présentation: l'histoire dans l'ombre d'Auschwitz ?” , in Révision de l'histoire, totalitarismes, crimes et génocides nazis, Le Cerf, Paris , 1990, p. 8.
[33].  J.-M. CHAUMONT, La mémoire d'Auschwitz , in Revue nouvelle, janvier 1992, p.81.
[34]. P. HALTER et Y. THANASS EKOS, une mise au point de la Fondation Auschwitz , in Regards, n°289, 20.2-4.3.1992.
[35]. Y.THANASS EKOS, in Bulletin .., n°24, avril-septembre 1990, p.7-8.
[36]. M. GOLDSTEIN, La sauvegarde des sites d'Auschwitz -Birkenau , in Bulletin .., n°18, septembre-décembre 1988, pp. 151-152.
[37]. M. GOLDSTEIN, Action pour la sauvegarde du site d'Auschwitz -Bir­kena u, ibidem, n°23, janvier-mars 1990, p. 111.
[38]. J.-M. CHAUMONT, Notes sur la responsabilité historique, in Révision de l'histoire, totalitarismes, crimes et génocides nazis, Le Cerf, Paris , 1990, p. 303 note 8.
[39]. Ibidem, p. 290
[40]. Y. Thanassekos au cours de la Table ronde, Antifascisme et singularité: l'avenir du Musée d'Auschwitz , in Bulletin .., n°23, janvier-mars 1990, p. 49
[41]. Débat des enseignants francophones lors du voyage d'études à Auschwitz  (3-7 avril 1985), in Bulletin .., n°9-10, juillet-dé­cembre, 1985, p. 38.
[42]. C. BLOCH, Connaître le passé pour préserver l'avenir in Bulletin .., n°9-10, juillet-décembre, 1985, p.19.
[43]. Furent aussi gazés des détenus du complexe d'Auschwitz : outre 91.000 Juifs, 6.430 Tzigane s, 1.605 prisonniers de guerre soviétiques et 3.665 autres détenus non juifs, d'après G. WELLERS, Essai de détermination du nombre de morts au camp d'Auschwitz, in Le Monde juif, n°12, octobre-décembre 1983, p. 153.
[44]. Voir A. WIEVORKA, Déportation et génocide, entre la mémoire et l'oubli, Plon, 1992, p. 162.
[45]. Paul Halter, in Bulletin .., ,n°23, janvier-mars 1990, p. 53.
[46]. Les horreurs d'Auschwitz , le rapport de la délégation belge au procès Hoess, dans Le Soir, 19 avril 1947, reproduit in Bulletin .., n°16, décembre 1987-février 1988, p.94.
[47]. Brèves informations sur les activités de la Fondation , ibidem, n°22, octobre-décembre 1989, p. 107.
[48]. Encore que P. Halter ait lui-même utilisé le terme de “déporté racial”  à l'occasion (éditorial, ibidem, n°6-7, septembre-décembre 1984, p.5,),  ce concept utilisé par l'historien passe pour “restaurer une catégorie imprégnée de re­lents péjoratifs”(voir P. HALTER et Y. THANASS EKOS, une mise au point de la Fondation Auschwitz , in Regards, n°289, 20.2-4.3.1992.)
[49]. Les horreurs d'Auschwitz , le rapport de la délégation belge au procès Hoess, in Le Soir, 19 avril 1947, reproduit in Bulletin .., n°16, décembre 1987-février 1988, p.94
[50]. Le cas est différent en France  où deux statut s ont été institués, celui des “déportés et internés de la résistance”  - homologue du statut belge de “prisonniers politiques”  - et celui de “internés et déportés politiques” . Ce dernier concerne, selon son article I, les “déportés politiques, otages et internés politiques” , c'est à dire, “des politiques, des raciaux, des otages” . A. Wiévorka qui le cite remarque que la désignation comme politiques de tous les déportés et internés, à l'exception de ceux de la Résistance et des droits communs, vide ce mot de tous sens  [ .. ] Le terme permet d'esquiver la question de la déportation des Juifs totalement absente du débat”  de 1948 (Voir A. WIEVORKA, Déportation et génocide.., pp. 152 et 157. 
[51]. En réponse à la mise au point de la Fondation Auschwitz , M. Pioro, président de l'Union des Déportés Juifs en Belgique  témoigne que l'Amicale des Ex-Prisonniers politiques d'Auschwitz-Birkenau , Camps et Prisons de Silésie s'est opposée - et elle seule - à la demande d'adhésion de son organisation à la Fraternelle des Amicales des camps (voir M. PIORO, Contre toute instrumentalisation, in Regards, n° 290, 5-19.3.1992.
[52]. M. PIORO, lettre ouverte à C. Lanzmann, ibidem, 23-3-4.4.1990, p.29
[53]. TH. DENOEL, Un jour à Auschwitz , in Vlan, 3-25.4.1990
[54]. Discours d'Himmler aux Gauleiter et Reichsleiter, à Pozen, le 6 octobre 1943 in HIMMLER H., Discours secrets, Gallimard, Paris , 1978, pp. 167-169.
[55]. Le 30 janvier 1942, Hitler  rappelait en terme de génocide aryen sa prophétie de 1939 sur l'” extermination de la race juive en Europe” : “j'ai déjà dit au Reichstag allemand, et je me garderai de toute prophétie précipitée, que cette guerre ne tournera pas comme les Juifs se l'imaginent, à savoir que les peuples européens seront anéantis, mais au contraire, que le résultat de cette guerre sera l'anéantissement du judaïsme” .
[56]. La prophétie hitlérienne du 30 janvier 1939 sur l'”extermination de la race en Europe  reproduisait un schéma apocalyptique dont le principe figurait déjà dans Mein Kampf (Voir le discours du 30 janvier 1939 dans L. POLIAKOV, Le Bréviaire de la Haine , Ed. Calmann-Lévy, Paris , 1979, p. 3; A. HITLER, Mon combat, Nouvelles éditions latines, Paris, (1934), p.71).
[57]. Le 2 mai 1941, les secrétaires d'Etat - des ministres du IIIe Reich - promulguent les directives émanant du Général George Thomas, chef du Bureau de l'Economie et de l'Armement du commandement en chef de la Wehrmacht et relatives à l'exploitation des territoires encore à conquérir en U.R.S.S. en vue de ravitailler les armées allemandes: “cela signifiera sans aucun doute la mort de millions d'hommes quand nous extrairons du pays ce qui nous est nécessaire” , note le document (doc. Nuremberg  2718-PS).
[58]. Discours d'Himmler aux Généraux SS , à Pozen, le 4 octobre 1943 in F. BAYLE, Psychologie et éthique du national-socialisme, P.U.F., Paris , 1953, p. 429-430.
[59]. Discours d'Himmler aux Gauleiter et Reichsleiter, à Posen, le 6 octobre 1943 in HIMMLER H., Discours secrets, Gallimard, Paris , 1978, pp. 167-169.
[60]. H. ASS EO, Témoins et historiens: la vision des tsiganes, in L'année 1942 et les Juifs en France , Actes du colloque international, 15-16-17 juin 1992, Paris , Sorbonne et EHSS (à paraître dans les Annales, Economies, Sociétés, Civilisations, juin 1993).
[61]. Selon D. KENRICK & G. PUXON, Destins gitans, des origines à la “solution finale”, Calmann-Lévy, Paris , 1974, il y eut 219.700 victimes sur une population estimée à 936.000, soit 23,4%.
[62]. Journal de H. Frank : séance du cabinet du 16 décembre (l941) du gouvernement général, à Cracovie, dans H. MONNERAY, La persécution des Juifs dans les pays de l'Est, Paris , 1949, p. 202.
[63]. M. Goldstein, in Bulletin .., n°23, janvier-mars 1990, p. 4.
[64]. Voir les chapitres 2 et 7 in M. STEINBERG, Les yeux du témoin et le regard du borgne. L'histoire face au révisionnisme , Cerf, Paris , 1990.
[65]. Quant aux 351 Tzigane s du convoi  Z, parti le 15 janvier 1944 du camp de rassemblement  juif de Malines , ils n'ont pas subi à leur arrivée le 17 janvier la sélection réservée aux convois  juifs : tous été immatriculés à Auschwitz , y compris les enfants de moins de 15 ans, soit plus de la moitié du contingent.
[66]. Voir à ce propos M. STEINBERG, le paradoxe de Wannsee , in Cahier de la Mémoire n°3 Wannsee et la shoah, polycopie éditée par Comité Zakhor - Union des déportés juifs, Bruxelles, 1992.
[67]. NI-15392  Pohl à Himmler, 16 septembre 1942, cité d'après R. HILBERG, La destruction des Juifs d'Europe, Fayard, Paris , 1988, p. 795.