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La flambée de violences xénophobes,
plus particulièrement en Allemagne en 1992-1993 porte à
s’interroger sur le rapport du présent à l’histoire. Les feux de
Rostock, de Mölln ou de Solingen évoquent d’autres brasiers. Dans
la mémoire historique, les incendies d’aujourd’hui riment avec la
“nuit de cristal” des nazis. On sait qu’elle précéda de peu
cette seconde guerre mondiale - faut-il dire la deuxième? - où le
racisme se déchaîna jusqu’à perpétrer un génocide dans
l’Europe nazie. L’on ne saurait ignorer cette référence
historique. Ce sont les vociférations nazies et les saluts hitlériens
des incendiaires qui convoquent l’histoire au présent de Faut-il pour autant penser le présent au passé comme s’il annonçait un futur antérieur déjà connu? En histoire, il faut toujours se garder des analogies faciles. Elles masquent les différences et, en se trompant d’histoire, occultent la réalité que l’on prétend éclairer. Dans le rapport au passé, le parallèle abusif produit seulement une mémoire tronquée. Elle finit toujours par céder à la critique historique. Dans le rapport au présent, on se trompe tout autant d’histoire, mais - et c’est plus grave - au moment où elle s’accomplit et la sanction est ici la critique des faits. Ce qu’il importe toujours de bien appréhender, c’est ce qui est nouveau, car l’histoire, elle, ne se répète jamais! 21.1 La “nuit de cristal”: un modèle?Les incendies de Rostöck, de Mölln
ou de Solingen n’ont pas, en 1992, l’ampleur de celles de la “nuit de cristal” de 1938. Dans l’Allemagne national-socialiste,
il ne faut qu’une seule nuit pour incendier, détruire ou dévaster
près d’un millier de magasins et d’habitations, ainsi
qu’environ 300 synagogues. Le bilan en vies humaines a aussi une
tout autre dimension. La nuit du 9 au 10 novembre 1938 tue 91 Juifs.
En 1992, les violences xénophobes n’ont fait, si on l’ose dire,
“que” 17 victimes. Il y en avait 2 en 1990, 3 en 1991.
L’explosion de C’est ce caractère rampant
qu’il convient de retenir. Il ne se retrouve nullement dans le modèle
de l’Allemagne national-socialiste de 1938. Pour autant qu’il
faille une référence historique, le modèle se laisserait mieux
entrevoir dans La “nuit de cristal” n’a pas cette allure spontanée dans l’Allemagne nazie. C’est le parti qui la déclenche, mais il n’en prend pas la responsabilité devant l’opinion publique, tant nationale qu’internationale. Ses Sections d’Assaut et ses jeunesses hitlériennes se déguisent en civil pour se lancer contre les Juifs et faire croire à un mouvement de colère spontané. Les organes d’état, avertis du coup, laissent faire. En alerte, la gestapo attend les “troubles” pour interner aussitôt 20 à 30.000 Juifs dans les camps de concentration. Ils n’y demeureront pas. Les camps de concentration n’ont pas été institués pour l’internement des Juifs, mais des opposants d’abord les communistes. Dans l’antisémitisme nazi, il ne s’agit pas de tenir les Juifs sous la main. Du point de vue raciste, ils ne sont en aucune manière rééducables. Aussi, la plupart des internés de la “nuit de cristal” - car plusieurs mourront entre temps de sévices dans les camps - seront libérés à la condition expresse de quitter l’Allemagne en abandonnant leurs biens. C’est “l'éloignement des Juifs, pur et simple” qui est au programme de l’antisémitisme hitlérien, pas le pogrom! 21.2 Le pogromismeDès 1919, Hitler présentait son antisémitisme, non pas comme une judéophobie qui ne serait qu’un “antisémitisme d’humeur”, selon sa formule d’époque. Un tel antisémitisme, annonçait-il dans le tout premier texte politique qu’il a laissé, conduirait à des pogroms. Ils ne sont pas la solution hitlérienne de la question juive. Son antisémitisme, lui, se prétend “de raison”, - de raison raciste -, et, tout autant, il se veut “légal”. L’action légale suppose évidemment “un gouvernement fort, de puissance - et non d'impuissance - nationale”, celui que Hitler, encore homme seul, se propose de donner à l’Allemagne défaite en 1918. Dans l’antisémitisme historique - depuis qu’il s’est donné ce nom, vers 1880, - c’est à l’Etat qu’il incombe de priver les Juifs des droits de citoyens. Ils se les sont appropriés avec “leurs” idées de 1789. Dans cette lignée réactionnaire, le programme nazi de 1920 les exclue de la société civile, ravalés au statut d’“étrangers". Ils sont à exclure, si c’est nécessaire, de l’espace allemand. Dès 1933, l’Etat hitlérien s’engage dans cette double politique d’exclusion. Les dispositions légales antijuives se multiplient acculant les Juifs allemands à quitter en masse leur pays. Les sursauts de violences qui
ponctuent l’action légale de discrimination et d’exclusion - le
boycott des magasins juifs, le 1er avril 1933 ou surtout cette “nuit
de cristal” tardive de novembre 1938 - sont autant de
concessions aux tendances pogromistes que charrie le parti. Mais ce
pogromisme n’est pas constitutif du nazisme et l’hitlérisme aura
bien soin de ne jamais confier au parti proprement dit la
responsabilité de son action antisémite; a fortiori lorsqu’à son
tour, il optera, en 1941, pour une “solution finale” autre que légale,
il chargera de l’exécution de cette “chose la plus dure qu’elle a accomplie” une “organisation” spéciale qui n’est ni l’Etat, ni le Parti. Au besoin, cette violence meurtrière
antijuive dont les “soldats politiques”
du Führer sont l’instrument peut prendre la forme du pogrom. Il
s’agit alors, expliquent les SS, d’un masque pour ne “pas
faire apparaître immédiatement [cette] rigueur exceptionnelle”[1].
C’est qu’elle “heurtai[t]
même les sentiments des Allemands”, expose le chef d’un
escadron de tueurs de C’est de Cette violence pogromiste n’a
cependant pas gagné De 1924 à 1930, on dénombre près de 120 de ces pogroms manqués. L’analyse des cas où les coupables ont pu être identifiés est instructive. Sur les 91 cimetières profanés, les responsables sont connus dans 17 cas. Si le bilan de la répression légale est dérisoire, il renseigne sur le caractère de ce pogromisme symbolique. Il n’est pas tout à fait “innocent”. Dans 6 cas, les auteurs appartenaient à des organisations nationalistes dont le parti nazi dans 3 cas, encore qu’ils n’agissaient pas sur instruction du parti. Le phénomène porte déjà la marque de la spontanéité individuelle. Elle se dévoile dans les 9 autres cas identifiés: les coupables étaient des écoliers ou des mineurs d’âge sans affiliation politique. Le phénomène était de type socioculturel. Les profanations ne relèvent pas de l’action politique. Elle procède d’une judéophobie latente, et non de l’antisémitisme proprement dit! 21.3 Judéophobie et antisémitismeEn histoire, sous peine de se tromper d’enjeu, les choses doivent s’appeler par leur nom. Le concept de judéophobie, plus générique que celui d’antisémitisme, rend mieux compte de ses mutations. Cette clef de lecture plus souple n’aperçoit plus aucun paradoxe dans la résurgence du pogromisme après les horreurs du racisme antijuif au cours du second conflit mondial. La guerre à peine finie, il donne lieu, en 1945, au massacre de Kielce dans cette Pologne à peine libérée dont le IIIe Reich nazi maintenant vaincu avait fait le cimetière sans tombe des Juifs d’Europe. En Allemagne, le pogromisme, plus tardif, ne se manifeste plus avec cette violence. Tout à la fin de 1959, il sert, sous sa forme symbolique, de support au néo-nazisme, avec des croix gammées barbouillées sur des synagogues. Renouant avec la tradition judéophobe, le phénomène persiste et se manifeste en une série de vagues successives. En 1992, la haine accumulée dans les profondeurs de la société allemande ne s’extériorise pas seulement dans les incendies criminels visant - et tuant - des étrangers, de préférence turcs. Elle s’exprime encore dans la forme symbolique des profanations de cimetières israélites. On a recensé 77 cas, presque autant en une seule année que dans les années ’20. Et le phénomène n’épargne
pas d’autres pays. La profanation de 34 tombes du cimetière israélites
de Carpentras a frappé les esprits. Perpétrée le 10 mai 1900,
exactement cinquante ans après l'invasion allemande de l'Europe
occidentale, son retentissement a été considérable, et non
seulement en France. Sous le choc, on s’est affolé. On a pensé découvrir
les raisons profondes de Carpentras, en premier lieu dans l'action de
l'extrême-droite, et en second lieu dans l'oubli de ce qui s'est passé
durant La profanation de Carpentras qui
fait découvrir la persistance d’une judéophobie était en réalité
banale. Au cours de cette année 1990, il y avait eu pas moins de 24
profanations en France. Banal, le phénomène était permanent. Dix
ans plus tôt, La passerelle antisioniste balisait le terrain pour la réhabilitation d’un antisémitisme d’opinion, quant à lui politique. Il s’affirma dans les années ’80 par le détour du “révisionnisme”. Pour l’avoir couvé au temps où elle-même était confidentielle, l'extrême-droite fit mine, en toute candeur, de le découvrir dans son avancée électorale. Elle se serait posée à son tour “un certain nombre de questions”. Elle récusait bien sûr toute “vérité révélée” au nom de la “liberté de l’esprit”[3]. Ce discours respectable accréditait, dans un premier temps, une tentative embarrassée de banaliser tout au moins l’antisémitisme génocidaire. Mais vidé de toute singularité historique, le génocide n’était plus seulement un “point de détail” de l'histoire de la seconde guerre mondiale. La banalisation fut plus subtile. D’une pierre, l’opération Le Pen fit deux coups. Le chef de l’opposition nationale en France ravalait l’événement singulier de la seconde guerre mondiale au rang de “détail” du “détail”. Le “point” englobait désormais les “camps de concentration où moururent par million, juifs, tsiganes, chrétiens et patriotes de toute l'Europe et les méthodes employées pour les mettre à mort : pendaisons, fusillades, piqûres, chambres à gaz, traitements inhumains, privations”[4]. En 1987, ce discours réducteur du génocide juif renvoyait le public à sa propre représentation tronquée des atrocités nazies. La mémoire historique pratique en permanence, depuis 1945, l’amalgame symbolique du “camp de concentration et d’extermination” et la confusion mythique du génocide avec la mort concentrationnaire[5]. Il a produit dans les années ’60 la représentation mythique d’Auschwitz. Le “point de détail” se joua de cet embrouillement des notions d’histoire[6] pour tenter, à sa manière, de faire “passer un passé qui ne veut pas passer”[7] dans une France en proie au “syndrome de Vichy”[8]. Cette banalisation du génocide juif inscrite dans l’air du temps est le passage obligé d’une entreprise plus du tout banale. Elle débordait l’hexagone français. Même en Belgique, l’extrême droite la plus radicale et ses nostalgiques du national-socialisme, néo-nazis et chevaux de retour fraternellement unis, s’extasièrent de leur vertu retrouvée. Il leur avait fallu “attendre” ce révisionnisme français de bon aloi “pour apprendre ce que les Allemands n’ont pas fait”[9]. “Nationaux-socialistes”, ils ne devaient plus en public “encore éprouver maintenant un sentiment de culpabilité”. Hitler réhabilité était plus que jamais un prophète de son temps. En 1989, cent après sa naissance, il était toujours “l'un des plus grands génies politiques, militaire, historique et poétique (sic) de l'humanité”, aux dires d’un jeune néophyte franco-belge[10]. Dans un discours délirant de racisme, le jeune nazi du temps présent s'attristait du “terrible et pathétique spectacle, en vérité, [...] de ces victimes du mensonge historique, de ces jeunes filles et de ces jeunes gens dont la race n'est pas encore tout à fait détruite par le métissage des sangs, mais dont, plus irréversiblement encore, l'âme, l'esprit, l'intelligence ont été corrompus, abîmés - et sans doute pour toujours! - par le bourrage de crâne totalitaire de quarante années de propagande culpabilisatrice à travers l'école, la presse et la télévision”. “Post-révisionniste”, un tel délire n’est nullement “passéiste”. Il vise dans le temps présent la “racaille d'extrême-gauche bourgeoise enjuivée” et dévoile sa “hai[ne]” tout actuelle des “Juifs non pour ce qu'ils [...] ont fait, mais parce qu'ils sont juifs"”[11]. L'animateur du Vrij Historisch Onderzoek - Recherche Historique Libre qui en Flandre mène une propagande plus systématique pour le révisionnisme, imprime des autocollants pour une “Europe” tout aussi “libérée de la tyrannie juive”. La décennie des années ’80, inquiète à bon droit de la montée de la xénophobie, n’a pas pris d’emblée la mesure correcte du phénomène nouveau dont la percée médiatique du “révisionnisme” était, avec son opportun détour antisioniste, le signe. 21.4 L’antisémitisme des années ’80La décennie ’80 avait pourtant
débuté sur un mode retentissant. Le 3 octobre 1980, une bombe
explosait devant la synagogue de la rue Copernic à Paris, faisant 4
morts et vingt blessés parmi les passants. L'attentat provoqua une
indignation tout aussi générale que la profanation du cimetière de
Carpentras, à la fin de la décennie. L’onde de choc amena, en
Belgique, l’adoption, le 31 juillet 1981, de la première loi “tendant
à réprimer certains actes inspirés par le racisme ou la xénophobie”.
Les yeux tournés vers le Sud, ce pays de l’entre-deux était
toujours en retard d’une mesure. Dix ans plus tôt, Cette sous-estimation de la judéophobie procède d’une double erreur d’appréciation, tant il est vrai qu’en se trompant sur les enjeux du présent, on se trompe aussi sur ceux du passé. En 1987, le “point de détail” d’un Le Pen n’a pas uniquement été un clin d’oeil calculé des nostalgiques de l’“Ordre nouveau” dans sa mouvance polymorphe. Fort de son tout récent score de 9 % aux élections législatives de 1986, le chef du Front national levait, par le détour du “révisionnisme”, le tabou sur l’antisémitisme. Désormais, l’opposition nationale d’extrême-droite s’adressait ouvertement aux 21% de Français qui estiment, en 1988, que “Ies Juifs ont trop de pouvoir en France”. En 1990, ils sont 24 %, bien plus nombreux qu’en 1966, à considérer qu’il s'y trouve même “trop de Juifs”. Face au choc de Carpentras, Le Pen s’empresse, en mai 1990, de dénoncer de la télévision même ce “pouvoir des Juifs dans les médias”. Les années de crise n’ont nullement substitué à un antisémitisme dépassé une xénophobie plus générale et plus actuelle. Dans le discours d’exclusion, la xénophobie n’exclut pas la judéophobie. Il laisse toujours un espace à l'antisémitisme pour s’affirmer à propos et, dans cette dynamique du rejet, l’une et l’autre additionnent leurs méfaits. Les comptes français de 1990 ne se réduisent pas aux 52 cas de violences xénophobes enregistrés dont 37 contre des Maghrébins. Ils ont fait un mort et 36 blessés. Il s’y ajoute, dans cette année de Carpentas, 20 actions antisémites certes moins violentes: elles ont fait seulement 3 blessés. Les comptes français de l’histoire - les belges également - sont bien plus significatifs. Cette référence historique - le plus souvent méconnue - s'impose pour prendre la bonne mesure de cette synergie de l’antisémitisme et de la xénophobie, en l'occurrence une relation dont l'issue a été fatale. En France, les services allemands d'occupation, tout racistes qu'ils aient été, ont bien saisi que l'antisémitisme d'importation nazie et de facture raciste avait à s'adapter aux susceptibilités xénophobes de la société d'où il s'apprêtait à extirper les Juifs. Pour mettre en route les convois de la solution finale, ils ont exploité, pendant l'été 1942, le fait que “la montée de l'antisémitisme est due en grande partie à l'immigration de Juifs de nationalité étrangère” dans les années d'avant la guerre[12]. Ils ont tablé sur “le rôle psychologique” de leur "évacuation". Les 13.000 Juifs que la police française arrêta à Paris pour le compte des SS pendant la grande rafle du Vel' d'Hiver, les 15 et 16 juillet 1942, étaient tous de nationalité étrangère. Totalitaire dans son principe biologique et racial, la solution finale a toléré, au moment crucial des grandes déportations, un espace paradoxal pour les citoyens juifs de France. Attaqués plus tard, les Juifs de nationalité française, bien que plus nombreux que les étrangers, ont été déportés en moins grand nombre. Au bilan final, les deux tiers des 74.000 Juifs déportés de France de 1942 à 1944 et exterminés à 97 % n'étaient pas français. Le même paradoxe xénophobe a
fonctionné en Belgique occupée. Les 25.000 Juifs acheminés de
Malines à Auschwitz et exterminés à 95 % constituent près de la
moitié des Juifs étrangers du pays. Les citoyens juifs - infime
minorité dans le cas “belge” - ont été également moins vulnérables.
Comme en France, l'entame antisémite a d'abord été xénophobe. Elle
visait à ménager ... les autorités belges pour que l'“évacuation”
des Juifs - commencée avec les étrangers - ne fît pas “trop
de sensation”. Les militaires allemands de Bruxelles interdirent
même, à cette fin, à la police SS de réquisitionner encore la
police belge pour rassembler les Juifs à déporter. Dans
cette démarche également, la xénophobie s'est combinée avec
l'antisémitisme. Si ce n'est la frange la plus radicale déjà
acquise avant la guerre à “la sauvegarde de Dans les
années ’30, le rexisme, fraîchement issu de l'Action catholique,
voulait même “résoudre [le
problème juif] afin de prévenir le développement d’un antisémitisme
aveugle dont les conséquences pourraient être graves”[14].
Lui ne s’en prenait qu’aux “Juifs
d'importation”, ces “Juifs
du ghetto [...] misérables poussés par la recherche de conditions
meilleures” et venus de Pologne. Dans un souci d'“apaisement
d'un conflit naissant”, cette xénophobie de bon aloi qui
refusait l'accusation d'antisémitisme prétendait “interdire
absolument toute immigration juive d'où qu'elle vienne et [de]
refouler celle qui s'est établie [...] avec l'intention évidente de
demeurer”! L'arrivée massive des fugitifs du IIIe Reich - ils
n'avaient pas le statut de réfugiés - mit plus encore à mal les
traditions d'hospitalité du pays. “ 21.5 La 5e colonne?Le fantasme du “coup de poignard dans le dos” articule cette théorie du complot dans le nazisme, en l'occurrence un complot mondial, celui du Juif. C'est cette démonisation du Juif qui différencie l'antisémitisme du racisme dans l'idéologie hitlérienne. S'il a fait du Juif une “race”, Hitler ne la traite pas une “race inférieure” parmi d’autres. L'hitlérisme jugeait, dans son fantasme antisémite, que son Juif était le “chef” de la sous-humanité non-“aryenne”. Plus encore, ce Juif comploteur et empoisonneur était l’“incendaire” coupable de la guerre mondiale. L“humanité” - l’humanité “aryenne” car il n'en n'existe pas d'autre digne de ce nom - serait anéantie, prophétisait Hitler, si le conflit aboutit à “la bolchevisation de l’Europe” et, donc, “la victoire du Judaïsme”. Un tel mode de pensée ne laissait pas d’autre alternative qu’un combat ontologique. L'issue en était ou l’apocalypse de l’“humanité” (aryenne) ou “l’extermination de la race juive”. Le choix démoniaque produisit le génocide dès lors que l'Allemagne national-socialiste ne maîtrisa plus les circonstances historiques. Avec l’échec de la guerre éclair contre l'Union soviétique “judéo-bolcheviste” en 1941, ses tueurs SS, franchissant le pas du génocide des Juifs d'Europe, exécutèrent “la grave décision” dont parlait leur chef, “de faire disparaître ce peuple de la terre”. On ne saurait, dans le rapport du
présent au passé, ignorer, à cet égard, le changement radical
intervenu, à la fin des années ‘80, avec la disparition de
l’U.R.S.S. et l’effondrement du communisme. Le discours
d’exclusion d’aujourd’hui y a perdu la dimension diabolique dont
l’anticommunisme chargeait le judaïsme. Ce racisme d'aujourd'hui
n'est aussi plus celui des années “brunes”. Comme le dit le
propos embarrassé du bourgmestre belge de St Trond après la
tentative d’incendie d’un logement de Sikhs dans sa ville en août
1992, il ne s’agit “pas [de] racisme”, mais d’“un
problème de concentration de communautés, de culture différente”.
Tout autant que le “révisionnisme”
a banalisé l'antisémitisme sous couvert d'antisionisme, le “racisme” s'est lui aussi et dans le même élan, vidé de sa référence
historique. Il n'est plus biologique. La “nouvelle
droite” des années ’70 et ses intellectuels ont fort bien
compris que le précédent nazi avait par trop gâché le modèle. A
la recherche d’une respectabilité pour sa percée électorale,
l’extrême-droite la plus intelligente a récupéré, à son tour,
le droit à la différence. Le néo-racisme se veut désormais un
ethno-différentialisme. Il revendique la différence dans une interprétation
d’apartheid. Le discours ethno-centriste s'articule sur le “chacun
chez soi” et sur “son propre
peuple, d'abord”. Le renvoi des immigrés est son programme
politique. Les Maghrébins et les Turcs y remplissent la fonction du
Juif d’hier. Parfois, le discours dérape et englobe les Juifs
d'aujourd'hui. Ils “ont leur
propre Etat”, comme le dit le vice-président du Vlaams Blok
dans Het Algemeen Dagblad en
octobre 1979, et “par conséquent,
ils devraient se trouver en Israël”. Mais, la dérive est dans
le discours. Le programme politique, lui, cible la vague d'immigration
des Golden Sixties et les enfants nés depuis pour le rapatriement
futur, s'il en a le pouvoir. On a souvent dit qu'un tel programme
rappelait celui des nazis à l'encontre des Juifs. L'extrême-droite
s'en défend. “Nous ne disons
pas que nous voulons les embarquer de force dans un bateau, pour le
couler au milieu de Il y a là, dans le discours idéologique, une innovation que les néo-nazis et les nostalgiques de l'Ordre nouveau occultent avec leurs oripeaux défraîchis. Hitler, quant à lui, n’a pas été un pâle imitateur. Il avait innové avec son antisémitisme du complot mondial. On ne saurait se référer à ce passé horrible sans comprendre que les ruptures dans la continuité font précisément l’histoire et que l'idéologie et les structures basculent dans l'inconcevable quand elles ne maîtrisent plus les circonstances qu'elles produisent. [1]
document L-180 POLIAKOW et WULF, Le
IIIème Reich et les juifs, p. 140 à 147 |